Arras 2014 : 3 questions à Frédéric Tellier pour L’affaire SK1

Posté par MpM, le 10 novembre 2014

Parmi les nombreuses avant-premières proposées lors de cette 15e édition du Arras Film Festival, L'affaire SK1 de Frédéric Tellier, avec Raphaël Personnaz, Nathalie Baye et Olivier Gourmet, revient avec une grande sécheresse scénaristique sur la très longue enquête ayant mené à l'arrestation de Guy Georges pour le meurtre et le viol de six jeunes femmes entre 1991 et 1998.

A mille lieues des polars traditionnels, ou des séries télévisées haletantes, c'est-à-dire sans effets spectaculaires et avec une grande rigueur narrative, le film retrace dix années d'une enquête complexe et chaotique durant laquelle les enquêteurs suivirent de nombreuses fausses pistes, impuissants face à une violence qui les dépassait.

Retour avec Frédéric Tellier,  qui signe ici son premier long métrage, sur la manière dont il a abordé ce fait divers tragique.

Ecran Noir : Réaliser L'affaire SK1 ressemble à un défi, à la fois sur le fond, à cause de son sujet, mais aussi sur un plan plus formel...

Frédéric Tellier : C'est en effet un défi de traiter cette histoire. C'est une énorme charge émotionnelle car l'histoire est très récente. On en a peu parlé. Les parents des victimes pour la plupart sont encore en vie. C'est une grosse responsabilité, effectivement.  A partir de là, mon parti pris était d'être le plus simple possible pour être dans la vérité des personnages, justement, et surtout pas la travestir par une imagerie trop forte. Je ne sais pas si j'ai pensé à comment me différencier des autres du point de vue policier. Peut-être parce que j'ai jamais vraiment eu l'impression que c'était un film policier mais plutôt un film d'enquête. Mais ce serait vrai aussi sur la partie procédurale. En fait, je n'y ai pas trop pensé. Il y avait une dramaturgie naturelle à cette histoire, très cinématographique. On écrirait ça en fiction, on dirait que c'est très chargé, mais c'est la vraie vie qui s'est déroulée comme ça. Ces deux lignes s'entrechoquent en permanence puisqu'il y a la ligne de l'enquêteur et la ligne de l'avocate qui a défendu Guy Georges dix ans plus tard. Malgré cette différence de temporalité, ces deux lignes s'entrechoquent tout le temps. Ca révise un peu de soi-même le procédé narratif qui pose plus une question centrale qui est celle du mal. Comment le mal est géré par la société, par l'être humain. Comment on digère ça ? Comment on décrypte ça ? Comment on vit avec ça ?

EN : Justement, comment avez-vous décidé de ces deux lignes narratives qui induisent de fréquents allers et retours entre les époques ?

FT : C'est une histoire qui est très longue, qui a pris dix années pleines entre 1991 et 2001. Pourquoi les faire s'entrechoquer ? Mon idée c'était vraiment de raisonner autour du mal, c'est ça qui m'obsède : essayer de comprendre le mal. Cette histoire me travaillait beaucoup. Comment on s'organise pour vivre avec ça ? J'avais pas tant envie de raconter une histoire de comment un flic s'en sort et ensuite de comment est jugé le coupable, que de mélanger les deux. Peut-être que ça fait un film exigeant au sens péjoratif, parce que ce n'est pas linéaire, en même temps c'est l'impression que moi j'avais de cette histoire. Qu'elle était très compliquée, très exigeante. J'ai essayé de rendre ça. Je ne sais pas si j'y suis arrivé. Moi ce qui m'intéressait c'était de mélanger un peu les points de vue pour avoir une réflexion un peu centrale sur le mal. Les convictions, les doutes, les impasses dans lesquelles allaient les enquêteurs, et en parallèle de se projeter dix ans après dans les impasses où allaient à nouveau les avocats alors qu'il y avait déjà une instruction aboutie. Et de voir finalement que le mal impacte un peu tout le monde de la même façon, qu'on ait déjà arrêté le gars ou qu'on ne sache pas qui il est. C'est vrai qu'à la fin ça fait un film policier, mais avec cette responsabilité d'une histoire très récente, d'où peut-être pour moi la nécessité de le traiter de manière particulière.

EN : On sent une réelle volonté de ne pas faire de Guy Georges un monstre absolu. Comme il est dit dans le film, "d'aller chercher l'homme derrière le monstre"...

FT : Une affaire comme ça, ce serait la travestir que de ne pas l'aborder le plus modestement possible, par la base, en se disant "qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi on en est arrivé là ?". Et pour être honnête, on le sent bien, quand on commence à écrire. Notre parti-pris était choisi dès le départ. On était du côté des victimes. On était dans cette grande émotion. Et Guy Georges a été condamné. On a lu des rapports médico-psychologiques, on n'a aucun doute sur l'horreur des faits. Pourtant, au fil de l'écriture, on a ressenti l'honnêteté, le besoin d'honnêteté de parler de son enfance parce que ce serait malhonnête de ne pas le faire. Tous les enfants maltraités dans leur enfance ne deviennent pas des criminels, mais il y a peu de criminels qui ont eu une enfance parfaitement heureuse. Il y a bien un moment où il faut parler de ces choses-là, sans prendre parti.