Festival Lumière: le choix de Jerry Schatzberg, la folie de Deneuve, le Buster de Keaton et le pape de Sorrentino

Posté par Morgane, le 16 octobre 2016

Ce qui caractérise le Festival Lumière c'est son éclectisme. On peut, en une semaine, passer d'un film de Marcel Carné à Very Bad Trip ou Les Bronzés font du ski (La Nuit bande de potes), d'Ettore Scola à Jacques Demy, de Catherine Deneuve à Gong Li, des amours de Tarantino à ceux de Tavernier, de Buster Keaton à Jerry Schatzberg, de Park Chan-wook à Dracula... En neuf jours on réalise donc de véritables grands écarts cinématographiques à vous donner le tournis.

Jerry Schatzberg sème la Panique à Needle Park

Panique à Needle Park (second film de Jerry Schatzberg après Portrait d'une enfant déchue et avant L'épouvantail, Palme d'or en 1973) est qualifié par Thierry Frémaux comme "l'un des plus grands surgissements à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du Nouvel Hollywood!". Il était ici présenté en version restaurée.

Jerry Schatzberg, présent pour l'occasion, nous raconte une anecdote sur le choix de son acteur. "Quatre ans avant de réaliser mon premier film, j'ai vu, avec mon manager, Al Pacino à Broadway et je me suis dit que je voulais un jour travailler avec lui. Cinq ans après, j'avais donc tourné mon premier film mais j'étais très énervé car le laboratoire avait bousillé les six dernières minutes de mon film (Portrait d'une enfant déchue). Mon agent m'envoie à ce moment-là le script de Panique à Needle Park. Mais j'étais tellement en colère que je l'ai lu en diagonale et je l'ai refusé. Mon manager me parle aussi de ce script en me disant que Al Pacino voulait le faire. Je l'ai donc relu en imaginant Al Pacino dans le rôle principal. Je me suis excusé auprès du studio et j'ai dit que je voulais le faire avec Al. Mais la Fox ne veut pas de Al Pacino car elle le trouve trop vieux (31 ans à l'époque). On fait donc un casting, des essais. On était alors à New York et Robert de Niro se pointe au casting. Il était fantastique! mais pour moi il jouait le rôle, alors que Al était le rôle. Quelques jours après les essais, on me tape sur l'épaule. C'est Robert de Niro qui me dit: "Alors, on le fait ce film!?" Pris au dépourvu je lui ai donc dit la vérité. Il s'est alors retourné et est parti sans rien dire. Depuis on se croise de temps en temps, on se dit bonjour poliment mais c'est tout..." Voici donc la genèse du rôle qui a vraiment lancé la carrière de Al Pacino.

Panique à Needle Park, adaptation du roman de James Mills, est un film merveilleusement tragique qui se déroule à "Needle Park" (le parc des seringues). Plaque tournante new-yorkaise de la drogue, le film dépeint cette fin des années 60 où une pénurie d'héroïne crée un véritable vent de panique chez les toxicos. Acteurs professionnels et non professionnels se côtoient et donnent au film tout son réalisme, de l'achat au manque en passant par les injections et tout ce dont ils sont capables pour avoir une dose. Cette destruction semble inévitable pour tous ceux qui évoluent dans cet univers et c'est dans celui-ci que prend place l'histoire d'amour entre Bobby (Al Pacino), jeune héroïnomane adorable, et Helen (Kitty Winn) qui, errant dans les rues, retrouve goût à la vie grâce à Bobby. Mais entre la vie et la seringue, qui pèse le plus lourd?

Catherine Deneuve, malmenée par Polanski et abandonnée par Dupeyron

Parmi les 13 films de la filmographie, il y avait Repulsion (1965) de Roman Polanski. Régis Wargnier (avec qui elle a tourné Indochine) est présent pour nous dire quelques mots sur le film et son actrice. "Révélée dans les Parapluies de Cherbourg deux ans auparavant (1963) c'est déjà une audace d'avoir tourné une comédie musicale à même pas 20 ans. C'en est une autre également de tourner Repulsion à 22 ans et Belle de jour à 24. Elle est en réalité audacieuse dès son plus jeune âge! Polanski, dont c'est ici le troisième film, a passé son enfance dans le ghetto de Varsovie. Il a connu la guerre, les privations et c'est un être particulier qui traite souvent des maladies mentales. C'est courageux de la part de Catherine Deneuve qui, à 22 ans, se retrouve avec un homme très abîmé, Roman Polanski, enfermée dans un appartement londonien." Roman Polanski qui a dit d'elle: "Tourner avec Catherine Deneuve c'est comme danser le tango avec une cavalière farouche."

Carole partage un appartement à Londres avec sa soeur. Cette dernière part en vacances avec son amant et Carole se retrouve seule. C'est alors qu'elle a des hallucinations et sombre dans la folie.  Introvertie Carole ne supporte pas la présence des hommes. Attirée et à la fois dégoutée par le sexe, sa solitude se transforme en véritable scène d'horreur. La caméra de Polanski filme cette folie au plus près. Les sons sont stridents et obsédants (la sonnerie du téléphone, les gouttes d'eau), les gros plans sont nombreux, déformants et déformés afin d'introduire le spectateur dans le cerveau malade de Carole. Le lapin en décomposition, les pommes de terre qui pourrissent rajoutent à cette atmosphère de dégout qui entoure ce personnage si étrange. La folie monte peu à peu pour atteindre son paroxysme où plans et sons perturbants se mélangent sans répit, sans pause, sans souffle... Catherine Deneuve est ici hallucinante de justesse dans cette folie, n'en faisant jamais trop mais juste ce qu'il faut.

