Le rare Béla Tarr sur les écrans, au Centre Pompidou et en librairie

Posté par geoffroy, le 4 décembre 2011

Le Cheval de Turin, dernier opus cinématographique du réalisateur hongrois récompensé par l’Ours d’argent et le Prix de la Critique internationale au dernier festival de Berlin, est actuellement en salles. Il a séduit 800 spectateurs dans seulement 12 salles lors de son premier jour d'exploitation, soit la meilleure moyenne par copie pour une nouveauté du 30 novembre pour un film exploité dans moins de 200 salles.

Selon les dires du cinéaste, il n’y en aura pas d’autre. A 56 ans, Béla Tarr a décidé d’arrêter le cinéma, de clore une œuvre magistrale commencée il y a un peu plus de trente ans. En septembre 2008, pour la sortie de L’Homme de Londres, il déclarait déjà aux Cahiers du Cinéma : « Quand vous le verrez, vous comprendrez pourquoi ce ne peut être que mon dernier film ».

Béla Tarr, né en 1955 à Pecs en pleine Hongrie communiste, est un artiste pour le moins atypique et qui aura construit sans l’ombre d’une déviation un cinéma exigeant traversé par la condition humaine. En alliant pureté esthétique et force émotionnelle brute, il a su rendre captivant sa vision d’une humanité enchaînée ou l’espoir ne serait qu’un leurre. Son cinéma s’est déplacé avec le temps, passant de la ville aux champs et de l’intime des corps à ceux, plus lointains, des labeurs au cœur d’un paysage froid, pauvre et avilissant.  Le désespoir est de mise, ses influences sont les cinémas de Tarkosky et de Cassavetes. Pas étonnant, alors, de retrouver l’utilisation d’un noir et blanc sublime transcendé par des plans-séquence inoubliables.

-  Pour ceux qui voudraient (re)découvrir l’œuvre de Béla Tarr, le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective intégrale du 3 décembre 2011 au 2 janvier 2012. Tout le programme

-  A l’occasion de la sortie en salle du Cheval de Turin, la maison d’Editions Capricci a sorti le 29 novembre un essai critique, Béla Tarr, le temps d’après, par le philosophe français et professeur Jacques Rancière. Une autre façon d’appréhender le maître hongrois au-delà de la simple vision de ces films. Pour l’auteur, le temps d’après est « notre temps et Béla Tarr est l’un de ses artistes majeurs ». Rancière a aussi publié Scènes du régime esthétique de l'art aux éditions Galilée en octobre. (Béla Tarr, Le temps d’après, de Jacques Rancière, Editions Capricci, collection "Actualité critique" 96 pages. 7,50€)

Le livre se conclut sur un espoir. Celui de voir un autre film de Béla Tarr : "Le dernier film est encore un matin d'avant et le dernier film est encore un film de plus? Le cercle fermé est toujours ouvert."

Berlin 2010 : Adoption, Ours d’or symbolique en 1975

Posté par vincy, le 17 février 2010

La Berlinale a longtemps subit la Guerre Froide. Créée par le camp occidental à Berlin-Ouest, le mur avait figé les rapports avec les pays de l'Est de l'Europe. Un dégel s'opère dans les années 70, alors que le festival se tenait encore au début de l'été. Seuls le cinéma yougoslave (pays non aligné officiellement) avait droit de présence, et avait d'ailleurs récolté un Ours d'or en 1969. En 1974, un film russe est invité. En 1975, la compétition propose des films polonais, roumain, est-allemand, tchécoslovaque et russe. Une invasion. Y compris au palmarès : un acteur slovène, un réalisateur soviétique, un court métrage tchèque remportent chacun un Ours d'argent. Et pour couronner l'événement, le jury de l'actrice Sylvia Syms décerne l'Ours d'or du meilleur film à Adoption, de la hongroise Marta Meszaros (qui gagne aussi trois autres prix parallèles).

Adoption, l'histoire d'une ouvrière qui veut absolument un enfant avec son amant, un homme marié, sera une grande habituée du Festival, sélectionnée quatre fois, primée quasiment à chaque voyage,  et récompensée par une Caméra d'honneur en 2007. Cannes lui remettra un Grand prix du jury en 1984. Elle aura été aussi membre du jury en 1976.

Après cette date charnière, le festival se transforme en"ambassade" du cinéma du bloc communiste. Un Ours d'or sera remis à un film soviétique en 1977, L'ascension, de Larisa Shepitko, à une oeuvre est-allemande en 1985, quatre avant la chute du Mur, Die Frau und der Fremde, de Rainer Simon, et de nouveau à un film soviétique en 1987, Le thème, de Gleb Panfilov.

Car la fine fleur du cinéma venu de l'autre côté du rideau de fer a l'autorisation de présenter leurs oeuvres dans le camp ennemi. Par propagande évidemment. Car pendant ce temps là, si Sokourov, Sandor, Szabo, Wajda sont projetés, ils ne sont pas forcément visibles dnas leur propre pays...

Milky Way: expérience singulière

Posté par geoffroy, le 8 juillet 2008

milkyway.jpgSynopsis: Plongée hypnotique sur une dizaine de lieux dans lequel des êtres humains évoluent, comme dans un rêve éveillé.

Notre avis: Après Mange, ceci est mon corps, la sélection officielle nous livre un véritable ovni venu de l’est, Milky Way (Tejut) du jeune cinéaste hongrois Benedek Fliegauf. Hypnotique pour certains, insupportable pour les autres, ce premier long-métrage expérimental se divise en dix tableaux scéniques naturalistes où la recherche de l’effet imprègne notre rétine. C’est lancinant, répétitif, statique, sans paroles et magnifiquement photographié. Soit la volonté de construire une œuvre dépassant son concept initial pour offrir un vrai moment de cinéma. Pas si simple de nos jours et il n’est pas surprenant d’apprendre que le film n’a toujours aucun distributeur. Au vu du résultat, gageons que cette injustice soit rapidement levée.

A partir d’un cinémascope léché, le cinéaste s’essaye à structurer une ambiance via un rythme interne aux mille précisions un peu à la façon d’un Roy Andersson. A partir de là, Benedek Fliegauf établit une petite musique qui trotte dans la tête et évolue au millimètre en fonction des scènes présentées. Très photographié, précis et contemplatif, nous avons la sensation de pénétrer à l’intérieur du cadre pour découvrir l’évènement conclusif de chaque tableau avec délectation. Ecroulement d’une petite vieille, bonhomme de neige rendu à la nature, «accouplement transgressif» dans une piscine où jeu d’ombre chinoise surplombant une aire industrielle, tout concours à surprendre le spectateur par cet essai formel drôle, incongru et intelligent. Notons, enfin, le travail technique réalisé et l’apport du son, musique originale orchestrée par le vent, le gazouillis des oiseaux, l’activité humaine et le souffle lointain de voix humaines. Tout simplement brillant.

Louons alors le choix d’une sélection à contre courant qui ose proposer de tel ovni cinématographique à même de procurer des sensations différentes, source d’ouverture et de curiosité.  Le film avait reçu le Léopard d'or "cinéastes du présent" au dernier festival de Locarno.