Danièle Delorme (1926-2015) rejoint Yves Robert au Paradis

Posté par vincy, le 19 octobre 2015

Danièle Delorme est morte samedi 16 octobre à Paris à l'âge de 89 ans, a annoncé lundi la directrice de la galerie d'art "An Girard" que la comédienne avait créée. pour présenter les oeuvres de son père André Girard. Malade depuis plusieurs années, l'actrice, née le 9 octobre 1926, n'avait plus tourné depuis près de 15 ans.

Elle avait débuté sa carrière en 1942 en tournant La Belle aventure de Marc Allégret et Félicie Nanteuil du même réalisateur (le film est sorti en 1945). Après cela on l'a vue chez Robert Vernay (Le Capitan), Jean Delannoy (Les jeux sont faits), Maurice Tourneur (Impasse des Deux-Anges), Henri-Georges Clouzot (Miquette et sa mère). Mais en 1949 c'est en incarnant Gigi, pour Jacqueline Audry qu'elle devint populaire.

Très éclectique, on l'a vue devant la caméra de Daniel Gélin, son premier mari, (Les dents longues), Yves Allégret (La jeune folle), Sacha Guitry (Si Versailles m'était conté...), André Cayatte (Le dossier noir), Julien Duvivier (Voici le temps des assassins), Agnès Varda (Cléo de 5 à 7 et en voix narrative du court métrage Ô Saisons, ô châteaux), en Fantine pour Les Misérables de Jean-Paul Le Channois...

A partir des années 60, malgré l'ombre de Moreau, Darrieux, Girardot, Deneuve et Bardot, elle trouve sa place aussi bien chez son second époux Yves Robert (Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis) que chez Georges Lautner (Le septième juré), Claude Lelouch (Le voyou), Elie Chouraqui (Qu'est-ce-qui fait courir David?)... Mais il lui aura manqué toujours le grand rôle qu'elle méritait, aussi bien dans la comédie où elle excellait que dans la drame où sa beauté atemporelle se confondait avec une émotion fragile et palpable. Mais une chose est certaine, elle est l'une des rares à avoir navigué entre le cinéma populaire et la Nouvelle vague, le cinéma d'auteur et les réalisateurs classiques de l'après guerre. Elle avait quelque chose d'indémodable.

Présidente du jury de la Caméra d'or à Cannes en 1988, Danièle Delorme a compensé ses manques de rôles avec la casquette de productrice aux côtés de Yves Robert. La Guéville a produit La guerre des boutons, Alexandre le bienheureux mais aussi des films d'Alain cavalier, Jacques Doillon, Elisabeth Rappeneau... Avec sa propore maison, Zazi Films, elle a connu deux jolis succès récemment: La cage dorée et Comme des frères, tous deux nommés au César du meilleur premier film.

Elle fut aussi une vedette du petit écran, tournant pour Jacques Demy (La naissance d'un jour), Bernard Stora (La grande dune) et surtout la série Madame le Proviseur dans les années 90. Sur les planches, durant quarante ans elle jouera Henrik Ibsen, Jean Anouilh, Luigi Pirandello, Paul Claudel, Paul Valéry, George Bernard Shaw, Albert Camus, Eugène Ionesco, Jean Cocteau...

Elle avait également publié ses Mémoires dans Demain tout commence!, paru en 2008.

Dernier tango pour la belle indomptable Maria Schneider (1952-2011)

