Dinard 2019 : Rencontre avec Shane Meadows pour sa série « The Virtues »

Posté par kristofy, le 1 octobre 2019

Qui dit nouvelle œuvre de Shane Meadows dit venue à Dinard, son festival préféré. Twentyfour Seven était en compétition en 1998, Once Upon A Time In The Midlands en avant-première en 2002, Dead Man Shoes a gagné le Hitchcock d’Or en 2004, avant de recevoir un hommage en 2007 avec This Is England, Somers Town fut choisi pour la clôture en 2008. Puis vinrent Le Donk & Scor-Zay-Zee en 2009, le début de la saga télé This is England '86 en 2011 et The Stones Roses: made of stone en 2013.

Cette année Shane Meadows présente sa nouvelle série The Virtues, un drame composé de quatre épisodes (4 x 46 minutes, co-écriture avec Jack Thorne et musique par PJ Harvey) : alors que son ex-femme et son fils déménage vers un autre pays, Joseph replonge dans l'alcool puis décide de quitter l'Angleterre pour aller en Irlande, il veut y retrouver sa sœur qu'il n'a pas vu depuis une trentaine d'années. Le passé destructeur va resurgir...

Le premier épisode se déroule en trois actes (et une séquence de beuverie dantesque) avec une fuite en forme de nouveau départ ; le second épisode permet à Joseph de retrouver sa sœur Anna et l'histoire commence à aborder le cœur du drame ; le troisième épisode s'attache en particulier à mieux connaître les liens et les faiblesses de l'ensemble des personnages, et particulièrement ceux de Dinah et Craigy, et le drame s'intensifie ; enfin le quatrième épisode comporte des révélations et des envies de vengeance...

Le Festival Serie-Mania a déjà doublement primé The Virtues (meilleure série, meilleur acteur). Le jury a justifié ainsi cette double récompense au printemps dernier: "dès la première image, The Virtues vous bouleverse par sa profonde humanité. Magistralement réalisée, écrite et interprétée, cette série est un formidable exemple du pouvoir de la télévision à vous transporter et créer l'empathie. Stephen Graham : sa performance est tout simplement éblouissante. Son portrait brut d'un homme en proie avec son passé et ses propres démons est déchirant."

Ecran Noir: Vous alternez des films pour le cinéma et des séries, deux supports. Comment ou jusqu’où peut-on montrer des scènes avec un contenu de violence, de sexe, d’addiction à l’alcool comme dans The Virtues ? Est-ce quelque chose qui est pris en considération ou vous avez la liberté d’aller aussi loin que vous le souhaitez ?

Shane Meadows : De manière générale la télévision britannique, comme Channel 4, est assez ouverte à l’originalité dans les fictions,. C’est moi qui décide du montage et personne ne me dit de changer quelque chose. Au cinéma on s’imagine une sorte de plus grande liberté, mais le problème  est que les gens y vont en payant un ticket pour le film, et souvent il faut chercher à plaire au plus grand nombre, dont certains qui viennent manger du popcorn. A la télévision les spectateurs ne payent pas pour un film en particulier et n’ont pas forcément cette attente d’être expressément divertis. Peut-être que la télévision convient mieux à mon travail actuel, en particulier pour The Virtues. Je ne me suis jamais senti limité en terme de contenu en travaillant pour la télévision. En fait j’ai même plutôt ressenti une libération car les histoires sur lesquelles je travaille ne peuvent pas être racontée au format film d’1h30.

EN: Avez-vous envisagé à un moment que The Virtues puisse devenir votre nouveau film de cinéma plutôt qu'une série ?

Shane Meadows : Je travaille sur plusieurs idées, et certaines sont pour le cinéma et d’autres pour la télévision. Pour ce projet The Virtues, c’était une histoire qui nécessitait justement 3 ou 4 heures. En fait j’aime ce format de la série de télévision en plusieurs épisodes. On a plus de temps pour approfondir des personnages et les faire respirer, on a plus de temps pour que l’histoire se développe. C’est peut-être paradoxal mais j’aime aussi que les spectateurs attendent 7 jours pour voir la suite avec l'épisode suivant, même si maintenant des diffuseurs comme Netflix ou la BBC diffusent en streaming 10 épisodes d’un coup en même temps. On perd cette attente du prochain épisode et l'imagination de ce qui pourrait suivre, ce qui va avec une série.

EN: On retrouve dans The Virtues deux visages en particulier de votre autre série This is England - Stephen Graham, et Helen Behan que vous avez révélés - dans des rôles très différents...

Shane Meadows : Stephen Graham reçoit beaucoup de propositions ces dernières années. Par exemple il a été demandé par Martin Scorsese dans son dernier film The Irishman. En fait avec Stephen, ça s’est fait naturellement. On se connaît bien et on se fait confiance, et il adore les rôles que je lui propose. Stephen sait tout donner en une prise, il n’aime pas quand il faut refaire une cinquantaine de fois cette prise. Il sait que ça n’arrive pas sur mes tournages. Je sais combien c’est difficile d’être un acteur et mes attentes c’est obtenir quelque chose d’unique, presque instinctif, chose qu’on n’obtient pas avec des répétitions. La nature particulière de ce rôle où il s’agit de retenir ou de se laisser aller à des chamboulements  émotionnels demandait une grande performance. Je savais que Stephen Graham était probablement l’une des rares personnes qui puisse jouer ça avec cette vraie sincérité qui bouleverse les spectateurs. Je ne savais pas que le duo Stephen et Helen Benham pouvait fonctionner, avant de les réunir dans une même pièce. Helen est une actrice qui a un don spécial pour jouer. Je lui avais donné un petit rôle un peu angélique dans This is England mais ce que j’ai vu hors caméra en la connaissant mieux en tant que personne m'a convaincu. D’ailleurs elle est quasiment le contraire du personnage que je lui ai confié dans The Virtues. Helen peut jurer énormément et elle est très drôle. C’est une belle performance de sa part de jouer ici un personnage à l’opposé de sa nature. Dans la série, une des premières scènes ensemble entre Helen et Stephen, dans la chambre, a été comme une masterclass d’interprétation extraordinaire. Cette combinaison Stephen + Helen demandait peut-être un peu de foi de ma part mais c’est devenue un alchimie idéale.

EN: The Virtues est projetée pour la première fois en intégrale à Dinard. Avant deux épisodes avaient été découverts en France lors du Festival Série Mania de Lille où vous y aviez gagné le grand prix du jury et un prix d'interprétation pour Stephen Graham. Que pensez-vous de ce type de festival centré sur des séries de télévision ?

Shane Meadows : C’était génial de recevoir ces prix: ça a donné une exposition à The Virtues à travers des articles de presse, des gens qui n’avaient jamais entendu parler de The Virtues s’y sont intéressé. Je crois qu'il y a des discussions en cours pour que la série soit visible dans plusieurs pays. Lille, qui est une plus grosse ville que Dinard, a un peu le même esprit: c’est organisé par une équipe avec un esprit de famille. Je pense qu’à l’avenir plusieurs festivals auront des sélections hybrides entre des films de cinéma et de télévision et des séries parce que plusieurs cinéastes font des œuvres diffusées par des plateformes de streaming. C'est super que The Virtues soit à Dinard et vu en intégralité dans une salle de cinéma sur grand écran.

EN: C’est le 30ème anniversaire de Dinard, que vous connaissez particulièrement pour y avoir montré tous vos films après y avoir gagné le Hitchcock d'or pour Dead Man's shoes. Cette année en plus d'accompagner The Virtues vous avez aussi la mission de présider le jury des courts-métrages. Dans cette sélection d’une dizaine de courts, y avez-vous vu un prochain Shane Meadows ?

Shane Meadows : C’est une sélection très riche et très intéressante de courts-métrages qu'on a vu. J’ai été vraiment très impressionné par tous. En général dans ce genre de programmes, on y remarque certains courts très brillants et d’autres moins, et on doit discuter avec les autres jurés autour de 3 titres pour choisir le gagnant. Mais là ils étaient tous unique à leur façon. Le débat a été passionnant. Personnellement je ne cherche pas à voir un court qui se rapproche de mon univers ou de mon travail sur des thèmes de société. Je suis plus intéressé par découvrir des talents avec une voix originale. La délibération a été une vraie discussion ouverte, et ces courts étaient d’un haut niveau (ndr : la récompense a été pour un court en animation).

EN : Après This is England 86, This is England 88, This is England 90, est-ce c’est vraiment terminé où peut-on espérer une nouvelle saison sur le devenir de vos personnages ?

Shane Meadows : J’ai dans ma tête une autre saison pour continuer cette série. La suite serait à propos de ces personnages environ 10 ans après, donc au début des années 2000. Ces personnages auraient des enfants mais ils sortiraient encore en rave-party. Cette suite tournera surtout autour de Gadget (Andrew Ellis), de Combo (Stephen Graham) et de Milky (Andrew Shim), et des autres. Je réfléchis à cette nouvelle histoire depuis un moment déjà, on verra quand ça se fera.

