Edito: En novembre, fais ce qu’il te plait

Posté par redaction, le 5 novembre 2015

saul fia le fils de saul son of saulDernier créneau avant la sortie des mastodontes (007, Katniss, Arlo, Han Solo...). L'occasion pour les films d'auteur de profiter cette semaine de l'absence de blockbusters. A commencer par Le Fils de Saul, premier film ayant reçu le Grand Prix au dernier Festival de Cannes.

En filmant le quotidien d'un Sonderkommando, ces prisonniers juifs qui devaient aider les Allemands à génocider juifs, homos, communistes, handicapés et roms, Laszlo Nemes a opté pour un sujet tabou: la représentation de la Shoah au cinéma. Adoubé par le gardien du temple, Claude Lanzmann, Le fils de Saul est devenu "ce qu'il faut faire pour filmer les chambres à gaz et les camps de concentration". On ne contestera pas, de notre côté, la force, l'intensité du film. Emotions intenses, formalisme juste, cette expérience aussi bien sensorielle que philosophique est à voir. Quitte à être choqué. Mais au moins, une fois vu, on peut débattre du film et de cette proposition cinématographique.

Car Lanzmann ou pas, on peut, on doit débattre. Il ne s'agit pas de comparer Le Fils de Saul avec d'autres films sur le sujet (La Liste Schindler, La vie est belle, Bent...) mais bien de comprendre pourquoi Le Fils de Saul serait plus légitime, plus juste que les autres alors qu'il s'agit d'une fiction, donc d'une manipulation du réel, à l'inverse de Shoah, documentaire. On le voit, cet épisode de l'histoire remue encore et continue d'être un tabou.

Ne serait-ce que pour l'avoir transgressé lui aussi, au plus près, et pour réveiller nos mémoires, assoupies, on peut au moins remercier Laszlo Nemes de ne pas avoir eu peur d'affronter ce moloch du 7e art, ce monstre de l'Histoire.

Wes Anderson à Lyon : un Américain au pays des Frères Lumière

Posté par Morgane, le 21 février 2014

wes anderson à lyonÀ l'occasion de la sortie la semaine prochaine de son nouveau film The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson était présent à Lyon pour présenter deux avant-premières de son film (l'une au Comoedia et l'autre à l'Institut Lumière) et inaugurer sa propre plaque posée pour l'occasion sur le Mur des Cinéastes, rue du Premier Film.

Ovationné lors de son arrivée dans la grande salle de l'Institut Lumière, le francophile cinéaste de Moonrise Kingdom nous souhaite une bonne séance et se retire rapidement afin de retourner au Comoedia, où le film était projeté plus tôt, promettant de revenir ici à la fin du film pour un débat avec les spectateurs... À l'image de M. Gustave (Ralph Fiennes) dans son film, deux endroits, deux publics à satisfaire, rien de cela n'est impossible pour Mister Anderson. Le générique terminé, la salle se rallume et Wes Anderson réapparait, comme par enchantement.

Généralement les débats peinent à trouver un spectateur qui veuille bien se jeter à l'eau pour la première question. Ici les mains se lèvent avec une rapidité surprenant même Thierry Frémaux. Certains veulent savoir pourquoi Ralph Fiennes? D'autres s'intéressent aux scènes tournées à Londres ou encore à "l'obsession" du réalisateur pour l'uniforme. Wes Anderson, quant à lui, se prête volontiers au jeu, et ce avec beaucoup d'humour.

"Ralph Fiennes était fâché et quand il est faché, j'ai peur"

Pour ce qui est de Ralph Fiennes, il l'avait choisi avant même d'écrire son scenario. Concernant les scènes londoniennes, elles ne sont finalement qu'au nombre de deux, et très courtes. Quant à l'uniforme, et notamment celui de M. Gustave, il nous raconte une petite anecdote. Ils l'ont fait faire à Berlin, mais il a déplu à Ralph Fiennes. Ce dernier ne se sentait pas bien dedans, il voulait pouvoir bouger comme un danseur. "Ralph Fiennes was angry and when he is angry, he's scary!" ("Ralph Fiennes était fâché et quand il est faché, j'ai peur", ndt). Ils ont donc refait les costumes...

