Cannes 2012 : Amour, Palme d’or normale pour un palmarès frustrant

Posté par vincy, le 27 mai 2012

=> Tous les prix remis à Cannes cette année.

La cérémonie du 65e Festival de Cannes commençait pourtant bien avec la Caméra d'or pour Les bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin, projeté à Un certain regard. Coup de coeur d'Ecran Noir, nous ne pouvions que retrouver le sourire après un dimanche de rumeurs agaçantes, de spéculations hasardeuses. Heureusement Gilles Jacob twittait et même "twitpicait', Thierry Frémaux faisait un heureux parallèle entre la Palme d'or et Roland Garros, qui débutait aujourd'hui.

Et cette année, la première surprise de ce palmarès était de n'avoir vu aucune Palme d'or d'honneur décernée, et finalement aucun prix du 65e anniversaire, une première depuis sa création en 1982 (ce prix est remis tous les 5 ans).

Le jury était donc sûr et certain : sur les 22 films présentés, seulement 6 allaient se partager 7 prix. On oublie le Audiard, soit. Mais le Loznitsa (prix de la critique internationale) et le Carax (prix de la jeunesse) ? Carax repart donc les mains vides alors même que son film était l'un des plus réussis, les plus audacieux, les plus "amoureux". Un prix aurait été nécessaire pour sa carrière. Au lieu de cela on donne un prix du jury à Ken Loach (qui n'en a pas besoin pour séduire le public tant sa comédie est réjouissante), même si La part des anges méritait d'être au tableau d'honneur (le scénario aurait été plus juste).

Mais le scénario a été remis à celui de Cristian Mungiu, pour Au delà des collines. On reste stupéfaits tant le film a justement une faille, son scénario. Celui-ci tourne autour de la psychologie intime des deux rôles féminins principaux sans jamais aborder frontalement leur lesbiannisme et se perd dans sa dernière heure, dans une histoire répétitive, parfois vide, et mal emboîtée. Le prix d'interprétation féminine pour les deux comédiennes semblait plus évident. Il s'agit du premier film de Cristina Flutur et de Cosmina Statran. Deux prix pour le Mungiu, c'est un de trop.

Heureusement, le jury présidé par Moretti a eu du bon sens en récompensant Mads Mikkelsen d'un prix d'interprétation masculine. Dans La chasse, son jeu subtil prend une dimension presque tragique face aux accusations qui pèsent sur lui. On peut être également content de voir Matteo Garrone remporter son deuxième Grand prix, après Gomorra. Reality était l'un des films les plus intéressants, malgré ses maladresses, de la Compétition. Mais un Grand prix du jury, n'est-ce pas un peu trop haut?

A contrario, la Palme d'or pour Amour de Michael Haneke (qui rejoint le club des double palmés, composé de l'Américian Francis Ford Coppola, du Danois Bille August, du Serbe Emir Kusturica, du Japonais Shohei Imamura et des frères belges Dardenne), est un choix évident. D'autant que Moretti a bien spécifié qu'il y associait Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva "pour leur contribution fondamentale en tant que comédiens". Favori des critiques, ce film épuré et bouleversant nous avait conquis. C'est sans doute l'oeuvre la plus maîtrisée du cinéaste avec La pianiste et Le ruban blanc.

En revanche, on ne peut que contester le prix de la mise en scène pour Carlos Reygadas nous glace. Post tenebras Lux est un film où la forme, incompréhensible, parfois grotesque, écrase un fond, assez banal sous son apparence ésotérique. "Il faut parfois accepter de ne pas tout comprendre et de se laisser porter par les sensations générées par un film" écrivions-nous. Mais l'exaspération nous gagnait face à cette oeuvre aussi opaque qu'égocentrique (partiellement autobiographique, obsessionnelle, et peu généreuse). En soutenant ce genre de propositions, on comprend les louables intentions du jury, qui se doit aussi de défendre le cinéma dans toute sa diversité. Mais dans ce cas, il ne faut pas oublier les cinéastes qui savent allier la forme et le fond (ou le genre), à l'instar d'Anderson, de Loznitsa ou de Carax, pour ne prendre que trois exemples. Reygadas peut toujours ironiser sur les critiques qui n'y comprennent rien : il sera difficile d'inciter les spectateurs à subir une telle purge.

Cependant, tout cela peut se comprendre, a un sens pour ne pas dire une grande cohérence. Les films choisis, hormis le Loach, évoquent tous la mort ou/et la folie de manière parfois radicale ou clinique. La pluie aura donné des idées grises anthracite à ce jury, qui, en passant à côté d'autres propositions plus harmonieuses, a donné une tonalité grave et frustrante à une édition presque aussi bonne que celle de l'an dernier.

Comptez sur nous pour défendre les films que nous avons aimés, même s'ils ne sont pas dans la liste de M. Moretti.