2017 dans le rétro : 12 courts métrages étrangers qui ont marqué l’année

Posté par MpM, le 28 décembre 2017

Après avoir fait un tour d’horizon des films plébiscités en festival, il est temps de se mouiller en proposant une liste forcément subjective des autres courts métrages qu’il fallait absolument voir cette année.

Dernière étape, après un focus sur le cinéma français, les douze (autres) films étrangers qui ont marqué 2017 !

Airport de Michaela Müller (Suisse)


Comment les aéroports sont-ils devenus des lieux anxiogènes de contrôle et de sécurité, où tout semble paradoxalement pouvoir déraper à tout moment ? Michaela Müller nous fait vivre l'expérience dans un film réalisé en peinture sur verre. Ses images envoûtantes, à la limite de l'abstraction, ont un effet quasi hypnotiques qui atteignent leur apogée lorsque s'élève subitement un chant puissant. Toutes les contradictions de nos sociétés modernes concentrées en un film.

Ela de Oliver Adam Kusio (Allemagne)


On pourrait facilement passer à côté d'Ela, film ténu sur le moment du départ, à cause de sa (très) grande simplicité. C'est pourtant cette capacité à tout dire en quelques plans, en quelques scènes épurées, qui en font la plus grande force. La cartographie des relations humaines y est également d'une désarmante évidence, laissant affleurer leur douceur un peu amère et leur fragilité, sans ces éclats surjoués qui parasitent tant de films sur la fin programmée d'une belle histoire d'amour.

Flores de Jorge Jácome (Portugal)

Flores adopte une forme (faussement) documentaire pour nous emmener sur une île des Açores tellement envahie par les hortensias que ses habitants en ont été contraints de fuir. Construit en trois actes, le film mêle utopie et dystopie, discours écologique et quête introspective, topologie d’un lieu et exploration d’une relation intime. On est frappé par la force et l’ampleur de la mise en scène qui offre à cette fresque sensible un écrin au souffle quasi épique.

Hiwa de Jacqueline Lentzou (Grèce)

Dans Hiwa, Jacqueline Lentzou tente de reconstituer à l’écran l’expérience intime du rêve. Tandis que le personnage raconte en voix-off le contenu du songe qu’il vient de faire, la caméra se fait subjective pour traduire en images les sensations et les émotions de la nuit. À l’aide de gros plans et de faible profondeur de champ, elle nous entraîne dans une succession de scènes tantôt oniriques, tantôt ultra-réalistes qui laissent transparaître les sourdes inquiétudes de celui qui les rêve. D'une beauté magnétique et sidérante.

Jodilerks de Carlo Francisco Manatad (Philippines)

Pour évoquer la dure réalité sociale de son pays, le cinéaste philippin Carlo Francisco Manatad propose un film punk, explosif et désespéré, où l'humour noir le dispute à la tragédie glaçante. Une fable dense, perpétuellement sur le fil, dont la noirceur est renforcée par l'épure cathartique des plans. Il s'en dégage une énergie folle, salvatrice, et forcément communicative.

Ligne noire de Mark Olexa et Francesca Scalisi (Suisse)

Saisissant documentaire, Ligne noire capte, quasiment par accident, les allers et retours incessants d'une femme qui pêche dans une rivière contaminée par une pollution pétrolière. Sa ténacité face à cette tâche digne de Sisyphe a quelque chose de terriblement bouleversant qui nous raconte, en quelques plans, la misère et la survie, la résignation et l'espoir. Il semble y avoir toutes les contradictions de notre monde dans ce destin tragique soumis aux aléas des ravages écologiques et des réalités économiques.

Möbius de Sam Kuhn (Etats-Unis)

Cet ovni lynchien en forme de teen movie énigmatique tient tout autant du récit initiatique que du conte cruel. Sur les pas de son héroïne Stella, qui pleure son amour disparu, il nous emmène aux confins de la raison, dans les bribes brumeuses des souvenirs et du rêve qui tourne au cauchemar. Sans doute est-on déconcerté, secoué, même, mais c'est cette singularité diffuse et instinctive qui en fait toute la beauté insaisissable.