Wes Anderson parle également de l'univers de The Grand Budapest Hotel, disant qu'il a inventé son propre monde tout en faisant des références sur le plan historique. Il voulait faire un film européen, continent où il réside depuis 10-12 ans, et indique que sa plus grande source d'inspiration a été les livres de Stefan Zweig, peu connu aux Etats-Unis, et dont son livre préféré est également celui par lequel il a découvert l'écrivain, La pitié dangereuse. Il révèle aussi que l'hôtel du film n'existe pas (dommage!) mais en revanche le hall, lui, est bel et bien réel et se situe dans un petit village à la frontière polonaise.

Pour finir cette soirée, Wes Anderson a également eu droit à quelques petites questions difficiles dont il s'est tiré par de jolis traits d'humour. À la question "donnez-nous trois mots pour décrire ce film" il tente d'y répondre mais en vain. "Je ne suis pas bon à ce jeu. Je pense, je suppose... non, je ne sais pas! Mais je ne vous en veux pas!".

wes anderson thierry fremauxLobby boy, nourriture et honneurs

Puis, lorsqu'un spectateur lui demande comment il a réussi à réunir un tel casting, il répond que c'était grâce à la nourriture! "On ne les paie pas donc il faut bien compenser". Un autre spectateur lui demande dans sa filmographie quel est celui qu'il souhaiterait améliorer "Tous. Mais en même temps, c'est comme demander à un parent lequel de ses enfants il aime le moins". Et pour finir, avez-vous besoin d'un lobby boy? "Toujours". La place est à prendre...

Tout le monde s'est ensuite dirigé vers la Rue du Premier Film où, remercié par Thierry Frémaux et sous les flashs crépitants des fans, Wes Anderson a retiré le tissu rouge qui recouvrait sa plaque nouvellement ajoutée au Mur des Cinéastes.

Une soirée pleine de fantaisie dans l'antre des Frères Lumière... Quelques jours après avoir reçu son Grand prix du jury au Festival de Belrin, Wes Anderson est désormais dans la cour des grands.

Face aux menaces, le cinéma français doit se réinventer et passer à l’offensive

Posté par vincy, le 6 mai 2013

L'exercice du pouvoir

Le Monde se penche sur l'économie du cinéma aujourd'hui. A lire les titres des articles et interviews, on se doute que tout ne va pas si bien dans le cinéma français. Les débats du début d'année (lire Ça balance pas mal à Paris (sur le cinéma français)) ont finalement fait émerger un malaise et surtout d'énormes interrogations.

Internet bouscule évidemment la donne : d'Amazon qui lance des séries en VOD à YouTube qui crée des chaînes avec abonnement, le centre de gravité bascule vers une télé connectée, une vision multi-supports, et des contenus transmédias. Dans ce contexte, on comprend mieux le psychodrame autour de Dailymotion ces derniers jours au niveau gouvernemental : la 2e plateforme vidéo du monde doit grandir, mais avec qui? Des américains, mais avec quels pouvoirs? En plein débat sur l'exception culturelle dans les futurs accords de libre-échange européano-américain (nous y reviendrons durant le Festival de Cannes), la question est sensible. Et pourquoi pas un partenaire chinois, européen? Imagine-t-on le scandale national si Canal + (que Lagardère veut racheter à Vivendi) avait été cédé à Warner Bros? Ce n'est pas propre à la France : une véritable nippophobie était née aux USA quand les géants japonais faisaient des OPA sur les joyaux de l'industrie hollywoodienne dans les années 80/90.

Canal + : la dernière digue

L'éco-système français (une taxe sur chaque billet, des obligations d'investissements pour les chaînes de télévision, un soutien aux exploitants indépendants...) a consolidé la production de films hexagonaux ou de coproductions internationales. Mais tout cela reste dépendant du nombre d'entrées (très haut ces dernières années) et de Canal +, "la dernière digue" comme l'explique Le Monde, dont dépendent de nombreux films du milieu, ceux qui sont si difficiles à produire mais qui sont, de loin, souvent les meilleurs à regarder. Canal + investit 12,5% de ses recettes dans le 7e art et préachète plus de la moitié des films produits en France.