La séance d'après on a pu découvrir une toute autre Catherine Deneuve devant la caméra de François Dupeyron dans Drôle d'endroit pour une rencontre (1988), son premier long métrage. Elle campe ici une femme bourgeoise que son mari abandonne en pleine nuit sur une aire d'autoroute après une violente dispute. La voilà paumée, géographiquement perdue, mentalement déboussolée. Elle fait alors la rencontre de Charles (superbe et très touchant Gérard Depardieu) qui est occupé à démonter et remonter le moteur de sa voiture et veut à tout prix rester seul, même si au final c'est lui qui parle le plus... Drôle de rencontre, drôle de film que cette histoire qui se déroule entièrement entre deux aires d'autoroute. Sorte de huis clos nocturne à ciel ouvert, où les personnages alentour ne font finalement que passer, Deneuve et Depardieu dansent ici une valse qui ne se fait qu'à deux. On s'éloigne tout en se rapprochant peu à peu pour mieux s'éloigner ensuite... Les aires d'autoroute où l'on ne fait normalement que passer deviennent ici le décor qui accueille cette histoire d'amour naissante, ce jeu du "je veux, moi non plus" qui s'installe entre les deux personnages. Film au décor improbable et aux dialogues percutants, Drôle d'endroit pour une rencontre est une très belle découverte. Un des films préférés de Deneuve. Mais aussi un souvenir douloureux puisque le tournage fut assez éprouvant et l'ambiance plutôt tendue.

Buster Keaton et un piano

Le Festival Lumière c'est aussi une rétrospective Buster Keaton avec un ciné-concert à l'auditorium joué par l'orchestre national de Lyon, des projections et des programmes de courts-métrages accompagnés superbement au piano par Romain Camiolo, pianiste lyonnais.
Buster Keaton est né la même année que le cinématographe. Et son nom vient d'une chute qu'il a fait dans les escaliers à l'âge de 6 ans après laquelle le grand magicien Houdini s'était écrié "what a buster!" (quelle chute!). Tout le destinait donc...
Tous les films projetés durant le festival sont présentés dans leur version restaurée par les laboratoires de Bologne grâce au Keaton Project mené par la cinémathèque de Bologne et Cohen Films. Une très belle occasion de revoir, découvrir ou faire découvrir cet "homme qui ne riait jamais", son univers et pourquoi pas de partager cela avec petits et grands.

Sorrentino passe sur petit écran

Le Festival Lumière cette année ce n'est pas que du cinéma, c'est aussi une série. Celle réalisée par Paolo Sorrentino (Les Conséquences de l'amour, Il Divo, Le grande bellezza), The Young Pope, présentée en avant première mondiale à Venise, et qui sera diffusée sur Canal Plus à partir du 24 octobre.

Sorrentino présent pour l'occasion nous en dit quelques mots: "C'est un sujet qui me tenait à coeur depuis quelque temps. J'ai recueilli beaucoup de matériel mais trop important pour un seul film, donc on en a fait une série." La différence entre l'écriture cinéma/série, selon lui, est que "l'une est l'opposée de l'autre. Dans le cinéma on se concentre sur l'essentiel. Dans la série on joue la dilatation du temps, l'extension du sujet. Mais mon histoire vient du cinéma alors j'ai essayé de greffer à la série des concepts propres au cinéma. Dans les séries par exemple, ce qui fait défaut, ce sont les scènes cruciales qu'on n'oubliera jamais. j'ai essayé de les intégrer ici."

Les deux premiers épisodes projetés en avant-première sont visuellement sublimes. Chaque plan est pensé, chaque mouvement est voulu, chaque parole est pesée. L'histoire de ce jeune pape (Jude Law) pas vraiment comme les autres, qui fume, boit du cherry coke au petit déjeuner et veut imposer une idée bien précise de ce que sera son pontificat est assez attrayante et intrigante. Néanmoins il ne faudrait pas que la dilatation du temps et l'extension du sujet soient telles qu'elles perdent le spectateur. Toujours est-il que la fin du deuxième épisode est assez fracassante pour qu'on ait hâte de voir le troisième!

Quant à son prochain film, "j'espère le tourner l'année prochaine mais je n'arrive pas encore à comprendre quoi!"

Edito: Chacun pour soi, Dieu s’en fout

Posté par redaction, le 25 février 2016

Vous imaginez bien que cet édito n'était pas celui qui était prévu. On voulait parler des Ours de Berlin, des César du Châtelet, des Oscars d'Hollywood. Du glam, du gold, du glorious. Il y avait tant à dire. Une Berlinale engagée et activiste. Des César au coeur de polémiques (quoi, certains films français ne sont pas dans le "fameux" coffrets?). Des Oscars accusés de discrimination. Mais bon en attendant le grand soir qui couronnera Leonardo DiCaprio, il y a quelque chose de pourri dans cet hiver. Les décès se succèdent à un rythme effrayant. Dernier tombé pour la Culture, François Dupeyron.

Cinéaste en marge du système, il avait préféré écrire des romans plutôt que d'enchaîner les refus de financement de ses projets cinématographiques. Si ses films portaient toujours une forme d'espérance et de foi en la vie, cette chienne de vie qui nous font des bâtons dans les roues, le réalisateur lui désespérait de voir le monde se fracturer sous ses yeux, les Hommes devenir de plus en plus individualistes. Il en a eu des déceptions. Malgré la reconnaissance (César et grands festivals), François Dupeyron a du contourner un peu le système pour que certains films se fassent et même puissent sortir, à l'instar d'Inguélezi (lire notre entretien avec Marie Payen la comédienne principal du film). Mais après des années de déseouvrement, il avait décidé d'exprimer sa rancoeur sur la place publique au moment de la sortie de Mon âme par toi guérie, en 2013 (lire le texte complet).

