Cannes 70 : 1968, l’autre festival qui n’a pas eu lieu

Posté par cannes70, le 9 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-9. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Le mois dernier, nous vous parlions de l'année 1939, départ manqué pour le Festival de Cannes pour cause de Guerre mondiale imminente (ce qui, vous l'avouerez, est une bonne excuse). Un Festival qui n'a pas eu lieu pour reprendre le titre d'un livre d'Olivier Loubes retraçant cette aventure. Un autre festival n'a pas eu lieu (si l'on ne compte pas les éditions 1948 et 1950, annulées faute de budget), ou plutôt a bien eu lieu, et s'est interrompu au bout de quelques jours : celui de mai 1968. Cette année, en sélection officielle, nous pourrons d'ailleurs voir une partie des événements, autour de la figure de Jean-Luc Godard, dans Le Redoutable, nouveau film de Michel Hazanavicius. Pour entrer dans le vif du sujet, commençons par un témoignage de François Truffaut - car il est toujours de bon aloi de commencer un article, ou une journée, avec l'appui de Truffaut.

« Il fallait mettre les gens devant le fait accompli. J'ai lu un texte de 5, 6 lignes expliquant que les états généraux du Cinéma demandaient la fermeture du Festival. Il y eu une certaine stupéfaction. Il y avait Berri, Godard, Lelouch, Male, Risch, des journalistes, tout le monde parlait ; les cinéastes étrangers arrivaient. Favre Le Bret [le président du festival] nous demandait d'évacuer les lieux. A 14 h 30 la grande salle était remplie. On était sur scène, dans la salle le public était composé de Cannois. On oublie toujours que toutes les salles, pendant le Festival, sont remplies de gens de la ville. Les gens du « métier », ont en général, déjà vu le film. Mais, il s'agissait d'un public qui était chez lui. Il nous insultait, trouvait notre cirque inadmissible. Le Bret énervé a ordonné que la projection du film de Saura commence à 15 h 00 et ça a été le chahut. On voyait Saura se battre pour que son film ne passe pas. Il y a eu une grande échauffourée, une bagarre, des Niçois, des Cannois sont montés sur scène. J'ai du recevoir un coup de poing, un ami a balancé le type qui m'avait frappé dans les pots de fleurs. C'était grotesque, on nous haïssait, on nous tendait le poing.» Source : Mémoires cannoises

Les prémices : l'affaire Langlois

Comment en est-on arrivé là ? Remontons en peu le fil de l'année 1968. En février, le ministre de la Culture André Malraux tente d'écarter Henri Langlois, fondateur et directeur de la Cinémathèque française, pour lui donner le poste moins important de directeur artistique. Le ministère de la Culture lui reproche en effet de mal gérer tout ce qui est administration et fonds, mais aussi la conservation des précieuses bobines - une gageure pour quelqu'un qui a sauvé d'innombrables pellicules.

Face à cette décision, un Comité de défense de la Cinémathèque française est fondé par Truffaut, Godard et Rivette, qui se sont d'ailleurs rencontrés sur place à la fin des années 40, pour protester contre cette éviction qu'ils jugent injuste. Des manifestations vont avoir lieu, et l'affaire prendre de plus en plus d'ampleur. Des réalisateurs internationaux soutiennent le comité de défense : Chaplin, Welles ou encore Kubrick sont de la partie. Tout le monde s'en mêle : inconnus alors (Daniel Cohn-Bendit) ou des politiciens importants, comme Mitterrand qui trouve choquante la mise à l'écart de Langlois. Malraux finira par réinstaller le père de la Cinémathèque à ses fonctions fin avril. Autant dire qu'à la veille de Cannes, le monde du cinéma n'est pas totalement en accord avec le gouvernement d'alors ...

"Vous me parlez travellings et gros plans"…

Considérations politiques mises à part, tout semblait pourtant bien parti. La sélection est variée, avec des films venant de cinq pays d'Europe de l'est, mais aussi des productions britanniques, israéliennes, japonaises, ou encore, bien entendu, françaises. Certes, lorsque le 21e festival international du film démarre, la France est bouleversée depuis une semaine par des révoltes estudiantines. Etudiants et lycéens, face à l'arrestation de 500 manifestants à la Sorbonne, s'affrontent de plus en plus violemment avec la police à Paris.

À Cannes cependant, le monde du cinéma est réuni dans le même calme que les années précédentes (ou tout du moins les critiques ne dressent pas de véritables barricades face à des opinions contraires). Mais dans la nuit du 10 au 11 mai, alors qu'on vient de visionner Autant en emporte le vent - un titre on ne peut plus approprié au contexte - sur la Croisette, à Paris les manifestations prennent une autre dimension. Cette nuit faite de barricades élevées et de pavés lancés a fait une centaine de blessés. L'opinion publique s'émeut des revendications des étudiants, qui sont rejoints par les syndicats le 13 mai. À Cannes, l'Association française de la Critique demande aux festivaliers de participer à une manifestation de soutien aux étudiants, ce qui n'est pas vraiment du goût des producteurs, qui sont là pour vendre leurs films, ni de celui de Robert Favre Le Bret, qui dirige la Festival.

Trois jours plus tard une assemblée de producteurs, réalisateurs et professionnels en tout genre du monde du cinéma demandent, sous l'égide de ce qu'ils nomment Les Etats généraux du Cinéma, l'arrêt du Festival. Claude Lelouch, qui vient de présenter son long-métrage Treize jours en France, est choisi par ses compères réalisateurs pour aller annoncer leur décision à Le Bret : clore le Festival. Il faut dire qu'en quelques jours le mouvement contestataire étudiant s'est transformé en grève générale, mobilisant sept millions de grévistes spontanés, ce qui paralyse le pays tout entier.

Le 18 mai, pendant une réunion organisée pour discuter de l'affaire Langlois, Truffaut qui vient d'arriver de la capitale rejoint l'avis de la plupart des réalisateurs présents : il faut arrêter le festival. Ils se rendent alors dans la grande salle du palais, où doit être projeté Peppermint frappé de Carlos Saura, pour en empêcher la projection et annoncer publiquement l'annulation du Festival. A moitié hué, à moitié applaudi, on annonce que le comité de soutien à Langlois s'occupera de la suite des événements du Festival. Tout le monde y va de son avis, ce qui donne l'occasion à Godard de formuler une de ces phrases chocs dont il a le secret :

"Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travellings et gros plans. Vous êtes des cons !"

Favre Le Bret, plus tard, annonce que le Festival s'arrête officiellement le 19 mai à midi, sur décision du conseil d'administration.

49 printemps plus tard


Aucun prix n'aura donc été remis cette année là, et seuls huit films sur vingt-sept auront été projetés. En mai 2008, Thierry Frémaux a choisi de diffuser quelques-uns de ces films, dont le Peppermint frappé de Carlos Saura - il faut dire qu'en 1968, le réalisateur, avec la complicité de Géraldine Chaplin et de Godard, s'était accroché aux rideaux du cinéma pour empêcher que son film soit projeté !

Une des conséquences directes de la suspension du Festival est la création, en 1969, de la Quinzaine des réalisateurs. Cette sélection parallèle et indépendante est créée par la Société des réalisateurs de films, née pendant l'affaire Langlois. La Quinzaine a pour but de promouvoir des réalisateurs inconnus, venant de tout horizons, qui n'auraient pas été forcément accepté en Sélection officielle, dont la SRF critique de nombreux points, comme le palmarès décidé par le jury et la tenue de soirée obligatoire. La Quinzaine est ainsi accessible à tout le monde, pas seulement aux critiques, et ne remet aucun prix. Créée dans la précipitation, la première édition n'avait d'ailleurs opéré aucune sélection, et présentait 62 longs-métrages ! Bref, un festival dans le Festival, née de l'envie de liberté cristallisée en mai 68 … Mais ceci est une autre histoire, racontée dans cet autre texte sur la Quinzaine...

Nicolas Santal pour Critique Film

Cannes 70 : 1975, souvenirs de l’underground à Cannes

Posté par cannes70, le 8 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-10. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Lorsque le message de Pascal Le Duff me proposant d’écrire un texte sur l’underground à Cannes est tombé sur la messagerie de mon portable, j’étais au Centre Pompidou en train de suivre une rétrospective consacrée au vétéran du cinéma d’avant-garde Peter Kubelka, pionnier du cinéma expérimental, inventeur du « flicker-film » en 1960 avec Arnulf Rainer, court-métrage qui alterne photogrammes avec ou sans lumière, donnant un effet de clignotement. Mais Kubelka était également fêté, ce soir-là, en tant que programmateur et militant de la cause, car, il y a quarante ans, à l’ouverture du Centre Pompidou, il avait, à la demande du directeur de l’époque, Pontus Hultén, conçu une programmation de trois cents films expérimentaux de toutes les époques et qui a fait l’ouverture du Centre : Une histoire du cinéma. Ce programme historique a légitimé et institutionnalisé ce cinéma.

Par le fait d’un «hasard objectif» tels que les affectionnait André Breton, j’étais tombé sur un de mes comptes-rendus cannois de 1975 où je signalais que, dans la grande salle du Palais du festivals, on avait vu 31 films underground américains cette année-là.

C’était apparemment un événement, sans en être vraiment un, car, avec le recul, on s’aperçoit que ce cinéma, sans être mis sous les feux des projecteurs, a toujours eu une légère visibilité à Cannes (et ailleurs). Dans le numéro 11 de La revue du Cinéma (mars 1948, page 44), dans un article titré L’avant-garde d’hier et d’aujourd’hui, Henri Langlois, après avoir vilipendé la sélection du dernier film du vétéran Hans Richter, primé à Venise, Dreams that money can't buy, pour son « académisme », écrivait : « À Cannes, vers le même temps, un autre jury international primait les films de Maya Deren pour l’audace de leur conception. Il s’agissait, il est vrai, d’une compétition de cinéma d’amateurs». Pour comprendre la chose, il faut préciser que jusqu’en 1976, il y avait une case libre entre les deux films de la Compétition vers 17 heures. Un Certain Regard et son prédécesseur Les Yeux fertiles étaient encore dans les limbes. Et on donnait la possibilité à diverses personnalités de faire des programmations en toute liberté.