Real gods require blood de Moin Hussain (Grande Bretagne)

Il n'est pas si fréquent de voir des courts métrages réussir leur incursion dans le cinéma de genre. Moin Hussain s'y essaye avec délectation, lançant le spectateur sur la (fausse) piste d'un cinéma social si fréquent dans le cinéma britannique pour nous emmener à la frontière d'une horreur poisseuse et terrifiante. On aime la manière magistrale dont le réalisme se teinte peu à peu de trouble, puis de fantastique, avant d'exploser en une angoisse incontrôlable.

Selva de Sofía Quirós Ubeda (Costa Rica)

Oeuvre sensorielle et fantomatique à la beauté sidérante, Selva intrigue par sa sensibilité et son épure. Sur la fatalité des départs et des séparations, Sofía Quirós Ubeda tisse un récit lumineux et doux dans lequel même la nostalgie a quelque chose de joyeux. Il faut accepter de lâcher prise devant cette histoire qui nous parvient depuis les origines du monde, transcendant l'espace et le temps pour nous parler de l'essence même de l'Humanité.

Tesla lumière mondiale de Matthew Rankin (Canada)

Probablement n'avez-vous jamais vu un film comme Tesla lumière mondiale, que l'on pourrait qualifier de quasi biopic du scientifique Nicolas Tesla, mais traité avec une audace folle, entre hommage au cinéma d'avant garde et expérimentation pyrotechnique. C'est en apparence déconcertant, voire complètement délirant, et pourtant tout est parfaitement maîtrisé, visuellement passionnant, et surtout en exacte résonance avec certains épisodes de l'existence de Tesla.

Toutes les poupées ne pleurent pas de Frédérick Tremblay (Canada)

Toutes les poupées ne pleurent pas laisse le spectateur dans un état de sidération difficilement descriptible. On est à la fois ébahi par l'expressivité des marionnettes qui sont au cœur du récit, frappé par l'intelligence de la mise en abîme (le film montre dans une grande épure, en prise de son direct, et sans musique, le tournage d'un film en stop-motion par un couple - également de marionnettes - qui ne se croise jamais) et émerveillé par la précision de la mise en scène à la fois au niveau du film dans le film (choix des plans, mouvements minuscules pour animer les marionnettes, magie de la succession de plans fixes qui recrée une histoire) et dans le récit qui effectue le même travail avec une force dramatique décuplée. On est face à du grand art de l'animation, mais aussi devant une oeuvre solide, qui suggère et propose plusieurs niveaux de lecture sans jamais rien asséner, et fait naître de ses êtres pourtant inanimés des fulgurances existentielles déchirantes.

Vilaine fille de Ayce Kartal (Turquie)

Délicat récit à la première personne d'une petite fille ayant subi une agression, Vilaine fille met son animation libre et inventive au service du sujet sensible des viols collectifs d'enfants en Turquie. Plus on avance dans le récit, plus la légèreté du ton et de l'image renforce l'effroi qui saisit le spectateur, cueilli presque par surprise par une puissance émotionnelle sèche, dénuée de tout pathos, et d'autant plus violente.

Retour sur le 10e Paris international animation Film Festival

Posté par MpM, le 4 octobre 2017

La 10e édition du Paris international animation Film Festival (PIAFF) s'est achevée mardi 26 septembre avec la proclamation du Palmarès. C'est Impossible figures and other stories II de Marta Pajek qui a remporté le grand Prix décerné par le jury. Il s'agit d'un film au graphisme très épuré (trait noir, rares touches de couleur) qui suit une jeune femme dans son appartement aux dimensions labyrinthiques.

On ne sait si elle s'y perd, ou choisir d'y déambuler au hasard, se laissant surprendre par les rencontres et les découvertes. Un film étrange et saisissant qui tend au spectateur un miroir pour qu'il puisse sonder à son tour les méandres de son labyrinthe intime. Un très beau choix de la part du jury qui va avec ce film vers un cinéma peu narratif et très elliptique.

