Cannes 2019 : 12 films d’animation qui ont marqué le festival

Posté par MpM, le 18 mai 2019

Concernant l'animation sur la Croisette, comme l'expliquait Mickaël Marin, directeur du festival d'Annecy dans notre dossier sur la place de Cannes, voir le verre à moitié vide ou à moitié plein est une question de perspective. Par le passé, le cinéma d'animation a pu parfois sembler un peu oublié, voire exclu. Pourtant, il a toujours eu sa place sur la croisette, ne serait-ce que dans les sélections de court métrage. Dix-huit courts animés ont ainsi gagné une Palme d'or, de Blinkity Blank de Norman Mc Laren (1955) à La traversée de l'Atlantique à la rame de Jean-François Laguionie (1978), en passant par Balablok de Bretislav Pojar (1973) ou Fioritures de Gary Bardine (1988).

Depuis plusieurs années, une nouvelle dynamique semble également s'être mise en place pour le long métrage d'animation, qui a eu les honneurs de l'ouverture de la sélection officielle, de la compétition et bien sûr de Cannes Classics ou des sections parallèles. Les films présentés cette année sont au nombre de quatre : La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti (Un Certain Regard), Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec  (Un Certain Regard), J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (Semaine de la Critique) et Le serpent blanc de Taiji Yabushita (Cannes Classic).

Par ailleurs, dans son souhait de renforcer la présence de l’animation sur la Croisette, le Marché du Film de Cannes a décidé de s'associer avec Annecy pour créer Animation Day, une journée entière dédiée à l'animation, dans laquelle s'intègre désormais l'événement "Annecy goes to Cannes" lancé en 2016. Ce dimanche 19 mai, le cinéma d'animation sera donc à la fête avec la présentation de cinq long métrages en work in progress qui auront ainsi l'opportunité de se faire connaitre par les nombreux professionnels réunis à Cannes (distributeurs, investisseurs, agents de vente). Les heureux élus sont : Dragonkeeper de Ignacio Ferreras et Jian-Ping Li, Archipel de Félix Dufour-Laperrière, Samsam de Tanguy de Kermel, Bob Crache – Nous n’aimons pas les gens de Cesar Cabral et Yakari de Xavier Giacometti. Suivra ensuite une table ronde autour de l'animation adulte : Quelles stratégies jusqu’à la salle pour les longs métrages d’animation "adultes" ?

A l'occasion de cette journée consacrée à l'animation, retour sur douze longs métrages animés qui ont marqué le Festival de Cannes.

Peter Pan de Clyde Geronimi, Hamilton Luske et Wilfried Jackson


Walt Disney lui-même accompagna Peter Pan sur la Croisette en 1953. Présenté en compétition, le film est le 18e long métrage d'animation des studios Disney. Adapté de la pièce de J. M. Barrie créée en 1904, il raconte le voyage au Pays imaginaire de Wendy, Michel et Jean, trois enfants guidés dans cet univers fantastique par Peter Pan et la fée Clochette. Ils y rencontrent le terrible Capitaine Crochet, mais aussi les garçons perdus, et vivent toutes sortes d'aventures extraordinaires. Considéré par beaucoup comme l'un des chefs d'oeuvre des studios, c'est incontestablement l'un des grands classiques du cinéma d'animation familial.

La planète sauvage de René Laloux


Présenté en compétition en 1973, La planète sauvage est le premier long métrage de René Laloux, adaptation (libre) du roman Oms en série de Stefan Wul, co-écrit avec Roland Topor, dont les dessins ont servi de bases pour la fabrication des images. Sur la planète Ygam, les Draags, une espèce d'humanoïdes bleus aux yeux rouges mesurant douze mètres de haut, pourchassent et exterminent une autre espèce, les Oms, perçus au mieux comme des animaux de compagnie, au pire comme des créatures nuisibles. Dans un univers surréaliste, tantôt onirique, tantôt cauchemardesque, cette planète pleine de surprises nous tend un miroir souvent dérangeant, et nous interroge sur nos propres pratiques face aux espèces que nous ne jugeons pas aussi évoluées que nous. Le film, envoûtant et curieux, fut l'un des tout premiers longs métrages d'animation destiné à un public adulte. Malicieuse fable écologique avant l'heure, il fit grande impression à Cannes et repartit auréolé d'un prix spécial du jury présidé par Ingrid Bergman.

Shrek d'Andrew Adamson et Vicky Jenson


On l'oublie parfois, mais Shrek, l'ogre vert et bougon de Dreamworks a été en compétition à Cannes. Deux fois, même, en 2001 et avec son deuxième volet en 2004. On ne présente plus ce personnage misanthrope qui voit son beau marais boueux envahi par des créatures de conte de fées qui ont été expulsées de leur royaume par le tyrannique Lord Farquaad. Irrévérencieux, hilarant et irrésistible, le film se moque de Disney, dynamite les contes de notre enfance, et détourne tous les codes du genre. Un pur divertissement qui a enchanté par deux fois les spectateurs du Théâtre Lumière.

Innocence : Ghost in the shell de Mamoru Oshii


Suite du film culte Ghost in the shell sorti en 1995 (et adapté du manga du même nom de Shirow Masamune), Innocence a eu les honneurs de la compétition en 2004, soit en même temps que le 2e volet de Shrek. Une situation qui ne s'est pas reproduite depuis, et dont on se demande parfois si elle est encore possible. Toujours est-il qu'inviter le cinéma complexe et visuellement éblouissant de Mamoru Oshii dans la course à la palme d'or fut à l'époque une manière élégante de mettre sur un pied d'égalité prise de vue réelle et animation, et surtout de rendre hommage à la beauté de l'animation japonaise d'anticipation. Innocence, véritable réflexion sur l'Humanité et son avenir, est l'une des incursions les plus marquantes du Cyberpunk sur le tapis rouge cannois.

Persépolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud


Adapté des romans graphiques de Marjane Satrapi, Persépolis est une plongée dans l'Iran de la fin des années 70. Avec humour et justesse, la dessinatrice-réalisatrice y raconte son enfance puis son adolescence à Téhéran, avant, pendant et après la Révolution. Dans un style graphique très dépouillé, tout en noir et blanc, fort d'un casting voix impressionnant (Catherine Deneuve, Danielle Darrieux, Chiara Mastroianni), le film repartira de la compétition cannoise 2007 avec un prix du jury, et rencontrera un énorme succès critique et public. Douze ans plus tard, il reste un exemple à suivre, voire un eldorado inatteignable, pour le long métrage d'animation pour adultes.

Valse avec Bashir de Ari Folman


En 2008, les festivaliers médusés découvrent un film mi-documentaire, mi-fiction, qui s'inspire de témoignages réels et d'un montage de 90 minutes d'images tournées en vidéo. Il aborde l'histoire personnelle du réalisateur qui a participé à l'opération israélienne au Liban "Paix en Galilée" pendant son service militaire. Peu à peu, des souvenirs de son implication dans le massacre de Sabra et Chatila remontent à la surface... Valse avec Bashir marque ainsi un jalon dans l'histoire du cinéma d'animation, à la fois parce qu'il est l'un des premiers documentaires animés découverts par le grand public, mais aussi par son sujet, et par son retentissement.

La tortue rouge de Michael Dudok de Wit


Première collaboration des studios Ghibli avec une production européenne animée, La Tortue rouge est un conte minimaliste sans dialogue, au dessin épuré, qui raconte l'existence d'un naufragé sur une île déserte. Présenté à Un Certain regard en 2016, c'est une parabole poétique, parfois un peu trop "mignonne", mais aux accents charmants, qui séduit par ses couleurs pastels chaudes et la simplicité de son récit.

Ma vie de courgette de Claude Barras


Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016, Ma vie de courgette est l'adaptation en stop-motion, avec des marionnettes, du roman Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris. Un drôle de film tendre et joyeux malgré son sujet, la vie d'un petit garçon qui se retrouve placé dans un foyer pour enfants après la mort accidentelle de sa mère. Entre complicité et mélancolie, amitié et résilience, le récit parvient à nous émouvoir tout en nous faisant rire, quand ce n'est pas l'inverse. Toujours avec une forme de simplicité qui permet d'aborder les sujets les plus graves sans jamais perdre le jeune public.

La jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach


2016 fut définitivement une grande année d'animation sur la Croisette, puisqu'on y découvrait aussi le premier long métrage de Sébastien Laudenbach, connu pour ses courts. Réalisé dans une grande économie de moyens, avec une animation esquissée qui assume d'être inachevée, le film qui fit l'ouverture de l'ACID est adapté d'un conte de Grimm, dans lequel un meunier vend son plus bel arbre ainsi que sa fille au diable en échange d'une richesse éternelle. Vendue et mutilée, la jeune fille s'enfuit, s'émancipe des hommes, et commence ainsi un parcours initiatique destiné à la libérer de toutes ses entraves. Un conte à la fois édifiant, poétique et follement libre, dans son propos, sa tonalité et son esthétique.

Là-haut de Pete Docter et Bob Peterson


En 2009, c'est un film d'animation en 3D qui faisait l'ouverture du festival. Là-haut, issu des studios Pixar, est un merveilleux récit d'aventures et de transmission qui nous emmène de la tristesse d'un maison de retraite à la jungle amazonienne en Amérique du Sud. On y suit Karl, un vieil homme de 78 ans bougon et solitaire, s'envoler littéralement pour le voyage de sa vie, emmenant sans le savoir Russell, un scout de neuf ans. Evidemment, ces deux-là devront apprendre à se connaître et à s'apprécier, tout en déjouant les plans machiavéliques d'un autre explorateur. Gai, irrévérencieux et profondément humain, c'est probablement l'un des rares films d'ouverture cannois à avoir allié aussi brillamment le pur divertissement et le cinéma d'auteur.

Vice-versa de Pete Docter, Ronaldo Del Carmen


En 2015, Cannes présente Vice-Versa en séance hors compétition... et s'entend dire par certains journalistes facétieux qu'il s'agit du meilleur film du festival et qu'il méritait la Palme. Et pourquoi le dernier-né des studios Pixar n'aurait-il pas mérité une place en compétition ? Drôle et malin, divertissant et fantasque, et surtout singulier et audacieux, il met en effet en scène un "quartier général" qui régit les humeurs et les réactions de la petite Riley, 11 ans. Formé par cinq émotions complémentaires (la colère, la peur, la joie, le dégoût et la tristesse), ce centre de contrôle aide la fillette à mener une vie heureuse et paisible, jusqu'au jour où Joie et Tristesse se perdent accidentellement dans les recoins les plus éloignés de sa mémoire... plongeant le spectateur dans une longue suite d'aventures cocasses, entre pur divertissement et tentation psychologique d'analyser nos comportements par le biais d'un trop plein d'émotions.

Teheran tabou d'Ali Soozandeh


En compétition à la Semaine de la Critique en 2017, ce premier long métrage du réalisateur d'origine iranienne Ali Soozandeh confirme la propension du cinéma d'animation à s'emparer de questions politiques ou sociales sensibles, voire taboues, en mettant en scène trois femmes et un jeune musicien dans la ville de Téhéran. Tous les quatre cherchent à leur manière un moyen de s'émanciper d'une société iranienne corsetée par la morale et gangrenée par l'hypocrisie. Utilisant le procédé de la rotoscopie, qui consiste à filmer des acteurs, puis à les redessiner et à les intégrer dans des décors peints, le réalisateur propose un pamphlet politique virulent et d'une extrême noirceur, qui trouve parfois ses limites, mais n'en demeure pas moins un portrait saisissant et singulier de l'Iran contemporain.

Cannes 2019 : Qui est Maud Wyler ?

Posté par MpM, le 18 mai 2019

Maud Wyler a eu très tôt, à cinq ans, la vocation de comédienne. En grandissant, elle apparaît donc dans quelques spots publicitaires et conserve intact son désir de jouer. En 2005, elle intègre ainsi le Studio-théâtre d’Asnières, avant de rejoindre le Conservatoire national supérieur d’Art dramatique dont elle sortira en 2008. On la voit beaucoup au théâtre, notamment dans Mademoiselle Julie de Strindberg, ou Cyrano de Bergerac d'après Edmond Rostand, et dans quelques courts métrages signés Agathe Riedinger ou Jean-Baptiste Saurel.

Son premier long métrage, Vertige d’Abel Ferry, est un film d’horreur en pleine montagne, aux côtés de Johan Libéreau et Fanny Valette. Suivent La brindille d’Emmanuelle Millet (avec Christa Théret) et Louise Wimmer de Cyril Mennegun, dans lequel elle incarne la fille du personnage principal, puis La mer à boire de Jacques Maillot et Low Life de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval (2012).

C’est justement en la voyant dans Louise Wimmer et Low life que le réalisateur Sébastien Betbeder la remarque et lui confie le rôle féminin principal de Deux automnes, trois hivers dans lequel son talent dans le domaine du drame comme de la comédie ne laisse plus aucun doute. On aime sa fausse fragilité, sa fantaisie à fleur de peau, son regard profond et intrigant.

On la revoit alors régulièrement sur grand écran, chez Benoit Jacquot (Journal d’une femme de chambre, 2015), Laurent Tuel (Le Combat ordinaire, 2015), Nobuhiro Suwa (Le Lion est mort ce soir, 2017), Fabrice Gobert (K.O., 2017)... En parallèle, elle continue sa carrière au théâtre (en 2017 elle est dans Notre Faust, saison 2 de Robert Cantarella au Théâtre des Amandiers). Le cinéma a de plus en plus de mal de se passer d’elle, et rien qu’en ce début d’année, on l’aura vue dans L’ordre des médecins de David Roux, où elle est la sœur de Jérémie Rénier, et dans La Lutte des classes, toujours à l'affiche, où elle joue une avocate jalouse de sa consœur Leïla Bekhti. Prochainement, elle sera même Marie-Antoinette pour la télévision (Ils ont jugé la Reine d’Alain Brunard).

Mais d’ici là, on a le bonheur de la retrouver deux fois à Cannes, deux fois à la Quinzaine des réalisateurs. Tout d’abord dans Alice et le Maire de Nicolas Pariser, dans lequel elle incarne une artiste torturée, obsédée par la fin du monde. Un rôle à la fois dramatique et comique, entre lucidité terrible sur le temps, et folie lunaire. Mais elle sera surtout le personnage féminin principal dans Perdrix d’Erwan Le Duc, le premier long métrage du réalisateur.

Leur première collaboration remonte en 2013, pour le court métrage Jamais, Jamais. Ils se sont ensuite retrouvés pour Miaou miaou fourrure (2015) et Le Soldat vierge (présenté à la Semaine de la Critique en 2016). Dans Perdrix, la comédienne est l’insaisissable Juliette Webb qui chamboule l’existence trop rangée de Pierre Perdrix (Swann Arlaud) et de sa famille (Fanny Ardant, Nicolas Maury). On l’imagine parfaite en tornade incontrôlable, drôle et légère, en diapason avec l’univers singulier d’Erwan Le Duc.

On aurait envie d’écrire que le cinéma ne confie pas assez de rôles à Maud Wyler, mais ce serait nier le désir de la comédienne de construire les choses sur la longueur, en s’offrant la liberté de choisir soigneusement ses personnages. Rare, peut-être, bien que cela soit de moins en moins vrai, mais au fond plus présente, plus singulière, plus intense.

Cannes 2019 : Il était une fois… Etre vivant et le savoir, reflet d’un film qui n’a pas pu être tourné

Posté par MpM, le 16 mai 2019

C’est forcément avec une émotion particulière que l’on s’apprête à découvrir Etre vivant et le savoir, le nouveau film d’Alain Cavalier présenté en séance spéciale lors de cette édition 2019 du Festival de Cannes. Pour sa sixième sélection sur la Croisette (trois fois en compétition et deux fois à Un Certain Regard), le réalisateur propose en effet un film qui n’aurait jamais dû voir le jour, mais qui remplace à sa manière celui qui n’a jamais pu être tourné.