EN: Une dernière chose. Après votre documentaire The Stone Roses: Made of Stone vous avez réalisé ensuite un clip pour Liam Gallagher (ex Oasis), c’est quelque chose que vous referiez ?

Shane Meadows : Je suis un grand fan des Stones Roses, et en fait Liam Gallagher est aussi est fan de ce groupe, je l’ai déjà vu aller à leurs concerts. La connexion s'est faite. Réaliser ensuite un clip pour une chanson de Liam a été une super expérience. Liam Gallagher vient juste de sortir un nouveau disque, je referais une vidéo avec lui avec plaisir si j’ai de nouveau cette opportunité (sourire)

Dinard 2019 : une compétition axée sur une jeunesse en lutte

Posté par kristofy, le 30 septembre 2019

En attendant de connaître le sort du festival - nom du futur directeur artistique, statut juridique, évolutions recommandées par un audit-, le Dinard Film Festival vient de célébrer ses 30 ans avec, ironie du sort un Hitchcock d'or pour un film allemand. Ce festival 2019 marque un cap. Sans aucun doute, Dinard va opérer sa mue pour s'adapter aux nouveaux formats, aux séries. Car si les salles sont toujours bondées, le public, lui, vieillit un peu avec le festival.

Hitchcock d’or, une récompense  qui rayonne après Dinard
Les Hitchcock d’or ont d’ailleurs grandement contribué au rayonnement grandissant de Dinard : en 1994 il est décerné à Petits meurtres entre amis de Danny Boyle, en 1996 à Jude Michael Winterbottom, en 1997 à The Full Monty... Au début des années 2000, le cinéma britannique est au plus haut, et les jurys attribuent le Hitchcock d’or à Bloody Sunday Paul Greengrass en 2002, à La Jeune Fille à la perle de Peter Webber en 2003, à Dead Man's Shoes de Shane Meadows en 2004.

Certaines années le choix du jury a été sans doute difficile au vu de la qualité exceptionnelle de la compétition : en 2000 c’est Billy Elliot (face à Snatch de Guy Ritchie), en 2006 c’est London to Brighton de Paul Andrew Williams (face à Cashback de Sean Ellis, et Kidulthood de Menhaj Huda), en 2011 c’est Tyrannosaur de Paddy Considine  (face à Week-end de Andrew Haigh , L'Irlandais de John Michael McDonagh). Parfois le jury a dû choisir un titre qui faisait consensus entre jurés au lieu d’un choix original : en 1999 Human Traffic de Justin Kerrigan (au lieu de Following de Christopher Nolan), en 2007 My Name is Hallam Foe de David Mackenzie (au lieu de Once de John Carney), en 2012 Shadow Dancer de James Marsh (au lieu de Ill Manors de Ben Drew), en 2014 The Goob de Guy Myhill (au lieu de ’71 de Yann Demange, ou The Riot Club de Lone Scherfig). Il est arrivé qu’un jury se montre très audacieux dans son choix, comme en 2009 White Lightnin' de Dominic Murphy (face à In the Loop d'Armando Iannucci).

D'autres années un film en particulier est tellement fédérateur qu’il recueille l’unanimité en éclipsant tout les autres (et souvent en cumulant plusieurs prix) : en 2008 Boy A de John Crowley, en 2013 Le Géant égoïste de Clio Barnard, en 2016 Sing Street de John Carney, en 2017 Seule la terre de Francis Lee, en 2018 Jellyfish de James Gardner.

Cette année, c'est The Keeper de Marcus H. Rosenmüller qui a reçu les suffrages du jury - qui a privilégié un coup de cœur plutôt qu'une forme narrative plus audacieuse -, et du public. Avec son important budget et son formatage très grand-public, il a déséquilibré la compétition. Mais avouons-le, il est séduisant. Il s'agit d'une version romancée d'une histoire vraie, celle de l'ex-soldat allemand Bert Trautmann qui de nazi, prisonnier de guerre en Angleterre, est passé gardien de but d'une équipe de football anglaise pour devenir ensuite un champion national avec le club Manchester City. Tout tourne autour de David Kross, John Henshaw et Freya Mavor (l'actrice enchaine les participations à des films de prestige aussi bien en Angleterre qu'en France, mais elle attend toujours la proposition d'un grand rôle qui la rendra aussi incontournable que lors de sa révélation avec la série Skins). Il semblait évident que The Keeper était promis à une récompense... Plus étonnant: il n'a toujours pas de distributeur français.

Le jury a souhaité rajouter à son palmarès une mention spéciale destinée à l’ensemble des actrices et acteurs de chaque films en compétition : c’est en effet souvent leur interprétation solide qui permet de mieux s'attacher au film. La plupart étaient d'ailleurs présents à Dinard pour accompagner leur film.

The last tree de Shola Amoo : un enfant regrette de quitter sa chouette famille d’accueil pour être récupéré par sa mère biologique et vivre avec elle. Une fois adolescent, l'influence d'un voyou l’incite à dériver vers une certaine violence, avec, en lui, un déracinement qu'il voudrait comprendre. Malgré ses qualité, le film s'est fait doubler par un autre à la thématique semblable, Vs. de Ed Lilly, ici, la trajectoire du jeune est presque inverse: ayant été abandonné par sa mère biologique et placé dans diverses familles d’accueil, il a déjà un passif composé de bagarres, et autres violences. C'est l'influence d'un groupe de battle hip-hop qui va canaliser sa colère des poings vers celle des mots, mais avec, en lui, ce désespoir d’avoir été abandonné... Le film est porté par le jeune Connor Swindells dont c'est le second film (il apparait ici comme un nouveau Andrew Garfield en puissance). Il vient d'être révélé par la série Sex Education; la vivacité des punchlines de rap et le thème plus général de se trouver une famille a séduit le jury jusqu'au Prix du scénario.

Mais il n'y a pas que des drames à Dinard. De l'humour et du féminisme tenaient de fil conducteur à Animals de Sophie Hyde, une adaptation du roman de Emma Jane Unsworth (dont elle signe aussi le scénario du film) : on suit les mésaventures de deux meilleures amies colocataires qui partagent depuis toujours beuveries et aventures sans lendemain et qui vont avoir 30 ans. Tyler cultive son indépendance de dilettante mais Laura après avoir découvert que sa petite soeur va attendre un bébé commence elle à aspirer à une vie adulte avec un fiancé et un mariage... Les deux amies commencent à se détacher l'une de l'autre sans savoir comment supporter cette rupture. Animals donne l'impression de renvoyer Absolutely Famous et Bridget Jones à la maison de retraite tellement le duo des actrices Alia Shawkat et Holliday Grainger est ravageur.

Une autre histoire de relation féminine, divergente et fusionnelle a été repérée dans Cordelia de Adrian Shergold - le réalisateur était doublement présent à Dinard puisqu'il présentait un autre film, Denmark. Dans les deux cas, il était beaucoup plus convaincant l'année dernière avec Funny Cow. Cordelia repose en particulier sur l'interprétation de son actrice Antonia Campbell-Hugues (également co-scénariste), qui joue là deux rôles de deux soeurs différentes, l'une étant séduite par un voisin qui semble être aussi l'inconnu qui la harcèle. Aucune chance d'être au palmarès.

L'autre film majeur de cette compétition était Only You de Harry Wootliff. Sur le papier, il semblait plus sage et plus convenu avec une belle histoire d'amour entre un jeune homme de 26 ans et une femme de 35 ans, fragilisée car elle n'arrive pas à tomber enceinte. Only You se développe d'abord comme une tendre comédie romantique autour d'une différence d'âge, puis il évolue en drame intime avec un désir d'enfant qui ne peut être comblé. C'est justement pour raconter diverses choses sensibles à propos du couple (et de leurs proches, amis et famille) que le film charme beaucoup, jusqu'à gagner de façon méritée le Prix de la Critique. Si la réalisatrice Harry Wootliff impressionne beaucoup (c'est d'ailleurs son premier film), un autre élément de séduction provient du casting : Only You réunit Laia Costa (épatante dans Victoria Ours d'argent à Berlin, et déjà en amoureuse dans Nowness de Drake Doremus) et Josh O'Connor (incontournable depuis son rôle dans Seule la terre de Francis Lee et très juste dans Hope gap présenté aussi hors-compétition cette année à Dinard). On espère que le film trouvera un distributeur en France, tant il se distingue des autres sur le fond comme sur la forme.

Une jeunesse en lutte

Et au final que nous disent ces films anglais de la compétition? Ils ont questionné les envies d'une jeunesse pas forcément adaptée au monde et les obstacles qui empêchent de grandir en tant qu'adulte. Sortir de sa coquille et se risquer à tomber amoureuse pour Cordelia, changer de comportement et renouer avec ses racines pour The last tree, se trouver une nouvelle famille pour gagner en indépendance avec Vs, transgresser les préjugés et affronter les traumas et  aléas tragiques d'une vie dans The Keeper, se conformer ou pas à ce que les autres attendent avec Animals, vivre en couple, malgré le regard des autres, avec le désir partagé d'un bébé même quand c'est impossible dans Only You.

