Venise 2020: Le Lion d’or pour Nomadland de Chloé Zhao

Posté par vincy, le 12 septembre 2020

Cette édition si spéciale du festival de Venise, la 77e, n'aura pas brillé d'un point de vue médiatique. Les Américains étaient relativement absents. Le tapis rouge était cloîtré. Les spectateurs masqués. Ambiance de confinement. Pourtant, de l'avis général, tout s'est bien passé. Si le festival manquait sans doute d'un film dont le good buzz fasse le tour de la planète, il a réussi à exister malgré la covid. Mieux, avec le court métrage de Pedro Almodovar, La voix humaine, unanimement apprécié, il s'est offert un petit gâteau surprise en guise de cadeau.

Côté palmarès, aucun film ne se détache non plus même si Quo Vadis, Aida? de Jasmila Zbanic, Nomadland de Chloé Zhao, Notturno de Gianfranco Rosi et Miss Marx de Susanna Nicchiarell glanent quelques prix mineurs en marge du festival. Nomadland a été couronné par le Lion d'or, qui récompense une réalisatrice singulière dans l'Hollywood d'aujourd'hui, Chloé Zhao. Adulée pour ses films d'auteurs (The Rider, Les Chansons que mes frères m'ont apprises), cette américaine née en Chine a été choisie pour une superproduction Marvel (Eternals, 2021). Avec Nomadland, elle reste dans son territoire. Le film interprété par Frances McDormand et David Strathairn nous renvoie dans le passé et dans les horizons immenses: Après avoir tout perdu pendant la Grande Récession, une sexagénaire se lance dans un voyage à travers l'Ouest américain, vivant comme un nomade des temps modernes. Ironiquement, alors que les Américains sont absent de Venise, c'est une production Fox Searchlight distribuée par Disney qui est sacrée par le deuxième plus grand festival du monde.

Le prix FIPRESCI de la critique a été décerné à The Disciple de l'indien Chaitanya Tamhane pour la compétition (par ailleurs distingué par le jury de Cate Blanchett pour son scénario) et à Dashte Khamoush (The Wasteland) de l'iranien Ahmad Bahrami (Orizzonti) pour les autres sélections. Le film a d'ailleurs été couronné par le jury d'Orizzonti. Le cinéma iranien a aussi été distingué avec le prix Marcello Mastroianni pour le jeune Rouhollah Zamani.

Du côté des Giornate degli autori (Venice Days), le palmarès a couronné The Whaler Boy du russe Philipp Yuryev (meilleur réalisateur), 200 Meters du palestinien Ameen Nayfeh (prix du public), et Oasis du serbe Ivan Ikic (prix Label Europa). Le Grand prix de la Semaine internationale de la Critique a distingué Hayaletler (Ghosts) d'Azra Deniz Okyay (Turquie). Enfin, The World to come de l'américaine Mona Fastvold a remporté le Queer Lion Award.

Côté hommages, deux Lions d'or d'honneur ont été remis à l'actrice écossaise Tilda Swinton et la cinéaste de Hong Kong Ann Hui. Abel Ferrara a reçu le prix Jaeger-LeCoultre Glory to the Filmmaker.

Il restait aux deux jurys principaux de révéler leurs choix: celui de la compétition (Cate Blanchett, présidente, Matt Dillon, Veronika Franz, Joanna Hogg, Nicola Lagioia : écrivain Drapeau de l'Italie Italie, Christian Petzold et Ludivine Sagnier) et celui de la section Orizzonti (Claire Denis, présidente, Oscar Alegria, Francesca Comencini, Katriel Schory et Christine Vachon).

Globalement, l'Europe et l'Asie se sont partagés la pièce montée.

On a déjà parlé du Lion d'or, mais le palmarès est aussi cosmopolite que divers. Le jury de Cate Blanchett n'a pas manqué de donner enfin un prix d'interprétation masculine à Pierfrancesco Favino pour Padrenostro, lui qui l'avait manqué l'an dernier à Cannes pour Le traître (qui lui a valu son premier Donatello du meilleur acteur cette année). De même côté actrice, Vanessa Kirby (The Crown) pouvait difficilement être snobée avec deux films en compétition : The World to Come et celui pour lequel elle a ce prestigieux prix, Pieces of a Woman, premier film anglophone du hongrois Kornél Mundruczó. Kiyoshi Kurosawa reçoit avec le prix du meilleur réalisateur sa plus importante récompense dans sa carrière, faiblement honorée (hormis à Cannes avec un prix en 2015). Initialement choisi par Cannes, le nouveau film du mexicain Michel Franco repart de son côté avec le Grand prix du jury (cinq ans après son prix du scénario à Cannes).

Listen d'Anna Rocha de Sousa est parmi les vainqueurs de la soirée avec un prix spécial du jury Orizzonti et le prix du meilleur premier film toutes sélections confondues. On notera dans la sélection Orizzonti les deux prix d'interprétation pour un acteur tunisien et une actrice marocaine, confirmant année après année la pleine forme du cinéma maghrébin sur le Lido. Quant à Lav Diaz, Lion d'or en 2016, son cinéma si singulier est une nouvelle fois récompensé avec le prix du meilleur réalisateur.

LE PALMARÈS

Compétitition
Lion d'or: Nomadland de Chloé Zhao
Grand prix du jury: Nuevo Orden (New Ordre) de Michel Franco
Lion d'argent du meilleur réalisateur: Kiyoshi Kurosawa pour Les amants sacrifiés
Coupe Volpi de la meilleure actrice: Vanessa Kirby (Pieces of a Woman de Kornél Mundruczó).
Coupe Volpi du meilleur acteur: Pierfrancesco Favino (Padrenostro de Claudio Noce)
Meilleur scénario: The Disciple de Chaitanya Tamhane
Prix spécial du jury: Dear Comrades d'Andreï Konchalovsky

Sélection Orizzonti
Meilleur film: Dashte Khamoush (The Wasteland) d'Ahmad Bahrami
Meilleur réalisateur: Lav Diaz (Genus Pan (Lahi, Hayop))
Prix spécial du jury: Listen d'Anna Rocha de Sousa (Orizzonti)
Meilleure actrice: Khansa Batma (Zanka Contact de Ismaël El Iraki)
Meilleur acteur: Yahya Mahayni (L'Homme qui avait vendu sa peau de Kaouther Ben Hania)
Meilleur scénario: I predatori de Pietro Castellitto
Meilleur court métrage: Entre tu y milagros de Mariana Saffon

Prix Luigi de Laurentiis (premier film): Listen d'Anna Rocha de Sousa (Orizzonti)
Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir: Rouhollah Zamani (Sun Children de Majid Majidi, compétitition)

Venise 2020: les films de la sélection officielle

Posté par vincy, le 28 juillet 2020

Quelques films prévus à Cannes, une sélection très européenne et asiatique: Venise n'a pas de gros événements hollywoodiens à présenter, mais quelques auteurs prestigieux à proposer aux jurys. Alberto Barbera n'a sans doute pas réussi son pari de vouloir profiter de l'absence de Cannes. Il en résulte un festival passionnant pour les cinéphiles mais qui manque de glamour et d'excitation pour les autres.