"La dernière fois qu’une chaîne publique a mis de l’argent dans un de mes films, c’est en 2003. Ca va faire dix ans qu’on me refuse tout !" Et de tout balancer: le système totalitaire qui dépend de la télévision, cette inculture générale, ce nivellement par le bas, ce formatage global.
"Toutes ces dernières années, j’ai essayé un peu de comprendre, je me suis dit qu’ils avaient peut-être raison, que mes scénarios étaient trop ci, ça. J’ai essayé plusieurs styles, plusieurs genres. Et j’ai compris qu’il n’y a rien à comprendre. J’ai perdu mon temps. Depuis quelques années, la mode est aux fiches de lecture. Je ne sais pas qui lit, des jeunes gens sans doute, pas très bien payés. J’en ai demandé deux, pour deux scénarios, pour voir… Deux fois, j’ai eu droit à « Sujet non traité. » Je n’invente pas, « Sujet non traité ». Etait-ce le même lecteur ? Voilà où on en est. Tu ouvres le coffret des Césars, à part trois ou quatre films, tous les autres se ressemblent. Mais le sujet est traité. Merde, le cinéma, c’est pas ça ! C’est même tout le contraire…" expliquait-il.

Dupeyron ne pensait pas savoir écrire, alors il voulait filmer. "Moi, j’ai découvert la vie avec le cinéma, j’ai découvert les hommes, les femmes" disait-il. "Maintenant, je suis sec, ils ont gagné, mais ils n’auront pas ma peau. (...) Je suis marqué au rouge. « Dupeyron, on aime beaucoup ce qu’il fait, mais pas ça. » C’est le refrain, dès que je l’entends, je crains la suite. Alors, puisqu’on ne veut plus de moi, je me tire. Et personne ne s’en apercevra parce que le monde n’a pas besoin de moi pour tourner, et c’est très bien comme ça."

Nous on aimait bien les films de François Dupeyron, sa manière de capter des personnages qui essayaient de ne pas sombrer, son goût pour les décors et les regards. On se souviendra d'une Deneuve en manteau de fourrure errant la nuit sur une aire d'autoroute comme du visage lumineux et bienveillant de Sabine Azéma au Val de Grâce, du sourire un peu triste de Céline Sallette sous le soleil de la Riviera ou de l'allure charismatique d'Omar Sharif dans les rues de Paris.

Rappelons nous alors la phrase d'Annie Girardot aux César: "Je ne sais pas si j'ai manqué au cinéma français, mais le cinéma français m'a manqué. Follement, éperdument, douloureusement." Espérons que les témoignages d'affection seront autant de preuves d'amour posthume. Car, Dupeyron est là, tout à fait mort.

C’est quoi la mort, François Dupeyron? (1950-2016)

Posté par vincy, le 25 février 2016

Il était sensible, engagé, écorché, défenseur des marginaux et des mis-à-l'écart, des êtres abimés et des âmes nobles. François Dupeyron a succombé à sa longue maladie, à l'âge de 65 ans. Dès son premier long métrage, il a laissé son empreinte sur le cinéma français. Drôle d'endroit pour une rencontre. Deneuve, Depardieu, une aire d'autoroute, un duo de légende dans un lieu improbable, nocturne. Pour que le film se fasse, Deneuve est exceptionnellement coproductrice. Dupeyron s'attaque à deux monstres, il a 38 ans, et quatre courts métrages derrière lui, dont La Dragonne, Grand Prix à Clermont-Ferrand, La nuit du hibou et Lamento (tous deux César du meilleur court métrage).

Né le 14 août 1950 dans les Landes, cet écrivain et cinéaste a navigué dans des récits où les individus sont cassés par un accident du destin et tentent de se reconstruire. Après Drôle d'endroit pour une rencontre, et 4 nominations aux César à la clé, il signe Un coeur qui bat (1991), triangle amoureux de mal-aimés, La machine (1994), film un peu raté où il revisite le mythe de Dr Jekyll et Mister Hyde, et C'est quoi la vie? (1999), avec la superbe photo de Tetsuo Nagata, filmé dans les Causses. Ce drame social et romantique est sa première collaboration avec Eric Caravaca (César du meilleur espoir masculin) et lui vaut la Coquille d'or du Festival de San Sebastien.

Il retrouve deux ans plus tard Caravaca pour La Chambre des officiers, fresque sublime et bouleversante sur les gueules cassées de la Grande Guerre. Deux fois césarisé (Tetsuo Nagata pour la photo et André Dussolier pour le second-rôle masculin) sur 8 nominations (dont film et réalisateur), le film fait son avant-première mondiale en compétition à Cannes. Il séduit plus de 700000 spectateurs en France, de loin son plus gros succès.

En 2003, il adapte Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, le dernier grand rôle d'Omar Sharif, en épicier turc et philosophe du 9e arrondissement de Paris. L'acteur recevra le César l'année suivante.

De là, le parcours de Dupeyron sort des sentiers battus et prend des chemins de traverse avec Inguélézi (toujours avec Eric Caravaca), Aide-toi le ciel t'aidera et en 2013, Mon âme par toi guérie, distingué par la critique mais boudé par le public.

En 2009, il reprend la mise en scène de Trésor quand Claude Berri décède. Il a également écrit les scénarios du Fils préféré de Nicole Garcia, d'Un pont entre deux rives de Fred Auburtin et Au plus près du soleil d'Yves Angelo. François Dupeyron a aussi été écrivain avec cinq romans parus entre 2002 et 2010. Ironique de la part de celui qui disait au journal Libération il y a douze ans: "Je suis venu au cinéma, gamin, parce que j'étais nul à l'écrit".

Immigrants clandestins, soldats à la chair meurtrie, femme plaquée, banlieusards oubliés,  fils endeuillé, motard percutant un gamin, François Dupeyron aimait les esprits assombris par la mélancolie ou la tragédie, mais ne rechignait pas à insuffler de la lumière, de l'érotisme ou de la légèreté dans ses histoires. Mais son pessimisme le gagnait souvent, conscient de voir le monde se fracturer devant ses yeux. Il avait fondé l'association militante d'extrême-gauche Cinélutte dans les années 1970. De cet engagement, il a été remercié par un Prix France Culture Cinéma en 2009.