Cette année-là, Gideon Bachmann, qui avait réalisé Ciao Federico sur le tournage du Satyricon du maestro italien, a eu la possibilité de faire une programmation de films underground, genre qu’il avait couvert en 1967 pour la télévision allemande, moyen-métrage qui était inclus dans la programmation : Underground New York.

J’ai retrouvé 25 des 31 films sélectionnés, cette rétrospective ne figurant pas sur le site du festival (voir détails sur les films dans l’encadré). Je ne vais pas faire une étude du genre, ce n’est pas ce qui m’a été demandé, mais je signalerai des faits apparemment contradictoires.

D’abord, il n’y a pas eu un Cannes mais au moins trois : le Cannes des stars et des paillettes (de 1946 à 1968), le Cannes des hippies et des cinéphages (1969 à 1978 ; Ah ! Paul McCartney sur le toit du Palais déposé en hélicoptère, la découverte de Pink Flamingo de John Waters au marché du film, la projection des films de John Lennon et Yoko Ono au Star rue d’Antibes, les premiers films porno qui vidaient la salle du Palais au profit des salles marginales) et, enfin, le Cannes des cinéphiles, renforcé par la multiplication des sections et l’apparition de services cinéma dans les quotidiens. Des croisements entre ces trois Cannes s’opèrent toujours.

Donc, en 1975, à 17 heures, on pénétrait dans la salle de l’ancien palais, presque vide : de 30 à 50 spectateurs pour voir des films underground. Dans ce grand festival, déjà « moins huppé » et non encore fliqué (quatre appariteurs gardaient la porte du palais et on y pénétrait avec un coupon, pas de cartes de couleurs discriminatoires, mais des cartes à souches avec trois tickets quotidiens : un pour chacun des deux films en sélection et le troisième pour les événements marginaux ou périphériques comme cet hommage à l’avant-garde américaine).

On voyait ces films sans a priori et en toute liberté. Après la rétrospective de Kubelka à l’ouverture du Centre Pompidou, cela allait changer. Le cinéma expérimental sera légitimé et des crispations apparaîtront entre partisans de ce cinéma (considéré comme noble et à forte potentialité culturelle) et détracteurs qui le rejetteront hors de la sphère du cinéma. Les institutions et les musées en prendront la relève en le programmant régulièrement. Des tentatives comme celles de Pascale Dauman créant en 1973 le Studio Christine (devenu un an après l’Action Christine), entièrement destiné au cinéma expérimental, n’auront plus, jusqu’à une période récente, la cote.

Ce qui était intéressant, c’est qu’on voyait ces films sans préjugés, on se laissait (ou non) séduire par des images flamboyantes, poétiques, qui cherchaient à toucher directement nos sens plutôt que notre intellect. Les scénarios n’étaient que prétextes ou même absents.

Le film de Gideon Bachmann, édité récemment par Re : Voir, est tout à fait en phase avec cet état d’esprit qui régnait alors (le premier livre sérieux théorique est publié en 1974, en anglais, Visionary Film: The American Avant-garde, de P. Adams Sitney, les livres de Dominique Noguez vont suivre et légitimer ce nouvel art). Chargé de réaliser une émission pour la télévision allemande sur ce cinéma underground dont on entendait parler mais qu’on ne connaissait pas, Bachmann s’entretient avec Shirley Clarke (la plus connue à l’époque avec The Connection, film narratif tiré d’une pièce de théâtre sur des musiciens camés), Jonas Mekas qui n’a pas encore monté son journal filmé et qui tourne des films de contestation comme The Brig, brûlot antimilitariste, mais également les frères Kuchar et Bruce Conner, eux déjà totalement expérimentaux. Sans oublier Andy Warhol qui était déjà une icône ! Il n’y a pas de théorie sur le cinéma underground qui émerge de ce documentaire, mais une vision sociétale d’un groupe de jeunes cinéastes, proches de Dylan, qui veulent bouleverser le cinéma américain. C’était le film séduisant d’un jeune amateur qui cherche ses repères. À voir donc pour se rendre compte de l’état d’esprit des amateurs de l’époque, en 1975, cela avait encore peu changé. Ce documentaire tranche évidemment sur la conférence qu’à donnée en avril 2017 Peter Kubelka au Centre Pompidou dans laquelle il soutient toujours que ce cinéma EST le cinéma par excellence.

Dans la liste des films que j’ai retrouvés, il y a des grands noms : James Whitney (pionnier de l’animation par ordinateur analogique) ; Stan Lawder, un des pratiquants du cinéma structurel ; Larry Jordan, un animateur de papiers découpés proche de Borowczyk ; Chick Strand programmée beaucoup à l’époque ; Jordan Belson, cinéaste abstrait et pionnier du cinéma assisté par ordinateur ; Gunvor Nelson, créatrice d’un cinéma impressionniste ; Robert Breer, animateur d’éléments découpés qui a fait presque toute sa carrière en France ; Robert Nelson qui demeure fidèle à un certain esprit « Beat », tel qu’illustré dans le film de Bachmann ; le pionnier James Broughton contemporain dans les années 1940 de Maya Deren ; l’artiste minimaliste Richard Serra

Mais, dans ma liste cannoise, je ne vois pas les noms de ceux qui sont devenus, aujourd’hui, des artistes cardinaux qui dépassent la simple sphère du cinéma expérimental : Jonas Mekas, Stan Brakhage, Michael Snow, Hollis Frampton ou Ken Jacobs. Mais je n’ai pas la liste complète, peut-être ont-ils été programmés et que je devais voir un film à la Quinzaine des réalisateurs par exemple, et que j’ai sauté cette séance. La Quinzaine qui, sous la houlette de Pierre-Henri Deleau (1969-1999), a passé beaucoup de films expérimentaux en courts et longs métrages, dont certains comme Luminous Procuress de Steven Arnold (1972) ont été récemment reprogrammés par Nicole Brenez à la Cinémathèque française dans ses séances de « Contre-culture générale » Ce texte reflète de simples souvenirs et ne se veut pas exhaustif.

Raphaël Bassan de Bref, le magazine du court métrage

Pour aller plus loin...

1. Lapis (1963–1966), James Whitney, 10 min, 16mm, distribué par Lightcone
2. Necrology, Stan Lawder, 1970, 12’
3. Once upon a Time, Larry Jordan, 1974, 12’
4. Putting the Babies back, Neil White, 1969
5. Anselmo, Chick Strand, 1967, 4
6. Earth Spirit House, Ron Finne, 1970
7. Chakra, Jordan Belson, 1972, 5’ 30
Extrait
Distribué par re : Voir
8. Llanito, Danny Lyon, 1971, 54 ‘
Extrait
9. Traces, Barbara Linkevitch, 6 mm, couleur, 12 mn, 1973
10. Cristal vision, John Grunberg, 1972
11. My name is Oona, 1969, Gunvor Nelson, 10’, édité par Re : Voir
12. Gull and Buoys, Robert Breer, 1972, 6’
13. Watersmith, Will Hindle, 1969
14. Third eye Butterfly, Storm de Hirsch, 1968, 10’,
15. Anxious animation, Richard Serra, 1971, 5’
16. I Change I am the Same, Ann Severson, 1969
17. Bleu Shut, Robert Nelson, 1971, 30’
18. Easy out, Pat O’Neill, 1972, 9’ DVD sorti par Cinédoc
19. Corridor, Stan Lawder, 1970, 23’
20. Medina, Scott Bartlett, 1972, 15’
21. T. hybrid.V I, Keith Sonnier, 1971, 12’,
Extrait
22. Horseopera (A Western) Charles I levine, 16mm, black and white, 24 min
23. Golden Positions, James Broughton, 1971, 30’, édité en DVD
24. Choice chance woman danse, Ed Emshwiller, 1971, 44’
25. Underground New York, Gideon Bachmann, 1968, 51’

Cannes 70 : trois petites notes de festival par le compositeur Philippe Sarde

Posté par cannes70, le 7 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

En partenariat avec Cinezik, Benoit Basirico nous décrypte les musiques qui ont fait Cannes.

Aujourd'hui, J-11. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


Pour cette 70e édition, Philippe Sarde revient une 21e fois en compétition avec Rodin de Jacques Doillon. Il se souvient de sa première venue pour Les Choses de la vie, et de sa présence dans le jury en 1988, alors qu’un autre compositeur (Gabriel Yared) y participe cette année.

Philippe Sarde signe sa première B.O à 16 ans, en 1970, pour Les Choses de la vie de Claude Sautet. Et dès ce premier film, il fait son baptême du festival puisque le film est en compétition. «Claude Sautet hurlait en conférence de presse, il hurlait car il ne voulait pas aller à Cannes. Son film venait de recevoir le Prix Louis Delluc et j'avais demandé à son producteur pourquoi ils avaient laissé la mention du prix pour la projection. Il était écrit au début du film ‘ce film a obtenu le Prix Louis Delluc', et vis-à- vis de tout le monde à Cannes cela signifiait "on vous emmerde" »

Malgré son jeune âge, le compositeur avait déjà un fort tempérament et ne se privait pas de faire des remarques aux producteurs. Et à 23 ans, en 1977, il convainc Gilles Jacob d’accepter d’être délégué général du Festival : «J'étais très ami avec Gilles Jacob. Il était journaliste à l'Express. Quand il s'est fait virer du magazine, on lui a proposé de diriger le Festival de Cannes. Je me souviens, j'étais chez lui, il m'a demandé ce que j'en pensais, je lui ai tout de suite répondu que c'était une très bonne idée ! Il a été critique pendant un certain nombre d'années, et là il serait le critique des films du monde entier ! Je pensais donc qu’il devait accepter. Je suis resté auprès de lui pendant 25 ans

Après Les Choses de la vie, il reviendra ensuite une vingtaine de fois en compétition, 6 fois avec André Téchiné (Les Soeurs Bronte, Rendez-Vous, Le Lieu du Crime, Ma Saison Préférée, Les Voleurs, Les Égarés), 3 fois avec Marco Ferreri (La Grande Bouffe, Rêve de Singe, L'Histoire de Pierra), avec Roman Polanski (Le Locataire), avec Jacques Doillon - une première fois avant Rodin (pour La Pirate), Bertrand Blier (Beau Père)... ou encore pour trois films américains (Joshua Then And Now de Ted Kotcheff, Lost Angels de Hugh Hudson, L'Ami Retrouvé de Jerry Schatzberg).