Cette année, Dinard, la jeunesse était à l'honneur. Une jeunesse désemparée, désœuvrée, parfois déprimée, qui doit surmonter des obstacles intimes et cherche un moyen de s'affranchir d'une société encore trop écrasante ou de conventions trop conformistes. La fiction était portée par des comédiens épatants. Mais, sur la forme, le cinéma anglais s'enlise un peu dans des styles convenus ou déjà vus. Comme si le récit s'auto-suffisait. Il y a bien des regards personnels, mais, rien à la hauteur de l'audacieux Peterloo par exemple présenté hors-compétition.

Dinard 2019 : Official Secrets et Red Joan, quand deux lanceuses d’alerte partagent des secrets d’état

Posté par kristofy, le 27 septembre 2019

Le 30e Dinard Film Festival est lancé, et le public curieux de cinéma britannique est toujours fidèle pour remplir les différentes salles.

Si Dinard est la plus anglaises des plages françaises, l'actualité a fait que Jean-Claude Mahé (le maire) a évoqué l'un des plus célèbres visiteurs : "Jacques Chirac vient de nous quitter, c'est un ami de Dinard qui s'en va". L'ancien Président de la république était venu en effet plusieurs fois à Dinard pour se reposer tout en gardant son légendaire sens du contact avec les gens, souvent lors de ses promenades, salué par quelques mots ou pour des photos.

Cette année c'est donc le 30ème anniversaire. On y éprouve un peu de nostalgie, notamment parce qu'il s'agit aussi de l'édition requiem du directeur artistique historique du festival, Hussam Hindi.

Mais pour autant le plus important est de regarder vers le futur, et y découvrir les prochains nouveaux talents. Les films en compétition sont pour beaucoup des premiers films, dont un seul, The Last Tree a un distributeur en France. Les différents membres de jury ont été officiellement présentés. Pour les courts-métrages le président est le réalisateur Shane Meadows, révélé en 1995 justement par un court-métrage, dont la plupart des films ont été présentés à Dinard : cette année il y accompagne aussi la projection de sa série The Virtues. Pour les longs-métrages, c'est Sandrine Bonnaire qui joue à la présidente, elle avait d'ailleurs tourné deux fois dans la ville de Dinard pour Claude Chabrol (La cérémonie, Au cœur du mensonge).

Elle n'aura pas à "juger" les deux films "d'espionnage" présentés hors-compétition: une investigation et un interrogatoire, autour de deux femmes loyales à leurs pays, mais encore plus fidèles à leurs valeurs, avec une Angleterre assujettie aux Etats-Unis et ennemie des Soviétiques ou des Irakiens. Deux femmes courageuses, l'une mariée à un kurde de Turquie qui n'a toujours pas le droit d'asile, l'autre amoureuse d'un réfugié d'origine russe. Un risky business qui va bouleverser leurs vies, en plus de ternir leur réputation.

Official Secrets, le film d'ouverture représente à lui seul un certain état d'esprit des cinéastes britanniques : remettre en cause l'autorité. Ici particulièrement dénoncer une manipulation américaine et les mensonges du gouvernement du premier ministre Tony Blair, qui, en 2003 s'est soumis aux Etats-Unis pour lancer une guerre en Irak. Official Secrets de Gavin Hood est l'adaptation d'un livre qui retrace les évènements qui ont suivi la diffusion à la presse d'un mémo secret envoyé par la NSA américaine aux services de renseignements anglais : chercher des renseignements à propos de certains membres du conseil de sécurité de l'ONU pour les obliger à voter en faveur de la guerre que souhaite entreprendre les Etats-Unis du gouvernement Bush... Les grandes lignes de cet évènement politique sont connues : il fallait aux américains trouver des preuves d'armes de destruction massive en Irak ou un vote de l'ONU pour être autorisés légalement à déclencher cette guerre, même si elle sera considérée comme illégale. L'histoire moins connue est celle que raconte ce film : Katharine Gun, une employée des services de renseignements britanniques, a donc fait fuiter en 2003 à la presse un document interne à propos de pressions pour que Tony Blair au nom de l'Angleterre soutienne ce projet de guerre...

Official Secrets tient autant du film d'espionnage à suspense, de l'enquête journalistique, que du thriller de conspiration politique tout en rendant hommage à une lanceuse d'alerte qui sera intimidée et poursuivie pour trahison. Cette femme à la fois héroïne et victime est incarnée par Keira Knightley, avec autour d'elle Ralph Fiennes, Matthew Goode, Adam Bakri, Matt Smith, Rhys Ifans... Autant le casting que la mise en scène est au service de cette intrigue qui débute comme une investigation -un peu comme la série State of play, qui déjà abordait cette question de l'Irak... -  pour s'emballer ensuite vers une succession de conséquences imprévisibles. Chaque problématique (divulguer un document secret ? authentifier un document secret ? trouver la source ? menacer la source ? s'opposer au gouvernement ?...) donne l'occasion à Keira Knightley de briller dans cette histoire incroyable mais vraie, où les convictions et la paix ont motivé ses décisions.

Il fallait du cinéma bigger than life pour ouvrir ce 30e Dinard Film Festival. Rien de mieux qu'une histoire vraie, fil conducteur de cette édition. Pour Hussam Hindi, son directeur artistique au long de ces années, "le cinéma britannique est magnifique, il est nécessaire, c'est un cinéma qui regarde le monde".

Et, coïncidence de la programmation, le même jour, était présenté un regard sur le monde à travers une autre lanceuse d'alerte. Un autre film d'espionnage, Red Joan, réalisé par Trevor Nunn, qui porte sur les années 1930-1940. Si Official Secrets trouvait son enjeu juridique dans une loi concoctée sur mesure par Margaret Thatcher, Red Joan se place sous la loi des secrets d'état de 1920. Une brillante scientifique tombe amoureuse d'un jeune communiste juif, d'origine russe, mais avec un passeport allemand, à Cambridge. En travaillant sur la future bombe nucléaire, la jeune Joan a les moyens de transmettre des documents à l'URSS de Staline. C'est la catastrophe d'Hiroshima qui la conduit à partager les connaissances de son laboratoire, afin d'équilibrer la menace nucléaire entre les deux camps, et assurer une paix durable. Plus de 50 ans après, elle est arrêtée pour avoir violé 27 secrets d'Etat.

Toutes deux parfaites, Judi Dench et Sophie Cookson incarnent la véritable Joan Stanley, à deux époques différentes. Outre le récit maîtrisé et la belle image rappelant les films des années 1950, Red Joan séduit aussi par son aspect romanesque et les questions qu'il pose. Mais, avant tout, comme le dit le personnage, juger une époque passée avec un regard contemporain n'a aucun sens, si on sort les événements et les opinions de leurs contextes. Que ce soit 16 ans ou 75 ans plus tard, le cinéma rappelle justement que le passé peut trouver un écho dans le présent et que la trahison suprême c'est celle de mentir aux citoyens ou de les mettre en péril avec de mauvaises décisions.

Traîtresses ou pacifistes? Dès que la propagande des gouvernements, au détriment de la protection de leurs citoyens, est menacée par des comportements individuels, ceux-ci répliquent avec force et cherchent à discréditer ceux qui osent les défier. Dans les deux films, l'Etat se défausse, lâchement, après avoir mis toute sa puissance pour discréditer ces femmes patriotes.

Dinard 2019 : Happy Thirty!

Posté par kristofy, le 25 septembre 2019

Welcome! Bienvenue en Bretagne, sur les plages de la côte d’émeraude, à Dinard : du 25 septembre au 29 septembre octobre se déroule le 30e Dinard Film Festival, anciennement festival du film britannique, qui va présenter une nouvelle fois un large panorama du cinéma d'Outre-Manche.

C'est la 30ème édition, c'est-à-dire 30 ans de passion partagée pour "permettre à des films rares, originaux et indépendants de rencontrer les distributeurs et le public français". Des films, qui, d'ailleurs, ne sortent pas forcément dans les salles hexagonales.

On soufflera ces 30 candles in the wind en poursuivant cette mission de curiosité. Jean-Claude Mahé (maire de Dinard) l'explique ainsi: "Il y a 30 ans, Dinard devenait la vitrine du cinéma britannique. Le Dinard Film Festival a toujours eu à cœur de montrer les productions de l’industrie cinématographique britannique dans toute leur diversité : longs-métrages, courts-métrages, documentaires et séries, mais toujours remplies d’un fort esprit d’auto-dérision et d’humour." So british.