En 2013, la romancière et scénariste Emmanuèle Bernheim publie Tout s’est bien passé, dans lequel elle raconte le suicide assisté de son père, le collectionneur d'art André Bernheim, qui avait choisi de mourir après qu’un accident vasculaire cérébral l'avait laissé diminué. Alain Cavalier, avec lequel elle partage alors une amitié de près de trente ans, décide d’adapter le livre en film, et d’interpréter lui-même ce père disparu qui avait, au moment de sa mort, exactement son âge. Il propose à l’auteure de jouer son propre rôle, à ses côtés. D'abord réticente, elle finit par se prendre au jeu. "L’acceptation vient avec le plaisir du travail", explique Alain Cavalier. "Adapter tous les deux son livre, choisir ceux qui vont nous accompagner."

Le projet, malheureusement, ne verra jamais le jour. Un matin d’hiver, Emmanuèle Bernheim appelle Alain Cavalier et lui annonce que "le tournage devra être retardé jusqu’au printemps. Elle va être opérée d’urgence." Ainsi le film ne se fera pas. En tout cas pas sous la forme qu’ils avaient imaginée ensemble. Car hors de question pour le cinéaste de laisser mourir son amie une seconde fois. Il reprend le projet, retravaille des images de son fameux journal vidéo, témoin à sa façon de leur amitié, et ajoute de nouvelles séquences.

Une nouvelle fois, il se fixe comme mission d’empêcher les êtres disparus de disparaître tout à fait, en les évoquant intensément par le biais des images et du souvenir filmé. "Je souhaite aboutir à un récit aussi fort que celui préparé par Emmanuèle et moi" explique-t-il. "Nos joies et nos peines ont la présence vitale d’avoir été enregistrées en direct. Mon acceptation de l’ordre des choses, affermie par le courage d’Emmanuèle et de son père, éclaire d’une lumière apaisante ce que je propose au spectateur."

Ce que l’on découvrira sur grand écran à Cannes, puis dans les salles de cinéma à partir du 5 juin, ne sera ainsi pas tout à fait un hommage, pas tout à fait une adaptation, pas tout à fait un récit intime, pas tout à fait une conjuration de la mort, mais un peu tout cela à la fois.

Cannes 2019 : 3 questions à Alaa Eddine Aljem, réalisateur du Miracle du saint inconnu

Posté par MpM, le 15 mai 2019

Alaa Eddine Aljem est un réalisateur marocain qui a étudié le cinéma à Marrakech et à Bruxelles, avant de réaliser plusieurs courts métrages. Son premier long, Le miracle du saint inconnu, est sélectionné en compétition à la Semaine de la Critique. Il raconte la vie d'un petit village perdu dans le désert, où se dresse le mausolée d'un Saint inconnu. Toute une galerie de personnages hauts en couleurs s'y croisent, d'un voleur cherchant à retrouver son argent caché dans la tombe du prétendu Saint à un gardien préférant son chien à son fils, en passant par un docteur qui n'a guère que de l'aspirine pour soigner ses patients, dressant un portrait cocasse et absurde du Maroc et de l'Humanité en général.

Ecran Noir : Quelle est la genèse du film ?
Alaa Eddine Aljem : C'est un film burlesque, une comédie absurde, dont j'avais l'idée depuis longtemps. Il y a une continuité avec les courts que je faisais avant, c'est-à-dire que je pars d'une situation absurde et que je cherche à l'exploiter à la fois dans son potentiel dramatique et comique. Ce n'est jamais de la grande comédie, mais c'est quelque chose qui fait sourire. Pour le long métrage, c'est un peu la même chose. Le point de départ, c'est donc ce voleur qui vole de l'argent et qui l'enterre, et qui à sa sortie de prison s'aperçoit qu'on a construit un marabout autour et qu'on pense qu'un saint est enterré là. Il s'installe dans un village qui s'est construit autour de ce mausolée et cherche à récupérer son argent. A chaque fois, il se retrouve dans des situations absurdes qui le mettent en interaction avec les habitants de ce village. Le point de départ, c'était à la fois ces situations, et des images de mon enfance. Ma mère vient du sud du pays, et je voyageais souvent avec elle quand j'étais petit, et ces paysages arides et désertiques me reviennent souvent en tête et sont souvent dans mes films.

EN : Quelle vision aviez-vous envie de donner du Maroc en faisant ce film ?
AEA : Il n'y a pas spécialement un message à délivrer sur le Maroc. C'est plus un constat, une observation. Il s'agit d'une micro-société qui est en mouvement, à la croisée des chemins entre le traditionnel et le moderne. Une société qui doit changer de mode de vie, et où la route et la modernité arrivent, et qui en même temps vit de ses vieilles croyances parce que c'est son seul gagne-pain. Le Maroc est un pays qui est en mouvement. On a atteint un point sensible entre tradition et modernité, et même entre croyance et matière, entre le règne d'un roi qui était jeune quand il est arrivé au trône, qui a apporté un nouveau souffle, et qui aujourd'hui n'est plus si jeune que ça. Il y a besoin d'autre chose, d'un nouveau projet national. J'ai des amis qui détestent le foot et qui priaient pour qu'on ait l'organisation de la Coupe du Monde, juste pour qu'on ait un événement national, quelque chose auquel on puisse croire, qui nous fasse aller de l'avant. Et dans le film c'est exactement ça. Un groupe d'individus qui ont besoin de croire en quelque chose ensemble pour aller de l'avant. C'est un besoin qu'on a tous. Ce n'est pas un film pour dire que telle croyance est bien ou pas bien. C'est plus une manière d'observer un changement, et comment il se reflète chez l'humain.

EN : Quels ont été vos choix de mise en scène pour le film ?
AEA : Dans tous les courts que j'ai fait, il y a une sorte de continuité dans la mesure où je n'ai jamais aimé les mouvements de caméra, je ne sais pas pourquoi. Donc ça a toujours été caméra sur pied et fixe, sans aucun mouvement. Je ne sais pas si c'est l'âge, mais je deviens de moins en moins sensible à certaines focales. J'ai tourné tout le film entre le 35mm et le 50mm, et un tout petit peu le 20mm. Tous les outils de la cinématographie se réduisent, je n'en garde que le strict minimum : une caméra, un pied, trois objectifs. J'aime beaucoup fragmenter les espaces et avoir comme des tableaux avec les personnages qui se déplacent d'un cadre à l'autre. Et souvent, dans les espaces, c'est les mêmes cadres et les mêmes axes, c'est juste monté différemment. Quelqu'un se lève et rentre dans 'autre cadre pour s'assoir. J'aime beaucoup les films japonais, l'esthétique de Ozu, j'aime cette rigidité qu'il y a dedans. Et même culturellement, je trouve qu'il y a quelque chose d'assez proche. Dans les décors marocains, on n'a pas de plan-tatami, mais on a des assises assez basses nous aussi, on a une position de caméra assez similaire.

J'ai aussi un côté assez maniaque sur le découpage, sur la préparation. J'ai besoin que tout soit prêt avant le tournage. Donc avec le chef opérateur, on a fait tout le film plan par plan en photos avant de commencer à tourner. On a pris 821 photos, avec des doublures sur tous les décors. Et des fois on cherchait, on faisait 25 photos avec différentes focales... En plus ce désert où on a tourné, il est habité aujourd'hui. Il y a des routes, des poteaux électriques, des quads, et du coup si on tourne un tout petit peu la caméra, on voit plein de choses dans le cadre ! Il a aussi fallu inventer tous les lieux, car rien n'existait : le mausolée, la colline... Donc j'ai tout préparé avant, méticuleusement. J'aime que tout soit bien préparé. Mais une fois sur le tournage, je ne regarde rien. J'ai tout dans la tête.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? – Episode 7 Jean-Noël Tronc, directeur de la SACEM

Posté par MpM, le 13 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Jean-Noël Tronc, directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), nous parle de la musique à Cannes, et du rôle qu'y joue la SACEM.


Depuis quand la SACEM s'investit-elle au festival de Cannes ? En quoi consiste cet investissement (en général, et cette année en particulier) ?
Cela fait plusieurs années que la Sacem s’associe à l’ensemble des sélections cannoises pour valoriser la musique à l’image et ses compositeurs. Elle accueille ces derniers à l’occasion de la projection du film dont ils ont signé la partition et travaille depuis plusieurs années, avec la Semaine de la Critique et la Quinzaine des réalisateurs notamment, pour mettre en avant leur travail.