Compositeur phare du cinéma français durant 6 décennies, caméléon entièrement au service de la vision cinématographique d’un metteur en scène, il a signé plus de 250 musiques de films auprès de cinéastes majeurs, car sa force est d'être d'abord un homme de cinéma avant d'être un homme de musique, d'envisager son statut comme celui d'un scénariste musical, d'entrer dans la tête du cinéaste pour lui écrire sa musique.

Il se définit lui-même comme un homme de cinéma, soucieux des films dans leur intégralité : «Les films qui sont allés à Cannes étaient des grands films. Ils ont parfois marché ou d'autres moins bien, mais ils sont tous considérés aujourd’hui comme des grands films. D'être le recordman des films sélectionnés à Cannes, j’en suis content pour les films. Je représentais pour les gens, et je crois que je représente toujours, un homme de cinéma, et de musique bien sûr mais vraiment un homme de cinéma et de musique, alors on faisait l'amalgame entre les deux. Je pense qu’un compositeur de musique, s'il n'est pas cinéphile, n'a rien à faire dans un jury. Je pense être plus cinéphile que compositeur. Concernant les musiques que j'ai faites, je pensais à la musique et au film, mais dans un endroit comme Cannes, ou Venise ou Berlin, c'est le film qui compte pour moi. Il fallait que le film soit remarqué. Par exemple cette année, j'espère que le film de Jacques Doillon Rodin sera apprécié. En plus il le mérite ! Je me suis toujours intéressé aux films quand j'étais à Cannes. J'étais là pour me battre pour les films, pas pour ma musique, je m'en moquais à la limite. Je me battais suffisamment avant pour la musique avec les producteurs, mais dans un festival je me battais pour le film

Philippe Sarde se souvient également de sa présence au jury en 1988, présidé par le cinéaste italien Ettore Scola, avec également le producteur Claude Berri, le critique David Robinson, les comédiennes Elena Safonova et Nastassja Kinski, les réalisateurs George Miller et Hector Olivera, le chef opérateur Robby Muller et le scénariste William Goldman.

«J’adorais Ettore Scola qui présidait le jury. Il y avait en compétition un film qui me plaisait beaucoup, Pelle le conquérant de Bille August, un film comme on n'en faisait plus. J'ai tout fait pour qu'il ait le prix. Je me suis battu avec tout le monde. Au jury il y avait des engueulades. Ce n'était plus le compositeur qui parlait, mais c'était l'homme de cinéma qui se battait. Nastassja Kinski, qui était assise à côté de moi, avait des hurlements car je voulais que le film ait réellement le prix. C'était l'année où j'écrivais la musique de L’Ours de Jean- Jacques Annaud, produit par Claude Berri également dans le jury. Claude s'endormait à tous les films. Ce n'était pas très grave mais le problème est quand il se réveillait, à la fin du film, il n'avait qu'un seul mot à la bouche : ‘Est-ce que tu crois que l’Ours va marcher ?’. Je le rassurais en lui disant que j'étais en train d'écrire à l'hôtel avec une pile de papier à musique. Et qu'il cesse de me le répéter à chaque fin de projection à laquelle il avait dormi ! C'était sa seule préoccupation car ce film était un gros challenge pour lui. Donc pour revenir à Pelle le conquérant, il m'a laissé mener avec Ettore Scola le débat. Et Bille August, que je n'ai jamais rencontré dans ma vie, a donc eu la Palme d'or

Cette année, le compositeur Gabriel Yared aura peut-être le même enthousiasme sur un film et le même débat avec le président Pedro Almodovar. Cela pourrait être Rodin de Doillon que le public pourra voir et écouter (il sort en salle en même temps que sa projection cannoise, et la musique de Sarde est disponible dès le 19 mai chez BOriginal). A ce propos, d’autres musiques de Philippe Sarde sortent en mai (en digital), dont 3 films présentés à Cannes : Le Locataire, La Pirate et Beau Père.

Propos de Philippe Sarde recueillis par Benoit Basirico

A voir, la vidéo de l’interview :

Cannes 70: la Quinzaine à la découverte des réalisateurs

Posté par vincy, le 6 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-12. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

"La Quinzaine des Réalisateurs est la plus libre des sections cannoises" rappelle Edouard Waintrop, son actuel délégué général. "Elle n'est tenue par aucune obligation. Ses préoccupations sont de faire connaître de nouveaux talents, surprendre avec des aspects nouveaux et inconnus de talents reconnus, varier les plaisirs, en un mot, montrer ce qu'il y a de plus excitant dans le cinéma mondial et ce qui affleure de plus intéressant dans ses nouveaux courants" explique-t-il.

Née en 1969, avec comme slogan "Cinéma en liberté", la manifestation est organisée en à peine deux mois, même si son origine remonte aux événements de mai 1968: la Société des Réalisateurs Français (SRF), créée par des cinéastes "rebelles" - Godard, Truffaut, Costa-Gavras, Malle... - pour contrer la censure cinématographique qui a marqué les deux premières décennies du Festival, veut un Festival sans tenue de soirée, doté d'un palmarès du public, composé d'une sélection choisie de manière indépendante. Le Festival de Cannes rejette leurs revendications et ils décident de créer un "contre-festival". Durant 30 ans, la Quinzaine sera entre les mains de Pierre-Henri Deleau. Les crises de direction sont régulières, certaines années sont jugées trop faibles, l'équipement de l'ex Hilton et désormais Marriott vieillit. Mais avec Olivier Père (2004-2009) puis Edouard Waintrop (depuis 2012), la sélection "off" continue bon an mal an à avoir du flair, à attirer un large public et à recevoir de belles critiques.

Record de Caméra d'or

La particularité de la Quinzaine est de mélanger les vétérans (la liste serait trop longue, de Bresson à Chahine en passant par Breillat, Goupil, Ivory, Fassbinder, les frères Taviani, Sembene, De Andrade etc...) avec les jeunes talents, les cinémas inconnus avec les cinématographies réputées. Depuis 1969, les grands noms s'y sont succédé : futurs grands talents comme cinéastes légendaires. Si on prend la Caméra d'or, prix qui récompense depuis 1978 le meilleur premier film toutes sélections cannoises confondues, la Quinzaine a été distinguée quinze fois. Un record célébré l'an dernier avec Divines qui permettait à la sélection de passer devant Un certain regard (14 lauréats). Ainsi Jim Jarmusch (Stranger Than Paradise, 1984), Mira Nair (Salaam Bombay !, 1988), Jaco Van Dormael (Toto le héros, 1991), Pascale Ferran (Petits arrangements avec les morts, 1994), Jafar Panahi (Le ballon blanc, 1995), Naomi Kawase (Suzaku, 1997) ont tous été "découverts" par la Quinzaine en plus d'être distingués par la Caméra d'or.

Une sacrée sélection pour la première édition

Cela constituerait en soi un palmarès flatteur. Mais cela ne suffirait pas. Dès sa première édition, on note la présence des premiers films de Bob Rafelson, Head, et d'André Téchiné, Pauline s'en va, le deuxième film de Luc Moullet, Les contrebandières, le troisième film de Bernardo Bertolucci, Partner, un film de Roger Corman, The Trip, ou encore deux films de Nagisa Oshima, qui deviendra un abonné régulier de la sélection.

La Quinzaine a vocation à explorer le cinéma. Son générique projeté avant chaque film (et légèrement modifié chaque année par Olivier Jahan) prouve cette diversité. Nombreux sont les cinéastes qui y ont fait leurs débuts à Cannes, quand ce n'est pas carrément leur premier court ou long métrage qui a été présenté à la Quinzaine, bien avant qu'ils ne reçoivent une Palme, un Oscar, un César, ou qu'ils ne soient promus en sélection officielle, ou même qu'ils touchent un large public avec un succès populaire. Ils ont été sacrés par cette présence à l'écart de la sélection officielle. La Quinzaine les a anoblis et souvent révélés à travers leurs courts, moyens ou longs métrages.

Ces 80 cinéastes remarqués à la Quinzaine

Florilège à la Prévert : Werner Herzog, Werner Schroeter, Paul Vecchiali, Arturo Ripstein, Claude Miller, Philippe Garrel, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, Lucian Pintilie, Volker Schlöndorff, Jacques Rozier, Alain Tanner, Laszlo Szabo, Ken Loach, Theo Angelopoulos, Otar Iosseliani, Patricio Guzman, Roy Andersson, Fred Schepisi, Benoît Jacquot, Michael Radford, Mike Newell, Wayne Wang, Spike Lee, Terence Davies, Mike Figgis, Michael Haneke, Roberto Benigni, Atom Egoyan, Bruno Podalydès, Guillaume Nicloux, Jacques Maillot, Bent Hamer, James Mangold, Todd Haynes, Catherine Corsini, Sergueï Bodrov, les frères Dardenne, Ferzan Ozpetek, Gaël Morel, Bruno Dumont, Djamel Bensalah, Todd Solondz, Jacques Nolot, Sébastien Lifshitz, Claire Simon, Paul Pawlikowski, Sólveig Anspach, Stéphane Brizé, Lee Chang-Dong, Alain Guiraudie, Mahamat-Saleh Haroun, Julie Lopes-Curval, Carlos Reygadas, Matteo Garrone, Lynne Ramsey, Pen-ek Ratanaruang, Bouli Lanners, Cristian Mungiu, Kornél Mundruczó, Eugène Green, Katell Quillévéré, Eric Khoo, João Pedro Rodrigues, Kleber Mendonça Filho, Corneliu Porumboiu, Yann Gonzalez, Nadine Labaki, Mia Hansen-Løve, Benny et Josh Safdie, Miguel Gomes, Albert Serra, Valérie Donzelli, Pablo Larrain, Michel Franco, Louis Garrel, Alice Rohrwacher...