C'est aussi l'occasion de jeter d'un regard en arrière, sur quelques moments forts des éditions passées. Dinard a rendu hommage  à des talents britanniques comme Hugh Hudson, Shane Meadows (de retour cette année comme président du jury des courts-métrages), Peter Mullan, John Hurt, Tom Courtenay, Toby Jones, Kate Dickie, Gary Lewis, Christopher Smith, Jim Broadbent, Bill Nighy...De Roger Moore à Hugh Grant en passant par Christopher Lee et Charlotte Rampling, les stars n'ont jamais manqué. Même si l'on rêve encore et toujours d'y croiser les grandes dames (Mirren, Smith, Dench, Redgrave...) ou quelques étoiles de la jeune génération (Radcliffe, Harrington, Madden, Tovey...). Tout comme on se ferait bien une rétrospective de vieux films anglais.

Cette année Dinard déroulera son tapis rouge au réalisateur Mike Leigh avec la projection de 4 films dont son dernier resté inédit  en France, Peterloo, en compétition à Venise en 2018.

Découvertes

Certains des plus prestigieux films britanniques ont été présentés à Dinard en séance d'ouverture ou de clôture :  Vera Drake de Mike Leigh, Somers Town de Shane Meadows, Neds de Peter Mullan,  Millions de Danny Boyle, The Queen et Confident Royal de Stephen Frears, It's a Free World de Ken Loach, Nowhere Boy de Sam Taylor-Wood, Perfect Sense de David Mackenzie, Sunshine on Leith de Dexter Fletcher, Wallace et Gromit: Le Mystère du lapin-garou de Nick Park...

Les séances spéciales ont permis de découvrir autant de grands succès en avant-première, souvent récompensés quelques mois plus tard par un Bafta ou un Oscar, que de grandes réussites artistiques : The Descent de Neil Marshall, Reviens-moi de Joe Wright, Maintenant c'est ma vie de Kevin Macdonald, Hyena de Gerard Johnson, God Help the Girl de Stuart Murdoch, The Survivalist de Stephen Fingleton, 45 Years de Andrew Haigh, Detour de Christopher Smith, Adult Life Skills de Rachel Tunnard, Their Finest de Lone Scherfig, À l'heure des souvenirs de Ritesh Batra, The Limehouse Golem de Juan Carlos Medina, Scarborough de Barnaby Southcombe...

Dinard a aussi joué ici un rôle précurseur : en 1994, un certain Danny Boyle était primé pour Petits meurtres entre amis, en 1999 le premier film de Christopher Nolan Following était en compétition, en 2001 l'acteur Daniel Craig était membre du jury avant de devenir James Bond, en 2002, Paul Greengrass était consacré avec son Bloody Sunday, deux avant de se lancer dans l'aventure Jason Bourne, on découvrait Andrew Garfield dans Boy A en 2008. Les Hitchcock d'or ont primé autant de comédies que de drames sociaux, de comédie musicale que de films classiques ou des films de genre. Et parfois, avouons-le, on rageait de ne pas pouvoir les défendre pour une sortie française.

Avec les années, le Dinard Film Festival a proposé une sélection de plus en plus pointue en compétition pour le Hitchcock d'or, remis par un jury franco-britannique. Sandrine Bonnaire, dans Le Figaro d'aujourd'hui, présidente durant quatre jours promet de jouer la démocratie au sein de son jury. Dinard lui rappelle le tournage de La Cérémonie de Claude Chabrol. Mais surtout elle aime le cinéma britannique pour son audace, son inventivité, sa dérision et parfois son univers un peu noir.

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30e édition du Dinard Film Festival
Du 25 septembre au 29 septembre à Dinard
Informations et horaires sur le site de la manifestation

Dinard 2018 – Monica Bellucci: « Le monde de l’image m’a toujours inspiré »

Posté par kristofy, le 29 septembre 2018

monica bellucci © ecrannoir.fr« Je suis comme une muse, prenant plaisir à observer le talent de l'artiste qui fait son portrait, et qui ne vient à la vie qu'au travers de celui qui lui donne forme. Au fond cela ressemble à l'amour : on ne se donne avec ardeur et générosité qu'à celui qui saura nous faire vibrer et nous révéler à nous-mêmes. » Ce sont les mots de Monica Bellucci, pour la préface du livre de ses plus belles photos, à propos de ses diverses expériences devant un objectif de caméra. Lors de sa conférence de presse, l'ex-mannequin passée actrice internationale a refusé de séparer la mode, la photo et le cinéma: "Le monde de l'image m'a toujours inspiré."

Une poignée de films tournés presque à la suite révèle à la planète Monica Bellucci l'actrice aux multiples facettes; à la recherche d'esthétiques ou d'expériences éclectiques : L'Appartement de Gilles Mimouni, Dobermann de Jan Kounen, Malèna de Giuseppe Tornatore, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre d'Alain Chabat, Irréversible de Gaspar Noé. Dès lors c'est toute une galaxie de réalisateurs qui ont voulu la filmer : le duo Wachowski, Mel Gibson, Spike Lee, Terry Gilliam, Bertrand Blier, Alain Corneau, Marina De Van, Philippe Garrel, Emir Kusturica...

Durant ce Dinard Film Festival britannique on découvre Monica Bellucci dans un nouveau rôle, celui de présidente du jury. A l'heure du thé elle s'est prêtée au jeu des photos et de quelques confidences.

Monica, la spectatrice: "Le cinéma est un message important pour la culture et l'esprit, ce qui nous fait évoluer. Je suis une spectatrice avec un regard presque enfantin, j’ai toujours cette capacité d’être éblouie. Mon amour pour le cinéma a commencé avec les films italiens de Rossellini, Fellini, Visconti, ..."

Monica, l'actrice : "Toute jeune ça m’arrivait de regarder 2 ou 3 films par jour, toute seule. Le cinéma français m’a accueillie, et ensuite mon parcours est passé par des tournages dans plein de pays différents. Je mesure cette chance. Je ne choisi pas un projet en fonction du temps de présence à l’écran du personnage, ce qui compte pour moi c’est surtout le scénario. Par exemple j’ai travaillé plusieurs années sur le film de Emir Kusturica et trois minutes avec David Lynch. J’ai dit non à certaines propositions de très grands réalisateurs à cause du scénario."

Monica, la présidente : "Quand on est jeune on est d’abord jurée et plus tard on est président de jury : l’âge a ses avantages (sourire). C’est parce que j’ai déjà eu cette expérience de jurée à Cannes que j’ai accepté ce rôle de présidente de jury à Dinard. La sélection des films est très étonnante, mais je ne peux rien vous dire encore de mon préféré. Ce que j’attends c’est la surprise."

Et si on lui demande dans quel film d'Hitchcock elle aurait aimé jouer, elle répond tout simplement: "J'étais trop brune pour lui".

Dinard 2018: la crème de la crème anglaise

Posté par kristofy, le 28 septembre 2018

Le Dinard Film Festival est lancé, depuis le 26 septembre jusqu'au 30. C'est la 29e édition de ce festival du film britannique : toute la ville s'est mise à l'heure anglaise avec drapeaux et cabine téléphonique d'outre-Manche. C'est l'occasion de découvrir en avant-première sur grand-écran un large panorama de films inédits avec, au générique, Emily Mortimer, Bill Nighy, Andrew Garfield, Claire Foy, Glenn Close, Gillian Anderson, Terence Stamp, Tom Wilkinson, Colin Firth, Paddy Considine, Jodie Whitaker, Billy Zane, Sam Claflin, Toby Jones, Paul Bettany, Judi Dench, Maggie Smith, Eileen Atkins, Kelly Reilly... La crème de la crème anglaise...

Des hommes cassés

Dinard c'est aussi le festival qui révèle au public français les jeunes talents en devenir de demain : par exemple l'acteur Andrew Garfield a vu son premier film Boy A recevoir il y a 10 ans le Grand prix du jury Hitchcock d’or et le Prix du public en 2008. Cette année, le film d'ouverture est justement le premier film en tant que réalisateur de Andy Serkis (Gollum, César et autres performances numériques), Breathe avec en vedette ce même Andrew Garfield et Claire Foy. Il s'agit du biopic bouleversant de Robin Cavendish qui, à peine marié, avec son épouse (enceinte) est atteint par la polio, qui va le paralyser de tout ses membres. Il se retrouve allongé relié à une machine respiratoire, emprisonné dans une existence qu'on pense de courte durée, mais l'amour de sa femme lui redonne goût à la vie : une chaise roulante équipée du respirateur va lui permettre de rentrer à la maison et même de voyager! Cette renaissance aventureuse et romantique va au fil des années poser des questions comme l'intégration du handicap dans la société ou le choix de l'euthanasie... Le film a été initié et produit par leur fils.

Par ailleurs le premier film de Paddy Considine Tyrannosaur avait remporté en 2011 le Grand prix du jury Hitchcock d’or et le Prix du scénario. C'est comme une évidence de voir ici son nouveau long métrage Journeyman dans lequel il se donne le premier rôle avec Jodie Whittaker (venue plusieurs fois à Dinard). La thématique de guérison quand on a tout perdu traverse là aussi cette histoire : un champion du monde de boxe s'effondre victime d'un grave traumatisme crânien, il a besoin de rééducation des membres mais surtout il a perdu la mémoire et ne reconnait plus sa femme, son bébé ni même ses amis...