Il y a heureusement quelques grands noms, y compris côté documentaires. Et comme un retour aux origines de Venise, avant que le festival ne joue les rampes de lancement pour les Oscars.

En compétition, le jury du 77e festival sera présidé par Cate Blanchett, entourée de Veronika Franz, Joanna Hogg, Nicola Lagioia, Christian Petzold, Cristi Puiu et Ludivine Sagnier. Pour la section Orizzonti, Claire Denis présidera le jury, aux côtés de Oskar Akegria, Francesca Comencini, Katriel Schory et Christine Vachon.

COMPETITION
In Between Dying, Hilal Baydarov
Le Sorelle Macaluso, Emma Dante
The World to Come, Mona Fastvold
Nuevo Orden, Michel Franco
Amants, Nicole Garcia
Laila in Haifa, Amos Gitai
And Tomorrow The Entire World, Julia Von Heinz
Dorogie Tovarischi (Dear Comrades), Andrei Konchalovsky
Wife of a Spy, Kiyoshi Kurosawa
Khorhid (Sun Children), Majid Majidi
Pieces of a Woman, Kornel Mundruczo
Miss Marx, Susanna Nicchiarelli
Padrenostro, Claudio Noce
Notturno, Gianfranco Rosi
Never Gonna Snow Again, Malgorzata Szumowska & Michal Englert
The Disciple, Chaitanya Tamhane
Quo Vadis, Aida?, Jasmila Zbanic
Nomadland, Chloe Zhao

HORS COMPETITION – Fiction
Lacci, Daniele Luchetti– OUVERTURE
Lasciami Andare, Stefano Mordini - CLÔTURE
Mandibules, Quentin Dupieux
Love After Love, Ann Hui
Assandira, Salvatore Mereu
The Duke, Roger Mitchell
Night in Paradise, Park Soon-Jung
Mosquito State, Filip Jan Rymsza

HORS COMPETITION – Documentaire
Sportin’ Life, Abel Ferrara
Crazy, Not Insane, Alex Gibney
Greta, Nathan Grossman
Salvatore – Shoemaker of Dreams, Luca Guadagnino
Final Account, Luke Holland
La Verità Su La Dolce Vita, Giuseppe Pedersoli
Molecole, Daniele Segre
Narciso Em Ferias, Renato Terra, Ricardo Calil
Paolo Conte, Via Con Me, Giorgio Verdelli
Hopper/Welles, Orson Welles
City Hall, Frederick Wiseman

HORS COMPETITION – Séances spéciales
30 Monedas – Episode 1, Alex De La Iglesia
Princesse Europe, Camille Lotteau
Omelia Contadina, Alice Rohrwacher

ORIZZONTI
Apples, Christos Nikou - OUVERTURE
La Troisieme Guerre, Giovanni Aloi
Milestone, Ivan Ayr
The Wasteland, Ahmad Bahrami
The Man Who Sold His Skin, Kaouther Ben Hania
I Predatori, Pietro Castellitto
Mainstream, Gia Coppola
Genus Pan, Lav Diaz
Zanka Contact, Ismael El Iraki
Guerra e Pace, Martina Parenti, Massimo D’Anolfi
La Nuit Des Rois, Philippe Lacôte
The Furnace, Roderick Mackay
Careless Crime, Shahram Mokri
Gaza Mon Amour, Tarzan Nasser, Arab Nasser
Mila, Christos Nikou
Selva Tragica, Yulene Olaizola
Nowhere Special, Uberto Pasolini
Listen, Ana Rocha De Sousa
The Best is Yet to Come, Wang Jing
Yellow Cat, Adilkhan Yerzhanov

Venise 2020: Tilda Swinton et Ann Hui à l’honneur

Posté par vincy, le 20 juillet 2020

Venise fait comme si de rien n'était. Les festivals sont de plus en plus virtuels voire annulés (Telluride par exemple). les grosses sorties reportées (dernière en date, Tenet, désormais hors calendrier). Mais la Mostra continue d'y croire malgré une pandémie de Covid-19 toujours intense sur la planète.

Toujours est-il que pour cette 77e Mostra, Alberto Barbera a choisi ses deux Lions d'or d'honneur pour l'ensemble de leur carrière: l'actrice britannique Tilda Swinton, actuellement en tournage à Madrid avec Pedro Almodovar (photo), et la réalisatrice hongkongaise Ann Hui.

Tilda Swinton, 59 ans, est "unanimement reconnue comme une des interprètes les plus originales et les plus intenses à s'être fait connaître à la fin du siècle dernier", a expliqué dans son communiqué le directeur de la Mostra, Alberto Barbera. Oscarisée pour Michael Clayton, deux fois Teddy Award à Berlin, meilleure actrice européen pour We need to talk about Kevin, et prix d'interprétation à Venise pour Edward II en 1991, Tilda Swinton est l'un des actrices les plus éclectiques dans les genres, mais aussi les plus fidèles à ses cinéastes (Jarmusch, Anderson, Guadagnino...). Elle sera à l'affiche cet automne de The French Dispatch et de The Personal History of David Copperfield.