La Sacem est devenue partenaire institutionnel officiel du Festival de Cannes en 2018. Nous avons créé avec Thierry Frémaux un rendez-vous consacré à la musique qui met à l’honneur une personnalité pour son engagement envers la musique de Film et les compositeurs : « A Life in Soundtrack ». Lundi 20 mai, au palais des festival salle Bunuel, Bertrand Tavernier recevra cet hommage et nous projetterons à cette occasion un montage inédit, consacré aux musiques et aux chansons du cinéma français, issu de son merveilleux « Voyage à travers le Cinéma français ».
Nous travaillons également étroitement avec les sélections parallèles du festival : la Semaine de la Critique, la Quinzaine des Réalisateurs, l’ACID mais aussi la Cinéfondation avec qui nous organisons des Master Classes comme celle qui mettra à l’honneur Marc Marder, Samedi 18 mai au Pavillon du monde de l’institut Français.

Pourquoi est-ce important d'être présent à Cannes ? En quoi le festival se distingue-t-il selon vous des autres grands festivals internationaux ?
Le festival de Cannes, dont la Sacem est un partenaire institutionnel, représente un enjeu de visibilité majeur pour les compositeurs. Nombreux sont nos membres créateurs qui exportent aujourd’hui leur travail dans ce secteur particulier qu’est la musique de film : Cannes représente une très belle occasion dans l’année de mettre en lumière leur métier.

Comment jugez-vous la place faite à la musique de films à Cannes ?
Le festival accorde une place de plus en plus importante à la musique. Le compositeur est légalement le 3e auteur d’un film, ce que le festival de Cannes a d’ailleurs reconnu en invitant Alexandre Desplat en 2010 et Gabriel Yared en 2017 comme membre de son jury. La Sacem serait effectivement heureuse de voir un jour la musique de films récompensée par une palme.

Avez-vous des conseils concernant les musiques à suivre dans les films de cette édition 2019 ?
Soyons attentifs à la nouvelle génération de compositrices et compositeurs qui arrive à Cannes et qui s’annonce prometteuse : Para One et Arthur Simonini avec Portrait de la Jeune Fille en feu de Céline Sciamma en sélection officielle, Wissam Hojeij avec Ciniza Negra de Sofia Quiros Ubeda à la Semaine, Julie Roué avec Perdrix de Erwan le Duc à la Quinzaine ou encore Alexis Rault avec Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobé Mevellec et Rob avec Papicha de Mounia Medour tous deux à Un Certain Regard ou encore Benoit de Villeuneuve et Gaspard Clauss avec Vif Argent de Stéphane Batut à l’Acid… et beaucoup d’autres naturellement, ce n’est pas une liste exhaustive.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Episode 6 Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde de Malavida Films

Posté par MpM, le 13 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Si Cannes a résolument le regard tourné vers le cinéma d'aujourd'hui et de demain, cela ne l'empêche pas de faire une place croissante aux films qui ont marqué son histoire. Ainsi, depuis la création de la section Cannes Classics en 2004, le cinéma de patrimoine a véritablement toute sa place sur la Croisette, permettant aux festivaliers de revoir les chefs d'oeuvre du passé dans des conditions de projection optimales. Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde, fondateurs de Malavida Films, société de distribution de films et d'édition et distribution DVD, ont eu plusieurs fois l'occasion de présenter l'un de leurs films à Cannes Classics. Cette année, ce sera d'ailleurs Kanal d’Andrzej Wajda, fraîchement restauré. Ils nous parlent de "leur" Festival de Cannes, et du moment privilégié qu'il représente dans leur agenda.


Ecran Noir : Cannes est-il un rendez-vous incontournable dans votre agenda ? Depuis quelle année ?
Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde : Premier Cannes en 1992 pour Anne-Laure, étudiante en cinéma ayant réalisé un court métrage, en bande, on courait d’une salle à l’autre et on discutait des films pendant des heures à feu la Brasserie du Casino. Une projection manquée et c’était la fin du monde… Une période enchantée.
Ensemble avec Malavida depuis 2006, en tant qu’éditeurs DVD puis distributeurs. C’est aujourd’hui toujours un rendez-vous précieux, aimé, épuisant mais exaltant, chaque année riche de belles rencontres et de joyeuses retrouvailles comme de nouveaux coups de coeur cinématographiques. Du travail donc, mais aussi beaucoup de plaisir...

EN : Vous y serez cette année avec un film en sélection à Cannes Classics, KANAL d’Andrzej Wajda en version restaurée. Pouvez-vous nous parler du film en quelques mots ? Que change cette sélection pour lui ?
ALB et LI : Quand le film sort, Andrzej Wajda en est au tout début de sa carrière, c'est son 2e long. Et Il s'attaque à un sujet dont les Polonais ne veulent pas entendre parler. Le film, qui renvoie l'image d'un conflit "sale" et dont les protagonistes, malgré leur héroïsme jusqu'au boutiste, ne trouvent aucun avenir meilleur, aucun espoir… Condamné par ses contemporains, désarçonnés par la liberté d'un auteur qui s'affranchit de toute contrainte idéologique, ce chef d'oeuvre condense un étonnant mélange de récit de guerre, l'expression d'une sensualité farouche et une mise en scène d'un modernisme absolu.

Ce deuxième film d'Andrzej Wajda le consacre déjà comme un auteur unique à la maitrise éblouissante et au regard sans concessions. Il est mal reçu et par la critique et par le public. Mais Cannes, en 1957, le distingue avec le prix du jury et fait émerger Wajda comme un auteur majeur. Il est alors soutenu par une partie de la critique française, avant sa 1ère oeuvre reconnue de tous : Cendres et diamant.

60 ans plus tard, Kanal apparait comme un chef d'oeuvre indiscutable. Aujourd'hui plus que jamais, nous sommes heureux de pouvoir partager des films aussi beaux et aussi puissants, magnifiquement restauré par Kadr, enrichi de nouveaux sous-titres, pour que sa beauté brutale et sensuelle, la puissance de son propos politique et son humanité touchent à nouveau le plus possible de regards. "Survival" avant l'heure, Kanal est un film d’une intensité inoubliable. A l'heure où Malavida travaille à la redécouverte de l'oeuvre d’ Andrzej Wajda, le Festival adresse un signal fort, qui opère comme un lancement de notre travail sur le long terme, un mise en lumière essentielle. Cannes Classics offre un label de qualité inégalable pour la vie du film ensuite, en France comme à l’international pour ses vendeurs.

EN : D'une manière générale, en tant que distributeur, et notamment de distributeur de films de patrimoine, en quoi consiste votre présence là-bas ? Avez-vous des attentes ou des buts spécifiques ?
ALB et LI : Cannes Classics propose un état des lieux du patrimoine mondial : les plus belles restaurations, la politique des cinémathèques et de leurs pays respectifs. C’est passionnant et un plaisir aussi, toujours, d’y découvrir des films que nous ne connaissions pas, aux côtés de chefs d’oeuvre. La sélection est toujours riche de surprises.

Pour Malavida qui travaille énormément avec des ayants droits européens, Cannes permet de rencontrer tous nos interlocuteurs internationaux en un laps de temps très court. Tout le monde est présent, on passe de la Norvège à la Pologne en une heure, cela permet de garder les contacts établis, de donner de nos nouvelles et de se tenir au courant, c’est indispensable pour nous. Un verre partagé est toujours précieux et les rendez-vous sont bien plus efficaces que les mails pour débloquer certaines situations complexes. La complexité des questions de droit et de matériel est une des caractéristiques du cinéma que l’on défend, Cannes est d’autant plus précieux pour nous.

Nous attendons des nouvelles rencontres comme des retrouvailles, des découvertes, et tentons au maximum avec la super équipe de Malavida présente à nos côtés - Marion Eschard pour la presse et Gabrielle Martin-Malburet à la programmation - de profiter de cette mise en lumière essentielle pour favoriser la diffusion de nos films parfois très méconnus, en multipliant les dialogues avec journalistes et exploitants !