De cet activisme, il avait gardé une rage qui 'est pleinement exprimée lors de la sortie de Mon âme par toi guérie, où, dans son dossier de presse, le cinéaste accusait le cinéma français et son système de financement (lire La colère de François Dupeyron : un « système totalitaire », des « producteurs incultes »). Il en avait souvent souffert. Projets avortés, sorties massacrées. François Dupeyron, malgré son indéniable talent à adapter des romans pour les transformer en oeuvres singulières, a sans aucun doute était l'un des cinéastes français doués qui a été gâché par un cinéma français qui ne le comprenait sans doute pas.

Omar Sharif se couche (1932-2015)

Posté par vincy, le 10 juillet 2015

Il était beau, il était brun, il sentait bon le sable chaud. Omar Sharif aura été l'incarnation de la star mondialisée avant l'heure, avec sa gloire, les paillettes, les excès, et sa déchéance, la maladie, le vice du jeu... Nomade sans frontières qui a vécu en France, aux Etats-Unis, en Italie, polyglotte et résidant dans les Palaces, l'acteur égyptien doit toute sa carrière internationale à David Lean. Mais c'est Youssef Chahine qui l'a fait naître. Deux grands noms du cinéma qui ont créé l'image qu'il projetait au fil des décennies.

Chahine et Hamama

Né Michel Chalhoub le 10 avril 1932 à Alexandrie, entre Sahara et Méditerranéen, dans une famille d'origine libanaise, il est mort d'une crise cardiaque dans une clinique du Caire ce vendredi 10 juillet, à l'âge de 83 ans. Il souffrait d'Alzheimer et s'affaiblissait gravement depuis quelques semaines. La maladie lui avait fait prendre sa retraite, après 70 films, en 2012.

Omar Sharif a commencé sa carrière cinématographique en 1954, il y a plus de 60 ans, avec Ciel d'enfer, de Youssef Chahine, avec Faten Hamama, récemment disparue. Le film est en sélection à Cannes. Il se marie avec elle, véritable icône du cinéma égyptien. A cette occasion, ce catholique melkite s'était converti à l'islam. Il tourne avec elle son premier film occidental, La châtelaine du Liban de Richard Pottier, en 1956. Entre temps, il est à l'affiche de deux autres films de Chahine, Le Démon du désert et Les eaux noirs.

David Lean

Mais c'est évidemment six ans plus tard qu'Omar Sharif va briller dans le monde entier, avec un second rôle mémorable dans Lawrence d'Arabie de David Lean. Il empoche un Golden Globe et une nomination à l'Oscar au passage. Une première pour un comédien africain. Omar Sharif a également reçu Lion d'or au festival du film de Venise pour l'ensemble de sa carrière en 2003 et un César français du meilleur acteur pour Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran de François Dupeyron.

"Si je parle anglais, c'est parce que ma mère, qui voulait que je sois le plus beau, trouvait que j'étais trop gros lorsque j'étais enfant. Alors, elle m'a envoyé en pensionnat à l'école anglaise, parce qu'on y mangeait mal" expliquait-il au journal Libération en 2001. Cette pratique de l'anglais lui permet d'être enrôlé par David Lean, qui cherchait absolument un bel acteur arabe anglophone. En incarnant le prince altier Ali Ibn El-Kharish dans Lawrence d'Arabie, il s'impose comme un véritable alter-égo à l'autre révélation du film, Peter O'Toole. Trois ans plus tard, le cinéaste britannique l'engage de nouveau pour le rôle principal du médecin aventureux de Docteur Jivago, autre immense succès populaire. Et cette fois-ci, c'est le Golden Globe du meilleur acteur qu'il emporte dans ses valises.

Deneuve, Aimée, Huppert...

En signant à l'époque un contrat avec la Columbia, une première pour un acteur arabe, et en s'installant aux Etats-Unis, Omar Sharif devient vite une star de grandes fresques historiques incarnant Sohamus dans La chute de l'Empire romain d'Anthony Mann, Genghis Khan dans le film éponyme d'Henry Levin, l'emir Alla Hou dans La Fabuleuse aventure de Marco Polo de Denys de la Patellière et Noël Coward, Che Guevara dans Che! de Richard Fleisher, l'archiduc Rodolphe embrassant Catherine Deneuve dans Mayerling de Terence Young (avec qui il a tourné de nombreux films)...

Sa filmographie est impressionnante côté réalisateurs: Fred Zinnemann pour Et vint le jour de la vengeance, Francesco Rosi pour La belle et le cavalier, Sidney Lumet pour Le rendez-vous aux côtés d'Anouk Aimée, John Frankenheimer pour Les cavaliers, Henri Verneuil en flic grec pourri pour Le Casse opposé à Jean-Paul Belmondo, Blake Edward pour Top Secret et Quand la panthère rose s'en mêle, Andrzej Wajda pour Les Possédées avec Isabelle Huppert... Et on pourrait aussi citer Alejandro Jodorowsky, John McTiernan, Juan Antonio Bardem, Richard Lester, ... Pourtant, il ne se foulait pas. Il aurait pu avoir plus d'audace mais il confessait: "Ce que j’aime dans le métier d’acteur, c’est que je ne fous rien."

Streisand et la rupture égyptienne

En 1968, avec Funny Girl de William Wyler, il interprète un juif de la diaspora soutenant Israël, face à Barbra Streisand. Triomphe aux USA mais en pleine guerre des Six jours, le film provoque une énorme polémique dans son pays. Il est alors interdit de séjour en Egypte durant 9 ans. Il y est indifférent, ne supportant pas le régime autoritaire du pays.