La guerre des écrans

Pour l'instant, le système est protégé par une chronologie des médias très stricte mais de moins en moins adaptée à l'époque. La VOD explose (mais pourrait être largement optimisée, n'empêchant pas le piratage, malgré HADOPI, système coûteux et inefficace) et ne compense pas la chute des ventes de DVD/Blu-ray. Et si la télévision investit toujours dans des films, en contraignant hélas souvent l'imagination, le cinéma fait le bonheur des nouvelles petites chaînes et déçoit de plus en plus les directeurs de programmes des grandes chaînes. The Voice ou L'amour est dans le pré font chaque semaine une audience bien plus forte qu'un blockbuster le dimanche soir sur TF1. Chaque année, de moins en moins de films apparaissent dans les 100 plus fortes audiences annuelles.

Avec l'arrivée d'Apple et de Netflix, le cinéma peut craindre des répercussions identiques à ce qu'ont vécu la musique et le livre : une distribution en fort déclin, des revenus qui se réduisent, une production qui doit comprimer ses coûts. C'est la guerre des écrans version 3.0. La dématérialisation a commencé. Et quid des résultats de Canal +, et donc de ses investissements dans le cinéma français, le jour où l'un de ces géants américains aura plus d'abonnés que la chaîne cryptée? Déjà la chaîne commence à être plus regardante qu'auparavant, préférant, notamment, investir dans des séries "maison" qui font des cartons d'audience.

Vision défensive de la profession

Internet offre une programmation à la carte, ce qui déstabilise la chronologie des médias, inscrite dans la loi. La perspective idéale serait-elle de raccourcir les délais de diffusion? Encore faut-il que les règles soient les mêmes pour tous les diffuseurs. Comme le rappelle au Monde Vincent Grimond (Wild Bunch), "actuellement, iTunes exploite la VOD du Luxembourg avec un taux de TVA qui est inférieur au nôtre, avec des obligations moins contraignantes. En vendant les films un euro de moins que nous, ils gagnent plus d'argent !" (lire l'entretien). Il avoue être frappé par la frilosité de la profession : "plutôt que de penser que les nouveaux acteurs vont casser notre système, il faut se saisir de ces formidables opportunités pour créer des emplois, générer des revenus et promouvoir notre culture.". Et d'ailleurs, personne ne songe à une réflexion sur la surabondance des films en salles et les inégalités de plus en plus fortes entre les sorties au cinéma.

Et que dire du système de financement : Selon les chiffres de 2012 du CNC, l'argent du cinéma provient des chaînes de télévision (31,9 %), puis des producteurs français (28,9 %), des distributeurs au sens large (19,5 %) et des coproductions étrangères (9,3 %). Autant dire que le risque est très partagé... et n'incite pas à faire du cinéma une industrie financièrement responsable. Et ce à une époque où l'image est omniprésente : de la grosse production hollywoodienne aux capsules humoristiques qu'on se partage sur le web, en passant par les séries TV et le piratage de films inaccessibles.

Jusqu'ici tout va bien

On en revient toujours là depuis ce début d'année. Et Michel Hazanavicius (The Artist, président de l'ARP) dans une tribune parue samedi dans Le Monde (Cinéma : jusqu'ici tout va bien), a fait la synthèse des thèses et antithèses. En attendant une éventuelle prothèse politique. Toujours est-il que sa vision lucide ne manque pas de piques placées aux bons endroits : on sacrifie des films, le système de financement est perverti et obsolète, les budgets augmentent mais se concentrent sur quelques films.... et l'Europe laisse faire, méprisant tout le secteur culturel.

- "Avec plus de 200 films français par an et plus de 200 millions d'entrées en 2012, le cinéma a atteint des résultats jamais égalés depuis les années 1960. Quelques films hexagonaux s'exportent à nouveau et certains sont dignement reconnus internationalement. Cette singularité du cinéma français s'explique moins par la supériorité de ses talents que par la subtilité de son mode de financement."