EN : Avez-vous le souvenir d'une rencontre, d'une découverte ou d'un événement décisif durant le festival par le passé ?
ALB et LI : Nos projections à Cannes Classics restent des souvenirs inoubliables et ont beaucoup contribué à faire (re)connaître Malavida comme un acteur important de la distribution de patrimoine. Le départ en 2018, J'ai même rencontré des Tsiganes heureux en 2017, Joe Hill en 2015 ont toujours été des moments d'une grande intensité émotionnelle et un jalon essentiel dans leur exploitation.

La projection sur la plage en 2015, de l’extraordinaire Joe Hill, invisible depuis 40 ans et résultat de plus de 7 ans de recherches, de négociations et de défis divers, en présence de la famille de Bo Wideberg, autour duquel nous avons - et allons encore - tant travaillé, restera bouleversante pour chacun d’entre nous. L’archétype du moment où on est pleinement heureux et fiers du boulot accompli. Le Départ l’an dernier, avec Jerzy Skolimowski, si ému et si impressionnant, devant la plage bondée est aussi inoubliable. Nous adorons la plage, qui permet de partager avec tous, professionnels ou non, ces émotions intenses.

La joie de voir grandir ici des cinéastes importants que nous avons été les touts premiers à accompagner dès leurs débuts, comme Joachim Trier ou Bertrand Mandico ces dernières années, est également très intense. A titre plus personnel, des dizaines de découvertes, de rencontres et de moments magiques attachés à Cannes, bien sûr.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux ?
ALB et LI : Cannes est un festival unique. Il a été le premier à accorder un place essentielle au patrimoine, il y a plus de 10 ans... En terme de marché, la création par Thierry Frémaux avec Gérald Duchaussoy - les âmes de Cannes Classics - du Marché International du Film Classique lors du Festival Lumière à Lyon est une idée formidable et se développe à chaque édition. C’est pour nous un moment très fort de l’année, un temps dédié au patrimoine où l’on voit à quel point il passionne les spectateurs et possède un intérêt économique réel.

Les enjeux sont importants, en particulier pour nombre de pays qui restaurent le plus et le mieux possible leurs trésors : la Tchèquie, la Slovaquie ou la Hongrie par exemple, ou encore la Pologne, qui nous permet de proposer cette magnifique copie de Kanal, enrichie par Malavida de tous nouveaux sous-titres anglais et français, comme les premiers Skolimowski en début d’année.

Le festival est un moteur essentiel dans la reconnaissance de l'importance du patrimoine, en associant par exemple les cinéastes, comme Skolimowski en 2018, aux montées des marches au même titre que pour les films inédits, les valorisant et permettant ainsi à tous de les découvrir.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? – Episode 5 Mickaël Marin, directeur du Festival d’Annecy

Posté par MpM, le 13 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

On l’oublie souvent, mais comme nous le racontions dans notre dossier « Cannes 70 » en 2017, le Festival d’Annecy est né à Cannes, à la suite des Rencontres internationales du Cinéma d’animation qui y eurent lieu en parallèle du Festival en 1956. Il était logique qu’Annecy revienne sur la croisette, et y porte haut les couleurs de l’animation. Nous avons demandé à Mickaël Marin, directeur du Festival d’Annecy depuis 2018, et ancien directeur du MIFA, son marché du film, de nous parler de la manière dont il perçoit Cannes, et notamment des événements qu’y organise le festival d’animation cette année.

© Gilles Piel

Ecran Noir : Cannes est-il un rendez-vous incontournable dans votre agenda ?
Mickaël Marin : Oui, il l’est devenu. Nous sommes plusieurs de l’équipe à faire le déplacement, ce qui n’était pas le cas il y a ne serait-ce que cinq ans. Avant, la proximité des dates entre nos deux événements faisait aussi qu’on s’interdisait d’être loin du bureau à ce moment-là. La notoriété d’Annecy étant grandissante, la place du long métrage d’animation aussi, il est devenu de plus en plus évident pour nous que Cannes est un lieu privilégié pour travailler. Comme Cannes rassemble la planète cinéma pendant plus de dix jours, c’est une formidable opportunité de voir des partenaires, des journalistes, et de préparer à la fois l’édition qui vient et les éditions suivantes.

EN : Pourquoi y allez-vous cette année ? En quoi va consister votre présence là-bas ?
MM : Cannes est d’autant plus devenu incontournable pour nous qu’il y a quelques années le marché du film nous a proposé d’organiser “Annecy goes to Cannes” dont c’est la 4e édition. Il s’agit d’un dispositif qui nous permet de présenter aux professionnels des films en cours de production ou de post-production. On a donc aujourd'hui une activité très visible, au-delà des rendez-vous et des films à voir ! Et cette année aura en plus une dimension particulière puisque nous avons créé avec le Marché du Film de Cannes le projet “Animation day”. Après “Annecy goes to Cannes”, nous proposons donc un panel de discussion autour de l’animation adulte. Ainsi la visibilité du cinéma d’animation à Cannes se densifie.

EN : Pourquoi est-ce important d’amener le festival d’Annecy à Cannes, notamment avec le dispositif « Annecy goes to Cannes » ?
MM : "Annecy goes to Cannes" nous permet de continuer le travail d’accompagnement que l’on a mis en place à Annecy, en considérant qu'aujourd’hui il est important pour un festival ou un marché d’accompagner les films au-delà du temps de l’événement. Le temps de l’animation est long, autant pour son financement que pour sa production. Entre le moment où un projet est présenté à Annecy, parfois en tout début de développement, et le moment où il sort en salles dans le cas d’un long métrage, il peut se passer plusieurs années. Avec des étapes importantes : la recherche de financement, le développement, le recrutement des équipes, puis l’entrée en production. Il est aussi capital de rendre le film visible pour la presse et pour les distributeurs, de faire en sorte qu’il soit vu et qu’il circule le plus possible.

"Annecy goes to Cannes" est ainsi un moment supplémentaire d’accompagnement qui permet de poser un double label : celui d’Annecy et celui du marché du film de Cannes. Pour nous c’est vraiment intéressant, et ça prouve qu’on est en capacité de soutenir des projets et des équipes en dehors du temps d’Annecy et ailleurs dans le monde. C’est ce que l’on fait également dans le cadre d’un partenariat avec le festival Animation is film à Los Angeles. Dans ce cas, les films sont terminés, donc projetés en salle, mais c’est la même logique.

Je trouve aussi que c’est une belle reconnaissance pour nous que le Marché se soit tourné vers nous, que ce soit pour « Annecy goes to Cannes » ou pour le « Animation day » cette année. On ne peut pas être spécialiste de tout. Unir nos forces profite à cet art, aux projets, aux talents et aux films.

EN : Quelles sont vos attentes ?
MM : Elles sont diverses. Sur « Annecy goes to Cannes », nous espérons que la visibilité donnée aux films suscite des discussions et génère des deals. Quant aux rencontres qu’on peut faire à Cannes, comme dans tout événement, elles nous permettent d’avancer dans la préparation de notre festival. Sur des partenariats, des conceptions de projets autour des films. Tout ce qui aide à la visibilité d’Annecy et du cinéma d’animation est bon à prendre. Mais même si cette visibilité s’est développée, il y a encore du travail. On est content de pouvoir montrer dans un lieu qui n’est pas dédié à l’animation toute la puissance de cet art.

EN : Comment voyez-vous la place du cinéma d'animation sur la Croisette, en général, et cette année en particulier ?
MM : C’est bien sûr une bonne année entre J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin et Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbe-Mevellec, [mais aussi La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti dont la sélection a été annoncée après cet entretien]. C’est aussi une satisfaction pour nous car ce sont des films que l’on suit et accompagne depuis très longtemps. Qu’ils soient dans le plus grand festival de cinéma du monde nous rend fiers, d’autant que nous les avions déjà choisis pour faire partie de notre compétition à Annecy cette année.

Bien sûr, on peut toujours penser que la présence de l’animation pourrait être plus importante, en termes de longs métrages comme de courts, tant la richesse et le niveau de la production mondiale sont importants.
Mais Thierry Frémaux doit faire des choix comme nous en faisons à Annecy. On ne peut pas tout montrer.