Barbra Streisand s'est exprimé ce soir sur le décès de son première partenaire masculin au cinéma: "Il était beau, sophistiqué et charmant. Il était fier d'être Egyptien et pour certains le fait de l'avoir choisi était considéré comme controversé. (...) J'ai été chanceuse d'vaoir l'opportunité de travailler avec Omar, et je suis profondément triste d'apprendre sa mort."

Champion de bridge et ambassadeur du tiercé

Si cette carrière semble si chaotique, c'est aussi parce que ce seigneur d'un autre temps, aristocrate atemporel, avait le jeu dans le sang, au point, parfois, de perdre beaucoup. "Je préfère jouer au bridge que de faire un mauvais film" disait-il. Mais parfois il était bien obligé de faire un mauvais film pour jouer au bridge ou rembourser ses dettes (il ne faut pas oublier que la Columbia l'a exploité avec un contrat de cinq ans délibérément sous-évalué. Il a tourné Docteur Jivago pour des miettes de pain). Les Français se souviennent de la publicité pour Tiercé magazine. Cependant, ce champion de bridge (il a écrit de nombreux livres sur le sujet), habitué des casinos pour fuir sa solitude, était aussi propriétaire d'une importante écurie de chevaux de course.

Mais Omar Sharif était un affectueux. Fidèle aussi. S'il avait besoin de cash et tournait des films médiocres, accepter des petits rôles (Aux sources du Nil de Bob Rafelson, Hidalgo de Joe Johnston), il pouvait aussi s'impliquer complètement dans des personnages qui lui tenaient à coeur. Ainsi, avec Claudia Cardinale, il forme le couple du diptyque biographique d'Henri Verneuil, Mayrig et 588, rue Paradis. Et puis il peut aussi être la voix du lion dans le Monde de Narnia ou le narrateur dans 10000 de Roland Emmerich, ou, pire, jouer pour Arielle Dombasle (deux fois). On préfère son passage éclair et parodique dans Top Secret de Zucker-Abrahams-Zucker.

Tolérance et charisme

Mais son dernier grand rôle, celui qu'il aimait le plus était bien ce monsieur Ibrahim de François Dupeyron, vieil épicier arabe qui se lie d'amitié avec un jeune garçon juif.

Car il aura plaider constamment pour la tolérance entre les peuples, peu importe leur confession religieuse ou leur sexualité. Il a ainsi assumé publiquement l'homosexualité de son fils, Tarek, né de son mariage avec Faten Hamama, quitte à être incompris de ses compatriotes. Toujours engagé, contre les guerres de George Bush, il a soutenu ailleurs par le Printemps arabe (lire notre actualité du 30 janvier 2011).

Son autobiographie s'intitulait "L'éternel masculin". Physiquement, il y avait de ça. Il avait une aura incroyable, un charisme unique, une séduction diabolique, un humour sarcastique, parfois un tempérament ombrageux. L'homme était plus complexe. Selon lui, on lui a collé une image déformante, une vie qui n'était pas la sienne. Issu de l'élite, diplômé en sciences, curieux de tout, mais lassé de beaucoup de choses, y compris des paysages, il ne cherchait finalement qu'une chose: "Je veux qu'aujourd'hui soit comme hier. Est-ce trop demandé?" Mais aujourd'hui ne fut pas comme hier.

Le palmarès très hétéroclite de la SACD

Posté par vincy, le 17 juin 2014

prix sacd 2014Parmi la multitude de prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) décernés hier soir, le cinéma a été particulièrement choyé. Le Grand prix est revenu au scénariste (mais aussi écrivain et acteur) Jean-Claude Carrière (Viva Maria!, Belle de jour, La piscine, Le retour de Martin Guerre, Cyrano de Bergerac, Birth, Le ruban blanc), tandis que le Prix Européen a couronné les frères Dardenne dont leur dernier film, Deux jours une nuit est actuellement à l'affiche.

Le Prix Cinéma a été attribué au réalisateur de Mon âme par toi guérie, François Dupeyron. le Prix Nouveau Talent Cinéma a été décerné à la réalisatrice de Suzanne, Katell Quillévéré. Deux auteurs qui ne touchent pas forcément le grand public mais qui séduisent par leur singularité, film après film.

Le Prix Suzanne-Bianchetti, qui récompense un espoir du cinéma français a été remis à la jeune Adèle Haenel, vedette de Suzanne justement, mais aussi du prochain André Téchiné, L'homme que l'on aimait trop et du film acclamé à Cannes de Thomas Cailley, Les combattants. Elle est également attendue chez Catherine Corsini avec La belle saison.

Le Prix de l'animation a logiquement récompensé les auteurs de Minuscule, succès public cet hiver dans les salles, Hélène Giraud et Thomas Szabo. Le Prix Nouveau Talent animation est revenu à Augusto Zanovello et Jean-Charles Finck pour le court-métrage Lettres de femmes, Prix du public à Annecy l'an dernier et nommé au César du meilleur court métrage d'animation en février.

Muriel Robin a été consacrée avec un Prix de l'Humour pour son excellent spectacle Robin revient, tsoin, tsoin.

Enfin les médailles Beaumarchais ont honoré, entre autres, Gisèle Casadesus, qui vient de fêter ses 100 ans et trois commissaires européens qui quittent leur fonction, la chypriote Androulla Vassiliou (culture), Michel Barnier (marché intérieur) et Antonio Tajani (industries).

Le palmarès intégral en 24 prix

Les Prix Henri-Jeanson, Prix Jacques Prévert et Prix Henri Langlois révélés

Posté par vincy, le 4 février 2014

albert dupontel neuf mois ferme

La SACD a sacré Albert Dupontel, réalisateur, scénariste et comédien en lui remttant le prix Henri-Jeanson 2014. Ce prix distingue un auteur dont "l'insolence, l'humour, la puissance dramatique perpétuent la mémoire de l'un des plus célèbres scénaristes et dialoguistes du cinéma français." Son dernier film, Neuf mois ferme, a séduit plus de 2 millions de téléspectateurs en France.

