Gabriel Garcia Marquez, scénariste, cinéphile et critique de cinéma

Posté par vincy, le 18 avril 2014

gabriel garcia marquez

Gabriel Garcia Marquez est mort hier à Mexico, à l'âge de 87 ans. Deuil national en Colombie : il fallait bien cela pour cet immense conteur. Le prix Nobel de littérature colombien (en 1982) écrivait avec une style très visuel et un imaginaire très cinématographique. Aucune surprise de ce côté là pour l'auteur de Cent ans de solitude. Il expliquait que ses histoires, flamboyantes et mélancoliques, comme ces putes tristes qu'il affectionnait tant, étaient toujours inspirés par l'image.

"Gabo" était également journaliste et critique de cinéma (notamment pour le journal de Bogota, El Espectador). Il a fondé la prestigieuse École Internationale de Cinéma et de Télévision (EICTV) de Cuba, et il y animait de nombreux ateliers d'écriture. Dans ses nombreux articles de presse, il défendait la culture caribéenne. Il a aussi présidé la Fondation pour un nouveau cinéma latino-américain. Il fut même membre du jury du Festival de Cannes en 1982, cinq mois avant d'être nobélisé.

Et puis Gabriel Garcia Marquez a écrit quelques scénarios, originaux ou adaptés de ses propres ouvrages: El gallo de oro de Roberto Gavaldón (1964), Lola de mi vida de Miguel Barbachano-Ponce (1965), Tiempo de morir d'Arturo Ripstein (1966), meilleur film mexicain cette année-là, et son remake de Jorge Alí Triana (1986), 4 contra el crimen de Sergio Véjar (1968), Presagio de Luis Alcoriza (1975), primé à San Sebastian, María de mi corazón de Jaime Humberto Hermosillo (1979), El año de la peste de Felipe Cazals (1979), qui valu le prix du meilleur scénario à l'écrivain aux Césars mexicains, Eréndira de Ruy Guerra (1983), en compétition à Cannes, Un señor muy viejo con unas alas enormes de Fernando Birri (1988), en compétition à Venise, Fábula de la Bella Palomera de Ruy Guerra (1988), Milagro en Roma de Lisandro Duque Naranjo (1989), Cartas del Parque de Tomás Gutiérrez Alea (1989) et Los ninos invisibles de Lisandro Duque Naranjo (2001), primé à Montréal.

chronique d'une mort annoncée

Evidemment, son oeuvre a surtout inspiré de nombreux réalisateurs pour le petit comme pour le grand écran: En este pueblo no hay ladrones d'Alberto Isaac (1965) est primé à Locarno, La viuda de Montiel de Miguel Littin (1979), en compétition à Berlin, Adieu l'arche de Shûji Terayama (1984), d'après Cent ans de solitude, en compétition à Cannes, Chronique d'une mort annoncée de Francesco Rosi (1987), en compétition à Cannes, Oedipo alcalde de Jorge Alí Triana (1996), Pas de lettre pour le Colonel de Arturo Ripstein (1999), primé à Sundance et en compétition à Cannes, O Veneno da Madrugada de Ruy Guerra (2006), L'amour au temps du choléra de Mike Newell (2007), avec Javier Bardem, Del amor y otros demonios d'Hilda Gidalgo (2009) et Memoria de mis putas tristes de Henning Carlsen (2011), scénarisé par Jean-Claude Carrière, d'après son dernier roman "Mémoire de mes putains tristes" (paru en 2004).

Françoise ou la race des Seigner

Posté par benoit, le 17 octobre 2008

Françoise Seigner 446e sociétaire de la Comédie Française, Françoise Seigner, fille de Louis et tante d’Emmanuelle et de Mathilde, incarne avec rondeurs et énergie les grandes soubrettes de Molière. Orfèvre de l’art dramatique, elle met son expérience au service des oeuvres de Racine, Corneille, Carlo Goldoni, Nathalie Sarraute, Georges Bernanos, Italo Svevo, Henry James… Pendant vingt ans, Françoise Seigner met en scène et interprète Madame Gervaise du Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy. Sans nul doute le rôle de sa vie. Elle s’est éteinte le 13 octobre à l’âge de quatre-vingt ans.