Notre rôle est d’autant plus déterminant à Cannes qu’il nous permet d’en proposer d’avantage La qualité des films en préparation, notamment sur des cibles plus adultes, est en développement constant. On l’a vu au dernier Cartoon Movie de Bordeaux [NDLR : forum professionnel consacré au long métrage d’animation]. Je pense qu’il y aura régulièrement des films d’animation à Cannes dans les années à venir. Les films singuliers et avec un propos narratif fort, seront sélectionnés. Je pense aussi qu’un public moins rompu au cinéma d’animation est peu à peu en train de le découvrir. Il y a une acculturation qui se fait. Les gens prennent du plaisir à constater que le cinéma d’animation n’est pas que pour les enfants. Cette année, il a de très bons ambassadeurs. J’ai tendance à penser que le meilleur reste à venir.

EN : Y-a-t-il eu une rencontre ou un événement décisif durant le festival par le passé ?
MM : Sûrement, mais rien ne me revient de concret ! Par contre, si je fais un pas de côté, je dirais que lors du premier "Annecy goes to Cannes" en 2016, on était hyper fier. C’était une super reconnaissance de se dire que dans le plus grand marché, dans le plus grand festival, on pouvait montrer ce qu’on aime, ce en quoi on croit. Être à Cannes, c’est une chance. Mais avoir du contenu à accompagner, c’est encore mieux.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux ?
MM : Ce qui distingue Cannes, c’est évidemment que c’est un très grand festival mais qu’il a également un très grand marché. Les deux se renforcent. Si on fait le parallèle avec Annecy, c’est aussi ce qui fait notre force. Autre caractéristique de taille, la palette des gens qu’on peut rencontrer est extrêmement large. Du plus grand décideur à un artiste en devenir ! Et ce qui m’a le plus étonné la première fois que je suis venu, c’est que les gens restent accessibles. On peut vraiment y faire de très belles rencontres.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? – Episode 4 Rencontre avec Jérémy Redler, président de la Commission du Film Ile-de-France

Posté par MpM, le 12 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

La Commission du Film d’Ile-de-France est un établissement public de coopération culturelle créé à l’initiative de la Région Ile-de-France en 2004 afin de renforcer l’attractivité de la Région Ile-de-France comme site de tournage et comme espace privilégié pour la production cinématographique et audiovisuelle. Parmi les films présentés cette année à Cannes, trois ont bénéficié directement d'un accompagnement de production, principalement pour la recherche de décors : La Belle époque de Nicolas Bedos (officielle), Yves de Benoît Forgeard (Quinzaine) et La Nuit je mens de Stéphane Batut (ACID). Treize ont bénéficié du Fonds de soutien Cinéma et audiovisuel de la Région Ile-de-France, parmi lesquels Sybil de Justine Triet et Les Misérables de Ladj Ly (Compétition) ou encore J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (Semaine de la Critique). Le président de la Commission, Jérémy Redler, nous explique pourquoi elle est présente à Cannes chaque année depuis sa création, et quelles sont ses actions sur place.

EN : Depuis quand la commission Ile-de-France s'investit-elle au festival de Cannes ? En quoi consiste cet investissement ?
Jérémy Redler : Nous assurons une présence lors de ce Festival majeur, depuis 2004, afin de promouvoir la destination Ile-de-France comme terre d’accueil de tournage ayant de nombreux dispositifs pour aider les producteurs à mener à bien leur projet de film, et afin de rencontrer justement les professionnels étrangers qui souhaitent venir chez nous et répondre précisément à leur demande.

EN : Pourquoi est-ce important d'être présent à Cannes ? En quoi le festival se distingue-t-il selon vous des autres grands festivals internationaux ?
JR : C’est le plus grand festival du monde en terme de réputation et surtout en terme de présence de professionnels (12 000 accrédités). Cela nous permet de rencontrer des producteurs et des institutions du monde entier, avec lesquels nous travaillons et/ou qui sont nos cibles. Enfin, un certain nombre d’annonces et de débats sont organisés à Cannes. Il est donc important pour nous de suivre l’actualité de la profession.

Quelles sont vos attentes et buts pour cette année ?
JR : Cette année, nous souhaitons présenter aux professionnels présents notre nouvelle marque, Film Paris Region, suite à l’intégration de la Commission du Film d’Ile-de-France au sein de l’agence d’attractivité régionale de la Région, Paris Région Entreprises. Nous serons présents tout au long du Festival sur le stand de Film France (Pantiero), auprès des autres commissions du film françaises. Nous organisons notamment une conférence de presse le dimanche 19 mai à 11h30 au Salon des Ambassadeurs pour présenter l’actualité de la politique régionale en matière de cinéma et d’audiovisuel ainsi que l’étude Emploi 2017 de l’Observatoire de la Production audiovisuelle et cinématographique en Ile-de-France.

Par ailleurs, nous sommes partenaires de l’évènement Shoot the Book, organisé par la Société Civile des Editeurs de Langue Française et l’Institut Français. Le 21 mai seront présentées 20 œuvres littéraires françaises et étrangères, adaptables à l’écran, auprès d’un parterre de plus de 150 producteurs de tous pays. L’après-midi se dérouleront les rendez-vous one-to-one entre éditeurs et producteurs. Enfin, le vendredi 17 mai, nous interviendrons lors de la table-ronde « Sustainability in Action » (Pavillon italien à l’hôtel Majestic) pour évoquer nos actions en termes d’éco-responsabilité sur les tournages de film, sensibilisation que nous menons auprès du secteur depuis 10 ans maintenant.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Episode 3 Rencontre avec Jean-Marc Thérouanne, Délégué général du Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul

Posté par MpM, le 11 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Jean-Marc Thérouanne, délégué général et cofondateur du Festival international des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul, est un habitué de Cannes, qu'il fréquente depuis plus de vingt ans. Pour lui et pour son équipe, cette quinzaine sur la croisette revêt une importance primordiale à la fois pour découvrir les films qui figureront peut-être dans la sélection 2020 du FICA, mais aussi pour tisser et entretenir des liens étroits avec les professionnels du cinéma de tout le continent asiatique.


Ecran Noir : Cannes est-il un rendez-vous incontournable dans votre agenda ? Depuis quelle année ?

Jean-Marc Thérouanne : Cela est une évidence, j’y viens avec Martine Thérouanne, la Directrice du Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul, depuis 1997, c’est à dire depuis 23 ans sans discontinuer. Et, depuis 2010, deux très proches collaborateurs, Bastian Meiresonne, directeur artistique, et Marc Haaz, responsable du département technique du FICA, nous accompagnent. Il y a tant de choses à faire à Cannes qu’être quatre n’est pas de trop !

EN : Pourquoi y allez-vous cette année ? En quoi va consister votre présence là-bas ? Avez-vous des attentes ou un but particulier ?
JMT : Parce que cela est indispensable d’y être quand on est dirigeant d’un festival comme le nôtre. Le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul est considéré comme l’un des quatre festivals socles par le CNC, en raison de sa spécificité. Il fait partie, en France, de la vingtaine de festivals de cinéma soutenus, en national, par le CNC.

Nous y allons donc pour peaufiner notre toile relationnelle avec les producteurs de films des cinémas d’Asie de toute l’Asie géographique, de l’Oural à l’océan pacifique et du canal de Suez à l’océan indien. Cannes étant le plus grand marché du film du monde, il permet d’entretenir les contacts aussi bien avec Israël Film Fund, qu’avec la Fondation Liban, Iranian Independents, Taiwan Cinema... Nous y allons aussi pour rencontrer les institutionnels des pays d’Asie, les représentants des festivals d’Asie, mais également les distributeurs français, les institutionnels français, les partenaires du festival... Quand on s’est vu et qu'on a parlé, même brièvement, lorsqu'après on se recontacte pour finaliser des projets, les rapports humains sont... plus humains. Nous allons aussi à Cannes pour rencontrer des critiques, des acteurs, des réalisateurs... Cela permet d’établir des contacts pour bâtir les différents jurys des futures éditions du FICA.