De son côté, la Guilde française des scénaristes a décerné ses prix Jacques Prévert 2014 : Asghar Farhadi avec Le passé obtient le prix du meilleur scénario original tandis que le prix de la meilleure adaptation revient à Bertrand Tavernier, Christophe Blain et Antonin Baudry pour Quai d'Orsay.

Enfin, les (très nombreux) prix Henri Langlois ont été remis hier.
- Prix Henri Langlois d’honneur Comédien : Robert Hossein pour l’ensemble de sa carrière
- Prix Henri Langlois d’Honneur Comédienne : Anna Karina pour l’ensemble de sa carrière
- Prix Henri Langlois d’Honneur Réalisateur : Alexandre Arcady pour l’ensemble de sa carrière
- Prix Henri Langlois d’Honneur Scénario & Ecriture pour l’image : Jean-Claude Carrière
- Prix Henri Langlois d’Honneur - Promotion et défense du cinéma : la productrice Agnès B.
- Prix Henri Langlois 2014 - Arts & Techniques du Cinéma : Jean-Marie Lavalou et Alain Masseron, oscarisés en 2005 et co-créateurs de la Louma
- Prix Henri langlois 2014 – Arts & Techniques de la cascade : Rémy Julienne
- Prix Henri Langlois 2014 - Arts & Techniques du Cinéma – Direction de la Photo : Ricardo Aronovich

- Prix Henri Langlois - réalisateur 2014 : Olivier Marchal
- Prix Henri Langlois - comédien 2014 : Tcheky Karyo
- Prix Henri Langlois - compositeur de Musique pour l’image 2014 : Eric Serra
- Prix Henri Langlois Humanisme & Engagement 2014 : Yves Boisset pour l’ensemble de sa carrière
- Prix Henri Langlois- Film d’animation 2014 : Laurent Witz
- Prix Henri Langlois Trophée du Cinéma Francophone 2014 : Férid Boughedir
- Prix Henri Langlois - Film Documentaire 2014 : Pascal Plisson (Sur le chemin de l’école)
- Prix Henri Langlois - Promotion et défense du cinéma - Affiche : Benjamin Baltimore
- Prix Henri Langlois « cinémathèque et restaurations » 2014 : Centre National de l’Audiovisuel et la Cinémathèque du Luxembourg
- Prix Henri Langlois – Révélation 2014 réalisateur : Serge Avedikian
- Prix de l’Association des amis d’Henri Langlois : François Dupeyron

- Trophée Coup de Cœur de la Presse Etrangère: Only in New-York
- Trophée Coup de Cœur des étudiants de cinéma: Un p’tit gars de Ménilmontant
- Prix du public : Ceci est mon corps

L’instant Court : A Corps Perdu, avec Marie Payen

Posté par kristofy, le 5 octobre 2013

Marie PayenComme à Ecran Noir on aime vous faire partager nos découvertes, voici l’instant Court n° 116.

Avec les feuilles qui tombent et le début de l'automne est arrivé le film Mon âme par toi guérie, grand retour du réalisateur François Dupeyron qui met en lumière la fine fleur des comédiens français comme Grégory Gadebois et Céline Sallette, sans oubier la lumineuse Marie Payen.

Elle était en sélection officielle au Festival de Cannes en 1999 avec le film Nos vies heureuses de Jacques Maillot, et l'année suivante à la Quinzaine des Réalisateurs avec le court-métrage A Corps Perdu réalisé par Isabelle Broué, qui elle-même avait été scripte de Jacques Maillot (et également de Gaël Morel et François Ozon) avant de réaliser plus tard la comédie romantique Tout le plaisir est pour moi.

Voici donc le court-métrage A Corps Perdu avec Marie Payen : l'histoire d'une jeune femme en quête d'elle-même...

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marie payenEcran Noir : Quel souvenir gardez-vous du Festival de Cannes 1999 où le film Nos Vies Heureuses était en compétition, mais sans avoir été récompensé ni à Cannes ni aux Césars?
Marie Payen : C’était très joyeux, c’était le premier long-métrage dans lequel j’avais un rôle principal et j’avais été hyper-heureuse sur le tournage. Je trouve que le réalisateur Jacques Maillot était génial et j’avais des partenaires sublimes comme Sami Bouajila. J’ai découvert un univers de cinéma que je connaissais très peu alors et la grâce du tournage a été totale : je trouvais très normal que le film soit en compétition à Cannes ;-) Notre vécu de Cannes était beau parce qu'il y a eu une projection magique avec une énorme standing ovation d’un quart d’heure, des gens pleuraient, c’était fabuleux.

Sur le moment je n’ai pas été triste que le film n’ai pas été primé, mais je l’ai été à contre-temps plus tard. En fait beaucoup de critique ont été négatives, je n’avais pas vraiment d’expérience de ce qui entoure une sortie de film et je croyais que ça allait marcher quand-même. Le film n’a pas vraiment marché dans la sens où il n’a pas eu le succès qu’il aurait mérité, mais pour les gens qui l’ont aimé, c’est un film culte. Je croise beaucoup de gens qui m’en parlent encore, les gens qui l’ont vu adorent ce film, il y a quand même quelque chose qui a été impactant et qui pour moi était suffisant à l’époque.

Maintenant, je me dis que c’est dommage parce que Nos Vies Heureuses est un film particulier, gracieux, avec une originalité et une force. Peut-être que Nos Vies Heureuses était trop ample, peut-être qu’il y avait un peu trop de choses à "manger" dans ce film et que les gens ont pu se sentir un peu gavés. Il y a 6 personnages principaux ! Les sujets étaient abordés avec beaucoup de générosité, beaucoup d’élan et beaucoup d’humanité. Le film n’a pas été assez reconnu mais ça nous échappe.