Chère Françoise,

Il y a une vingtaine d’années, vous animiez un stage d’art dramatique. Son thème : la modernité des classiques. Vous vous éloigniez alors de la Comédie Française que vous lapidiez à coup de phrases laconiques et acerbes. Au plus profond, très souffrantes.

Je m’étais retrouvé là dans des circonstances un peu particulières. Cherchant pour l’une de vos mises en scène un "jeune premier" - c’était encore le temps de ce genre absurde de ségrégation nommée "emploi" - vous m’aviez invité à travailler avec un autre comédien afin de choisir lequel vous conviendrait le mieux. Ce stage se transformait donc en audition. Ironie de ce métier qui n’en manque pas, il me semble que ni mon concurrent, ni moi n’avons été choisis et que votre projet n’a jamais vu le jour…

J’ai le souvenir de nombreux participants dont votre nièce Mathilde, déjà forte en gueule, au teint d’abricot et qui ressemblait à l’époque comme deux gouttes d’eau à Sophie Marceau. Mais le monstre sacré, c’était vous, car sur scène vous étiez sacrément, fabuleusement monstrueuse, Françoise. Comme dans une arène, vous réunissiez à vous seule l’expertise du toréador, la robustesse du taureau, la précision et la justesse de la banderille plantée.

L’emploi de jeune premier me posait des problèmes. Je vous avais fait part de mon horreur du larmoyant et du pathos. Alors, nous avons rigolé ensemble grâce à Molière. Vous dans Dorine, moi dans Cléante du Tartuffe. Vous m’avez soutenu, dopé de vos éclats tonitruants, gigantesques, surhumains. Soudain, phénomène physiologique oblige, des larmes sont nées de mes rires. D’un coup, la fureur vitale de votre regard s’est évanouie. D’une voix qui enrobait chaque mot de miel, vous avez soupiré en prenant la salle à témoin : "Eh bien, voilà. On en fera peut-être quelque chose de celui-là…" Grâce à vous, j’avais réussi à pleurer.

J’habitais déjà la planète cinéma. Vous, vous revendiquiez à tout craint l’universalité du théâtre. J’aimais vous asticoter. Vous ne manquiez jamais de râler, de grogner. Mais quand j’évoquais Truffaut qui vous avait offert le rôle de Madame Guérin, la gouvernante de L’enfant sauvage, vous murmuriez invariablement : "Ah, FrançoisAh, François…"

À la fin du stage, vous avez dressé le portrait de chacun des participants. Beaucoup tremblaient car, ignorante de la langue de bois mais toujours bienveillante, vous découragiez le plus motivé en lui certifiant que vos mots étaient moins cruels que la réalité du métier de comédien. Arrivé à mon tour, un rictus s’est dessiné sur votre visage de matrone diabolique à la Garcia Marquez. Prenant des temps de sociétaire, vous m’avez dit : "VousOh, vousC’est différentC’est autre choseC’est à part…" Vous aviez raison, Françoise, même s’il me fallut encore quelques années avant de comprendre que j’avançais claudiquant dans la lumière et que l’ombre m’éclairerait bien mieux.

Je viens d’apprendre que vous êtes partie. Où ça ? Au ciel comme on dit ?... Si c’est le cas, la prochaine fois que j’entendrai tonner, je me dirai : "Tiens, c’est LA SEIGNER, la reine des soubrettes, qui met de l’ordre dans les nuages telles Toinette, Dorine ou Frosine…" Et si jamais il se met à pleuvoir, alors j’éclaterai de rire. Promis. Je vous embrasse aussi fort que je vous remercie.