Le palmarès

Figurent également au palmarès Vilaine Fille d'Ayce Kartal (Prix du jury), délicat récit à la première personne d'une petite fille ayant subi une agression ; Locus d'Anita Kwiatkowska-Naqvi, curieux Prix du scénario pour une œuvre à la beauté indéniable, réalisée avec des figurines translucides presque déchirantes, mais qui demeure assez absconse ; Min Borda de Niki Lindroth von Bahr (Prix de la mise en scène), comédie musicale existentielle dans laquelle des animaux chantent la solitude, l'absurdité du monde et le fardeau qui pèse sur leurs épaules (découvertà la Quinzaine des réalisateurs et couronné à Annecy) et Morning cowboy de Fernando Pomares (Prix d'interprétation ex-æquo avec Alphonse s'égare de Catherine Buffat et Jean-Luc Greco) qui raconte la révolte d'un homme qui décide de renouer avec ses rêves d'enfance.

On y retrouve aussi Orogenesis de Boris Labbe (Prix du meilleur son), indescriptible succession de plans en noir et blanc qui simulent la formation des montagnes sur la croûte terrestre, en une reconstitution presque aride d'un passé qui nous bouleverse par la seule force de ses images et enfin (Fool time) job de Gilles Cuvelier, fable clinique et désespérée sur un homme contraint d'accepter un travail terrifiant pour nourrir sa famille, mise en scène avec une précision et un sens de l'ellipse aussi admirables que glaçants.

Les temps forts

Cette 10e édition proposait en plus de la compétition professionnelle et films d'étudiants de nombreux temps forts permettant au public d'avoir un large aperçu de la production actuelle (films de commande, films du monde, films envisagés mais non retenus compétition, rencontres avec des auteurs comme Claude Barras ou Arthur de Pins, carte blanche au studio Train Train...).

Une très belle séance consacrée au cinéma de patrimoine, conçue par Jean-Baptiste Garnero du CNC, a également permis de découvrir l'œuvre primordiale et atypique de Peter Foldès, cet animateur d'origine tchèque installé en France, à qui l'on doit notamment le saisissant La faim mais aussi des œuvres plus légères comme des publicités pour Bahlsen et la Samaritaine, et même le générique de Stade 2. Un animateur qui fait date dans l'histoire de l'animation française comme mondiale notamment parce qu'il a décloisonné tous les genres et essaimé dans l'inconscient collectif. Ce fut également un pionnier de l'informatique, qui a très vite détecté ce que les nouvelles technologies pouvaient apporter à l'animation.

La compétition professionnelle


Moment phare du Festival, la compétition professionnelle a littéralement estomaqué par sa qualité et son audace. C'est vraiment le meilleur de l'animation mondiale qui a été rassemblé par le sélectionneur Alexis Hunot à travers 25 films qui mêlaient les genres et les techniques avec un sens très aigu du dosage. L'animation y était entendue ici au sens le plus noble du terme, sans concessions à son image tarte à la crème de genre léger, voire enfantin, qui privilégie la forme au fond. On a donc vu des films engagés, existentiels, profondément ancrés dans leur époque, parfois intimes, qui livrent du monde une vision en demi-teinte, entre désespoir et ironie, dénonciation et prise de conscience.

On a déjà cité le très fort (Fool time) job de Gilles Cuvelier, sur les extrémités auxquelles sont amenées certaines personnes pour survivre, ainsi que Min Börda de Niki kindroth von Bahr, sur l'extrême moderne solitude, mais on pourrait également parler de Airport de Michaela Müller qui montre comment les aéroports sont devenus des lieux anxiogènes de contrôle et de sécurité, où tout semble pouvoir déraper à tout moment ; Le curry de poisson d'Abhishek Verma sur un coming out tout en retenue entre un père et son fils ou encore Buddy Joe de Julien David qui donne la parole à son beau-père atteint de la maladie de Parkinson en chassant toute velléité de dramatisation lacrymale.