Posté par geoffroy, le 6 février 2011

Au-delà de l’hommage unanime rendu à Maria Schneider, décédée jeudi 3 février à l’âge de 58 ans des suites d’un cancer, Ecran Noir voulait revenir sur le rôle emblématique qu’elle aura tenu très jeune (19 ans) dans le chef-d’œuvre de Bertolucci, Le Dernier tango à Paris (1972). Si l’ensemble de la presse n’aura quasiment parlé que de son interprétation au détour d’une scène (celle de la sodomie), il ne faudrait pas réduire l’actrice à ce seul rôle. Malgré quelques errances, elle tourna avec Michelangelo Antonioni dans Profession : Reporter (1975, le seul film qui lui ressemble, selon elle), René Clément dans La baby-sitter (1975), Philippe Garrel dans Voyage au jardin  des morts (1978, une invitation au rêve), Daniel Duval dans La dérobade (1979), Werner Schroeter dans Weisse Reise (1980), Jacques Rivette dans Merry Go-Round (1983), Luigi Comencini dans L’Imposteur (1983), Cyril Collard dans Les Nuits fauves (1992),  Bertrand Blier dans Les Acteurs (2000, où elle y joue son propre rôle), ou plus récemment Cliente (2009) de Josiane Balasko. Cette liste, bien trop courte pour une telle actrice, aura démontré avec brio son goût pour la liberté et les expériences cinématographiques intenses."Mes rôles sont des psychanalyses" avouait-elle.

Sa vie privée a certes compliqué son parcours. Fille du mannequin Marie-Christine Schneider et de l'acteur Daniel Gélin (qui ne l'a pas reconnue) qu'elle ne rencontra qu'à l'âge de 16 ans, cette femme révoltée, avide de rencontres, elle avait souffert de ce manque de père. Elle se dispersa vite vers une liberté artistique : dessins (vendus sur les terrasses de cafés), mannequinat (sans passion) et surtout cette attirance viscérale vers le jeu, cette deuxième vie où l'on peut vite se perdre. Admiratrice de Brigitte Bardot (qui l'a hébergée durant deux ans, lui offrant son réseau en guise d'amitié), elle n'en avait pas la beauté, mais possédait le même goût de l'indépendance. Après le Tango sulfureux, elle débutera sa liaison destructrice avec la drogue, s'enfuira en Californie et au Mexique. Se perdra. Ses relations avec les cinéastes n'étaient pas moins simples. Elle accepte La ronde d'Otto Shenk par cupidité (une fortune pour dix jours de tournage), retarde la production en cours du René Clément parce qu'elle se fait internée par solidarité avec une copine, se fait licencier au bout de deux jours de Cet obscur objet du désir de Luis Bunuel (elle sera remplacée par Angelina Molina et Carole Bouquet), envoie sur les roses Joseph Losey pour Les routes du sud (elle fume des cigarettes illicites tandis que lui boit comme un trou).

Une jeunesse volée, une actrice violée

Mais l’art est ainsi fait que tout ramène Maria vers ce fameux tango, ode à l'ivresse des corps et le tourbillon des sensations émotives. En effet, comment ne pas parler de Jeanne – l’héroïne au visage angélique du Dernier tango à Paris – lorsque l’on veut témoigner son amour du 7e art. Il est des rôles magnifiques à l’aura vénéneuse qui, non content de marquer une carrière, la réduisent également à néant. Jeanne est de ceux-là. Indubitablement. Sauf que le rôle est arrivé trop tôt sur les frêles épaules d’une Maria Schneider qui, dix ans plus tard, confiais : "J'étais jeune, innocente, je ne comprenais pas ce que je faisais. Aujourd'hui, je refuserais. Tout ce tapage autour de moi m'a déboussolée". Le cadeau d’une carrière prometteuse fut donc empoisonné. Lettres vengeresses, appels téléphoniques menaçants, plaisanteries sans tacts. Sans avoir eu la volonté de lui nuire, le cinéaste italien reconnu, quelques années plus tard, l’avoir piégé lors de cette fameuse scène de sodomie, devenue culte, avec sa motte de beurre faisant office de lubrifiant improvisé (ceci dit, c'est un ingrédient classique quand on manque de gel). Bertolucci raconta au New York Magazine que Maria « criait, en partie parce qu’elle se sentait révoltée par moi et Marlon (Marlon Brando), qui faisait office de figure paternelle et la protégeait souvent. Je crois qu’elle s’est sentie trahie par nous, mais je ne vois pas comment j’aurais pu tourner la scène différemment. Je crois que si je lui avais dit, il aurait été très difficile d’obtenir ce genre de violence dans cette scène. En fait, si je lui avais dit, je ne vois pas comment elle aurait accepté ». Schneider se "sentait violentée". "Mes larmes dans le film étaient vraies." Aujourd'hui, le cinéaste a des remordes. "Sa mort est survenue trop vite, avant que j'aie pu l'embrasser tendrement, lui dire que je me sentais lié à elle comme au premier jour et, au moins une fois, lui demander pardon."