"Ann Hui est une des réalisatrices les plus appréciées, prolifiques et polyvalentes du continent asiatique", a rappelé Alberto Barbera. Elle a commencé comme assistante de réalisation auprès du maître du cinéma d'arts martiaux King Hu. Figure fondatrice de la Nouvelle vague hongkongaise, elle a déjà réalisé 26 longs métrages de fiction (notamment Nu ren si shi, son plus grand film) et deux documentaires. Lauréates des principaux prix majeurs en Asie (dont 7 fois le prix du meilleur cinéaste aux oscars hongkongais), elle aussi obtenu deux prix à Berlin (dont une Berlinale Camera pour son œuvre) et quatre prix parallèles à Venise pour Une vie simple en 2011

Le Festival de Venise maintient son édition 2020

Posté par vincy, le 25 mai 2020

Le Festival de Venise a confirmé qu'il aurait bien lieu, a annoncé le gouverneur de la Vénitie, contrairement à la Biennale d'architecture qui a décidé de passer son tour cette année. Cate Blanchett est toujours confirmée comme présidente du jury. Le Festival se déroulera du 2 au 12 septembre, comme prévu.

Moins de fréquentation attendue

Cependant, la programmation sera allégée, avec moins de films projetés. La manifestation acte que de nombreux professionnels ne pourront pas venir et que les déplacements internationaux seront toujours entravés. Une plateforme numérique de diffusion de films pourrait ainsi compléter les séances cinématographiques classiques pour les professionnels absents. On estime que seuls 30 à 40% du nombre  de festivaliers habituels seront présents.

L'Italie,  l'un des pays plus touchés par le coronavirus avec près de 33000 morts, doit rouvrir ses frontières le 3 juin, ce qui pourrait au moins permettre aux Européens de venir.

Attendre ou être solidaire

Venise lancera donc le retour du cinéma dans l'après-Covid-19. Certes, sur un mode mineur, mais pas moins symbolique après les annulations de Cannes et Locarno. Le festival assure qu'il conservera sa dimension internationale et déroulera le tapis rouge aux artistes.

Alberto Barbera, directeur du festival, n'aura que l'embarras du choix côté avant-premières et grands noms. Mais une présentation à Venise dépendra aussi de l'attitude des producteurs qui, habituellement, visent une sortie au second semestre pour les palmarès de fin d'année.

Dans un contexte où les cinémas ne sont pas encore rouvertes partout, où le box office mondial est à son plus bas, et où les jauges dans les salles sont contraintes par les mesures sanitaires et limitent les entrées, certains producteurs voudront attendre l'année prochaine pour montrer leur film.

D'autres voudront au contraire, par solidarité, relancer l'industrie en s'offrant cette première vitrine de la saison.

Cannes, Karlovy-Vary, San Sebastian

Venise va devoir gérer le nombre de sièges vides, la distanciation sociale des photographes, la sécurité des invités, le surnombre de films proposés aux comités de sélections, des conférences de presse en mode virtuel, etc...

Et le festival a les yeux rivés sur Cannes: l'éventuel succès du marché du film en mode 2.0 fin juin sera la premier vrai test de la santé du secteur. Ensuite, avec son label Cannes 2020, le festival français va sans doute vouloir, par solidarité, s'intégrer à la programmation de Venise. Sans compter que certains films cannois n'iront pas à Venise, soit parce qu'ils seront présentés ailleurs avant, soit parce qu'ils préfèrent patienter jusqu'à Berlin ou Cannes en 2021.

A la fin de l'été, des festivals comme Angoulême et Deauville, en France, devraient se maintenir, tout comme San Sebastian en Espagne. e montrer leur film, officiellement annulé, a décidé de présenter 16 films - dont Babyteeth, Procima, Luxor et Ema -  dans 80 villes de la République Tchèque durant 9 jours début juillet.

Venise va être un laboratoire passionnant pour les organisateurs de festivals et le premier indice pour connaître l'état du cinéma mondial après cette crise sanitaire et économique.

Tout cela en espérant que le virus se soit calmé d'ici là un peu partout dans le monde. Et que les spectateurs retrouvent le chemin des salles

Le scénariste et réalisateur Peter Handke reçoit le Prix Nobel de Littérature 2019

Posté par redaction, le 10 octobre 2019

L'écrivain et dramaturge autrichien Peter Handke a reçu le Prix Nobel de littérature ce jeudi 10 octobre. Grand ami de Wim Wenders, il a écrit plusieurs de ses scénarios: Drei Amerikanische LP's, L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty, adapté de son propre roman, Faux mouvement, le récent Les beaux jours d'Aranjuez, dans le quel il jouait le jardinier, et surtout le sublime Les Ailes du désir (1987).

En tant que scénariste, Peter Handke a également écrit le remake américain des Ailes du désir, La Cité des anges de Brad Siberling, et l'adaptation du roman d'Henry James, Les ailes de la colombe, réalisé par Benoît Jacquot.

L'écrivain n'a pas que des amis. Proche de la Serbie, et notamment de Slobodan Milosevic, il a beaucoup d'ennemis. Certains regrettent ce Nobel, même si son œuvre littéraire ne souffre pas de critiques. A noter que le jury des Nobel a aussi remis le prix pour l'année passée (le Nobel de littérature n'avait pas pu être décidé suite à un scandale ayant entraîné de nombreuses démissions dans le comité).

Lauréate 2018, l'écrivaine polonaise Olga Tokarczuk, farouche opposante au régime néo-conservateur actuellement au pouvoir en Pologne, a aussi un lien avec le cinéma. Elle a en effet écrit deux scénarios: Pokot réalisé en 2017 par Agnieszka Holland et Kasia Adamik, en compétition à Berlin, et prix Alfred Bauer ; et The Vanishing réalisé en 2011 par Adam Uryniak.

Quant à Peter Handke, il a également été réalisateur de cinéma: Chronik der laufenden Ereignisse (1971), La femme gauchère, d'après son livre (1978), sélectionné en compétition à Cannes, le moyen métrage Das Mal des Todes, d'après le roman de Marguerite Duras, et L'absence (1993), en compétition à Venise. La femme gauchère lui avait valu le prix Bambi de la meilleur réalisation et le Prix Georges Sadoul.