Un cinéma plus expérimental, plus formaliste aussi, était également présent. On pense notamment à l'hypnotique Orogenesis de Boris Labbé, ou au déconcertant Miller Fisher de Falyaz Jafri qui joue lui-aussi sur un cinéma purement sensoriel avec des plans répétés dont on ne peut détacher le regard. L'explication du film (il s'agit de l'expérience visuelle, physique et existentielle distordue de la maladie auto-immune du même nom, dont souffre le réalisateur)) importe au fond moins que l'impression saisissante que ces images opèrent sur celui qui les regarde. Casino de Steven Woloshen propose également un travail très visuel où des formes presque abstraites (qui évoquent la passion du jeu du père du réalisateur) bougent en adéquation avec une musique de jazz entraînante.

Nos chouchous


Enfin, parmi ces 25 films, trois nous ont plus particulièrement marqués. Il y a tout d'abord Diamenteurs de Chloé Mazlo (Oscar du meilleur court métrage en 2015 avec Les petits cailloux), une oeuvre hybride captivante qui utilise un matériau intime pour raconter un conte apparemment anodin aux accents pourtant universels. La réalisatrice travaille l'intime depuis ses premiers courts métrages et c'est, chez elle, une constante quasiment aussi forte que son travail d'animation mêlant stop Motion et prise de vue réelle.

Sa famille est donc presque naturellement la matière principale du film, que ce soit à travers des images d'archives familiales, via la voix de son père, qui est le narrateur, ou avec ses propres apparitions (et celles de ses frère et sœur) à l'écran. Mais elle le fait paradoxalement au service d'une narration qui n'a plus rien à voir avec l'histoire de sa famille puisqu'il s'agit de raconter le processus qui transforme un diamant brut en une pierre calibrée et polie prête à être montée en bijou. C'est petit à petit, dans le décalage entre les images et la voix-off, qu'apparaît le vrai sujet du film : le formatage tout aussi brutal que l'on fait subir à l'être humain dès la naissance.

Dans un style très différent, Toutes les poupées ne pleurent pas de Frédérick Tremblay (Prix du jury de la critique) laisse le spectateur dans un état de sidération difficilement descriptible. On est à la fois ébahi par l'expressivité des marionnettes qui sont au cœur du récit, frappé par l'intelligence de la mise en abîme (le film montre dans une grande épure, en prise de son direct, et sans musique, le tournage d'un film en stop-motion par un couple - également de marionnettes - qui ne se croise jamais) et émerveillé par la précision de la mise en scène à la fois au niveau du film dans le film (choix des plans, mouvements minuscules pour animer les marionnettes, magie de la succession de plans fixes qui recrée une histoire) et dans le récit lui-même qui effectue le même travail avec une force dramatique décuplée.

On est face à du grand art de l'animation, mais aussi devant une oeuvre solide, qui suggère et propose plusieurs niveaux de lecture sans jamais rien asséner, et fait naître de ses êtres pourtant inanimés des fulgurances existentielles déchirantes.

Enfin, Alphonse s'égare de Catherine Buffat et Jean-Luc Greco (prix d'interprétation ex-aequo) est un récit en apparence plus classique d'une initiation adolescente dans laquelle tout déraille. Le film crée un décalage systématique (avec  notamment la voix volontairement très nasillarde du personnage, mais aussi les situations et les dialogues) qui rend tout à la fois drôle et un peu tragique. On est dans ce moment symbolique de la fin de l'adolescence et du passage à l'âge adulte où tout s'emballe, parce que tout semble tout à coup possible et à portée de mains, mais sans pathos, sans psychologie de comptoir. Et c'est vrai que le film se moque allègrement de lui-même et de ses congénères teen-movies,  tout en rendant son (anti) héros terriblement attachant.

Pour son anniversaire, le PIAFF s'est ainsi offert une édition exemplaire et enthousiasmante, qui fera vraisemblablement date dans son histoire. De quoi galvaniser l'équipe organisatrice qui devra justement faire face, dès l'année prochaine, à de nouveaux défis, et notamment au départ de son directeur artistique.