Des signatures singulières, des cinéastes rattrapés et d'autres oubliés

Et puis on note des noms plus singuliers comme les chanteurs/auteurs/artistes John Lennon (1971) et Bob Dylan (1978), la photographe et écrivaine Susan Sontag (1969 et 1971), les romanciers Marguerite Duras (1976) et Emmanuel Carrère (2005), le metteur en scène de théâtre Robert Lepage (1995), l'acteur porno HPG (2006), l'auteur de BD Riad Sattouf (2009), les acteurs hollywoodiens Sean Penn, Tim Robbins, Steve Buscemi, Anjelica Huston, Tim Roth, Ethan Hawke ou John Turturro.

On remarque aussi que la Quinzaine a pris parfois le carrosse en marche avec des cinéastes tels Chantal Akerman, Brillante Mendoza, Aki Kaurismäki, Hou Hsiao-hsien, Hong Sangsoo, Takeshi Kitano, Jean-Pierre Mocky, Abderrahmane Sissako, Kiyoshi Kurosawa, Gregg Araki, Bertrand Bonello, Raoul Peck, Bong Joon-ho, Béla Tarr, Im Sang-soo, Amos Kollek, Sharunas Bartas, Shane Meadows, Ruben Östlund, Joachim Lafosse, Philippe Falardeau, Denis Villeneuve, Christophe Honoré ou Ang Lee.

On constate également que la Quinzaine a, comme les autres sélections cannoises, loupé de grands noms comme Pedro Almodovar, David Cronenberg ou ceux de la 5e génération chinoise des années 1980.
Qu'enfin, la section s'autorise à choisir parfois des films de genre (William Friedkin, Takashi Miike), des signatures arty (Alejandro Jodorowsky, Agnès Varda) ou à repêcher des auteurs réputés (Arnaud Desplechin, Céline Sciamma) pour remplir sa mission d'éclectisme.

De George Lucas à Ma vie de Courgette

Pour compléter cette longue liste de découvertes, il faut ajouter quelques très beaux coups qui ont frappé l'histoire de la sélection au fil des ans: George Lucas avec THX1138 en 1971, Michael Apted dès son premier film, The Triple Echo, en 1973, Jacques Rivette avec Céline et Julie vont en bateau en 1974, Martin Scorsese avec Mean Streets en 1974 toujours, Nagisa Oshima avec L'empire des sens en 1976, Manoel De Oliveira avec Francisca en 1981, qui amorce la renaissance du cinéaste portugais, Stephen Frears avec The Hit en 1984 puis The Snapper en 1993, Susan Seidelman avec Recherche Susan Désespérément (et Madonna dans son premier rôle) en 1985, Denys Arcand avec Le déclin de l'Empire américain en 1986, Shekhar Kapur avec La Reine des bandits et P.J. Hogan avec Muriel's Wedding en 1994 (sans doute l'une des plus belles années de la sélection), Sandrine Veysset avec Y aura t’il de la neige à Noël ? en 1996, Sofia Coppola avec The Virgin Suicides en 1999, Stephen Daldry avec Billy Elliot en 2000, Jean-François Pouliot avec La grande séduction en 2003, Michel Ocelot avec Azur et Asmar en 2006, Xavier Dolan et son premier long J'ai tué ma mère et Francis Ford Coppola qui signait son retour avec Tetro en 2009, Noémie Lvovsky avec Camille Redouble en 2012, les films d'animation Ernest et Célestine (2012) et Ma vie de Courgette (2016), Guillaume Gallienne avec Les garçons et Guillaume à table! en 2013, Damien Chazelle avec Whiplash en 2014, Philippe Faucon avec Fatima et Deniz Gamze Ergüven avec Mustang en 2015.

Un palmarès finalement assez exceptionnel pour une sélection sans réel palmarès. Il y a  beaucoup de grands festivals qui aimeraient avoir ce catalogue cinématographique.

Cannes 70 : Nos bonnes (et moins bonnes) raisons de venir à Cannes cette année

Posté par cannes70, le 4 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-14.  Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


The place to be
Lorsque l'on aime le cinéma, il n'y a pas de meilleur endroit où être en mai puisqu'on peut voir des films de 8h30 du matin à minuit, voire 2 ou 3h les bons jours. La preuve, même les haters / blasés de service ne rateraient une édition pour rien au monde.

Voir les films les plus attendus de l'année
A commencer par ceux de la compétition, qui constituent à eux-seuls 19 excellentes raisons de faire le déplacement. Chacun a ses préférences, mais globalement il faudra les voir tous pour se faire une idée de l'année cinématographique à venir.

Retourner à Twin Peaks
La série culte des années 90 est de retour. Pour découvrir les deux premiers épisodes de la saison 3, signés par son créateur David Lynch, on serait allé beaucoup, beaucoup plus loin que Cannes.

Faire des découvertes
On connaît la chanson : à Cannes, ce sont toujours les mêmes... Sauf si l'on est un peu motivé pour sortir des sentiers battus (c'est-à-dire rater le nouveau Michael Haneke, par exemple) et se tourner en priorité vers les premiers films. Six à la Semaine de la Critique, sept à l'ACID, cinq à la Quinzaine des Réalisateurs, une dizaine en sélection officielle : il y a largement de quoi faire pour se donner une chance de faire de vraies belles découvertes.

La possibilité de rencontrer un authentique Jedi
Luke Skywalker himself, aka Mark Hamill dans cette partie de la galaxie, sera à la Semaine de la Critique avec le film Brigsby Bear réalisé par Dave McCary. Même si le film n'a rien à voir avec Star Wars, la force devrait être avec lui.

L'ivresse festivalière
Bien plus enivrante que celle due à l'alcool, elle se caractérise par ce moment où le cerveau saturé de films fait surgir aléatoirement dans l'esprit du festivalier fatigué des bribes de scènes et des images éparses, des émotions insaisissables, des idées étranges. On est comme pris dans la nasse de dizaines d'histoires qui s'entremêlent au point de nous rendre difficile la distinction entre elles et la réalité. Souvent, ça veut surtout dire qu'il est grand temps que le Festival s'achève.

Becoming Cary Grant
Ce n'est hélas pas une proposition, mais le titre d'un documentaire de Cannes Classics, signé Mark Kidel, qui raconte l'acteur à travers ses propres mots interprétés par Jonathan Pryce.

Des zombies
C'est à Cannes qu'aura lieu la grande avant-première du film Zombillenium d'Arthur de Pins, d'après sa bande dessinée. Le film qui fera ensuite l'ouverture du Festival d'Annecy est l'un des grands événements de l'année côté long métrage d'animation française.

Manger une glace Magnum personnalisée
Oui, sur la plage Magnum, accessible aux festivaliers pendant la journée, il est possible de customizer son magnum. Noir ou blanc, facile, mais surtout un choix important d'ingrédients à ajouter au nappage, de la fleur de sel à la guimauve en passant par des amandes effilées ou des flocons d'or (!).

Sharunas Bartas
L'un des réalisateurs les plus singuliers de notre époque est de retour à la Quinzaine des Réalisateurs avec Frost, deux ans après le très réussi Peace to us in our dreams. L'auteure de ces lignes doit confesser que cette seule raison lui semble suffisante pour avoir envie d'aller un peu près n'importe où.

Connaître deux mois avant tout le monde la playlist de l'été.
En effet, les DJ des différentes plages testent sur les festivaliers les tubes à venir. À ce stade-là, on peut même dire qu'ils les martèlent. Tellement hype : être lassé par Get Lucky de Daft Punk avant même que les autres n'en aient entendu parler.

Une double dose de Hong Sang-soo
Le cinéaste coréen sera présent sur la Croisette avec Claire's camera en séance spéciale (tourné à Cannes avec Isabelle Huppert) et The Day after en compétition (avec son actrice fétiche Kim Min-Hee). Bonus : pour les festivaliers les plus chanceux qui ont déjà eu l'occasion de voir deux films de Hong Sang-so cette année : Yourself and yours sorti le 1er février et On the Beach at night alone sélectionné à Berlin, c'est même l'occasion de battre une sorte de record. Toute la question étant de savoir si Hong Sang-soo aura au moins un film prêt pour Venise, ou si sa formidable année s'arrêtera là.

La tenue de soirée exigée
Le smoking est flatteur, il rend systématiquement celui qui le porte plus charismatique et désirable. À Cannes, on ne sait jamais, chaque visage anonyme pouvant dissimuler la star de demain, ce serait vraiment bête de ne pas en profiter, noeud papillon insolent et air mystérieux en bandoulière.

Lire le reste de cet article »

Cannes 70 : les pépites de Cannes Classics

Posté par cannes70, le 3 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-15. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Alors que la nouvelle sélection de Cannes Classics vient de nous être (enfin) dévoilée, voici nos coups de coeur très personnels sur les belles découvertes faites depuis la création en 2004 de cette case rétrospective officielle du Festival de Cannes, par ordre chronologique de passage sur la Croisette. Hasard ou intérêt tout personnel de l'auteur de ces lignes, une grande majorité d'entre eux est issue du programme de restauration de la World Cinema Foundation, l'association présidée par Martin Scorsese, qui aide les pays en voie de développement à sauvegarder leurs trésors cinématographiques.

Mélodie pour un tueur (Fingers) de James Toback (Etats-Unis, 1977 ; Cannes Classics 2008)


Le premier film de James Toback est redécouvert grâce à Jacques Audiard qui s'en inspire pour réaliser un remake radicalement différent, malgré des prémices et certaines scènes très proches : De battre mon coeur s'est arrêté, avec Romain Duris dans son premier rôle «adulte». Dans le film d'origine, on découvre un Harvey Keitel dans son premier premier rôle après quelques seconds rôles marquants pour Martin Scorsese (Mean Streets ; Taxi Driver).