Venise 2019 : des films sur le désespoir du monde, portés par des personnages désenchantés

Posté par kristofy, le 8 septembre 2019

Cette 76e édition du Festival de Venise a été brillante du côté de son tapis rouge : Kore-eda Hirokazu, Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Pedro Almodovar, James Gray, Brad Pitt, Liv Tyler, Noah Baumbach, Scarlett Johansson, Jean Dujardin, Emmanuelle Seigner, Louis Garrel, Kristen Stewart, Todd Philipps, Joaquin Phoenix, Costa-Gavras, Pablo Larrain, Vincent Lacoste, Meryl Streep, Gary Oldman, Olivier Assayas, Penelope Cruz, Gael Garcia Bernal, Jude Law, John Malkovich, Spike Lee, Nate Parker, David Michôd, Timothée Chalamet, Lily-Rose Deep, Julie Andrews, Luca Marinelli, Roy Anderson, Atom Egoyan, Tsai Ming-liang, Terry Gilliam, Lou Ye, Gong Li, Chiarra Ferragni, Robert Guédiguian, Andrea Riseborough, Dane Dehaan, Johnny Deep, Mark Rylance, Roger Waters... Venise a été glam-rock cette année.

C'est un panel assez éclectique et pailleté du cinéma actuel qui a fait le voyage. Même Brad Pitt a pris le temps de faire des dizaines de selfies avec ses fans. Deux gros films américains étaient très attendus Ad Astra de James Gray avec Brad Pitt et Joker de Todd Philipps avec Joaquin Phoenix, qui s'est imposé parmi les films en compétition jusqu'à recevoir le Lion d'or, succédant à Roma et La forme de l'eau, tous deux oscarisés quelques mois plus tard.

Le palmarès de la 76e Mostra de Venise

Les 21 films de la compétition internationale ont rythmé le Festival. The Perfect Candidate de Haifaa Al-Mansour (le plus féministe), Marriage Story de Noah Baumbach, Ad Astra de James Gray, Waiting For The Barbarians de Ciro Guerra (le plus politique), The Painted Bird de Vaclav Marhoul ont été appréciés et débattus, mais ignorés au palmarès. Avec le triomphe du Joker de Todd Phillips et de J'accuse de Roman Polanski qui faisaient figure de grands favoris de la presse, le jury présidé par Lucrecia Martel a privilégié des films politiques, l'un réalisé par un réalisateur jusque là connu pour ses comédies, l'autre, vétéran archi-primé depuis 50 ans, au cœur d'une bataille médiatique et polémique.

Poker Face

J'accuse rappelle que Roman Polanski est bien encore et toujours un cinéaste important aux yeux de la profession (il a aussi remporté le Prix Fripresci de la critique internationale). Il aurait même pu recevoir la plus haute récompense si il n'y avait pas eu ce noir et scorsesien Joker. La Warner peut s'ennogueillir d'avoir un film prestigieux de plus à son catalogue, tout en montrant qu'il y a une alternative aux productions Marvel du côté des super-héros. En valorisant un personnage de DC Comics, parmi les plus connus et les plus populaires de la BD américaine, à travers une vision plus dramatique que spectaculaire, le studio américain impose sa propre vision de l'exploitation des comics au cinéma. Venise a-t-il consacré avec facilité un film de super-héros, rois du box-office ? Non. Car justement Joker est presque l'antithèse de l'exubérance des super-héros du moment : c'est avant tout l'histoire d'un homme victime de lui-même... Ce Lion d'or attribué à Joker est une première étape qui valide l'objectif des Oscars. Venise a récompensé par le passé Le Secret de Brokeback Mountain de Ang Lee, La Forme de l'eau de Guillermo del Toro et Roma de Alfonso Cuarón. Ses palmarès ont aussi été annonciateurs de statuettes hollywoodiennes avec des films comme La Favorite de Yorgos Lanthimos, Three Billboards de Martin McDonagh, La La Land de Damien Chazelle...

Durant le Festival il était évident que Joaquin Phoenix, trois fois nommé aux Oscars et jamais gagnant, méritait le prix de meilleur acteur. Déjà primé à Venise en 2012 pour The Master de Paul Thomas Anderson, ainsi qu'à Cannes avec A Beautoful Day en 2017, la Coupe Volpi pouvait lui échapper à une seule condition : un Lion d'or pour le film, qui, règlementairement n'est pas compatible avec un autre prix. Samedi soir, c'est donc Todd Phillips accompagné de Joaquin Phoenix qui étaient ensemble sur scène pour recevoir le trophée.

Pour le Lion d'argent attribué à J'accuse, Roman Polanski a appris la nouvelle sur scène au Festival américain de Deauville. C'est sa compagne et actrice dans J'accuse Emmanuelle Seignier qui a reçu en son nom le Lion d'argent. Il est intéressant de constater que les deux films, puissants chacun dans leur style, reposent sur des "victimes" de la société, d'un système, et même sur un malentendu: le Joker est devenu un méchant par la faute d'une société impitoyable pour les faibles et Dreyfus a été emprisonné à cause d'une élite antisémite. La mise à l'écart des deux personnages, au ban de la société, et l'écrasante domination des décideurs, en font deux films sur l'injustice, sociale ou politique.

Surprises

La liste des prix de Venise intègre aussi les deux films de la compétition proposant un genre différent. Soit le documentaire sur la mafia qui reçoit donc un Prix Spécial du jury et  le film d'animation qui obtient le Prix du scénario. Venise a ainsi ouvert un peu plus le 7e art à ces formes narratives souvent oubliées au moment de la remise des prix. Par ailleurs, aucun des deux films de la plateforme Netflix (Marriage Story de Noah Baumbach et The Laundromat de Steven Soderbergh) n'est au palmarès. C'est regrettable pour le Baumbach, qui devrait malgré tout se retrouver aux Oscars.

Un film en particulier était à la fois espéré et redouté pour une récompense : The Painted bird de Vaclav Marhoul. En noir et blanc, cette œuvre est une succession de divers sévices subis ou vus par un enfant durant la seconde guerre mondiale. Trop long avec ses 169 minutes, jusqu'à faire sortir de la salle plusieurs spectateurs rebutés par ce qui se passaient à l'écran, le film est autant une épreuve à voir qu'un tour de force visuel. Vaclav Marhoul semblait désigné pour le Prix de meilleur réalisateur. A la surprise générale, le jury a préféré un contre-pied total en choisissant l'ex-Lion d'or Roy Andersson avec About Endlessness: une suite de courtes scènettes en plan-fixe, sans autre lien entre elles, que des personnages tristement dépressifs ou perdus. Rien de neuf dans l'univers légèrement misanthrope du cinéaste suédois.