Nous y allons enfin pour assister les professeurs et les élèves de l’option Arts visuels du lycée Edouard Belin de Vesoul, qui se rendent à Cannes. Certains de ces élèves font partie du Jury Lycéen du FICA. Le lycée Edouard Belin est partenaire depuis l’origine du FICA. Celui-ci est un passeur d’images, cela fait partie du travail pédagogique d’un festival.

EN : Et puis il y a les projections...
JMT : Bien évidemment, nous y allons aussi pour voir des films ! Notamment les films des pays d’Asie répartis dans les différentes sections de la sélection officielle mais aussi des sections parallèles. Pour éviter le formatage de notre regard par les cinématographies asiatiques, nous nous astreignons à voir la totalité des films de la compétition officielle. Il est important d’avoir une connaissance du cinéma mondial, et puis voir les œuvres des plus grands réalisateurs au monde, c’est un plaisir incommensurable, bien qu’il soit très difficile de pouvoir obtenir des billets pour les voir au Grand Théâtre Lumière quand on est directeur de Festival car nous sommes accrédités « Institutions Culturelles ».

Pour pouvoir voir le maximum de films importants et de rencontrer le maximum de personnes dans le temps incompressible des douze jours du Festival, il est indispensable de bâtir un emploi du temps grand format permettant d’avoir une vision globale des projections des films indispensables et des rencontres professionnelles incontournables [à voir sur la photo]. La maîtrise de la gestion du temps est un élément essentiel dans la stratégie à mettre en place pour réussir une édition cannoise. Cannes, c’est un peu « Marathon Man » !

EN : Avez-vous le souvenir d'une rencontre ou d'un événement décisif durant le festival par le passé ?
JMT : Le réalisateur hongkongais Stanley Kwan avait remporté le Cyclo d’or à Vesoul, en 2002, pour son film Lan Yu. Stanley n’avait pu rester jusqu’à la fin du festival vésulien. Nous lui avons donc remis le Trophée lors de la Hong Kong Night plage du Carlton. Stanley, tout joyeux, nous a fait entrer dans la tente VIP, c’est ainsi que mon épouse Martine, notre collaboratrice Martine Armand et moi, avons passé deux heures à discuter avec Michelle Yeoh, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu Wai et Jia Zhang-ke. C’est un souvenir inoubliable. Cela nous a permis de faire venir Jia Zhang-ke, en compétition au 11e FICA, avec son film The World, et de bâtir une rétrospective Stanley Kwan au 14e FICA.
Une fois que l’on rencontre les personnes, cela est plus facile pour bâtir des projets et les inviter ! En 23 ans de Cannes, nous avons une foule de souvenirs marquants. En douze jours, on vit une multitude de rencontres, naturellement très brèves mais très intenses : Wong Kar Waï, Kore-eda Hirokazu, Naomi Kawaze, Hou Hsiao-hsien, Nadine Labaki, Abbas Kiarostami... mais aussi Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Agnès Varda... On vit la dilatation et l’intensité du temps dans sa brièveté.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux que vous avez l'habitude de fréquenter ?
JMT : Le Festival de Cannes est très sélectif quant à sa programmation officielle qui compte une centaine de films en tout (compétition, hors compétition, Un Certain Regard, séance spéciale, Cannes Classics). Il diffère ainsi de Berlin, Busan, Toronto, Locarno, Rotterdam, ceux-ci présentant plusieurs centaines de films par édition.
En ce qui concerne le Marché du film, c’est vraiment le plus grand marché du monde. Il permet de faire le tour de la terre de la profession dans un espace resserré. Tous ceux qu’il faut contacter sont là. Cela permet de diffuser notre matériel de communication pour nous faire connaître et reconnaître, et de récupérer le maximum de documents cinématographiques dont nous avons besoin pour préparer les prochaines éditions du FICA Vesoul.

EN : Comment voyez-vous la sélection asiatique cette année ?

JMT : J’ai dix-sept films asiatiques à voir ! Trois réalisateurs confirmés en compétition, dont je suis la carrière depuis l’origine. A Un Certain Regard, Midi Z poursuit son petit bonhomme de chemin, à la Quinzaine des Réalisateurs il y a deux poids lourds au style et à la carrière bien différents (Lav Diaz et Takashii Miike). La réalisatrice afghane Shahrbanoo Sadet, revient avec son second long, elle fait son trou patiemment, pas à pas. J’aurai aussi plaisir à découvrir le réalisateur Zu Feng à Un Certain Regard, Johnny Ma à la Quinzaine, et Gu Xiaogang à la Semaine, les réalisateurs chinois sont toujours très intéressants. Je me réjouis d’avance d’aller à Cannes Classics voir le film chinois restaurée de Tao Jin et le film géorgien d’Eldar Shengelaia, réalisateur à l’humour décapant. Les deux autres films classiques asiatiques, je les connais, ils sont excellents. Je m’étonne qu’il n’y ait pas en sélection de films venus de Turquie, d’Iran, d’Inde, d’Asie centrale, notamment du Kazakhstan, il y a des réalisateurs talentueux dans ces pays.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Episode 2 Rencontre avec Ron Dyens, producteur chez Sacrebleu productions

Posté par MpM, le 11 mai 2019

Le Festival de Cannes, ses palmiers, son tapis rouge et ses paillettes… Il y a des images dont on a parfois du mal à se défaire. Pourtant, si certains considèrent Cannes comme le plus grand festival du monde, et si des professionnels du monde entier s’y précipitent chaque printemps, ce n’est pas pour aller à la plage. Qu’est-ce qui fait que le Festival occupe cette place privilégiée dans l’agenda de la planète cinéma, et qu’il s’impose chaque année comme le centre de ce petit monde ? Et au fait, comment “vit-on” Cannes lorsqu’on est producteur, distributeur, organisateur de festival ou réalisateur ? A quelques jours de l’ouverture de cette 72e édition, nous sommes allés à la rencontre de ces festivaliers pas comme les autres dont les réponses nous aident à comprendre pourquoi Cannes bénéficie depuis si longtemps de cette indéfectible aura internationale.

Avec dix sélections à Cannes depuis la création de sa société Sacrebleu Productions en 1999, Ron Dyens est un habitué du festival de Cannes, et des grands festivals internationaux en général. De retour cette année avec le court métrage d’animation L’Heure de l’ours d’Agnès Patron, sélectionné en compétition officielle, et après avoir présenté l’un de nos coups de coeur de l’an dernier, La Chute de Boris Labbé, à la Semaine de la Critique en 2018, il nous parle de “son” festival de Cannes.


Ecran Noir : Quel est votre rapport à Cannes ? Est-ce un rendez-vous incontournable dans votre agenda ?
Ron Dyens : Oui, Cannes est un rendez-vous incontournable déjà au vu de la variété des films. Avec les différentes compétitions, qui se croisent, on a la chance d’assister à un cinéma pluriel, un état des lieux du cinéma mondial. Rien que pour ça c’est intéressant d’y aller, d’autant que tous les films présentés ne trouvent pas nécessairement après coup leur place dans les salles. Le premier attrait est donc cinéphilique. Ensuite, il y a toujours ce paradoxe qu’il est parfois plus facile de voir des vendeurs ou des distributeurs à Cannes qu’à Paris. Pour les rendez-vous, c’est donc aussi un lieu incontournable. Enfin, j’ai une histoire un peu personnelle avec le festival puisque j’ai la chance d’avoir eu un film sélectionné à Cannes en 2003 en tant que réalisateur, à la Semaine de la Critique. Puis, en 2005 nous avons eu, toujours à la Semaine de la Critique, notre premier film d'animation [Imago de Cédric Babouche]. Forcément pour nous ça a été une rampe de lancement vraiment importante !