Dès la première scène, le ton est donné. On le découvre à son piano, totalement habité par une toccata de Bach dans l'attente d'une audition qui pourrait le mener à jouer au Carnegie Hall. Lorsqu'il sort de la rue, il ne quitte pas son transistor encombrant, écoutant aussi bien Bach que des standards de soul music, prétextant que c'est ce qui l'empêche de devenir dingue. Mais comme le lui fait remarquer son père, fan du crooner Jimmy Vale, il l'est déjà. Ce qui pourrait n'être qu'une boutade reflète un vrai malaise. Une sexualité hésitante, une déception amoureuse, une famille qui pèse sur son moral défaillant et une vie qui ne semble pas vouloir décoller à 32 ans. Sa nervosité se reflète physiquement et malgré un vrai talent au piano, il se met dans des situations dangereuses, provoquant des conflits, incapable de dire non, mettant en péril son futur éventuel en risquant de blesser ses mains si précieuses.

Ses Fingers (les doigts) sont en effet au cœur de ce polar noir, sur les touches d'un piano, pour tenir un revolver, pour se battre à poings nus... Comme s'il était en quête non pas de réussite mais d'un échec qu'il ne semble pas pouvoir, ou vouloir, éviter. Le désenchantement présent dans les grands films américains des films des années 70 se reflète dans cette œuvre d'une grande noirceur, portée par Harvey Keitel, au jeu imposant et étrangement attachant, dans ses failles et ses renoncements. Michael V. Gazzo (alias Niels Arestrup chez Audiard) est ce père en bout de course qui utilise son fils car il n'a plus que lui à utiliser. L'acteur qui dort (involontairement) avec un cheval dans Le Parrain 2 est parfait avec ce costume très jaune qu'il ne quitte pas, sa voix grave éraillée et son incapacité à prononcer le nom de sa fiancée irlandaise.

Tisa Farrow, soeur de Mia et dont la carrière fut trop brève, est parfaite elle-aussi dans le rôle d'une femme partagée entre ce jeune homme indécis et un drôle de costaud incarné par Jim Brown, connu pour Les 12 Salopards. La scène de la prison où Harvey Keitel passe une nuit est à l'image de ce personnage trouble et passionnant, la seule où il s'avère capable de jouer du piano, même imaginaire, en public. Ses compagnons de cellule apportent un des moments les plus légers de ce film tendu. La copie, alors en 35mm, était magnifique.

Un été sans eau de Metin Erksan (Turquie, 1964 ; Cannes Classics 2008)


Tout commence par un conflit autour de l'eau. Deux frères possèdent un terrain sur lequel se trouve la seule source d'un village. Lors d'un été particulièrement aride, l'aîné refuse de partager avec ses voisins, au dam de son cadet, plus généreux, qui le prévient que son égoïsme aura de graves conséquences. Une prédiction qui s'avérera juste : les tragédies vont se succéder et la vie heureuse qui se préparait est heurtée par la trahison et la lâcheté d'un homme.

Metin Erksan est un réalisateur turc (1929-2012), méconnu en dehors de son pays. Susuz Yaz, Ours d'Or à Berlin en 1964, est l'une de ces restaurations de la World Cinema Foundation. La mise en scène est clairement héritée du meilleur du néo-réalisme italien : une approche documentaire d'une histoire mélodramatique, de beaux partis de mise en scène comme ce paysage qui virevolte pour souligner la détresse de son héroïne ou une agression violente d'un homme par un groupe dans un rythme accéléré. Une histoire simple mais émouvante et lyrique. Un drame soutenu par des personnages forts, ces deux frères aux tempérament différents et la fiancée du plus jeune, convoitée par l'aîné, un homme qui se perd dans son rejet de l'autre et dans son repli sur lui-même et son territoire.

Les interprètes sont admirables : Ulvi Dogan et Erol Tas en frères ennemis et Hülya Koçyigit en jeune femme amoureuse. La tendresse et l'humour ne sont pas absents, surtout dans les premières scènes comme celle où les deux jeunes amoureux quittent le foyer de la mère de la future mariée, savoureuse par sa légèreté et les beaux sentiments qui se dégagent. En contraste avec les mauvaises intentions de ce frère qui semble être au départ un bougon pas si antipathique mais la noirceur de ses comportements, son amertume profonde, ne cesse de s'aggraver.

En 75 minutes à peine, avec un art maîtrisé de l'ellipse et de la gestion de situations qui ne sont pas artificiellement étirées, Metin Erksan montre une violence que rien ne peut stopper malgré l'évidence de son impasse, sous le soleil frappant de la Turquie dans une contrée pauvre. Le noir et blanc est parfait pour illustrer la sensualité, le désir, les sentiments contradictoires. Un très beau contraste visuel relevé par la restauration effectuée par la Cinémathèque de Bologne, haut lieu de la cinéphilie, compagnon de «lutte» de Cannes Classics.

Cette séance a permis à l'auteur de ces lignes de découvrir un cinéaste majeur européen trop méconnu et auquel la Cinémathèque a rendu un bel hommage en 2010 qui a confirmé les attentes de cette première rencontre.

Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty (Sénégal, 1973 ; Cannes Classics 2008)


Nous l'évoquions déjà dans notre texte sur le cinéma africain mais impossible de ne pas revenir sur le choc esthétique et culturel de l'un des premiers chefs d'oeuvre du cinéma africain en général, sénégalais en particulier. Dakar au Sénégal dans les années 70. Mory, ancien gardien de troupeau, conduit une belle moto avec en figure de proue le crâne d'un zébu. Il propose à sa compagne Anta de prendre le bateau qui part le lendemain pour Paris, l'eldorado pour de nombreux Africains. Mais l'entreprise n'est pas aisée lorsque l'on a pas d'argent.

En multipliant les actes malhonnêtes, ils vont réunir le budget mais ont-ils réellement envie de partir ? À travers leur errance, leur ennui, leur rêve d'un avenir meilleur loin de leur pays natal, le réalisateur remet en question une société perdue entre tradition et modernité. Le comportement libre d'Anta évoque une jeunesse américaine héroïque façon James Dean, allant jusqu'à adopter une silhouette de garçon manqué. Membéty entretient dans un premier temps le doute sur sa féminité, loin des canons habituels de sa communauté, de sa mère notamment. La nudité est une donnée rare dans le cinéma africain et Membéty transgresse les règles d'alors avec une scène pudique mais dont le montage transcende la discrétion.

Le cinéaste se révèle d'ailleurs être un maître dans ce domaine. Il enchaîne les plans avec un art du saut du coq à l'âne visuel qui ne cherche pas la clarté à tout prix mais à faire naître d'étranges sensations à travers des associations d'images avec vision de bêtes abattues qui symbolisent Mory et Anta comme les représentants d'une génération sacrifiée. Grâce à la restauration, les couleurs chaudes retrouvent tout l'éclat d'origine.

Dieu ne croit plus en nous d'Axel Corti (trilogie Welcome in Vienna, première partie) (Autriche, 1982 ; Cannes Classics 2009)


Vienne,1938. Lors de la Nuit de Cristal, Ferry Tobler, un adolescent juif, voit son père assassiné par les nazis. Il fuit l'Autriche et se retrouve à Prague. D'abord seul, il est confronté à l'inhumanité de ceux qui espèrent récupérer les biens de sa famille et à la corruption d'un policier. Autour de lui, la vie continue pour ceux qui ne sont pas traqués. Dans sa recherche de papiers lui permettant de passer d'un pays à l'autre, il rencontre d'autres personnes aux trajets divers qui attendent dans la peur tout le temps, dans des moments humains, parfois. Lire le reste de cet article »

Cannes 70 : Annecy comes from Cannes

Posté par cannes70, le 2 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-16. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


En 2017, le Festival de Cannes accueillera les 3e Animation days et le festival d’Annecy organisera pour la deuxième fois au marché du film un événement intitulé Annecy goes to Cannes. A l’heure où on commence à percevoir un vague intérêt pour le cinéma d’animation de la part de la Croisette, revenons sur un événement parallèle au Festival de Cannes qui a donné naissance au festival d’Annecy : les RICA et JICA. Comme quoi, un festival peut en cacher un autre !

Aujourd’hui considéré comme le plus important événement autour du cinéma d’animation, le Festival d’Annecy n’a pas commencé sur un coup de tête dans la cité savoyarde en 1960. Son histoire débute en 1956 aux premières RICA, Rencontres Internationales du Cinéma d’Animation qui eurent lieu à Cannes parallèlement au festival. Pour mieux comprendre son arrivée, il faut néanmoins remonter quelques années en arrière.

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les ciné-clubs se développent en France et nombreux sont les journalistes, critiques ou cinéphiles qui y officient. Ces rendez-vous d’amoureux du 7ème art n’ont alors rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Ce sont de vrais lieux de débats voire de combats autour de films projetés et une certaine manière, pour certains, d’éduquer par le cinéma. Les discussions après le film étaient au moins aussi importantes que le film lui-même. Ces ciné-clubs étaient réunis au sein de la ffcc (Fédération française des ciné-clubs).

En 1951, des dissidents créent la FCCC (Fédération centrale des ciné-clubs). Ils sont regroupés autour de Pierre Barbin et de certains de ses proches, comme André Martin qui milite en faveur du cinéma d’animation. Martin créera par la suite un studio d’animation avec Michel Boschet et il deviendra critique, notamment aux Cahiers du cinéma où il sera proche d’André Bazin qui, contrairement à une idée répandue, aimait aussi le cinéma d’animation.

Des journées du cinéma aux RICA

La même année, Barbin, Martin et Boschet créent l’AFDC (Association Française pour la Diffusion du Cinéma) dont Roger Leenhardt devient le président. L’association organise à Versailles, puis dans de nombreuses villes de province, les Journées du cinéma. A chaque arrêt, des films sont projetés, une exposition est organisée et des rencontres prévues. Au début, le succès est timide mais grandit de manière exponentielle.