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La colère de François Dupeyron : un « système totalitaire », des « producteurs incultes »

Posté par vincy, le 12 septembre 2013

françois dupeyron jean pierre darroussinMon âme par toi guérie est le nouveau film de François Dupeyron, adapté de son propre roman, Chacun pour soi Dieu s'en fout (2009). Le film sort le 25 septembre dans les salles françaises et est en compétition au festival de San Sebastian.

Pourtant, longtemps, le réalisateur de La chambre des officiers (en compétition à Cannes en 2001), Drôle d'endroit pour une rencontre et Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran a failli ne jamais réaliser ce film.

Plutôt qu'une interview ou une note d'intention, le réalisateur a préféré tirer un signal d'alarme sur l'état de la production française aujourd'hui dans son dossier de presse. En colère, et même amer, le cinéaste-écrivain l'est assurément. Il rend hommage à Paulo Branco, "le premier producteur indépendant que je rencontre".

Extraits.

Les chaînes de TV aux abonnées absentes
"La dernière fois qu’une chaîne publique a mis de l’argent dans un de mes films, c’est en 2003. Ca va faire dix ans qu’on me refuse tout ! Je viens d’en prendre conscience cette semaine, les années ont passé, je ne m’en suis pas rendu compte. Dix ans ! C’est pas rien dix ans !... Regarde ta vie, remonte dix ans en arrière et tire un trait, poubelle, tu effaces ! Je ne suis pas resté sans rien faire, j’ai écrit huit, dix scénarios, j’ai eu des avances sur recettes, je les ai perdues. J’ai écrit quatre romans… Et maintenant, je suis sec, ils ont gagné, mais ils n’auront pas ma peau. En dix ans, j’ai réussi à faire deux films, Inguélézi, et Aide-toi le ciel t’aidera, avec l’avance sur recettes et Canal. Mais depuis 2007 chez Canal, c’est niet ! Je suis marqué au rouge. « Dupeyron, on aime beaucoup ce qu’il fait, mais pas ça. » C’est le refrain, dès que je l’entends, je crains la suite. Alors, puisqu’on ne veut plus de moi, je me tire. Et personne ne s’en apercevra parce que le monde n’a pas besoin de moi pour tourner, et c’est très bien comme ça."

Son nouveau film, refusé partout
"J’ai l’avance, j’ai la région, et puis c’est tout. La 2, la 3, Arte, Canal, ont dit non. Je l’ai réécrit, représenté. Deux fois non. Orange me dit que peut-être si j’ai un distributeur… C’est bidon, je n’y crois pas, et de toute façon tous les distributeurs à qui on l’a présenté ont dit non."
"Céline [Sallette] a fait lire le scénario à une jeune productrice – c’est pour te dire qu’elle est motivée – la productrice lui a envoyé le scénario à la gueule, « Qu’est-ce que c’est cette merde ? ». Comme ça… « Cette merde ! » T’imagines pas ce que je me prends dans la gueule. Tu veux que je te dise mon année ? Celle que je viens de passer ? Toute mon activité professionnelle ?... J’ai eu deux rendez-vous, dans la même semaine, avec deux producteurs, pour deux projets. Le mercredi avec l’un, pour l’histoire du type qui a un don. Il a relu le scénario et il a coché les gros mots. Oui, les gros mots !... Il a tourné les pages et il m’a demandé, « ça, on peut l’enlever ? » Oui… j’ai dit oui à tout. Des gros mots ! (...) Le lendemain, j’ai rendez-vous avec l’autre producteur, l’histoire du déserteur, en 14… Rebelote, il a tourné les pages lui aussi. « Ça, on peut l’enlever ? » Oui… encore les gros mots ! Un type qui boit du matin au soir, au front, en 14 !… Et tout ça parce que tu présentes un scénario à la 2 ou la 3 avec un gros mot qui traîne, oh malheur ! Tu dégages… Ils ont un tel pouvoir que règne une petite terreur. Voilà toute mon année. J’ai enlevé des gros mots. Dix ans qu’on me refuse tout et maintenant les gros mots… "

Remise en question
"Toutes ces dernières années, j’ai essayé un peu de comprendre, je me suis dit qu’ils avaient peut-être raison, que mes scénarios étaient trop ci, ça. J’ai essayé plusieurs styles, plusieurs genres. Et j’ai compris qu’il n’y a rien à comprendre. J’ai perdu mon temps. Depuis quelques années, la mode est aux fiches de lecture. Je ne sais pas qui lit, des jeunes gens sans doute, pas très bien payés. J’en ai demandé deux, pour deux scénarios, pour voir… Deux fois, j’ai eu droit à « Sujet non traité. » Je n’invente pas, « Sujet non traité ». Etait-ce le même lecteur ? Voilà où on en est. Tu ouvres le coffret des Césars, à part trois ou quatre films, tous les autres se ressemblent. Mais le sujet est traité. Merde, le cinéma, c’est pas ça ! C’est même tout le contraire…"

Un système soviétique où la Télé a droit de censure
"Je suis déconnecté, je ne suis plus en phase avec ce petit monde, ces gens, les producteurs à genoux, qui ont peur. On ne fait rien avec la peur, rien que de la merde. Moi, j’ai découvert la vie avec le cinéma, j’ai découvert les hommes, les femmes. J’entrais dans les films… comme j’entre ici pour te rencontrer, on se parle, je suis toi, tu es moi, ça circule… C’est pas cet infantilisme ! Sujet non traité ! Les gros mots ! Les gros mots ! Tu sais ce qui m’est venu en écoutant Forman parler du cinéma tchèque des années soixante ? Eh bien, on y est en plein. Regarde le bonus de Au Feu Les Pompiers, il parle de notre cinéma. Tu remplaces le Parti par la Télé, et c’est bon. On est dans un système soviétique, la Télé dit oui, tu fais le film, elle dit non…" "Je vois des producteurs qui se disent « producteurs indépendants ». Ils sont tous dépendant de la télé, et aujourd’hui des distributeurs. Des producteurs, il n’y en a qu’un, la Télé, le Parti. On est dans un système qui porte un nom, un putain de gros mot, « totalitaire », pas creux pas vide, qui fait son sale boulot. On ne serait pas en démocratie, on dirait censure. "