Pour l'interprétation, le jury a choisi, côté masculin, Luca Marinelli que les amateurs de cinéma italiens connaissent déjà avec Riccordi? sorti cet été et qui a été révélé dans La solitude des nombres premiers et Chaque jour que Dieu fait, confirmé dans on l'appelle Jeeg robot et Mauvaise graine. En incarnant le héros de Jack London, Martin Eden, il séduit et démontre que le cinéma italien peut compter sur une nouvelle génération de grands comédiens. Le film italien de Pietro Marcello a reçu de nombreux prix parallèles.

L'étonnante surprise du palmarès était du côté féminin. Nous voilà ravis de voir Ariane Ascaride distinguée par un grand prix international Gloria Mundi de Robert Guédiguian. C'est la douzième actrice française à recevoir la Coupe Volpi vénitienne, la première depuis 2008. Césarisée en 1998 (et trois fois nommée depuis), prix de la meilleure actrice à Rome en 2006, la muse-épouse du réalisateur marseillais réussit à décrocher le prix (sans doute pour récompenser indirectement le film et son réalisateur) avec une œuvre chorale de sept personnages. Mariana Di Girolamo, qui porte presque tout le film Ema de Pablo Larrain, a finalement été boudée. La récompense de la révélation semblait promise à un des membres du casting de Babyteeth de Shannon Murphy: ça a été le cas: plutôt que de primer l'actrice Eliza Scanlen, c'est l'acteur Toby Wallace (dix ans de carrière quand même) qui est reparti avec un trophée.

Des histoires vraies remaniées par la fiction

A côté de la compétition officielle, d'autres films hors-compétition ont été marquants comme Seberg de Benedict Andrews avec Kristen Stewart et Adults in the room de Costa-Gavras, tout comme Irreversible - Inversion Intégrale de Gaspar Noé. Les autres sections de Venise ont elles aussi vibré avec quelques titres forts comme American Skin de Nate ParkerNevia de Nunzia De Stefano, Moffie de Oliver Hermanus, Balloon de Pema Tseden, Madre de Rodrigo Sorogoyen.

Le cinéma français s'en sort très bien cette année. Outre le Grand prix pour Polanski, le prix de la meilleure actrice pour Ascaride, le comédien Sami Bouajila (dans Bik Eneich (Un Fils) de Mehdi M. Barsaoui) a été choisi comme meilleur acteur dans la sélection Orizzonti et, dans la même sélection, le trio Jessica Palud, Philippe Lioret, Diastème repart avec le prix du scénario pour Revenir, d'après le roman de Serge Joncour.

Toutes sections confondues, on observe une importance grandissante de films qui s'inspirent d'une histoire vraie  comme autant de variations de biopics : l'actrice Jean Seberg et ses liens avec Hakim Abdullah Jamal des Black Panthers (Seberg avec Kristen Stewart), le colonel Picquart qui veut innocenter Dreyfus (J'accuse de Roman Polanski), le premier ministre Yánis Varoufákis contre les instances européennes à propos de la dette grecque (Adults in the room de Costa-Gavras), des espions cubains aux États-Unis (Wasp Network de Olivier Assayas), le roi Henry V en guerre contre le royaume de France (The King avec Timothée Chalamet), Corinne Sombrun qui découvre les transes chamaniques en Mongolie (Un monde plus grand avec Cécile De France). On pourra s'amuser de cet accroissement de films avec des personnes existantes ou ayant réellement existé, qui nourrissent des œuvres de fiction. Comme si l'histoire authentique avait son importance pour créer un film dramatique. Le nombre de reconstitutions historiques ou de films zoomant sur un morceau d'Histoire est, à ce titre, imposant dans la compétition. En revanche, la diversité des propositions en matière de narration ou d'audaces formelles, a été plutôt rares.

Ce qui explique sans doute pourquoi le Lion d'or a été remis au Joker : de la pure fiction enrobée dans un style qui rend hommage à un cinéma des seventies presque oublié aujourd'hui. Ironiquement, ce factice Joker de BD est devenu, grâce à Todd Phillips, un individu du nom d'Arthur Fleck, presque réhabilité par le cinéma. Il symbolisait finalement tout ce que le jury a aimé dans cette compétition: une vision désespérée du monde, avec des personnages victimes, névrosés, démissionnaires, désenchantés, que ce soit aujourd'hui ou hier. Venise pouvait afficher de grands et beaux sourires sur son tapis rouge: le cinéma ramenait le spectateur à une réalité en lui tendant un miroir qui révèlait l'horreur de la condition humaine.

Venise 2019: le Lion d’or pour le Joker

Posté par redaction, le 7 septembre 2019

Roman Polanski, Lion d'argent (Grand prix du jury) avec J'accuse, Ariane Ascaride, Coupe Volpi (la douzième pour une actrice française), Sami Bouajila, le trio Jessica Palud, Philippe Lioret, Diastème dans la section Orrizonti: le cinéma français a été honoré à la Mostra de Venise cette année. Mais c'est bien le Joker qui rafle le Lion d'or dans un palmarès éclaté... Même les super-héros peuvent gagner un grand prix prestigieux international, en plus de triompher au box office.

Palmarès Compétition
Lion d'or: Joker de Todd Phillips
Grand prix du jury: J'accuse de Roman Polanski
Meilleur réalisateur: Roy Andersson pour About Endlessness
Meilleure actrice: Ariane Ascaride pour Gloria Mundi de Robert Guédiguian
Meilleur acteur: Luca Marinelli pour Martin Eden de Pietro Marcello
Meilleur scénario: Yonfan pour Ji yuan tai qi hao (No. 7 Cherry Lane)
Prix spécial du jury: La mafia non è più quella di una volta de Franco Maresco
Prix Marcello Mastroianni (espoir): Toby Wallace dans Babyteeth

Palmarès Orrizonti
Meilleur film : Atlantis de Valentyn Vasyanovych
Meilleur réalisateur : Théo Court pour Blanco en Blanco
Prix spécial du jury: Verdict de Raymund Ribay Gutierrez
Meilleure actrice: Marta Nieto dans Madre de Rodrigo Sorogoyen
Meilleur acteur: Sami Bouajila dans Bik Eneich (Un Fils) de Mehdi M. Barsaoui
Meilleur scénario : Jessica Palud, Philippe Lioret, Diastème pour Revenir de Jessica Palud
Meilleur court-métrage: Darling de Saim Sadiq