- "Aujourd'hui, notre système de financement connaît une "bulle" inflationniste particulièrement dangereuse en période de crise économique. Cette inflation est notamment due à un non-partage des recettes. Le fait que les gens qui fabriquent les films – réalisateurs, auteurs, acteurs, techniciens, et producteurs dans certains cas – ne soient plus intéressés financièrement au succès des films provoque des comportements qui pervertissent le système."

- "Tous préfèrent gagner de l'argent en amont de la sortie, sur le financement et la fabrication même du film, puisque l'espoir d'en gagner dans la phase d'exploitation est quasi nul dans l'immense majorité des cas. Le jeu, pour certaines productions, devient d'une part de gonfler les devis pour récupérer le maximum d'argent pendant le financement, d'autre part de dépenser le minimum de cet argent pendant la fabrication – entraînant ainsi le sous-paiement des techniciens, la délocalisation, la fabrication au rabais, etc. –, et enfin de produire un maximum de films, quelle que soit la qualité des scénarios en cours... La qualité des films en fait souvent les frais."

- "On assiste donc, depuis ces dernières années, à une concentration de plus en plus importante des financements, créant une radicalisation du marché, et par là même participant à l'inflation des budgets."

- "Dans le même temps, nous sommes pour l'instant incapables de repenser le lien de la création avec les chaînes historiques, et tétanisés à l'idée d'imaginer un rapport avec les nouveaux entrants que sont les diffuseurs d'Internet."

- "Il faut sans doute renégocier avec les chaînes de télévision et repenser ce contrat moral de la création avec les diffuseurs. Accepter de se dire qu'Internet c'est de la télévision, et que la télévision c'est de l'Internet, et tirer les conséquences de ces nouvelles définitions, notamment pour le financement de nos oeuvres."

Mais l'enjeu dans l'immédiat est ailleurs, à Bruxelles :

- "A l'heure où le président Barroso n'a pas peur de demander à faire entrer la culture dans le champ des négociations des accords commerciaux entre les Etats-Unis et l'Europe, bafouant ainsi ce qui est l'essence même de l'exception culturelle – la souveraineté des Etats en matière de politique culturelle –, la France n'arrive pas à imposer à Bruxelles l'amendement d'un texte de loi français, pourtant notifié en 2007, qui oblige les fournisseurs d'accès Internet (FAI) à participer financièrement à la création, en leur qualité de diffuseurs. L'hyperbienveillance fiscale dont bénéficient les géants du numérique n'engage pas en la matière à un optimisme démesuré. (...) Il faut enfin réinventer une forme de régulation qui corresponde à l'ère économique et technologique que nous vivons. Et surtout l'imposer aux autorités bruxelloises. Le mot "régulation" est devenu une forme d'obscénité depuis que Google, Apple et Amazon ont décidé ensemble de le rayer du dictionnaire international et qu'ils le prononcent avec un léger accent luxembourgeois. (...) Que Bruxelles réfléchisse enfin à une fiscalité de ces acteurs voraces qui s'épanouissent entre autres sur le lit de notre culture. Qu'elle favorise enfin ceux qui sont à l'origine des oeuvres, les créateurs. Que l'Europe décide enfin de protéger sa culture et qu'elle comprenne que celle-ci, en plus d'être une industrie qui emploie huit millions de personnes en Europe, a une influence positive sur bon nombre d'autres industries, de la gastronomie au tourisme, en passant par la mode, le design, l'urbanisme ou encore la presse."

Berlin 2013 : Bruno Dumont, Volker Schlöndorff, Pia Marais et Emily Atef plaident pour que le cinéma redevienne un art

Posté par kristofy, le 19 février 2013

L’Office Franco-Allemand a accueilli à la Cinémathèque de Berlin une table ronde sur le thème "Tradition et contre-courants", plus précisément les traditions, les ruptures avec les conventions et les contre-courants politiques et sociaux dans le 7ème art.

Ce débat en public, où les festivaliers de la 63e Berlinale ont aussi posé leurs questions, a réuni un panel de quatre cinéastes :

Volker Schlöndorff : arrivé en France en 1956 il a été assistant-réalisateur (de Jean-Pierre Melville, Alain Resnais, Louis Malle…) avant de réaliser son premier film à 26 ans, Les désarrois de l'élève Törless (prix de la Critique internationale à Cannes en 1966) et devenir ensuite une des figures du Nouveau Cinéma Allemand ; son film le plus célèbre Le Tambour a reçu la Palme d’or à Cannes en 1979 et l'Oscar du meilleur film étranger en 1980 ; l’année dernière son film sur la résistance française La Mer à l’aube était au Festival de Berlin.

Bruno Dumont : ses films L’Humanité et Flandres ont été récompensés à Cannes par le Grand prix du jury (un doublé rare) ; il était en compétition officielle cette année à Berlin avec son nouveau film Camille Claudel 1915, avec Juliette Binoche.

Emily Atef : après son premier film Molly’s way, son second film L’Etranger en moi est passé à La Semaine de la Critique à Cannes, et son troisième film Tue-moi est sorti l’année dernière. Elle est la présidente du jury jeune du Prix OFAJ.

Pia Marais : déjà réalisatrice de deux film Trop libre et A l’age d’Ellen, son troisième film Layla Fourie, en compétition officielle à Berlin, a reçu une mention spéciale du jury de Wong Kar-wai.

La discussion qui abordait les liens entre leur travail et celui d’autres cinéastes de différentes générations a pris la tournure de la complexité de faire et de voir des films de cinéma aujourd’hui. Bruno Dumont très en verve a lancé la question très intéressante de l’éducation à l’image…

En voici la synthèse :

-Volker Schlöndorff : La notion de ‘cinéma d’auteur’ de La Nouvelle Vague était d’imprimer sa personnalité dans son film ; avec un cinéaste qui écrit, réalise, produit. Voir même qui parle de lui, ce qui fait du cinéma dit nombriliste. C’était une époque de révolution culturelle, avec la mort du ‘cinéma de papa’. Se posait la question pour des réalisateurs comme Howard Hawks ou Raoul Walsh qui n’était pas à l’origine de la création de leurs films, ni à l’origine de la production ni à l’origine du scénario, qui pouvaient être considérés comme des auteurs.

-Bruno Dumont : Je suis devenu cinéaste en voyant des films, la notion d’auteur n’était pas très claire, elle désigne un peu du cinéma pas commercial. Pour moi un auteur est à l’origine de son film, en écrire le scénario et le réaliser. C’est ce que je fais. Robert Bresson et Maurice Pialat n’ont souvent pas écrit les scénarios, ils sont considérés comme ‘film d’auteur’. ‘Auteur’ signifie surtout que le réalisateur doit être le chef à bord, la personne la plus importante, celui qui s’oppose aussi à l’industrie. Le cinéma est un art avant un divertissement. Beaucoup de films sont des projets industriels plus que de la culture…

-Pia Marais : J’ai réalisé trois films, tous différents les uns des autres, il y a une certaine antipathie de ‘l’école berlinoise’, mes films n’en font pas partie.

-Emily Atef : Les trois films que j’ai réalisés étaient avant tout des souhaits profonds que j’avais. Je n’ai pas l’impression aujourd’hui que les gens veulent voir beaucoup de cinéma d’auteur en Allemagne. Mes films ont eu plus de succès d’estime et ont été mieux accueillis en France qu'en Allemagne. Mon prochain film sera beaucoup plus français que les autres.

-Bruno Dumont : Le public n’a pas l’habitude de voir des films d’auteur. On présente Intouchables aux Oscar, il y a quelque chose de grave, c’est aussi un problème politique. Il n’y a que dans les festivals de cinéma où on voit vraiment une diversité. Aujourd’hui personne ne veut regarder un film de Bergman. Aujourd’hui il est hors de question qu’un comédien se dise tragédien, il n’y a plus que de la comédie. On met des stades de foot en banlieue où le modèle c’est Zidane, donner à la jeunesse des modèles qui ne sont pas culturels c’est une faute politique. En France on a un système pas mal avec le CNC pour le financement où les recettes des gros films peuvent contribuer au budget des petits films. Je fais des films pour environ 2 millions d’euros parce que on ne me donnera pas plus. Pour un film à 15 millions d’euros il faut rendre des comptes aux différents financiers, il n’y a plus de liberté. Alors pour un petit film on se débrouille, on privilégie des décors naturels, on ne loue pas de grue pour des plans en hauteur, des techniciens sont payés 30% en dessous du tarif, tout le monde fait un effort. Moi c’est vrai que j’écris en fonction de mon budget, je n’ai pas de difficulté à écrire en me limitant.

-Volker Schlöndorff : C’est encore pire en Allemagne, il y a moins de cinéphilie, moins de films en version originale, moins d’aides financières. Est-ce qu’on parviendra à redonner sa place au cinéma ? L’âge d’or des années 60-80 quand le cinéma était pris au sérieux est révolu. Maintenant 90% des films sont du divertissement. Il faut éteindre la télé.

-Bruno Dumont : On a le cinéma qu’on mérite. Il faut changer notre culture et notre rapport aux autres, redistribuer les cartes, fermer ça et ouvrir ceci. C’est une décision politique.

-Volker Schlöndorff : C’est un choix de faire du cinéma avec du contenu qui soit aussi divertissant, et parfois ça peut être bien. Mais quand quelqu’un comme Martin Scorsese a fait Shutter Island j’ai été indigné. Faire des films et faire du cinéma ce n’est pas pareil.

-Emily Atef : Un film qui a de bonnes critiques dans un festival quand il est diffusé à la télévision c’est après minuit. Parce que on a peur de perdre l’audience des jeunes.

-Pia Marais : Le cinéma a perdu le contact avec les jeunes générations. Certains ne supportent pas les longs plans, il faut que ça bouge dans tous les sens le plus souvent.

-Bruno Dumont : Les films sont là. Ce sont les médias qui choisissent de ne pas cultiver et d’abrutir le public. Quand Flandres est passé à Cannes mes acteurs n’ont pas été invités à passer à la télévision. A Cannes, Canal+ ne parle pas de cinéma, ils invitent des people comme une femme de footballeur ou un chanteur, pour eux c’est de l’évènementiel. Il m’est arrivé qu’un responsable de France Télévisions me dise que mon film est formidable, mais ils ne l’ont pas produit et il ne le diffuse pas. Il faut diffuser plus de cinéma, il faut éduquer les masses. Il suffit de commencer par Charlie Chaplin, Robert Bresson. Il faut subventionner le cinéma, il ne faut pas viser la rentabilité. Si on veut que le cinéma redevienne un art, il faut le subventionner : gagner de l’argent avec des films c’est de l’industrie. Le poison vient de mélanger l’art et l’argent. Ce qui est grave c’est d’estimer un film en fonction de son nombre d’entrée. Aujourd’hui j’ai réalisé Camille Claudel 1915 avec Juliette Binoche, et là enfin des médias commencent à être excités, beaucoup plus par ce film que par mes films d’avant, mais c’est parce que il y a Juliette Binoche.

-Pia Marais : L’époque de Volker Schlöndorff était révolutionnaire, les gens s’intéressaient au cinéma. J’espère que ça va revenir, j’espère que la prochaine génération sera plus curieuse.

-Bruno Dumont : Il faut accepter la marginalité et accepter les contradictions du système qui fait que des premiers films et des films dits élitistes peuvent avoir une avance avec de l’argent qui vient des tickets vendus par les gros succès commerciaux. Le monde ancien est en mutation, MK2 arrête ses activités de production. Il y a des films qui se font avec 500 000 euros, pour 200 000 euros, pour moins. Il ne faut pas penser à un monde idéal, France Télévisions ne diffusera jamais un film de Jean-Marie Straub à 21 heures. Je pense que aujourd’hui avec le numérique on peut tourner un film pour rien ou pas grand-chose. La jeune génération doit prendre acte des nouvelles technologies, Internet peut diffuser des films sans distributeur de cinéma.

Débat avec la ministre Najat Vallaut-Belkacem autour du film La Parade

Posté par antoine, le 8 février 2013

Mardi 5 février avait lieu une projection un peu spéciale à L’Arlequin (Paris) : la séance de La Parade était suivie d’un débat avec Najat Vallaud-Belkacem (Ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement, chargée de mission interministérielle de lutte contre l’homophobie), Geneviève Garrigos (présidente d’Amnesty International France), Nicolas Gougain (Porte-parole de l’association Inter-LGBT), le porte parole de SOS Homophobie, et Sophie Dulac (distributrice et exploitante du film).

La Ministre a rappelé que le discours du Président français à l’ONU a fait avancer plusieurs pays sur la question de l’homosexualité. Il n’y a pas qu’à Belgrade qu’il y a des problèmes, comme la comédie serbe le montre. L’ignorance est la plus grande violence dans le monde et pour lutter contre cette violence il faut éduquer, apprendre à accepter l’autre. Ce qui se passe à Belgrade concerne toute l’Europe de l’est, Russie comprise.

La fiction permet de sensibiliser d'autres publics

Pourquoi avoir fait une fiction plutôt qu’un documentaire ? La présidente de Amnesty International France répond que, généralement, les documentaires s’adressent à ceux qui sont déjà au courant du sujet. Les films comme La Parade s’adressent à un public plus large et permet donc de mieux sensibiliser un public pas forcément conscient du sujet. Elle a ensuite ajouté que la dépénalisation de l’homosexualité est relativement récente, en Serbie depuis 1994 (mais le crime pour homophobie n’est pas encore reconnu). En 2010, la seule et unique "Gay Pride" officielle a pu se dérouler, non sans protection, en Serbie. Les articles 19 et 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme sont régulièrement rappelés à ce pays qui cherche à entrer dans l'Union européenne. Enfin, elle a insisté sur le fait que l’égalité est un droit vraiment fondamental.

Najat Vallaud-Belkacem a précisé que ce projet de loi sur le mariage pour tous a permis une prise de conscience et a révélé quelque chose dans la société. Les actes homophobes se sont multipliés et la vigilance permanente de ces dérapages s'est accrue (notamment grâce à la mission de lutte contre les discriminations). Il y a également de nouvelles mesures mises en places (mesures financières, formations, etc.) dans tous les secteurs : éducation dans les écoles, dans les médias, dans le monde du sport. Il faut faire avancer ce sujet dans tous les secteurs administratifs est un travail inédit.

SOS Homophobie a rappelé quelques chiffres. Il y a eu trois fois plus de témoignages en décembre 2012 qu’en décembre 2011: rien qu'en janvier, il y en a eu quatre fois plus que l’année précédente. Ils ont pu avoir le soutien du gouvernement qui a permis une mise en place d’une ligne d’écoute. Même s'il y a encore beaucoup de travail. L’association fait des interventions dans les collèges et lycées et ils reçoivent beaucoup d'appels du monde du travail.

Une lutte mondiale

Nicolas Gougain a précisé que c’était un combat internationaliste, une lutte mondiale. Quand Paris marche pour l’égalité et pour les fiertés, c’est Paris qui marche aussi pour tous ceux qui ne peuvent pas marcher, en France et ailleurs dans le monde. L’homophobie est une haine partagée dans de nombreuses cultures. Il remarque une nette diversité des participants qui marchent: des familles, des jeunes de banlieues, des gens de tout âge…

La ministre a rappelé qu’il y avait eu une campagne d’organisée sur les violences comme le harcèlement sexuel, le harcèlement d’identité de genre, la transphobie (c’est une première en France).

SOS homophobie va se réunir avec son ministère pour voir comment ils peuvent faire pour lutter contre les agressions verbales, et les tweets homophobes qui se sont propagés ces derniers temps sur le réseau social de micromessages :  qu’est-ce qu’on peut dire et qu’est-ce qu’on ne peut pas dire, et où se trouve alors l’égalité, la liberté d'expression.

L'association a aussi rappelé la une de Minute qui appelle à la haine. L’association a porté plainte mais la justice met beaucoup de temps à être traitée, comme toujours.

En revenant au film, Nicolas Gougain a indiqué que le sujet sérieux traité sous la forme d’une comédie permet d’être un bon outil pédagogique pour appeler aux marches des fiertés et pour lutter contre les discriminations. La parole franche et assumée de la part de la gauche à l’Assemblée Nationale est quelque chose de nouveau. Pour lui, il faut retenir l'aspect positif dans ce débat.