Inculture générale
"Il y a deux ans, j’ai fait une note d’intention pour un scénario qu’on proposait à Arte. J’ai eu le malheur de citer Tarkovski pour faire comprendre je ne sais plus trop quoi. Malheur ! le retour a été cinglant, « Non Tarkovski, c’est pas possible. » Arte ! la chaîne culturelle – Arte n’a jamais mis un centime dans un de mes films – Ecoute Forman, il parle d’inculture… écoute l’interview de Langlois dans le bonus de l’Atalante, ce doit être dans les années 70. Il emploie le même mot, « des producteurs incultes »."

Au placard
"J’ai dédié ce film à Michel Naudy. Michel était un très bon ami, il a mis fin à ses jours le 2 décembre, il était journaliste à France 3, au placard depuis dix sept ans… Nous sommes en France en 2012. Dix sept ans de placard ! avec un salaire, mais sans emploi. "

Cannes 2013 : les télex du marché (2) : Scarlett Johansson, Dupeyron, Rahimi, Loznitsa…

Posté par vincy, le 18 mai 2013

- Premiers pas. Scarlett Johansson va réaliser son premier film, Summer Crossing (La traversée de l'été, d'après un roman de jeunesse jamais publié de Truman Capote. L'histoire est celle d'une jeune fille de 17 ans qui décide de rester à New York durant l'été 45 pour flirter avec le gardien de parking plutôt que d'aller voyager à Paris.

- Queer. François Dupeyron va filmer Les amants désunis, longue épopée qui débute durant la guerre de 14 (qu'il avait filmée dans La chambre des officiers) et s'achève avec la crise de 29. Un homme (Louis Garrel), avec la complicité de sa femme (Adème Haenel), va se travestir en femme pour échapper au peloton d'exécution.

- Romanciers. Quelques mois après la sortie de l'adaptation de son best-seller (et prix Goncourt) Syngue sabour - Pierre de patience, Atiq Rahimi est de nouveau au travail avec Pour un seul cortège, prévu dans les salles au premier trimestre 2014. C'est également une adaptation, mais cette fois-ci d'un roman de Laurent Gaudé, qui évoquait le crépuscule d'Alexandre le Grand. Jean-Claude Carrière et lui cosignent le scénario. Tournage en Inde en 2014.

- Dans le brouillard. En compétition l'an dernier avec Dans la brume, l'Ukrainien Sergei Loznitsa tournera l'an prochain Babi Yar, histoire tragique qui revient sur le massacre fulgurant de 30 000 juifs par les nazis en septembre 41.

Trésor : la débandade

Posté par benoit, le 11 novembre 2009

TrésorL’histoire : Jean-Pierre et Nathalie s'aiment depuis cinq ans. Pour fêter cet anniversaire, Jean-Pierre offre à sa compagne un cadeau inattendu, un adorable bouledogue de quatre mois. Nathalie est folle de joie… 

Notre avis : Le bouledogue anglais est un genre de chien divinement hideux tout droit sorti du Moyen Age. Clébard à la du Guesclin, il ne cesse de ronfler, de péter et de bouffer vos pantoufles, vos slips, vos pieds de chaise à longueur de journée. Pour se faire pardonner, ce cochon à poil ras affiche une gueule ridée, un museau écrasé et trimballe un éternel regard de dépressif. Tout ce que j’aime ! Si, comme Nathalie (Mathilde Seigner), un Jean-Pierre (Alain Chabat) venait à m’offrir un gros bébé comme ça, je tomberais raide dingue. Me ferait appeler papa sur-le-champ. Peut-être même maman dans mes meilleurs jours !

C’est la seule chose à retenir de Trésor : les bouledogues. Malgré le triste contexte de cette comédie canine que l’on aurait aimé aimer ; il faut se rendre à l’évidence, le presque dernier opus de Claude Berri est consternant. Mathilde Seigner, la grande gueule du cinéma français qui n’a toujours pas trouvé la distance entre sa "nature très naturelle" et l’interprétation de ses personnages, la met en veilleuse pour une fois. Ça nous fait des vacances ? Même pas parce qu’il aurait fallu qu’elle aboie en chœur avec son cleps pour donner un peu de vie à ce pachyderme de film. Alain Chabat fait dans le minimum syndical et – intelligence oblige – s’en tire un peu mieux que sa partenaire. Quant à François Dupeyron, si bien parti avec Drôle d’endroit pour une rencontre, œuvre crépusculaire et hors norme de la fin des eighties, il n’en finit pas depuis de s’essouffler. Ce coup-là, il échoue comme une baleine agonisante sur la plage d’Ostende. À l’image de Nathalie et de Jean-Pierre, couple encore frais, mais au teint vert et aux poches sous les yeux perpétuellement gonflées (chapeau les maquilleurs !).

Si encore les protagonistes avaient eu la soixantaine ! Si leur progéniture s’était envolée depuis belle lurette du logis familial et « avait leur vie à eux » comme on dit ! Si Trésor se retrouvait alors en pleine crise de seniors ! Ah, Deneuve ! Ah, Dussolier ! Ah, les mêmes chiens ! Quel film cela aurait été !...  Enfin bref, je parle, je parle, mais c’est pas tout ça, faut que j’y aille. Maman te sort, mon amour ! Ben quoi ?... Papa, maman, c’est du pareil au même tout ça. De toute façon, même si j’ai pas de Jean-Pierre, j’ai mon gros Trésor à moi. Allez viens mon bébé, on va voir autre chose au cinéma !