Brexin

Cette année la présidente du jury est Monica Bellucci. Une italienne. Elle avait fait succomber l'agent secret britannique James Bond dans Spectre.Mais, après tout, la nationalité des cinéastes ou des comédiens, importent peu. Il suffit de voir The Bookshop, typiquement britannique dans son ADN (intrigue, décors, acteurs, ...), qui est réalisé par la catalane Isabel Coixet. Là aussi d'ailleurs on y voit un homme brisé (Bill Nighy, formidable) par les hypocrisies et les méchancetés des gens, et qui se réfugie dans les livres, tout en renouant avec le goût de la vie grâce à une libraire.

Autour d'elle, il y a Rupert Grint (de la sage Harry Potter), très entouré de jolies filles aux soirées, Emmanuelle Bercot, Kate Dickie, fidèle et adorée du festival, Sabrina Ouazani, Thierry Lacaze, de Studiocanal, Alex Lutz, et l'acteur Ian Hart  (auquel Dinard va rendre hommage). Pour la récompense du Hitchcock d'or, ils verront, comme le nouveau jury de la presse qui décernera le premier Hitchcock d'or de la critique:

- Funny Cow d'Adrian Shergold (Prix du public à Dinard en 2006), avec Maxine Peake, Paddy Considine et Stephen Graham.
- The Happy Prince de Rupert Everett, avec Rupert Everett, Colin Firth et Emily Watson. Premier film de l'acteur, présenté à Sundance et Berlin.
- Jellyfish de James Gardner, avec Liv Hill, Sinead Matthews et Cyril Nri. Double prix d'interprétation à Edimbourgh cet été, après avoir été présenté au Festival de Tribeca.
- Old Boys de Toby MacDonald, avec Alex Lawther, Pauline Etienne et Denis Ménochet. Le film a fait son avant-première à Edimbourgh.
- Pin Cushion de Deborah Haywood, avec Lily Newmark et Joanna Scanlan. Prix du public à Créteil, trois fois nommé aux British Independent Film Awards et en sélection à Venise l'an dernier.
- Winterlong de David Jackson, avec Francis Magee, Carole Meyers et Doon Mackichan. Premier film présenté en avant-première à Edimbourgh.

Malgré le soleil radieux de la Bretagne, les salles obscures sont pleines. A quelques mois du Brexit qui menace la Culture au Royaume-Uni, notamment dans ses liens avec les coproducteurs européens, le cinéma britannique montre encore sa vitalité et sa diversité.

Dinard 2017 : retour sur la compétition

Posté par MpM, le 30 septembre 2017

C'est une compétition étonnamment homogène que propose cette année le Festival de Dinard. En tout six longs métrages britanniques dans lesquels le parcours individuel prime sur le collectif, et dans lesquels on assiste presque systématiquement à un combat pour sortir d'une impasse ou atteindre une certaine forme de rédemption. On peut ainsi dresser d'importants parallèles entre les personnages, tous aux prises avec un moment charnière de leur existence, en quête d'un sens à leur vie, contraints de se battre (au propre comme au figuré, chacun avec ses propres armes) pour atteindre le but qu'ils se sont fixés et, peut-être, retrouver leur dignité, ou tout simplement le bonheur.

Même la construction des films se répond, qui montrent tous des êtres en situation d'échec auxquels un cheminement initiatique permettra de sortir de l'impasse, ou de prendre un nouveau départ : une femme abandonnée, malade et pauvre dans Pili de Leanne Welham ; un boxeur alcoolique et raté dans Jawbone de Thomas Napper ; un adolescent mal dans sa peau et dans sa vie dans England is mine de Mark Gill ; une trentenaire à la dérive dans Daphne de Peter Mackie Burns ; un Britannique mi-boxeur mi-dealer condamné à une lourde peine de prison en Thaïlande dans Une prière avant l'aube de Jean-Stephane Sauvaire ; un jeune homme malheureux et frustré dans une ferme du Yorkshire dans Seule la terre de Francis Lee.

D'ailleurs, les situations se répondent : Daphne et le jeune agriculteur de Seule la terre noient leur mal-être dans l'alcool et les aventures sexuelles sans lendemain ; les boxeurs de Jawbone et Une prière avant l'aube jettent toutes leurs forces dans un ultime combat en forme de coup de dé ; et tous savent saisir l'opportunité qui leur est offerte, parfois à n'importe quel prix, et souvent à l'issue d'un long combat intérieur. Pili doit décider jusqu'où elle est prête à aller pour obtenir un kiosque de commerçante, le jeune Steven Morrissey doit mettre ses réticences et son angoisse de côté pour avoir le courage de refonder un groupe ; l'éleveur de Seule la terre doit apprendre à communiquer pour ne pas passer à côté de sa vie...

L'autre grand point commun entre ces six films est qu'ils sont tous, à leur manière, porteurs d'espoir. Les personnages ne se laissent enterrer ni par la vie, ni par le scénario, et tous trouvent ce qu'ils cherchaient au bout du chemin, que ce soit le pardon, la rédemption, la paix intérieure ou tout simplement l'amour. Un constat plutôt optimiste assez symptomatique d'une époque où chacun aspire à un accomplissement personnel et à une existence pleinement choisie. C'est ici le matériau humain qui est au centre des récits, bien plus que les grands sujets de société qui émaillent parfois les récits. Peut-être est-ce justement le constat d'un certain échec du collectif. Puisque la société semble incapable de résoudre les problèmes de ses membres, c'est à chacun de trouver ses propres ressources pour trouver le bonheur. Puisqu'il est impossible de changer le monde, commençons-donc par nous changer nous-mêmes.

England is mine de Mark Gill


Ce premier long métrage de Mark Gill, dont le titre original est Steven before Morrissey, est un biopic étrange qui pourrait aussi bien être un récit initiatique sur un adolescent lambda et archétypal qui se rêve en artiste. On y suit en effet le combat d'un jeune homme introverti et pas du tout adapté à son époque, quoique convaincu de sa propre valeur, pour trouver sa voie dans le monde de la musique.

Très rythmé, avec des dialogues efficaces, et une bonne dose d'ironie, le film raconte brillamment les quelques années ayant précédé la création du groupe The Smiths. Ne prenant jamais son personnage au premier degré (le génie méconnu), il le montre dans toute sa complexité, ses contradictions et ses travers. On sent ainsi à la fois la frustration de ne pas réussir, et le décalage fondamental entre ses aspirations et la réalité. L'une des meilleures idées du scénario est également de ne quasiment jamais montrer le personnage en train de chanter, mais de lui avoir au contraire donné la parole dans des monologues intérieurs d'une grande puissance.

Jawbone de Thomas Napper


Dans Jawbone, on suit un ancien boxeur ayant échoué après avoir été un jeune champion prometteur. Seul, à la rue, aux prises avec une addiction à l'alcool... le personnage semble dans un premier temps condamné par le récit qui ne lui laisse guère d'échappatoire. Mais c'est pour mieux mettre en lumière ce moment charnière de son existence où il essaye d'effacer en un coup toutes les erreurs du passé. Il s'extrait ainsi de la fatalité dans laquelle on le croyait enfermé, et va jusqu'au bout de son combat pour une vie meilleure.

On est dans un schéma assez classique à la fois pour ce qui est du "film de boxe", mais aussi du film de rédemption. Rien de très original, non, et d'indéniables longueurs qui alourdissent le propos déjà pas franchement subtil du film. Les séquences de combat posent malgré tout la question du corps des hommes, moins exposé que celui des femmes, et pourtant soumis à la même terrible contrainte économique : le personnage livre son corps en pâture aux coups de son adversaire, et accepte de risquer sa vie pour gagner un peu d'argent. Le film induit la question de la fatalité : dans quelle mesure a-t-il le choix de refuser ce combat de tous les dangers alors qu'il a déjà tout perdu  ?

Pili de Leanne Welham


Pili est une mère courage qui se bat pour réunir la somme d'argent lui permettant d'ouvrir un petit commerce, et de quitter la dure vie d'ouvrière agricole. Cette intrigue extrêmement classique (voire rebattue) permet au film de dresser un portrait très riche de la vie dans la campagne tanzanienne.

La réalisatrice a rencontré 80 femmes pour écrire le scénario du film, et a condensé leurs histoires en un seul personnage, ce qui se sent dans la profusion de tuiles qui tombent sur la jeune femme en quelques jours. Le résultat est presque anecdotique, et plein de bons sentiments. Malgré tout, on retrouve au coeur du film la volonté indéfectible du personnage d'atteindre son but : obtenir une vie meilleure, coûte que coûte.