Pourtant, c’est en 1955 que tout se joue. Cette année-là, par un concours de circonstance, les Journées du cinéma arrivent à Tours et donnent naissance à un important festival de courts-métrages. Place centrale dans la promotion des formes courtes, il perdurera jusqu’en 1971. Toujours en 1955, Barbin contacte Jacques Flaud, alors Directeur Général du CNC. D’une part, il souhaite organiser à Annecy une « semaine du cinéma ». C’est à cette occasion que l’équipe de l’AFDC rencontre celle du Ciné-club savoyard, l’un des plus importants de France, dirigé par Henry Moret, Georges Gondran et Jean Leveugles, et projette un panorama du cinéma d’animation. D’autre part, Barbin souhaite organiser un événement spécifique lié au cinéma d’animation à Cannes dès 1956. Le festival manque d’initiatives vis-à-vis du court-métrage en général. Puisqu’avec Tours, le court dispose d’une vitrine importante, c’est le court animé que Barbin décide en mettre en valeur à Cannes sous l’impulsion de Martin et Boschet.

En 1956, le Festival de Cannes accueille donc les RICA qui se découpent en trois parties : un congrès international autour de la question des écoles et de l’enseignement du cinéma d’animation, une exposition importante et à visée encyclopédique sur l’animation présentée au Miramar et, surtout, la tenue des JICA, Journées Internationales du Cinéma d’Animation. Ces journées sont consacrées à des projections dans la petite salle du Palais des festivals de l’époque et elles deviennent un important lieu de soutien à l’animation internationale.

70 films répartis en 6 programmes

Cette manifestation avait deux objectifs principaux. D’abord, montrer au plus grand nombre de spectateurs à quel point les formes animées étaient diverses, originales et méritaient le détour, le tout en leur offrant un large panel de courts-métrages à voir, le cinéma d’animation ayant toujours été un lieu propice au court-métrage. Puis, contrairement à aujourd’hui, où les moyens de communication ne sont pas les mêmes, les animateurs ne se connaissaient pas vraiment entre eux. Aucun festival ne leur était dédié, il leur était difficile de se rencontrer, de voir leurs films respectifs, de savoir où ils en étaient, ce qu’ils faisaient. Et ce d’autant plus que les tensions entre blocs de l’est et de l’ouest rendaient les voyages compliqués. Ces premières journées devaient donc servir à inviter tous les plus grands créateurs de l’animation à venir montrer leurs films, récents ou plus anciens, pour qu’ils se rencontrent et rencontrent leur public.

Pendant 6 jours, du 25 avril au 2 mai 1956, les plus chanceux ont donc vu se succéder plus de 70 films réunis dans 6 programmes de courts-métrages : Evolution du dessin (du dessin classique au style moderne), Evolution du rythme, Evolution du sujet, Recherche de la matière – Découpage et transparence animés, Recherche de la matière – Economie de moyens (écran d’épingles, pastels enchaînés, dessin sur pellicule) et L’Animation tridimensionnelle (animation d’objets, objets modifiés images par images, animation de personnages vivants image par images et marionnettes image par image). Ceux-ci étaient pensés et conçus d’une manière unique, parfois un peu scolaire dans les thématiques, mais offrant pour la première fois un aperçu structuré et exemplaire de cet art encore à la marge. Tous les films montrés dataient d’entre 1910 et 1956 – avec une très large majorité de films conçus après 1945 – et provenaient de nations dont la production animée était aussi importante que méconnue : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Japon, Chine, Tchécoslovaquie, URSS, Roumanie, Pologne.

En 6 jours – la durée, encore aujourd’hui, du festival d’Annecy – les spectateurs curieux ont pu voir défiler les films de Norman McLaren, Paul Grimault, Jiri Trnka, Ivan Ivanov-Vano, John Hubley, Stephen Bosustow, Robert Cannon, Eduard Hofman, Karel Zeman, Lev Atamanov, Tex Avery, Peter Foldès, John Halas et Joy Batchelor, Zdenek Miler, George Dunning, Lotte Reiniger, Noboro Ofuji, Berthold Bartosch, Len Lye, Claire Parker et Alexandre Alexeieff ou Karel Zeman. La moitié de ces créateurs s’étaient rendus sur place comme en attestent plusieurs photos (1).

Le succès de l’événement fût important. La presse ne tarît pas d’éloges sur la manifestation et Jacques Doniol Valcroze dans le France Observateur du 3 mai 1956 écrivit par exemple que « le meilleur festival c’est celui qui se déroule tous les après-midi dans la petite salle du Palais. » pendant que Sadoul, dans Les Lettres françaises du 10 mai appelait à la création d’un festival uniquement consacré au cinéma d’animation.

Deuxième édition

L’expérience fut reconduite deux ans plus tard, en 1958, toujours dans le cadre du Festival de Cannes. Ces deux éditions successives et les interventions de militants en faveur du cinéma d’animation permirent de faire comprendre aux animateurs français à quel point leur isolement total, dû aux conditions de productions de leurs films, était préjudiciable à la reconnaissance de leur art comme de leur profession. En octobre 1958, est donc créée l’ACA (Association des artistes et amis du Cinéma d’Animation) – qui deviendra l’AFCA en 1971 – et dans la foulée, l’ASIFA (Association Internationale du Film d'Animation) en 1960.

Dans un texte écrit par André Martin sur une plaquette distribuée lors de la première édition du festival d’Annecy en 1960, on pouvait lire une sorte de résumé de ce que furent ces deux premières éditions des JICA. Témoignage de ce qu’ils ont représenté et de leur diversité :

« S’il m’en souvient, les Premières Journées se révélèrent à l’usage comme la plus complète revue des moyens et des styles de l’Animation jamais réalisées jusqu’à ce jour. Avec le Printemps 1956 commence, pour tous les amis du Cinéma d’Animation, la conviction que l’éventail des techniques, des formes et des genres de l’image par image est presque illimité. Le dessin animé sur cellulo, celui que Walt Disney avait rendu célèbre, peut disparaître provisoirement, il sera remplacé. Depuis cette année-là, des modes de manipulations innombrables, les combinaisons neuves de moyens presque toutes étonnantes n’ont cessé d’apparaître.

Le caractère des secondes Journées, leur leçon, trouva le moyen d’être différent. La surprise de 1958 fut de constater que beaucoup de réalisateurs, sans s’être concertés, poussés par on ne sait quel sentiment identique, entreprenaient de styliser les personnages et les formes au maximum. Sur l’écran entra le premier des héros en pain de sucre de l’immortel Flebus et les lilliputiens du Petit Jongleur, les héros laconiques et immobiles de La Petite île de Dick Williams, le promeneur solitaire de Mimica. Bientôt les génériques de Saül Bass, les œuvres de Eame, les amoureux primesautiers de Tendre Jeux de Hubley, Le Merle sauteur de McLaren jusqu’aux récents gangsters du Vol du diamant de Mladen Feman, confirment cette curieuse direction. »

Pourtant, malgré le succès de ces deux éditions, les réalisateurs et les gens impliqués dans l’organisation des JICA se sentaient extérieurs aux grandes manifestations cannoises. Le tohu-bohu et la starification impressionnante n’avaient effectivement rien à voir avec les objectifs de Barbin et de son équipe. Et puis même si les RICA proposaient un événement d’envergure sur l’animation, et que la presse l’accueillait favorablement, ce n’est pas pour autant que les journalistes parlaient des films. En effet, la critique peine à sortir de sa léthargie coutumière face aux formes différentes.

Comme Martin l’écrivait en 1957 dans un article justement intitulé Pourquoi votre critique est muette ? : « Au festival de Cannes 1955, Norman McLaren obtint à l’unanimité des jurés et des participants, la Palme d’or du court métrage pour sept minutes de cinéma pas comme les autres ; les commentaires se firent cependant rares et la renommée peu bavarde. Par la suite, à chaque nouvelle projection, critiques et publics ont diversement reconnu l’incontestable primauté de Blinkity blank mais sans jamais entrer dans le détail. Le petit Tout-Paris a vu il y a quelques mois Les Vieilles légendes tchèques de Trnka au milieu d’un enthousiasme aussi chaleureux que peu disert. On est loin d’avoir imprimé au sujet de ce film admirable autant de mots qu’à propos de Coup dur chez les mous par exemple ».

Avant de continuer :

« Pourtant, les qualités du cinéma d’animation ne cessent d’être exemplaires Il n’est pas rare que le meilleur moment d’une soirée soit proposé par l’entrain bariolé du cartoon. Pourquoi les critiques s’imposent-ils de critiquer sévèrement le film décevant et commercial au lieu de vanter les sept minutes d’animation des premières parties qui les ont beaucoup plus étonnés ? »

Cette question reste encore aujourd’hui sans réponse et la critique continue à végéter devant leurs stimulants coutumiers. Mais c’est de toutes les réflexions précédentes qu’est venu le désir d’organiser en France une manifestation à part uniquement consacrée au cinéma d’animation.

Rendez-vous à Annecy

Cet état d’esprit, ajouté au fait qu’en 1956 et 1958, Moret et Gondran avaient fait le voyage jusque Cannes afin d’assister aux projections des JICA tout se liant d’amitié avec l’équipe des Journées du cinéma, a joué dans le choix de déplacer la manifestation à Annecy. La ville avait le double avantage d’être de taille moyenne : elle ne croulait pas sous les manifestations culturelles et artistiques, et elle avait la possibilité de débloquer des fonds pour organiser un événement d’envergure.

Après de longues délibérations avec la municipalité et le CNC, et quelques problèmes réglés de façon quasi miraculeuse, l’implantation est adoptée en 1959. En 1960 – le festival est resté une biennale jusqu’en 1997 – Barbin, Martin et Boschet ouvrent donc les 3e JICA à Annecy.

Le 27 avril 1956, dans le Parisien libéré, André Bazin écrivait à propos des JICA : « [La] présence personnelle à Cannes [de Jiri Trnka], cette année, est due à une initiative des Journées du Cinéma, l’organisation d’un petit festival dans le grand, consacré aux films d’animation… Gageons que ce petit festival-là nous consolera souvent du grand… ».