Prix Luigi De Laurentiis du meilleur premier film (toutes sélections confondues)
You Will Die At 20 de Amjad Abu Alala

Réalité virtuelle
Grand prix du jury: The Key de Céline Tricart
Meilleur contenu interactif: A Linha de Ricardo Laganaro
Meilleure histoire: Daughters of Chibok de Joel Kachi Benson

Venezia Classici
Meilleur film restauré: Extase de Gustav Machatý
Meilleur documentaire sur le cinéma: Parou de Barbára Paz

Venice Days
Prix du public: Un divan à Tunis de Manele Labidi
Label Europa Cinemas: Boze Cialo de Jan Komasa
Prix Edipo Re Inclusion: Boze Cialo de Jan Komasa
Prix Venice Different Smile: My Brother Chases Dinosaurs de Stefano Cipani

Venise 2019 : Joker, J’accuse et Marriage Story favoris de la presse

Posté par kristofy, le 7 septembre 2019

Ce 76e Festival de Venise se dirige vers sa clôture avec en point de mire la traditionnelle "cerimonia di premiazione" soit l’annonce du palmarès et du Lion d’or qui succèdera à deux films mexicains, La forme de l'eau en 2017 et Roma en 2018. Les membres du jury présidé par Lucrécia Martel vont devoir défendre leurs films préférés et convaincre les autres, car aucun titre n’est favori pour l'unanimité.

La compétition était riche de 21 films dont un film d’animation, un documentaire, deux longs réalisés par une femme et deux films diffusés uniquement sur Netflix.

On y a vu un mélange de grands noms connus  (Hirokazu Kore-eda, James Gray, Noah Baumbach, Roman Polanski, Pablo Larrain, Todd Philipps, Olivier Assayas, Steven Soderberg, Roy Anderson, Atom Egoyan, Lou Ye, Ciro Guerra...)  et de talents émergeants. Certains films sont handicapés par une durée beaucoup trop longue qui n’était pas assez justifiée par leur histoire comme l’animation No 7 Cherry Lane de Yonfan (125 minutes), A herdade (Le Domaine) de Tiago Guedes (164 minutes), The painted bird de Vaclav Marhoul (169 minutes)… Surtout il va falloir départager un grand nombre de films reconstituant l'Histoire (la seconde guerre mondiale reste inspirante pour les cinéastes).

Chaque jour, à la Mostra, comme à Cannes et à Berlin, une publication fait état d’un tableau des étoiles qui synthétise une moyenne de notes par un panel de la presse italienne et internationale,  avec une notation sur 5.

Pour les journalistes italiens seuls deux films ont été très largement appréciés avec un 4/5: Joker de Todd Philipps et J’accuse de Roman Polanski. Marriage Story de Noah Baumbach suit de près avec 3,5/5.

Pour la presse internationale Marriage Story de Noah Baumbach a séduit aussi avec un 4/5, devançant J’accuse (3,7/5) et Joker (3,4/5). Il en ressort que Wasp Network de Olivier Assayas a été plutôt froidement accueilli (injustement ?) avec une note parmi les plus basses, et que Ad Astra de James Gray ne fait pas consensus (3,3/5 pour l’international, 2,7/5 pour les italiens).

De manière générale seul un tiers des films présenté en compétition ont une note moyenne tirée vers le haut, le tout restant assez disparate. Tout le monde s’accorde pour trouver Joker très réussi (et c’est le cas), et pour apprécier J’accuse sans tenir compte du passé judiciaire de Polanski (et c’est tant mieux). Toutefois tout ceci n’est pas vraiment un indicateur: le palmarès est très ouvert et il y aura donc des surprises, surtout avec un jury aussi éclectique et technique: Lucrétia Martel, cinéaste argentine plutôt radicale, Piers Handling (critique et historien canadien), Mary Harron (réalisatrice), Stacy Martin (actrice franco-britannique), Rodrigo Prieto (directeur de la photographie mexicain), Shinya Tsukamoto (réalisateur japonais), et Paolo Virzi (réalisateur italien).

Quelques films séduisent par leur forme, d’autres plutôt par la portée politique de leur histoire. Et puis il y a ceux qui marquent pour les personnages, leur incarnation et donc les acteurs qui les interprètent. Pour les prix d’interprétation, il y a des noms qui se détachent de manière assez évidente : Mariana Di Girolamo dans Ema de Pablo Larrain, Eliza Scanlen et Toby Wallace dans Babyteeth de Shannon Murphy, Mark Rylance dans Waiting for the Barbarians de Ciro Guerra et évidemment Joaquin Phoenix dans Joker et Catherine Deneuve dans La vérité, tous deux chouchous de la critique anglo-saxonne.

Joker de Todd Philipps est bel et bien un des grands favoris, et il est aussi probable que le palmarès va compter avec La vérité de Hirokazu Kore-eda,  The Painted bird de Vaclav Marhoul, Martin Eden de Pietro Marcello, et The Perfect candidate de Haifaa Al-Mansour dans cette édition ouverte, mais décevante. Car, pour la plus haute récompense, le Lion d’or, bien malin celui qui devinera le vainqueur.

Venise 2019 : Gloria Mundi, de Robert Guédiguian, avec sa troupe

Posté par kristofy, le 5 septembre 2019

Avec un discours marqué à gauche, constatant que les nobles idéaux se plient de plus en plus à une fatalité économique, Robert Guédiguian est devenu un réalisateur emblématique d'un certain cinéma français La plupart de ses films ont pour décor Marseille, ce qui permet d'en faire une œuvre presque ethnographique et même "éthologique" : la cité phocéenne devenant peut-être de plus en plus excluante. Pour son 21e film, il est toujours entouré de sa fidèle troupe d’amis - acteurs. Une fidélité qui nous rend attachant et familier les histoires pourtant bien différentes (Guédiguian navigue de l'historique au romanesque, de la comédie sociale au polar). Le temps des films porteurs d’espoir semble terminé chez lui. Il a d’ailleurs déjà fait le bilan avec son précédent La Villa où le capitalisme et l’individualisme, valeurs régnantes du présent, gagnent sur l’idéal de fraternité et de solidarité du passé. Robert Guédiguian continue cette réflexion avec Gloria Mundi.