Une prière avant l'aube de Jean-Stéphane Sauvaire


Une prière avant l'aube mélange les passages obligés du film de prison avec ceux du film de boxe. Cela donne une oeuvre assez classique dans son écriture, et qui ne recule devant aucun cliché. Mais son principal problème vient de sa mise en scène absurdement "arty", avec une caméra qui ne tient pas en place, rendant souvent l'action illisible, et a contrario de longs plans insistants sur les éléments les plus complaisants, de la promiscuité dans les cellules aux viols en passant par une pendaison.

Là encore, le film est par moments un prétexte pour parler des prisons thaïlandaises : trafics illégaux, gangs rivaux, violence latente... Tout y passe, dans une surenchère qui donne assez rapidement l'impression que plusieurs histoires (vraies, puisque le film s'inspire d'une histoire vraie) ont été condensées en une.

Daphné de Peter Mackie Burns


Plus ténu, Daphe est le portrait peu complaisant d'une trentenaire insidieusement mal dans sa peau, en panne dans sa vie, dont on suit la trajectoire intime à travers une (longue) succession d'épisodes tantôt cocasses, tantôt désespérants.

Ce que recherche l'héroïne, et ce qui lui manque, est moins tangible, moins concret que dans les autres films. On est sur un destin plus intérieur, moins immédiatement appréhendable. On a donc tendance à rester extérieur aux atermoiements de la jeune femme, jusqu'à ce que la dernière partie du film éclaire subitement le personnage et ses aspirations, nous le rendant enfin plus compréhensible et attachant.

Seule la terre de Francis Lee


Probablement le film le plus accompli de la sélection, malgré quelques longueurs, Seule la terre suit John, un jeune éleveur du Yorkshire coincé dans une vie rude et monotone qu'il n'a pas choisie. Frustré, malheureux, incapable de communiquer avec les autres, il va peu à peu retrouver une raison de se battre et d'aspirer au bonheur.

On admire la finesse d'écriture du scénario qui sans jamais surligner le moindre effet, nous permet peu à peu de comprendre le personnage principal, la situation de blocage dans laquelle ils se trouve, et le lent processus qui lui permet de s'ouvrir aux autres et à lui-même. Un premier long métrage intelligent, drôle, et très joliment filmé, qui a des faux airs de feel good movie rural et romantique.

[Hommage à Dinard 2017] 3 questions à Christopher Smith

Posté par kristofy, le 28 septembre 2017

Le Festival du film britannique de Dinard avait plusieurs fois invité le réalisateur Christopher Smith à présenter ses films: une chance puisque puisqu'il s'agit souvent de la seule occasion de les voir dans une salle de cinéma en France.

Cette année le Festival lui rend un hommage, offrant ainsi l'opportunité de voir les différentes facettes de son travail. Une femme enfermée la nuit dans les couloirs du métro qui va découvrir qu'il y aurait une sorte de monstre (Creep), les employés d'une entreprise en week-end d'intégration qui vont être désintégrés les uns après les autres dans une comédie à l'humour noir sanglant (Severance), une naufragée en pleine mer sauvée par l'apparition d'un paquebot où apparemment il n'y a personne mais pas totalement (Triangle), dans l'Angleterre du 14ème siècle ravagée par une peste mortelle il y aurait un petit village où des gens survivraient (Black Death), un petit garçon et ses parents qui vont devoir aider le Père Noël à s'évader d'une prison (Get Santa) [par ailleurs Jim Broadbent joue dans ce film et il sera aussi honoré à Dinard] ou encore un jeune homme engageant un couple de voyous pour tuer son beau-père mais (Detour)... autant de personnages, de genres (de la comédie familiale au road-movie sanglant), de contre-point au formatage cinématographique qui font de ce cinéaste méconnu un auteur à découvrir.

L'occasion pour Ecran Noir de lui poser trois questions.

EcranNoir : On vous a découvert avec Creep il y a une dizaine d’années : au fil du temps, qu’est-ce qui est devenu plus facile ou plus compliqué pour faire un film ?
Christopher Smith : On pourrait croire qu’avoir un nom de réalisateur un peu connu dans la profession c’est plus facile, oui bien sûr, mais pas vraiment. Il y a l’idée générale dans la vie de gagner plus d’argent et d’en dépenser moins pour ça : la production d’un film c’est un peu pareil. Parfois pour tourner un film je dispose d’un budget confortable pour ce que je veux faire, comme par exemple le dernier Detour (photo) que j’ai pu faire comme il fallait. Pour d’autres films précédents, j’avais une très grande ambition qui devait s’arranger d’un budget un peu insuffisant. Je suis en train d’écrire un scénario qui devrait être un film à gros budget, je ne sais pas ce qui arrivera...

C’est naturel de vouloir se dépasser et d’avoir des ambitions créatives plus fortes. Après avoir fait Get Santa, on aurait pu penser que c’était le genre de "film de noël commercial" qui aurait du succès, et en fait il n'en a pas eu pas tellement à l’international, donc ça n’est pas plus facile ensuite. Pour le film Triangle, à priori plus bizarre, ça a pris beaucoup de temps pour pouvoir le faire (ndlr : voir ce qu'il nous en disait ici). Et pendant que j’étais sur ce projet de Triangle j’ai eu la proposition de réaliser Black Death juste après. j'ai donc enchaîné deux films à la suite mais après; j'ai dû attendre quatre ans pour revenir au cinéma. Ce que j’essaye de dire c’est qu’il faut un certain temps et un certain budget pour réaliser un film en respectant son imagination et ses ambitions. Woody Allen a fait des dizaines de films avec un petit budget avec lequel il peut contenir son monde, son imaginaire. J’écris des films pour lesquels souvent le budget ne peut pas contenir mon monde, alors ça prend plus de temps de pouvoir les faire.

EN : En France vos deux premiers films Creep et Severance sont sortis dans les salles de cinéma, mais pour les suivants Triangle, Black Death et Get Santa ça n’a pas été le cas et ils sont arrivés directement en dvd…
Christopher Smith : Je sais que je ne devrais pas dire ça comme ça, mais je ne veux pas y accorder une trop grande importance car ce qui compte vraiment c’est que les films circulent et qu’ils puissent être vus. Par exemple le cas de Get Santa est révélateur de ce genre de chose. On a découvert que, à moins d’être un très gros film de studio qui sort partout, en fait chaque pays semble sortir son propre film de Noël local quand il y en a un, mais pas un film venu d’ailleurs aussi bon soit-il. Pour Triangle c’est probable que Melissa George n’était pas considérée suffisamment comme une grande tête d'affiche. Black Death est sorti aux Etats-Unis dans un petit réseau de salles et son distributeur a pu gagner pas mal d’argent; j’aurais parié que ça arrive en France mais ça n’a pas été le cas, alors qu'il est sorti au cinéma en Allemagne. On ne sait jamais comment le film sera distribué. Pour le dernier Detour il y aurait une date de sortie en salles (ndr : en fait il est arrivé en dvd). C’est vraiment dommage parce que Black Death est un grand film qui mérite un grand écran dans une salle, je considère que c’est mon meilleur film (ndr : revoir ce qu'il nous en disait là).

EN : Avec ce dernier film Detour pour la première fois le décor n’est plus britannique, il a été tourné aux Etats-Unis : est-ce que faire un film là-bas, où il est plus naturel de voir des armes à feu, a une influence sur l’histoire qu’on écrit ?
Christopher Smith :
Il y a eu dans le passé, dans les années 50, plein de polars qu’on relie au genre film noir américain. J’adore ce type de film noir et aussi plein de thrillers américains du débuts des années 80. En fait j’aime particulièrement ce que j’appelle les ‘thrillers imaginatifs’, comme par exemple L'Inconnu du Nord-Express de Hitchcock. J’ai eu l’idée de l’histoire de Detour il y a longtemps en 2007, pendant que je cherchais le financement de Triangle. A cette époque j’étais beaucoup focalisé sur les structures d’un récit. Et pour cette histoire particulière il fallait des personnages américains dans un décor américain. On a l’impression que certaines choses ne peuvent se passer qu’aux Etats-Unis et que ça ne serait peut-être pas logique ailleurs. J’avais d’ailleurs eu à l’époque un producteur exécutif américain qui était partant pour lancer une production mais le projet a été mis en parenthèse puisque j’ai pu faire Triangle puis Black Death. Ce n'est que plusieurs années plus tard que j’ai développé de nouveau l’idée de Detour.

Si j’avais fait Detour en Angleterre ça aurait été à propos de l’Angleterre ou ici en France ça aurait été à propos de la France, le film aurait eu la couleur du pays. Faire ce film aux Etats-Unis , ce n'est pas à propos du pays mais c’est tout de suite directement en rapport avec les films américains, avec une certaine mythologie de codes du cinéma américain que, bien entendu, j’ai manipulé à ma façon. J’ai commencé avec l’idée d’un jeune qui voudrait tuer son beau-père et que son destin serait différent selon s'il le tuait ou pas. Detour est un jeu de structure avec des twists que le spectateur doit lui reconstruire, il fallait quelques balises. Pour revenir à ce qu’on disait, le processus de faire un film c’est comme l’expression 'man plans, God laughs', il y a tellement de paramètres incontrôlables…

Ce 28ème Festival du Film britannique de Dinard a programmé des projections de Severance, Triangle, Black Death . Une rencontre avec le public est également prévue.