Finalement, ce petit festival cannois n’aura pas duré très longtemps. Mais Annecy n’a pas fini de nous consoler de Cannes !

Nicolas Thys de Critique-Film

(1) A ceux qui liraient ces noms sans les connaitre et voudraient se faire une idée de ce qu’ils représentent dans le monde de l’animation, imaginez une réunion pour geeks où seraient réunis dans un même lieu créateurs et membres des équipes des films de super héros, Star Trek, Star Wars et Le Seigneur des anneaux.

Bibliographie

Gondran Georges, Moret Henry, Une lanterne déjà bien éclairée in. Annesci n°12, Annecy, Société des amis du vieil Annecy, 1965.
Jeancolas Jean-Pierre, « Structures du court métrage français, 1945-1958 ». In Bluher Dominique & Thomas François (dir.), Le court métrage français de 1945 à 1968 : De l'âge d'or aux contrebandiers, Rennes, PUR, 2005.
Martin André, Ecrits sur l’animation, textes rassemblés par Bernard Clarens, Paris, Dreamland, 2000.
Pierre Jacquier (Dir.), Plaquette : 1960-1985 : Festival d’Annecy, Annecy, CICA, 1985.

Cannes 70: la littérature, the Festival’s Best Kept Secret

Posté par cannes70, le 1 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-17. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

On ne le sait pas forcément, mais la littérature a toujours été liée au cinéma. On croit que l'adaptation est un phénomène récent. Que nenni. Gulliver, La belle et la bête, Robinson Crusoé, La case de l'Oncle Tom, Alice au pays des merveilles ou encore Don Quichotte ont connu des vies cinématographiques durant les premiers pas du cinéma, avant 1905.

Le Festival de Cannes n'a jamais dédaigné sélectionner et même primer des adaptations de livres ou de pièces de théâtre. On peut en piocher quelques unes dans le palmarès. Othello d'Orson Welles d'après Shakespeare, Le salaire de la peur d'Henri Verneuil d'après Georges Arnaud, Orfeu Negro de Marcel Camus d'après Vinicius de Moraes, Le Guépard de Luchino Visconti d'après Giuseppe Tomasi du Lampedusa, Sailor et Lula de David Lynch d'après Barry Gilford, Entre les murs de Laurent Cantet d'après François Bégaudeau, qui joue le premier rôle dans le film... tous des Grands prix ou Palmes d'or. Rien que l'an dernier, rappelons que deux chéris des festivaliers en étaient : Elle (compétition) et Ma vie de Courgette (Quinzaine), avec la présence des deux écrivains sur la Croisette.

Le saviez-vous?

Saviez-vous que Blow up était adapté d'une nouvelle de Julio Cortazar ? Que M.A.S.H. tirait son sujet d'un roman de Richard Hooker ? Que l'écrivain Leslie Poles Hartley a été deux fois palmé, indirectement bien sûr, grâce aux films de Joseph Losey (Le messager, 1971) et de Alan Bridges (La méprise, 1973) ? Que la seule bande dessinée adaptée et palmée est française : La vie d'Adèle d'après Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh ? Il y eut aussi des coups doubles. Comme en 1951 avec le double Grand prix pour Miracle à Milan de Vittorio De Sica, adapté d'un roman de Cesare Zavattini et Mademoiselle Julie d'Alf Sjöberg d’après la pièce d’August Strindberg. Mais, le plus beau coup fut sans doute en 1979 : une Palme ex-aequo entre Apocalypse Now d’après une nouvelle de Joseph Conrad et Le tambour d’après un roman de Günter Grass, le tout avec un jury présidé par l'écrivaine Françoise Sagan.

De grandes plumes

Car le Festival de Cannes a toujours fait une grande place aux écrivains. Moins ces derniers temps, il est est vrai. Mais depuis 1946, plus de 90 auteurs ont été membres du jury. Et parfois Présidents de jury ! Et on compte quand même quelques Prix Nobel de littérature comme Miguel Ángel Asturias, président en 1970, Gabriel Garcia Marquez, membre en 1982, Patrick Modiano, membre en 2000, Toni Morrison, membre en 2005 (photo), Orhan Pamuk, membre en 2007.

Ne soyons pas mondialistes: il y a eu aussi quelques prix Goncourt parmi les jurés : Maurice Genevoix (président en 1952 et membre en 1957), Romain Gary (membre en 1962) et Modiano donc. On ne peut-être complet si on n'indique pas, parmi cette pléiade d'écrivains, ceux qui ont présidé des jurys : Georges Huisman en 1947 et 1949, André Maurois en 1951, Jean Cocteau en 1953 et 1954 (et président d'honneur en 1957 et 1959), Marcel Pagnol en 1955, Marcel Achard en 1958 et 1959, Georges Simenon en 1960 (premier étranger à présider le jury cannois), Jean Giono en 1961, Tetsuro Furukaki en 1962 (et premier président issu d'un pays non francophone), André Maurois en 1965, André Chamson en 1968 (année maléfique) et William Styron en 1983. Et sinon : Tennessee Williams, Mario Vargas Llosa, Jorge Semprun, Paul Auster, Raymond Queneau...

Franc-parler

Longtemps les écrivains étaient les autres stars du Festival, chargés de donner une aura artistique à l'événement. Cela ne veut pas dire que ça se passe toujours très bien. Les liaisons ont même été périlleuses. Un auteur est soucieux de son indépendance. Un écrivain peut mal prendre la critique. Ainsi Sagan et Simenon n'ont jamais encaissé l'idée qu'on leur impose un autre choix pour la Palme que celui qu'ils voulaient (les deux ont obtenu victoire). Duras a vu un de ses scénarios traité de "merde" par un président du jury pourtant académicien français. La même Duras qui se demandait en 1967 lors d'une chronique comment des films aussi mauvais étaient sélectionnés, à partir de quels critères, sans attendre la deuxième semaine pourtant riche en grands films.

Cocteau, lui, s'amusait du jeu cannois tout en désespérant des luttes politiques autour des films et en déplorant les compromis à faire avec les autres jurés. "Voir de très mauvais films rend malade. On en sort diminué, honteux" écrivait-il à l'époque, tout en s'enthousiasmant pour Le salaire de la peur de son copain Clouzot et Peter Pan. Il s'emportait contre le public pas assez respectueux (Duras a carrément déclaré que les festivaliers étaient incultes).

"Il me plairait que les festivals ne distribuassent pas de prix et ne fussent qu'un lieu de rencontres et d'échanges" écrivait-il, rêvant, lyrique, à un Cannes ne jugeant pas le cinéma mais l'admirant. C'est sûr que l'imparfait du subjonctif, ça envoie tout de suite plus de classe que les discours actuels.

Cannes 70 : 13 thèmes musicaux qui valent de l’or

Posté par cannes70, le 29 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

En partenariat avec Cinezik, Benoit Basirico nous décrypte les musiques qui ont fait Cannes.

Aujourd'hui, J-19. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Voici une sélection des thèmes qui ont marqué les 70 palmes d’or (ou initialement Grand Prix). Cette sélection tient compte de la beauté musicale des thèmes, mais aussi de la manière qu’ils ont eu de rester dans nos mémoires, que ce soit par leur apport émotionnel au film, par leur contribution à la narration, la simplicité de la mélodie, ou le choix d’un unique instrument. Cette sélection est dévoilée par ordre chronologique.

Le Troisième Homme (Carol Reed / Anton Karas, 1949)

Le compositeur autrichien Anton Karas signe son unique musique originale au cinéma pour le film de l’anglais Carol Reed avec une partition axée sur la cithare, un instrument soliste qui représente par son thème obsédant une sorte d’alter-ego pour le héros incarné par Orson Welles. Le musicien alors inconnu a été découvert par le réalisateur dans un bar à vins de Vienne.

Quand Carol Reed lui propose d’écrire la musique de son film, il s’en sent incapable puisqu’il n’avait jamais rien composé auparavant. Il a donc improvisé cette mélodie. Au final, la B.O restera pendant onze semaines en tête du hit parade américain, entre avril et juillet 1950 ! Anton Karas fera le tour du monde pour jouer sa musique. C’est l’exemple le plus frappant d’une musique d’abord anecdotique rendue célèbre grâce à la puissance émotionnelle d’un film.

La Dolce Vita (Federico Fellini / Nino Rota, 1960)

Depuis son premier long métrage Le Cheik blanc en 1952, Federico Fellini confie la musique de ses films à Nino Rota. Le compositeur travaille ainsi sur quinze films du réalisateur (La Strada, Huit et demi, ou Amarcord) jusqu’à sa mort en 1979. Pour La Dolce Vita, le thème participe à la douceur de vivre du titre, par sa légèreté.

Cette mélodie est distillée de manière diffuse comme un parfum enivrant prolongeant le climat d’insouciance. Dans une belle harmonie, la trompette et la guitare entonnent le thème sous la forme d’une valse lente qui semble faire danser les personnages. Nino Rota a également signé la musique d’une autre Palme d’or (Grand Prix) : Le Guépard de Visconti.

Les Parapluies De Cherbourg (Jacques Demy / Michel Legrand, 1964)

Le compositeur Michel Legrand retrouve son cinéaste fétiche Jacques Demy pour leur première comédie musicale après Lola et La Baie des anges. Au départ, le film devait être parlant avant d’être chanté. C’est le compositeur qui souffla l’idée à son ami Demy. C’est devenu le premier film où tous les dialogues sont chantés. Catherine Deneuve étant doublée, nous n’entendons jamais sa voix.

Ces chansons gaies et insouciantes sont en contraste avec l’histoire tragique d’un couple divisé par la guerre d’Algérie. Le couple Legrand-Demy réitérera avec le même succès à l'occasion du plus joyeux Les Demoiselles de Rochefort (1967) avec un univers visuel plus coloré. Michel Legrand a écrit la musique d’une autre Palme d’or (Grand prix) en 1971 avec Le Messager de Joseph Losey et son motif en boucle pour deux pianos et orchestre.