Le pitch: Daniel sort de prison où il était incarcéré depuis de longues années et retourne à Marseille. Sylvie, son ex-femme, l’a prévenu qu’il était grand-père : leur fille Mathilda vient de donner naissance à une petite Gloria. Le temps a passé, chacun a fait ou refait sa vie… En venant à la rencontre du bébé, Daniel découvre une famille recomposée qui lutte par tous les moyens pour rester debout. Quand un coup du sort fait voler en éclat ce fragile équilibre, Daniel, qui n’a plus rien à perdre, va tout tenter pour les aider.

Le film s’ouvre avec la naissance d’un bébé, comme une nouvelle venue au monde à découvrir. Si l’espoir va quitter ses personnages, il en reste encore un peu chez Robert Guédiguian. Ce nouveau film évoque une jeune génération qui renonce à tout ce que celle d’avant voulait éviter. Le constat est difficile mais terriblement contemporain. Jean-Pierre Darroussin est chauffeur de bus de la ville (au service de la communauté) et son épouse Ariane Ascaride est femme de ménage surtout la nuit (exploitée par le grand capital). Le couple représente en apparence les idéalistes habituels du cinéma de Guédiguian : pourtant, ils ont baissé les bras, il faut laisser faire et laisser dire sans s’engager ni protester, jusqu'à refuser de faire grève. Chez leurs enfants, on voit deux couples antagonistes : Anaïs  Demoustier et Robinson Stévenin sont des travailleurs précaires en difficulté financière (chauffeur Uber avec un crédit et trop d’heures à faire, vendeuse à l’essai dans une boutique) ; Lola Naymark et Grégoire Leprince-Ringuet sont gérant d’un magasin qui s’enrichit de la misère des gens (rachat d’objets d’occasion à bas prix pour les revendre beaucoup plus chers). Les catastrophes vont s’enchainer pour le couple Demoustier-Stévenin (comme dans le dernier Ken Loach, Sorry We Missed You) au point de se perdre dans leurs galères.

Avec Gloria Mundi, Robert Guédiguian se fait encore et toujours observateur des travers de notre société. Ici, la violence du monde du travail (précarité, pénibilité…) induit une certaine violence des rapports humains (agression, prostitution…). La titre du film plus complet dans son générique est ‘sic transit gloria mundi’, soit ‘ainsi passe la gloire du monde’ en latin pour prévenir de se garder de tout orgueil ou vanité. Le film résonne comme une fable sombre avec une tendance à la disparition des valeurs solidarité-égalité-fraternité. Le cinéaste tend un miroir de notre présent... Et en conférence de presse, la troupe semble aussi désespérée...

Robert Guédiguian : On vit une époque de grande régression. Il s’agit non pas de condamner ces personnages mais de condamner la société qui les produit. Je n’oppose pas tant que ça les jeunes aux plus anciens. Il faut décrire le monde comme il est, et comme il pourrait être. Je pense que les choses peuvent changer.

Jean-Pierre Darroussin : On est la génération qui était jeune dans les années 70, avec un désir de changer le monde comme pour celle d’aujourd’hui. Nous, ça nous paraissait possible que les choses puissent changer.

Gérard Meylan : C’est un constat d’échec, la société a fait faillite. Dans une famille chacun tire la couverture à soi.

darroussin meylan

Ariane Ascaride : On interprète des personnages qui ne croient plus en la politique. Aujourd’hui beaucoup de gens se disent que droite ou gauche c’est pareil. La classe populaire ou ouvrière n’est plus dans la vie mais dans la survie, car il faut tenir et la vie est difficile. On revient à des attitudes primaires, à ‘moi d’abord’.

Grégoire Leprince-Ringuet : Le film encourage la jeune génération à comprendre qu’on est ensemble, et pas tout seul.

Le film sera sur les écrans français le 27 novembre.

Venise 2019 : Noah Baumbach, Steven Soderbergh, David Michôd et Netflix

Posté par kristofy, le 4 septembre 2019

L'année dernière, le Lion d'or du Festival de Venise avait été décerné  à Roma d'Alfonso Cuaron (qui aura ensuite quelques Oscars), soit pour le première fois une récompense de catégorie A pour un film uniquement diffusé sur la plateforme Netflix, sans qu'il puisse être vu par le public dans les salles de cinéma. Venise, contrairement a Cannes,  est encore cette année une vitrine promotionnelle pour Netflix, quitte a faire grincer des dents les exploitants...

Le directeur artistique Alberto Barbera expliquait dans Le Film Français: "Si Netflix propose un film, je ne vois pas quelles pourraient être les raisons de le refuser hormis sa qualité. Ce sujet est pour le moment d’actualité mais dans deux ou trois ans tout aura changé. C’est déjà, d’une certaine manière, une problématique du passé. Il est vrai toutefois qu’il y a un problème entre les circuits de salles et les plateformes. Mais on ne peut pas demander à un festival de prendre en charge un problème qui fait partie de l’industrie du cinéma dans sa globalité."

Dans Libération, François Aymé, président de l'Association française des cinémas Art et essai, répliquait que la Mostra faisait une erreur historique: "A Cannes, il y a deux ans, nombre de commentateurs considéraient que la présence de Netflix dans les grands festivals «sans conditions» faisait partie du «sens de l’histoire», comme si c’était un impératif, que tout était écrit d’avance et que la logique libérale non régulée devait forcément s’imposer. En 2019, pourtant, revirement de ces mêmes commentateurs qui considéraient que la sélection de Cannes (sans Netflix) était la meilleure depuis des années."

Face à la dictature de l'algorithme, qui parait-il renvoie Roma aux oubliettes et place Meryl Streep au centre de tout, Venise opte pour un non-débat. Deux films sont ainsi sélectionnés en compétition officielle : Mariage Story de Noah Baumbach (avec Adam Driver et Scarlett Johansson) et The Laundromat de Steven Soderbergh (avec Meryl Streep et Gary Oldman), et hors-compétition, The King de David Michôd (avec Timothée Chalamet, Joel Edgerton, Sean Harris, Ben Mendelsohn, Lily-Rose Depp, Robert Pattinson...). Ces cinéastes tout comme ces casting sont prestigieux, mais ces films ne seront visibles qu'en étant abonnés à Netflix. Le cinéma reproduit ainsi le business model des séries exclusives, devenant des fictions unitaires de longue durée.

Mariage story de Noah Baumbach, avec Adam Driver et Scarlett Johansson

Le début du film est particulièrement enthousiasmant avec chacun des personnages décrivant les petits défauts mignons et les grandes qualités de l'autre. Cela pose à la fois leur relation, en même temps que le sujet : ce couple va se séparer. On y retrouve le ton qui fait la particularité des meilleurs films passés de Noah Baumbach (en fait sa période 2005/2013 avec Les Berkman se séparent, Margot va au mariage, Greenberg, Frances Ha), mais malheureusement on se retrouve aussi face à une œuvre de qualité très inégale à l'instar des déceptions de ses films suivants (While We're Young, Mistress America, The Meyerowitz Stories déjà une production Netflix). Ce Mariage Story contient pourtant son lot de bonnes séquences amusantes, mais la moitié de l’histoire  se fourvoie dans le type de ‘film de combat d’avocats’ qui plombe l'ensemble. Les personnages de Scarlett Johansson et Adam Driver sont traités à égalité, jusqu’à avoir chacun une scène chantée (Driver repoussera la chansonnette dans le prochain Léos Carax, calé pour Cannes 2020). Ils sont tous les deux très bons individuellement, mais leur jeu est un peu moins convaincant dans leurs scènes communes. L’histoire aurait été en partie nourrie pour certains scènes par les divorces respectifs de Baumbach et Johansson, cette chronique d'un couple qui se sépare - en souhaitant que ça se passe au mieux pour l'autre - va se compliquer parce qu'ils vont se retrouver géographiquement à l'opposé (lui voulait rester a New-York, elle revient près de sa famille à Los Angeles). Le coût des dépenses pour venir régulièrement passer du temps avec leur enfant devient un enjeu... Si Adam Driver impressionne beaucoup (il est plutôt victime de la situation), on imagine que le film n'aurait pas été un énorme succès en salles. Tant mieux pour Netflix qui peut viser quelques nominations aux Oscars.

The Laundromat de Steven Soderbergh, avec Meryl Streep et Gary Oldman...

C’est la grande déception des films en compétition, au point de supposer qu'il a été sélectionné parce que cela permettait d’amener Meryl Streep et Gary Oldman sur le tapis rouge. Peut-être symptomatique d’une relation trop privilégiée entre Venise et Netflix. Des stars, le sujet de l’affaire des ‘Panama Papers’, Steven Soderbergh à la réalisation : tout était attirant sur le papier, mais c’est douloureusement raté. La caution Soderbergh a permis un casting de grands noms mais il y font pâle figure : Meryl Streep joue une candide un peu ridicule qui sert de fil rouge à l’ensemble du puzzle, Gary Oldman et Antonio Banderas se retrouvent là à faire les narrateurs de luxe du récit, Matthias Schoenaerts est venu se montrer le temps d’une séquence, Jeffrey Wright assure sa petite partie.

En fait, ce sont tout les autres noms pas connus qui relèvent le niveau. The Laundromart est structuré comme un film à sketchs (l'influence du film argentin Les nouveaux sauvages) avec une suite de différents courts-métrages reliés ensemble. Meryl Streep perd son mari noyé lors d’un accident de bateau, mais elle n’obtient pas de grosse compensation financière car l’assurance avait été rachetée par une autre compagnie, elle-même dépendant d’une autre société cachée : le film évoque là les montages de sociétés-écrans liées à d’autres sans aucune possibilité d'identifier un véritable responsable. Le film évoque certaines formes juridiques de compagnie (de type trust, holding, off-shore...) domiciliées dans des iles faisant office de paradis fiscaux, et s’attarde sur une en particulier, qui utilise le même nom sur des milliers de formulaires pour que ses clients restent anonymes. En fait peu de choses relie ce film aux ‘Panama Papers’, sauf à montrer que plein de gens utilisent ce système pour une évasion fiscale condamnable (à ne pas confondre avec le plus acceptable 'optimisation fiscale'). Parmi ces gens se trouvent autant d'individus louches (trafiquants de drogues, oligarques russes…) que de millionnaires américains qui financent les campagnes électorales. The Laundromart aligne surtout différentes historiettes fantaisistes autour de plusieurs personnages et leur rapport avec l’argent (un père de famille qui propose des bons au porteur à sa fille en échange de son silence à propos de son infidélité à sa mère, des chinois qui contournent des lois pour investir à l’étranger), le tout sous une forme de vaste farce. La première image du film indiquait pourtant avec un certain humour ‘based on actual secrets’, promesse non tenue, diffusion hors salles de cinéma et uniquement via Netflix. Logique. Le film peut cartonner côté algorithmes.

The King de David Michôd, avec Timothée Chalamet, Joel Edgerton, Sean Harris, Ben Mendelsohn, Lily-Rose Depp, Robert Pattinson...

Au 15ème siècle, les Anglais sont en guerre contre les écossais, et le roi Henri IV, malade, se meurt. Il désigne le cadet de ses deux jeunes fils pour lui succéder, mais celui trouvera vite la mort pour avoir voulu s'imposer sur un champs de bataille. L'autre fils, l'aîné, qui d'ailleurs ne voulait pas vraiment être roi et qui se gardait à distance de la cour, va alors devoir être couronné sous le nom d'Henry V, incarné par Timothée Chalamet, le héros du film (et la star montante du moment). Entre intrigues de palais avec les religieux, ses conseillers, son fidèle compagnon d'antan, et surtout ce qui semblent être des provocations en provenance de la France, il va devoir réagir et agir : une guerre avec le royaume de France va commencer... The King coécrit par les australiens David Michôd et Joel Edgerton s'inspire à la fois de la pièce Henri IV de Shakespeare, de recherches historiques et d'inventions scénaristiques pour un gros film médiéval conduisant à une bataille épique avec une centaine de figurants dans la boue. Le film évoque les coulisses de la royauté aussi bien que des stratégies de guerre, mais c'est aussi une réflexion sur le pouvoir et son usage. Pour le coup, c'est dommage que The King soit réservé aux abonnés Netflix car le film aurait mérité d'être vu sur les grands écrans des salles de cinéma... A défaut, il peut lui aussi viser quelques Oscars et contribuer à la notoriété de Chalamet.