Dinard / PIFFF 2016 : Rencontre avec la réalisatrice de « Prevenge » Alice Lowe

Posté par kristofy, le 6 décembre 2016

Le film Prevenge a été présenté en compétition durant le 27e édition du Festival de Dinard en octobre. Ce premier long métrage avec un humour noir particulièrement féroce montre une femme enceinte qui suit les conseils de son fœtus pour aller tuer différentes personnes sont elle veut se venger...
On croise les doigts pour une sortie du film prochainement en France, mais déjà pour les parisiens une bonne nouvelle : Prevenge est en compétition au PIFFF, le Paris International Fantastic Film Festival qui commence aujourd'hui (pour s'achever le 11 décembre) septembre au Max Linder Panorama : rendez-vous à la projection samedi 10 décembre à 19h30.

En attendant, nous avions rencontré sa réalisatrice et actrice Alice Lowe à Dinard avec son bébé dans les bras :

Ecran Noir : Après le film Touristes ou vous étiez à la fois scénariste et actrice, pour Prevenge vous êtes à la fois scénariste actrice et aussi la réalisatrice, qu’est ce qui vous a inciter à passer derrière la caméra cette fois ?
Alice Lowe : Après la belle expérience qu'a été Touristes j'ai eu envie de réaliser moi-même un film, mettre en scène c’est en fait un désir que j’avais au fond de moi depuis longtemps. Après Touristes j’avais un projet de film que je voulais faire mais ça prenait beaucoup trop de temps à se mettre en place niveau production, c’était un gros projet et donc ce n'était pas facile de trouver le budget vu que je n’avais pas vraiment d’expérience significative comme réalisatrice, à part un court-métrage. Alors il y a eu un autre projet plus simple et moins risqué au niveau du financement où j’ai pu disposer d’un petit budget avec lequel je pouvais faire ce que je voulais : et c’est devenu Prevenge. J’ai voulu proposer le scénario à un autre réalisateur qui m’a répondu que c’était trop sombre pour lui qui faisait plutôt des comédies romantiques. Il a adoré le script mais il m’a dit qu’il ne saurait pas le mettre en image et qu’il fallait que ça soit moi qui le réalise, que j’étais la meilleure personne pour en faire un bon film. A ce moment-là ce n’était pas mon projet de le réaliser parce que j’étais enceinte, j’avais beaucoup de choses à gérer et je pensais que c’était idiot de me rajouter ça en plus. C’était pourtant évident que le réaliser était la bonne décision. J’étais tellement prête depuis longtemps à réaliser un film que je pouvais faire n’importe quel film, et surtout celui-là vu le contenu de l’histoire. Comme c’était un petit budget on pouvait éventuellement se permettre de stopper le tournage une journée si j’étais malade, ou on pouvait reporter si mon bébé arrivait plus tôt que prévu. Finalement le tournage a été prévu au moment vers mon septième mois de grossesse, j’ai tourné le film en 11 jours et tout c’est très bien passé.

"Il va y avoir du sang!"

EN : Il y a plusieurs scènes de violence graphique dans le film : comment trouver l’équilibre entre montrer un peu de sang, beaucoup de sang, vraiment beaucoup de sang, est-ce que vous vous êtes fixé des limites pour les images violentes ?
Alice Lowe : Comme c’était un petit budget j’avais une complète liberté, et donc aucune limite au niveau de la violence. J’aurais voulu encore plus de scènes sanglantes d’une certaines manière mais on n’avait pas le temps. Préparer le sang et les blessures ça prend environ 2 heures, tout a été fait pour de vrai devant la caméra avec quelques pompes de faux sang et du maquillage, bref les effets spéciaux sanglants on les a fait en direct. Pour certains plans j’ai trouvé que ça ne faisait pas assez et pour que ça fasse plus il y a eu après un petit peu de post-production avec des effets numériques, mais très peu. Je ne me suis fixée aucune limite, d’ailleurs être enceinte c’est aussi à propos de ça : il va y avoir du sang! Souvent au cinéma un accouchement c’est quelqu’un qui attend dans une autre pièce et on entend des cris mais on ne voit rien, je voulais qu’on voit du sang pour ce moment. Le film se devait presque de montrer du sang pour les différentes victimes, il s’agit d’exprimer qu’une grossesse est quelque chose de dangereux. Une grossesse ce n’est pas quelque chose de doux et mignon avec des fleurs, c’est quelque chose qui transforme le corps. La grossesse c’est la destruction d’une identité et en même temps la création d’une nouvelle identité, et c'est ça que je voulais montrer de manière drôle et à la fois effrayante.

EN : Prevenge a été sélectionné à Dinard parmi les films en compétition, alors que ce type de film est souvent catalogué en séance spéciale ou en séance de minuit ?
Alice Lowe : C’est un formidable honneur d’être en compétition à Dinard, c’est valorisant d’être pris au sérieux. J'adore les films de genre comme l'horreur ou le fantastique et ça ne me dérange pas d’être programmée en séance nocturne, mais c'est bien aussi d'être en compétition avec des films qui n'ont rien à voir. Déjà Prevenge avait été choisi par la Semaine de la Critique à Venise. Nous étions ravis. Je crois que le festival de Dinard est très ouvert à promouvoir autant des comédies que des nouveau auteurs. Dinard semble très en avant-garde d’une certaine manière. Je suis très surprise des réactions des festivaliers : ici le public est très curieux et avide de nouvelles expériences cinématographiques. Quand j'ai appris que j'étais dans la compétition, ça a été: 'ouah vraiment ? oh, c'est fabuleux'. Vous savez c’est un premier film fait en onze jours avec un petit budget, alors on n’imagine pas être en compétition avec d’autres projets qui ont eu des budgets bien plus gros et des acteurs plus connus. C’est très flatteur pour ma première réalisation, une belle surprise.

"Ça serait dommage que le film soit découvert sur Netflix et en vidéo à la demande, je sais que c’est une possibilité mais je veux qu’il soit vu dans une salle de cinéma."

EN : Si quelqu’un vous dit que Prevenge est un des films favoris pour une récompense ?
Alice Lowe : C’est très gentil ça. On a une expression en Angleterre qui dit 'don't count your chickens before they're hatch' (ndr équivalent chez nous de 'ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué'). Tout ce qui se passe depuis que ce film est terminé est une surprise, chaque fois que l’on reçoit une bonne nouvelle de ce genre on est étonné. C’est un film qui m’est très personnel à propos de ma grossesse. Comment l’esprit d’une femme vit cette expérience, et je ne m’attend pas à ce que quelqu’un comprenne ça. Que beaucoup de gens apprécie et aime mon film c’est vraiment une agréable surprise. Tout ce qui arrive au film c’est comme avoir du sucre glace en plus sur le gâteau, si on gagnait un prix ça serait une cerise sur le gâteau mais on est déjà très content avec le gâteau.

EN : Quelque chose est prévu pour une distribution en France ?
Alice Lowe : Pas encore, on est toujours en discussion avancées avec des distributeurs anglais et des distributeurs américains qui sont très intéressés, on va voir pour la France et d’autres pays aussi. Quand le festival de Venise a annoncé avoir sélectionné notre film pour septembre, il était tout juste terminé. En fait il n’y a pas encore grand-monde qui a vu le film pour le moment, les gens du business en Angleterre ne l’ont pas encore vu ni même d'ailleurs certaines personnes de l’équipe (le film sortira le 10 février 2017 au Royaume Uni, ndlr). On est plutôt optimiste pour qu’il y ait une sortie en France. Ce que je veux dire c’est qu’on a vraiment fait ce film pour qu’il soit vu dans une salle de cinéma, en post-production avec le montage on a apporté un grand soin au sound-design pour un public de cinéma. Ça serait dommage que le film soit découvert sur Netflix et en vidéo à la demande, je sais que c’est une possibilité mais je veux qu’il soit vu dans une salle de cinéma. En tant que cinéaste la salle de cinéma c’est le but, on se souvient toujours de certaines expériences ou émotions ou rires lors dune projection dans une salle avec du public.

EN : Au Festival Britannique de Dinard on peut vous voir participer à deux autres films comme comme actrice : Chubby funny et Adult life skills qui sont aussi des premiers longs-métrages ?
Alice Lowe : Après avoir joué dans Touristes il y a beaucoup de gens dans l’industrie du cinéma qui ont vu et adoré ce film, et qui ont su que j’étais ouverte à participer à d’autres projets équivalents. J'étais amie avec Rachel Tunnard, je savais qu’elle était talentueuse, et quand elle a réalisé donc Adult life skills j’y ai fait un petit rôle dedans avec plaisir. Pour Chubby funny je connaissais un peu le producteur avant, le cinéma indépendant anglais est un petit monde. C’est un peu une coïncidence que je sois dans ses deux films et qu’ils soient là à Dinard en même temps que mon film Prevenge. Je me sens chanceuse que le public de Dinard puisse les voir en même temps, mais pour ce qui me concerne c’est des petits rôles où on ne me reconnait pas forcément.

Dinard 2016 : fidélité, nouveauté, curiosité… diversité!

Posté par kristofy, le 4 octobre 2016

Le 27e Festival du film britannique de Dinard a offert un large panorama du cinéma britannique, et particulièrement celui de futurs auteurs. Même si c'est un cinéaste confirmé qui a tout raflé avec une production plus soignée (car mieux dotée en budget), Sing Street, la sélection a misé sur un équilibre entre nouveaux talents, divers genres et valeurs sûres. On peut retenir deux anecdotes de cette programmation. D'une part l'inquiétude face à un avenir incertain. La jeunesse n'est pas tranquille. Elle aspire à une autre existence, meilleure, en tout cas différente. Les vieux se sentent déjà mourir et s'isolent d'un monde qu'ils ne comprennent plus. Chacun vit avec ses obsessions ou pour ses passions. Cette angoisse sourde du futur amène chacun à affronter l'inconnu, ses peurs, ou se séparer du passé. Une allégorie du Brexit?

En tout cas, clairement les cinéastes des îles britanniques savent qu'ils sont insulaires. La mer est partout. En arrière plan ou au premier plan. On y plonge dedans ou on s'y lance sur un bateau. Elle est un décor, un personnage, un élément vital. Le cinéma anglais est maritime et tous les personnages s'improvisent nageurs ou marins. Et quand il n'y a pas la mer, il y a la rivière, un lac, des arbres, un jardin, bref le naturalisme reste une manière de chercher, là encore, sa voie, une paix intérieure ou un retour à l'essentiel.

Fidélité…

Quel est le point commun entre Hugh Hudson, Rebecca O'Brien, Hayley Squires, Matteo Bini, Alice Lowe, Jo Hartley, Eileen Davies, Jodie Whittaker, Christopher Smith et Kate Dickie ? Le Festival du film britannique de Dinard aime beaucoup leurs films, tellement qu'ils reviennent régulièrement sur les écrans du festival…

Dinard avait une marraine cette année avec la productrice Rebecca O'Brien, qui outre sa participation à un débat à propos du Brexit, venait accompagner le documentaire Versus: The Life and Films of Ken Loach (elle produit ses films depuis les 20 dernières années) ainsi que I, Daniel Blake qui avait remporté la Palme d’or du Festival de Cannes (Ken Loach devenant le huitième cinéaste à être doublement palmé). On y découvre Hayley Squires qui est épatante dans le premier rôle féminin (une maman isolée), et elle est tout aussi épatante  comme second rôle dans Away (ex-junkie meilleure amie de Juno Temple), film qui a reçu une mention spéciale du président du jury Claude Lelouch.

prevengeLors du palmarès pour la sélection des courts-métrages, le prix du public a été remis au court Balcony, prix reçu au nom de l’équipe par le monteur Matteo Bini (un beau brun ténébreux italien) qui était présent à Dinard et heureux d’être pour une fois dans la lumière plutôt que dans sa salle de montage. Il y a une dizaine de semaines Matteo Bini était justement en train de finir le montage du film Prevenge (photo) pour qu’il soit prêt pour  Venise, Toronto et Dinard (en compétition). Alice Lowe, la réalisatrice/scénariste/actrice de Prevenge, est donc venue avec son nouveau né (son film, mais aussi son bébé), une "comédie" sanglante avec une femme enceinte devenant serial-killer, un petit film et un grand choc (ou l'inverse) qui a mis mal à l'aise quelques spectatrices. Pas évident de mélanger le gore avec la maternité : le bébé dans le ventre encourage la future mère à commettre une série de meurtres. Le film réserve quelques scènes dérangeantes, mais avec un sens de l’humour très particulier : « vous ne contrôlez plus ni votre esprit ni votre corps, votre bébé vous dira quoi faire… ». Jolie parabole. Dans la même lignée que Touristes de Ben Wheatley (qui était déjà co-écrit par Alice Lowe), Prevenge a su faire sensation.

Dans Prevenge on aura reconnu dans le rôle de la médecin Jo Hartley, inconnue en France mais pas de certains festivaliers puisqu’elle est au générique de Ill Manors, This is England et Dead Man Shoes tous ayant été récompensés à Dinard.

Dans les films de cette année on a aussi remarqué Eileen Davies qui avait différents rôles "seniors" dans Prevenge, This Beautiful Fantastic et dans Adult life skills où là encore il y a un petit rôle pour Alice Lowe qui joue ussi dans Chubby Funny. Décidément le cinéma indépendant anglais est une petite famille…  Adult life skills est le dernier film de la rayonnante Jodie Whittaker déjà venue plusieurs fois à Dinard (dont une année comme membre du jury) mais qui est victime d’une malédiction des distributeurs français qui ne sortent aucun de ses films au cinéma (même pas Black Sea avec Jude Law). C'est aussi le cas du culte Get Santa de Christopher Smith, venu lui pour la troisième fois à Dinard avec son film labyrinthique Detour.

Enfin, cette année l’actrice écossaise Kate Dickie a reçu un hommage du festival, tellement impressionnante et presque méconnaissable dans Couple in a hole (Hitchcock d’or l’année dernière, sorti en France sous le titre Sauvages) et dans The witch. Mais Kate Dickie a aussi un petit rôle dans Prevenge et elle joue dans le court-métrage Operator qui a reçu le prix du jury des courts. Bref, the cream of the cream.

chubby funnyNouveauté…

Certaines œuvres présentées cette année jouait avec la notion du temps qui passe (Detour, Away, Sing Street, …). Les épreuves de l'existence étaient présentes dans plusieurs films comme la difficulté de supporter un deuil, l'envie de changer de vie, ou l’espoir de débuter une histoire d’amour. Le magnifique trio ( Jack Parry Jones, Christy O'Donnell, Tara Lee) de Moon dogs mélangeait initiation, rébellion et émancipation, de façon moderne et positive : le courage d’être soi-même, de quitter sa ville, de tomber amoureux, de vivre ses rêves ; autant de choses que souhaite d’ailleurs le héros de Chubby funny (photo) même si, dans son cas, cela va se retourner contre lui. Se sentir inadapté à vivre en société est d’ailleurs un sentiment qui traverse plusieurs films à commencer par This Beautiful fantastic avec Jessica Brown Findlay (cousine anglaise et pleine de tocs d'Amélie Poulain) en jeune femme solitaire qui va devoir arranger la végétation débordante de son jardin sous peine d’un conflit avec son voisin (le fabuleux Tom Wilkinson, dont le personnage n'est pas moins névrosé en plus d'être désespéré et tyrannique). Dans Adult life skills, Jodie Whittaker, à la veille de ses 30 ans, vit encore comme une adolescente dans le cabanon de jardin de sa mère et ne sait pas comment remplir les cartons ‘à donner/à jetter/à garder’ avec tout son bric-à-brac de l’enfance où elle se réfugie. Evidemment, il y a aussi l'éternelle Bridget qui, même en vieillissant dans Bridget Jones Baby, a du mal à apprendre de ses erreurs et doit affronter l'expérience de la maternité.

Hi Lo JoeCuriosité…

Dans les films en avant-première c’est Hi-Lo Joe (photo) qui était la pépite à découvrir, bien que le film ait été déroutant pour certains. Le film semble partir un peu dans tout les sens avec un montage sophistiqué inhabituel (dont une rencontre durant un plan-séquence avec, incrusté dans l’image, le décompte d’un chronomètre pendant 5 minutes). En fait, cette frénésie visuelle annonce l’état de confusion mentale du personnage principal Matthew Statters qui devra s’efforcer  de dépasser son état de dépression pour construire une histoire d’amour qui dure avec la belle Lizzie Philips. Celle-ci lui dira des phrases comme « je veux que tu sois heureux mais je ne sais pas comment faire », « on aime pas de la même manière », « je ne connais que la moitié de toi et j’ai peur de l’autre moitié »… Hi-Lo Joe serait comme un grand-frère de Cashback avec une romance désordonnée à la 500 jours ensemble doublé d'un trauma digne de Black Swan… Bref, on espère beaucoup que le réalisateur James Kermack trouve un distributeur en France pour ce film.

Presque chaque année Dinard n’hésite pas à sélectionner un film de genre (horreur ou qui secoue) comme la serial-killeuse de Prevenge, des vampires dans Eat Local ou un petit caïd et un smart-guy sur la route du crime dans Detour.

Bref en trois jours Dinard a misé sur un cinéma britannique synonyme de ... DIVERSITÉ.