EN : Vous y serez à nouveau cette année avec un court métrage que vous avez produit, L'heure de l'ours d'Agnès Patron, qui figure en sélection officielle. Que change cette sélection pour lui ?
RD : Commencer sa carrière à Cannes est indéniablement un plus pour un film, même si évidemment il est difficile de prédire une carrière avec ou sans cette sélection. D’ailleurs nous vivons une situation paradoxale pour ce film, puisqu’il n’a pas été sélectionné à Annecy où il y a plus de place pour l’animation, alors qu’il l’a été à Cannes parmi 4200 films reçus… Mais j’espère qu’il va avoir une jolie carrière, car il est assez hypnotique de par sa musique et son choix d’animation. Il est sans dialogue et il a un discours universel… C’est un film symbolique aussi. Des ingrédients qui personnellement influent sur mes choix de films.

Après, bien sûr, je pense que la sélection va aider le film, car on commence déjà à recevoir des propositions de distribution, des demandes de la part de festivals qui veulent le voir… Il y a un petit buzz. Mais le gros buzz, ce serait évidemment de recevoir la Palme d’or. Je l’ai vécu avec le film de Serge Avédikian, Chienne d'histoire. C’est un court métrage qui initialement avait été refusé par de grands festivals avant sa présentation à Cannes, où il a eu la Palme d’or. Du jour au lendemain, on a eu des demandes dans le monde entier. On a dû à l’époque fabriquer plus de 40 copies en 35mm puisque tout le monde le voulait… Un tel prix c’est aussi un engagement technique et financier à assumer dans la foulée ! On voit bien que c’est un accélérateur général pour le réalisateur et pour le producteur. On l’a vu aussi avec Céline Devaux, qui a tout de suite été contactée par des boîtes de production de longs métrages suite à sa sélection avec Le repas dominical [en 2015].

EN : On dit souvent que pour un premier long métrage, il est essentiel d’être à Cannes en terme de visibilité. Est-ce la même chose pour le court ?
RD : Cannes est important, il crée un focus indéniable. Et évidemment cela peut être un tremplin pour le passage du court au long. C’est là où Cannes est évidemment important pour le court. Pour les courts d’animation c’est un peu différent. Les réalisateurs d’animation ne sont pas dans la course à l’échalote pour faire un long métrage dans la foulée de leurs courts. Ce qui les intéresse, c’est de faire des films. Ça prend tellement de temps de faire de l’animation, que réaliser un long métrage, c’est quasiment entrer au couvent ! Donc pour eux, la priorité c’est davantage de faire des expériences cinématographiques. Après, pour revenir à Cannes, des expériences se mettent clairement en place pour favoriser la porosité du court au long, notamment au sein du Short Film Corner (rencontres entre professionnels du court et du long, expertises, etc.).

EN : D'une manière générale, en tant que producteur, en quoi consiste habituellement votre présence à Cannes? Avez-vous des attentes ou des buts spécifiques ?
RD : C’est compliqué parce qu’on a envie de faire plein de choses à Cannes ! Il y a un effet miroir aux alouettes. Beaucoup de choses qui brillent, beaucoup de sollicitations… C’est à la fois un lieu de festivités et un lieu de travail. Il faut préparer son festival de Cannes. C’est un endroit où l’on signe les contrats, bien sûr, mais les grandes annonces faites à Cannes sont souvent signées avant, et l’annonce est faite pendant le festival. Cannes c’est plus l’occasion de rencontrer des personnes, de préparer le futur, de sentir l’air du temps. C’est aussi intéressant de se balader dans le marché et de voir les affiches des films étrangers. Voir comment les films sont “travaillés”. A l’étranger, le cinéma peut être envisagé de manière radicalement différente. Si on reste seulement sur son prisme franco-parisien, on rate des choses, notamment dans les films qu’on choisit en tant que producteur. C’est important de se dire : “tiens, comment le film pourrait être perçu à Dakar, à Montréal, au Japon ?”. Essayer de se mettre à la place des gens, des spectateurs. Je pense même que c’est le principal travail d’un producteur. Si on ne s’intéresse pas à la manière dont sont organisées et perçues les autres cinématographies, on rate quelque chose sur sa propre cinématographie.

EN : Est-ce que cela peut aussi arriver de voir un court métrage et de penser : “cet auteur, j’ai envie de le produire” ?
RD : Alors c’est un petit peu compliqué, surtout à Cannes, parce qu’il y a quand même toujours une notion de respect du producteur qui a produit le film. Si je vois un film qui me plaît beaucoup, je peux aller le dire, au réalisateur et au producteur. Ça fait évidemment toujours plaisir. Ce qui peut arriver aussi, avec les films étrangers, c’est une potentielle coproduction sur le projet suivant ou sur un éventuel long à venir.

EN : Avez-vous le souvenir d'une rencontre, d'une découverte ou d'un événement décisif durant le festival par le passé ?
RD : Sur Tout en haut du monde [de Rémi Chayé], il ne nous manquait quasiment plus qu’un vendeur international. On avait eu quelques pistes qui ne s’étaient pas concrétisées, et puis un soir, on s’était retrouvé dans un dîner organisé par la société Urban Distribution. A un moment, on a présenté le trailer du film sur mon ordinateur, et toute l’équipe d’Urban a adoré. Quand le “big boss” est arrivé, Frédéric Corvez, toute son équipe lui a dit : “il faut que tu regardes ! c’est mortel !”. Il a regardé puis il a sorti son chéquier et il a dit “XXXXXXX euros !”. Et le temps s’est arrêté… Bon, on a continué à discuter après, évidemment, mais c’était très drôle, parce que c’est exactement l’image qu’on se fait de Cannes. Un geste très “grand seigneur”, complètement improbable, et qu’on raconte après en se disant “ah oui, c’est Cannes. C’est donc possible”. C’est beau, pas seulement par rapport au montant (quoique…), mais déjà par rapport au geste.

J’ai une autre anecdote qui est sympa aussi, c’est quand le court animé de Cédric Babouche a été sélectionné en 2005 à la Semaine de la Critique. A l’époque, les courts métrages passaient en premier partie des longs. Ce n’était pas “ghettoïsé”, et les journalistes “longs métrages” venaient voir aussi les courts. On est passé en première partie du film Me, myself and I de Miranda July, distribué par MK2, qui a fini par avoir la caméra d’or. Et le lendemain, je reçois un coup de fil de l’attachée de presse de MK2, qui me dit : “Nathanaël Karmitz veut absolument voir ce court métrage”. On ne savait pas pourquoi. Et en fait, ce qui s’était passé, c’est qu’il y avait eu un article dans Libération où on parlait plus de notre court métrage et de la renaissance de l’animation française que du long de Miranda. Ça avait intrigué Nathanaël, on s’était rencontré dans la foulée et on avait failli collaborer ensemble à l’époque, pour faire un long métrage. Évidemment ça fait hyper plaisir. Ça prouve que ça peut vraiment être un ascenseur artistique d’être à Cannes et d’avoir cette fenêtre de visibilité.

EN : En quoi le festival et son marché se distinguent-ils selon vous des autres festivals internationaux ? Qu’est-ce qui fait que Cannes a cette aura supérieure à des festivals comme Berlin ou Venise ?
RD : Je pense qu’il y a plein de choses qui peuvent expliquer ça. D’abord, à l’époque de la création du Festival, il n’y avait pas tous les festivals qu’il y a aujourd’hui. Il y a donc une antériorité qui donne une forme de légitimité. Aussi il y a une image de la France, une sorte d’attraction pour le pays. Il y a eu aussi toujours une certaine audace qui a accompagné les sélections, avec ce désir de faire un état des lieux du cinéma. Tarkovski, par exemple et d’autres films qu’il était très difficile de faire sortir de leur pays, comme Yol de Gören et Güney, ont trouvé leur place à Cannes. En plus, Cannes a cette capacité à faire sa mue régulièrement, à se réinventer, à créer des sections parallèles comme la Semaine, la Quinzaine, l’ACID… Il y a également beaucoup de films français ou coproduits par la France qui sont ainsi présentés à Cannes. La France a indéniablement une relation particulière avec le cinéma. Toutes ces raisons se sont agrégées pour faire ce qu’est Cannes aujourd’hui. Toute la question va être maintenant de faire face aux nouveaux combats qui arrivent, comme celui face à Netflix et la sortie en salles de films produits par les télévisions et les sites. Mais bon, ce n’est pas le premier combat et ce ne sera pas le dernier pour Cannes, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure.