Hector Babenco (1946-2016) en liberté dans les champs du seigneur

Posté par vincy, le 14 juillet 2016


Hector Babenco est mort à 70 ans dans la soirée du mercredi 13 juillet, à Sao Paulo (Brésil), annonce confirmée par Denise Winther, associée du cinéaste dans HB Films.

Né à Mar del Plata en Argentine le 7 février 1946, le réalisateur, scénariste et producteur brésilien a été l'une des figures de proue du cinéma latino-américain des années 1970 et 1980.

Il a commencé sa carrière en réalisant O Fabuloso Fittipaldi en 1973, documentaire sur le pilote automobile brésilien Emerson Fittipaldi. Deux ans plus tard, il réalise son premier long métrage de fiction intitulé O Rei da Noite. Son deuxième long métrage, Lucio Flavio en 1977 remporte le prix du meilleur film au Festival de Sao Paulo. Mais c'est en 1981 qu'il se fait remarquer avec un film réaliste sur un enfant abandonné et l'environnement carcéral brutal, Pixote, la loi du plus faible. Le film reçoit un Léopard d'argent à Locarno et le prix du meilleur film en langue étrangère des critiques de Los Angeles et ceux de New York. Avec ce film, le cinéaste rompt avec le cinéma Novo et inscrit le cinéma brésilien dans un registre presque documentaire, dont Walter Salles et Kleber Mendonça Filho sont les actuels héritiers. Le film est considéré comme une référence aujourd'hui.

Suite à ce succès international, il réalise Le Baiser de la femme araignée (Kiss of the Spider Woman). En compétition au Festival de Cannes, Babenco sera aussi le premier cinéaste latino-américain nommé à l'Oscar du meilleur réalisateur. Adaptation du roman éponyme de Manuel Puig, le huis-clos dans une cellule en pleine période de la dictature en Argentine se focalise sur Molina, un étalagiste homosexuel arrêté pour détournement de mineurs, évoque chaque soir de vieux films romantiques à son compagnon d'infortune, Valentin, un prisonnier politique. A la manière d'un Borges en littérature, Babenco évade ses "prisonniers" grâce à un univers fantasmagorique. Le film vaut à William Hurt l'Oscar du meilleur acteur et le Prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes mais aussi à Sonia Braga (récemment à Cannes pour Aquarius) une reconnaissance internationale et Raul Julia. Ce drame à la fois intime et allégorique est sans aucun doute son chef d'œuvre tant il synthétise toutes ses obsessions: la souffrance des minorités, l'étouffement des déviants et rebelles, l'humanité qui transcende l'animosité.

Il enchaîne avec un film hollywoodien, Ironweed, histoire d'un couple de SDF - lui alcoolique, elle en phase terminale, qui vaudra à Jack Nicholson et Meryl Streep, une nomination aux Oscars chacun. Puis tourne En liberté dans les champs du seigneur, qui met en scène le conflit entre les Indiens d'Amazonie et "l'homme blanc", toujours avec un casting américain. Il revient en Amérique du sud avec Cœur allumé, flirtant toujours entre aspiration artistique, folie et huis-clos. Babenco aimait opposer la liberté individuelle, celle qui est dans nos têtes, à des systèmes concentrationnaires ou tyranniques. C'est ainsi qu'en 2003, il revient en compétition à Cannes avec Carandiru, prison gigantesque brésilienne où un médecin décide de mener un programme de prévention contre le sida. Le propos est humaniste mais le lieu n'est pas anodin puisque cette prison a réellement vécu l'un des pires massacres en centre pénitencier (111 morts). Le film emporte la plupart des grands prix du continent sud-américain dans différents festivals.

Par la suite, il ne réalise que deux films, El pasado en 2007, avec Gael Garcia Bernal, inédit en France malgré une sélection à Toronto, et My Hindu Friend, l'an dernier, avec Willem Dafoe.

Hector Babenco fut aussi membre du jury du Festival de Cannes en 1989 et de la Mostra de Venise en 1998.
Filmographie

Les années Jajacobbi : Cannes 1984 et 1985

Posté par vincy, le 18 mai 2014

paris texas kinski wendersA l'Est du nouveau

Deuxième année dans le Bunker. Tout le monde critique le blockhaus. Après la catastrophe l'édition 1983, le Festival adopte difficilement ce bâtiment massif. Le génie de Jacob est d'avoir rendu les marches spectaculaires. Il a créé le cérémonial de cette montée sur tapis rouge. Comme un sacre.

1984, c'est l'année de la Palme pour Wim Wenders et son Paris, Texas. Un film passionnel où les êtres errent seuls dans des paysages fordiens somptueux. La Palme d'or reçoit 15 minutes d'applaudissements. Les cinéastes nous font une invitation au voyage. On pourra revoir le film mercredi 21 mai dans le cadre de Cannes Classics.

On découvre Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, le Voyage à Cythère de Theo Angelopoulous, un certain Lars von Trer et son Element of Crime, Sous le Volcan de John Huston... La sélection française est plus faible. L'absence de Bertrand Blier fait polémique. Fort Saganne ouvre avec faste et glamour un Festival qui croise tous les cinémas. Ailleurs sur la Croisette, on découvre Leos Carax (Boy meets Girls), Stephen Frears (The Hit) et surtout Jim Jarmusch (Caméra d'or avec Stranger than Paradise).

1985 sera du même genre. Moins de stars. Mais l'émergence de cinéastes qui vont devenir des fidèles du Festival. A la Quinzaine on croise Mike Newell, Wayne Wang, et même Madonna (Recherche de Susan désespérément), à Un certain regard, on côtoie Wenders, Depardon, Charef, Marker, ...
Youssef Chahine, Alan Parker, Clint Eastwood, Luis Puenzo, Claude Chabrol, André Techiné, John Boorman, Jean-Luc Godard, Istvan Szabo, Woody Allen et Peter Weir composent une sélection dont plusieurs films restent dans les mémoires. William Hurt chez Babenco et Cher chez Bogdanovitch font sensation. Mais la Palme d'or est décernée à un jeune cinéaste yougoslave : Emir Kusturica avec Papa est en voyage d'affaires. Une métaphore de la politique d'un pays à travers celle d'une famille, quatre ans avant la chute du Mur de Berlin. Le film surprend tout le monde mais conquiert un jury piloté par Milos Forman.

Désormais, le jury monte sur scène lors de la cérémonie du palmarès.