Cannes 2015 : lettre à Nathan Nicholovitch

Posté par MpM, le 16 mai 2015

Cher Nathan Nicholovitch,

Votre film De l'ombre il y a, présenté à l'ACID, apporte pèle-mêle sur la Croisette le génocide cambodgien, la prostitution enfantine, la transsexualité. Et c'est vrai, ça fait beaucoup pour un seul film. Trop, sans doute. Par moments, vous nous perdez.

Vous expliquez que vous avez voulu élaguer dans le récit comme pour ne garder que des moments, des flashs non reliés entre eux. Cela adoucit la crudité du propos et son aspect didactique, comme pour ne garder que l'essentiel du parcours des personnages. Au risque, parfois, de rendre la compréhension malaisée.

Toutefois, De l'ombre il y a aurait pu être un mélo appuyé, plein de bons sentiments, et vous en faites au contraire un objet cinématographique certes déconcertant et inégal, mais exigeant et retors. Naturellement, on préfère cela. Cette recherche formelle, presque expérimentale. Cette singularité fulgurante. Cette prise de risque dans l'âpreté pour rendre compte de l'indicible, plutôt qu'une œuvre bien foutue et stéréotypée. A sa manière, votre film respire (et transmet) la nécessité impérieuse de raconter coûte que coûte cette histoire. Il emporte nos réticences parce qu'il est une voix faible mais tenace et primordiale dans le vaste silence international sur la question de la prostitution enfantine en Asie et ailleurs.

Il est aussi la tentative inaboutie de réinventer une forme de cinéma qui ne soit ni didactique, ni spectaculaire mais au contraire personnel et intime. Comme un carnet d'impressions ouvert à tous, dans lequel chacun puise au fond ce qu'il veut, et qui devient un outil de partage, d'échanges, voire d'action. Un premier pas sur le long chemin de la construction d'un monde meilleur ?