Vesoul 2016 : table ronde sur l’évolution du cinéma coréen

Posté par kristofy, le 7 février 2016

table ronde cinéma coréen

Le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul est cette année à l’heure de la Corée du Sud avec notamment une thématique « Corée : littérature et cinéma, 1949-2015 » (pour marquer l'Année France-Corée, le 130e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Corée du Sud). Les spectateurs ont ainsi pu découvrir Le rêve avec le réalisateur Bae Chang-hoLe vieux Jardin avec Im Sang-soo (le président du jury 2016), et en compétition Another way de Cho Chang-ho (qui avait déjà réalisé The Peter Pan formula).

Trois générations de cinéastes coréens étaient donc présents à Vesoul, l’occasion de les faire se réunir ensemble lors d’une table ronde pour évoquer à la fois la problématique de la production en Corée et de la diffusion à l'étranger. Retour sur un bref historique du cinéma coréen avec quelques morceaux choisis lors de la discussion de ce tour de table...

Double censure

La Corée du Sud a connu bien des troubles politiques qui pendant longtemps ont freiné la production de films : l’occupation japonaise au début du siècle, la division de la Corée en deux pays (Corée du Nord et Corée du Sud après la seconde guerre mondiale), la guerre de Corée (1950-1953) avec un premier âge d’or du cinéma coréen qui n’a duré qu’un dizaine d’années avant de péricliter…  En 1962 arrive le régime dictatorial de Park avec la ‘Motion Picture Law’ qui va limiter à la fois le nombre de films importés de l’étranger (de l’occident dont Etats-Unis tout comme du reste de l’Asie) et le nombre de films produits en Corée du Sud (le nombre de compagnies de production va chuter de environ 70 à une dizaine…), avec aussi en 1972 carrément une censure de tout film avec une critique politique ou sociale.

bae chang hoBae Chang-ho : « J’ai tourné mon premier film en 1982. C'était Les gens d’un bidonville, soit des personnages qui n’étaient pas un genre de représentation souhaitée officiellement, donc le film ne devait pas être montré dans des festivals étrangers.

Dans les années 80, il y avait presque une double censure, avant avec le scénario et après le tournage. Des représentants du gouvernement indiquaient des modifications à faire… »

Im Sang-soo : « Je me souviens avoir vu ce film quand j’étais jeune, c’était au moment de sa sortie en salles. Ce que j’ai ressenti à sa vision m’a inspiré, et m’a conforté dans mon désir de faire du cinéma .»

Quotas

Il y a presque toujours eu en Corée différentes règles de quotas, à la fois pour limiter l’impact des films étrangers et aussi dans le but de favoriser un relèvement des productions coréennes.

Face aux films américains produits à Hollywood, il y a eu par exemple une limitation d’importer un film étranger uniquement si en parallèle une société produisait 4 films coréens (donc souvent avec peu de moyens et d’ambition juste pour satisfaire le quota), une limitation du nombre de jours durant lesquels un film étranger était exploité dans les salles (les cinémas devaient diffuser au moins 146 jours par an des productions coréennes en 1993), une limitation du nombre de films importés par an (une mesure aussi en vigueur en Chine)…

Un assouplissement arrivera au cours des années 80, avec des règles de quotas revues, et au début des années 90 certains studios américains ont une filiale installée en Corée du Sud (United international pictures, Twentieth century fox, Warner bros, Columbia, Disney…) et on arrive en 1999 à une situation de 42 films coréens contre 233 films étrangers…

Avec les années 90, il y a un développement des multiplexes (588 écrans en 1999 à 1451 écrans en 2004) tout comme des grosses sociétés de production aux moyens importants (Daewoo, Hyundai, Samsung produisent du cinéma, et les studios CJ, Orion et Lotte qui produisent et possèdent aussi leur circuits de salles pour distribuer leurs films…), et le cinéma coréen s’exporte de plus en plus à l’international.

En 1999 la Corée du Sud se dote du KOFIC (l’équivalent de notre CNC) et le film Shiri (avec la révélation de Choi Min-sik) dépasse sur son territoire le box-office de Titanic, et la répartition en tickets vendu entre films coréens est autour de 50% face aux films américains (un peu comme en France).

Im Sang-soo : « Je me souviens en particulier de l’année 1998, dans notre industrie du cinéma il n’y avait plus d’intervention du gouvernement de type censure, mais plutôt des mesures favorables pour soutenir la culture. Du coup il y avait plus d’investisseurs pour les créateurs. Cette année-là, j’ai pu moi réaliser mon premier film Girls night out, et moins de deux ans après je sortais Tears.» (ndr : son 3e film en 2003 Une femme coréenne le fait connaître en France)

cho chang hoCho Chang-ho : « La capacité créative individuelle est une force importante. Le cinéma commercial est celui qui est très bien distribué, les autres films c’est du cinéma indépendant moins bien distribué et c’est logique.

C’est peut-être plus le canal de distribution (multiplexes ou pas) qui fait une différenciation entre les types de films. Pour les distributeurs de films indépendants c’est difficile d’obtenir des salles pour que leurs films soient vus par le plus grand nombre de spectateurs.

Cette situation est je pense la même dans plein de pays. Je voudrais moi faire moi-même la distribution de mes films, le réalisme de Another way est d’ailleurs compliqué à commercialiser. »

Im Sang-soo : « Il faudrait peut-être une nouvelle loi à propos des gros conglomérats de la distribution, leurs poids et leur influence est peut-être trop lourd. Mais les réalisateurs coréens les plus en vogue actuellement avec du succès vivent de ces conglomérats, alors… »

Désormais chaque année ou presque un nouveau film coréen dépasse un record de spectateurs comme The Host en 2006 (qui a fait bondir à 64% le taux de tickets vendus pour voir un film coréen), The king and the clown, D-war, Joint security area, My sassy girl (qui aura un remake américain)…

Les festivals européens récompensent régulièrement des talents de Corée du Sud comme les films de Lee Chang-dong (Oasis à Venise, Secret sunshine et Poetry à Cannes), Kim Ki-duk (Samaritan girl à Berlin, Locataires et Pieta à Venise, Arirang à Cannes) ou de Park Chan-wook (Oldboy et Thirst à Cannes), mais aussi des réalisateurs comme Hong Sang-soo, Bong Joon-ho, Kim Ji-woon, et évidement Im Sang-soo (son dernier film Intimate enemies n'a pas encore pas de date de sortie en France).

Crédit photos : José Da Cunha