Un Homme et Une Femme (Claude Lelouch / Francis Lai, 1966)

Il s’agit de la première musique de film de Francis Lai et donc de sa première collaboration avec Claude Lelouch dont il deviendra inséparable. La musique est en contrepoint avec l'image, elle prend son importance par son autonomie. De plus, la musique chez ce tandem est toujours composée et enregistrée avant le tournage, avant la première image. Francis Lai a conçu son thème en fonction de l'histoire que Lelouch lui racontait.

C'est le réalisateur le chef d'orchestre puisqu'il monte ensuite la musique sur ses images. Il la fait même entendre à ses acteurs, Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant, sur le plateau pour conditionner leur jeu. Par la suite, une chanson sera tirée du film, avec des paroles de Pierre Barouh (« Da ba da ba da, ba da ba da ba ») et interprétée par Nicole Croisille. Francis Lai est un autodidacte. Il a écrit cette première partition tout seul, grâce à son instrument fétiche, un accordéon électronique, avant par la suite de s’associer à des orchestrateurs pour des musiques plus orchestrales. Francis Lai demeure l’un des plus grands inventeurs de mélodies.

Conversation Secrète (Francis Ford Coppola / David Shire, 1974)

Le compositeur David Shire a 37 ans lorsqu’il participe au film d’espionnage de son beau-frère (à l'époque) Francis Ford Coppola. Il compose avec son piano un air mélancolique teinté de jazz. Le cinéaste, fort du succès du Parrain qu'il considérait comme une simple commande commerciale, décide de mettre en chantier ce film plus intime, plus personnel, et plus modeste. La musique par son épure participe à cette simplicité apparente.

D’ailleurs, David Shire souhaitait au départ écrire une partition pour orchestre mais le réalisateur exigea une musique pour un seul instrument : le piano. Sous cette forme minimale, le thème en devient plus troublant. Le film se termine avec une scène où Gene Hackman joue du saxophone avec un morceau sans lien avec le thème de David Shire.

Taxi Driver (Martin Scorsese, Bernard Herrmann, 1976)

Il s’agit de la dernière musique de Bernard Herrmann (le film fut dévoilé à Cannes 4 mois après son décès survenu en décembre 1975) et une unique collaboration avec Martin Scorsese. Plutôt habitué des motifs orchestraux (notamment pour Hitchcock), le compositeur propose pour la première fois d’intégrer le jazz à son univers avec cette partition de saxophone alto.

Pour l’anecdote, sa collaboration avec Hitchcock s’est arrêtée lorsqu’en 1966 le cinéaste anglais rejeta sa musique pour Le Rideau déchiré au profit de la partition jazz de John Addison. Ce genre étant alors à la mode à Hollywood. Dans le thème d’ouverture de Taxi Driver, les cordes graves, les cuivres et les lourdes percussions illustrent la descente aux enfers nocturne du personnage, tandis que le saxophone qui fait son apparition dans un second temps convoque la lumière des néons qui éclairent la ville plongée dans le noir. L'aspect jazzistique est le versant lumineux d'un cauchemar.

Paris Texas (Wim Wenders / Ry Cooder, 1984)

Compositeur régulier du cinéaste Walter Hill, le guitariste Ry Cooder est surtout réputé pour sa collaboration avec l'Allemand Wim Wenders pour ce mythique Paris Texas (c’est leur première collaboration avant de se retrouver sur The End Of Violence en 1997, et sur Buena Vista social club en tant qu’initiateur de la formation du groupe cubain).

Lire le reste de cet article »

Cannes 70 : Où est la diversité ?

Posté par cannes70, le 28 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-20. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Festival de cinéma créé en France et basé en France, le festival de Cannes a souvent récompensé des films français (point sur lequel nous ne reviendrons pas), tout en s'amourachant de films occidentaux traitant de la thématique raciale. On pense à Dheepan de Jacques Audiard, à Divines de Houda Benyamina mais aussi à Loving de Jeff Nichols, pour n'en citer que des récents. Mais cette vitrine du cinéma mondial ne serait-elle pas un peu opaque ?

Calculs visibles

A l'heure où la question de la diversité raciale touche tout le cinéma occidental (on se souvient tous de la polémique #OscarsSoWhite), il ne fait aucun doute que la question sera très prochainement soulevée concernant le Festival de Cannes. Soixante-onze ans après sa création, le plus international des festivals de cinéma semble avoir du mal sinon à se renouveler, au moins à se diversifier ! Ainsi, la première chose qu'on lui reproche fréquemment, c'est son adoration pour certains noms (réalisateurs comme acteurs) qui semblent revenir de manière cyclique, empêchant les petits nouveaux de débarquer par la grande porte.

Par la suite, il y a le problème de ces pays certes non-occidentaux au sens strict, mais appartenant plutôt aux pays dits "du Nord" et qui reviennent chaque année. Parmi eux : le Japon (La Porte de l'enfer, CKagemusha, l'Ombre du guerrier, La Ballade de Narayama, L'Anguille, La Forêt de Mogari), la Turquie (Yol, la permission, Il était une fois en Anatolie, Winter Sleep) ou encore la Chine (Adieu ma concubine, Vivre !). Acteurs récurrents d'une série télévisée qui finirait par ronronner, lesdits pays trustent les sélections et par analogie les palmarès, faisant naître un sentiment de diversité calculée.

Des palmarès visibles

Au sein de la sélection officielle, il est important de constater que le monde entier est représenté (voir notamment notre texte sur l'Afrique à Cannes), mais globalement ce monde est essentiellement occidental, une constatation encore plus forte si l'on s'arrête au palmarès du jury officiel des longs-métrages et que l'on consulte la liste les réalisateurs et comédiens issus des minorités visibles qui remportent les trophées.

Chez les acteurs et actrices, citons les Afro-américains John Kitzmiller pour La Vallée de la paix de France Stiglic (1957) et Forest Whitaker pour Bird de Clint Eastwood (1988), de nombreux Asiatiques dont Ge You pour Vivre ! de Zhang Yimou (1994), Tony Leung Chiu-wai pour In the Mood for Love de Wong Kar-wai (2000), Maggie Cheung pour Clean d'Olivier Assayas (2004), ou encore Jeon Do-yeon pour Secret Sunshine de Lee Chang-dong (2007),  Shahab Hosseini pour Le Client de Asghar Farhadi et Jaclyn Jose pour Ma' Rosa de Brillante Mendoza (2016).

N'oublions pas les Français Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Sami Bouajila pour Indigènes de Rachid Bouchareb (2006), ainsi que le Portoricain Benicio del Toro pour Che de Steven Soderbergh (2008). Chez leurs collègues féminines, on retrouve, venues d'Amérique latine, Norma Aleandro pour L'histoire officielle (1985), Fernanda Torres pour Parle-moi d'amour d'Arnaldo Jabor (1986), Sandra Corveloni pour Une famille brésilienne de Walter Salles et Daniela Thomas (2008) ainsi que la Sud-africaine Linda Mvusi pour Un monde à part de Chris Menges en 1988 ex-aequo avec ses partenaires Barbara Hershey et Jodhi May.

Les prix de mise en scène ont notamment honoré Glauber Rocha pour Antonio Das Mortes (1969), Nagisa Oshima pour L'Empire de la passion (1978), Fernando Solanas pour Le Sud (1988), Wong Kar-wai pour Happy Together (1997), Edward Yang pour Yi Yi (2000), Im Kwon-taek pour Ivre de femmes et de peinture (2002), Tony Gatlif pour Exils (2004), Alejandro González Iñárritu pour Babel (2006), Brillante Mendoza pour Kinatay (2009), Carlos Reygadas pour Post Tenebras Lux (2012), Amat Escalante pour Heli (2013) ou Hou Hsiao-hsien pour The Assassin (2015). Les Grands Prix et autres prix du jury sont revenus eux aussi régulièrement à des artistes «non occidentaux».

Ceci n'est pas un coup marketing

Bien que les films portés par des acteurs de couleur et sacrés par les différents jurys ne soient pas majoritaires, tout n'est pas perdu. La nécessité de diversité passe par des jurés issus de tous horizons, ce qui aide, au moins indirectement, à trouver une plus grande variété d'origines parmi les artistes primés. La vraie diversité se trouve au sein du jury, la direction d'un festival étant libre de pouvoir pallier à des manques constatés dans la production mondiale. Ainsi Katayoun Shahabi en 2016, Rokia Troaré et Guillermo del Toro en 2015, Jeon Do-yeon, Gael Garcia Bernal, Leila Hatami et Jia Zhangke en 2014, etc. Les figures incontournables du cinéma mondial répondent tous les ans présents pour délivrer le Graal des Graals, la Palme d'or.

Artistes - car il s'agit avant tout d'art -, ils font des choix avant tout esthétiques et sentimentaux, même si la politique n'est, on l'imagine aisément, jamais totalement absente des délibérations si  secrètes des jurys.

De fait, tous ces artistes et professionnels du 7e art n'ont ainsi eu de cesse de contribuer au rayonnement du festival de Cannes à travers le monde. Et cette année, il y a un acteur qui pourrait bien devenir le MVP dont les organisateurs ne pensaient pas avoir besoin. Relayée par le New York Times, le Daily Mail, Business Insider, le HuffPost et Slate (pour ne citer qu'eux), la présence de Will Smith à Cannes (en tant que membre du jury) est vite devenue un l'événement. Acteur ultra-bankable (il a rapporté 3,2 milliards de dollars au box-office américain), Will Smith c'est aussi cet homme à la cote de popularité indéboulonnable, nommé deux fois aux Oscars, cinq fois aux Golden Globes et qui n'a jamais été à l'affiche d'un film montré sur la Croisette. Un vrai drame lorsque l'on sait qu'il a déjà tourné pour Robert Redford, Michael Mann, Francis Lawrence, Peter Berg et M. Night Shyamalan.

Lire le reste de cet article »