L’incroyable succès du Dernier tango à Paris (5,15 millions d'entrées en France, 3e sur le podium de l'année) fit de Maria Schneider une icône de la révolution sexuelle. Celle d’une époque, d’un film, d’un rôle, d’une scène. Entre scandale et interdiction, la tourmente emporta la belle jusqu’à oublier qu’elle tenait tête, farouchement, au légendaire Brando post-Parrain. Ce n’est pas rien et surtout loin de la bimbo torride que certains producteurs véreux voulaient nous vendre. Avec le recul nous nous disons que le long-métrage de Bertolucci fut une opportunité, certes douloureuse et chaotique, vers un ailleurs remplit de rencontres passionnantes. De ce cinéma exigeant à la hauteur d’un talent rare, figure fugace, belle, aérienne, touchante. Et chacune de ses interprétations l’éloignait un peu plus chaque jour du vacarme d’un film à scandale lui ayant volée sa jeunesse d’actrice à la naïveté douce.

Elle s'était éloignée de la drogue, avait trouvé l'amour (au féminin), n'avait jamais pu tourner le film dont elle rêvait. Une grande actrice s’est éteinte. L’esprit d’un cinéma transfrontalier, et de transgression, aussi.

Les 50 ans du cinéma marocain : Marrakech (1)

Posté par vincy, le 21 septembre 2008

marrakech.jpgLe cinéma marocain est né en 1958. Nous reviendrons sur les grands noms de son histoire, mais aussi sur l'affirmation de plus en plus nette d'un cinéma qui est devenu l'une des trois cinématographies les plus importantes en Afrique.

Mais le Maroc c'est aussi, et depuis longtemps, une terre d'accueil pour les tournages hollywoodiens et même français. Nous y reviendrons lors de l'étape à Ouarzazate.

Même si Casablanca a donné son nom à l'un des films les plus emblématiques de l'histoire du 7e Art, ce sont Tanger et Marrakech qui ont servi le plus souvent de décors aux réalisateurs occidentaux fascinés par ce monde arabe riche en couleurs.

Marrakech a ainsi été rendue célèbre par Alfred Hitchcock en 1955. Sur la place Jemaâ El Fna, Daniel Gélin se fait planter un couteau dans le dos et meurt dans les bras de James Stewart dans L'homme qui en savait trop.

Mais Marrakech a aussi été à l'image de nombreux films lorsque le Maroc était sous protectorat français. Notamment en 1934, Jacques Feyder, sur un scénario de Marcel Carné, y réalise Le grand jeu, avec Charles Vanel, Françoise Rosay et Marie Bell.

C'est aussi à Marrakech qu'une partie des plans de Shéhérazade (avec Anna Karina), du Grand Escroc (de Jean-Luc Godard, avec Jean Seberg), de 100 000 dollars au Soleil (de Henri Verneuil, avec Jean-Paul Belmondo et Lino Ventura), de L'homme qui voulait être roi (de John Huston, avec Sean Connery et Michael Caine) furent tournés, ou détournés. Dans les années 90, on notera juste le film "flower power" Hideous Kinky (Marrakech express), avec Kate Winslet.

C'est enfin à Marrakech que se tient le seul grand festival international de films du Maroc. Outil marketing pour attirer stars, touristes, investisseurs et donner une image glamour et jet-set à une ville globalement pauvre.

Mais, hormis Hitchcock, personne ne fut tenté par l'idée d'utiliser le labyrinthe de la Médina comme prétexte à scénario. Des films d'auteur confidentiels s'y tourneront. Mais l'essentiel des productions migrera vers Ouarzazate, dotée de studios d'envergure internationale. Etonnant pour une ville si cinégénique. Pas un James Bond. Juste une mention dans les périples d'Indiana Jones. Et un passage furtif dans Mamma Mia !, où Stellan Skarsgard traverse, à moto, la place Jemaâ El Fna. Toujours la même (en photo).

crédit photo : Marrakech (c) vincy thomas