Cannes 2016: Qui est Davy Chou?

Posté par vincy, le 13 mai 2016

Lorsqu'on parle de cinéma cambodgien, on pense immédiatement à Rithy Panh (en séance spéciale cette année). Mais Davy Chou, sélectionné à la Semaine de la Critique pour son long métrage Diamond Island, devrait ouvrir nos yeux cinéphiles et curieux sur ce cinéma encore très rare venu des confins de l'ancienne Indochine. A 32 ans, le cinéaste français, né en banlieue parisienne, réalise son premier long métrage après trois cours métrages et le splendide documentaire Le Sommeil d'or, sorti en 2011.

Le cinéaste avait décidé d'expier le passé cambodgien dans Le Sommeil d'or en ressuscitant ce qui restait du cinéma d'avant les Khmers rouges. Une sorte de mausolée en celluloïd avant que le temps ne fasse disparaître les vedettes de l'époque, les salles de cinéma en ruines, ou les bouts de pellicules en phase de décomposition. Avec Diamond Island, il veut montrer le Cambodge contemporain, en suivant un jeune homme de 18 ans qui va travailler sur un site démesuré au large de la capitale, censé symboliser le futur du pays, forcément prospère et ultra-moderne. Le film a reçu le prix ARTE International au Busan International Film Festival en 2014.

Il avait déjà exploré Diamond Island dans son court métrage Cambodia 2099, sélectionné il y a deux ans à la Quinzaine des réalisateurs. Le cinéaste aborde en fait le thème du rêve à travers la nouvelle génération. Qu'est-ce-qu'une société idéale pour eux? Le rêve de Davy Chou serait de reconstruire une industrie cinématographique dans son pays. Il a créé sa société de production. Influencé par les cinémas de Michael Mann et Martin Scorsese, ce jeune théoricien et passionné du 7e art, suit les pas des cinéastes asiatiques comme Jia Zhang-ke ou Phan Dang Di, en observant cette classe moyenne émergente, cette jeunesse avide de mondialisation et de divertissement.

Petit-fils du producteur cambodgien Van Chann, fondateur d'un atelier vidéo et créateur d'un festival autour de l'âge d'or du cinéma cambodgien, il a aussi co-fondé le Festival des nouveaux cinémas. Tout est toujours affaire de transmission, de lien entre le passé et l'avenir. On peut imaginer que le sien, de futur, soit aussi brillant qu'un diamant.

Vesoul 2016 : Dogora, séance spéciale avec Patrice Leconte

Posté par kristofy, le 9 février 2016

leconteLe FICA de Vesoul propose chaque année une section thématique. Pour l'édition 2016, c'est « Entre l’Orient et l’Occident » qui réunit différents films où des réalisateurs ou des personnages effectuent des parcours d’est en ouest (ou l’inverse), comme par exemple Une chinoise de Guo Xiaolu (partie de son village de Chine elle arrivera en Angleterre à Londres), Voyage en Chine de Zoltan Meyer (Yolande Moreau part de France pour quelques temps en Chine pour les formalités de décès de son fils)…

Il y a plus de dix ans, en 2004, sortait en salles le film le plus étonnant de notre expert en comédie Patrice Leconte : "Depuis longtemps déjà, j'avais envie de faire un film sans acteurs ni scénario, sans dialogues, sans un mot, un film qui serait purement émotionnel, impressionniste et musical. Ce film, c'est Dogora, ouvons les yeux..."

Donc en effet il n'y a pas un mot, juste de la musique et de très belles images, montées avec une volonté d'amener le spectateur à adhérer au sujet : un pays, un peuple. Dogora se "lit" comme une fable qui nous raconte une civilisation, avec quelques travellings. De ce rêve s'échappent l'enfance, l'innocence, l'espérance; et un univers hostile, périlleux, précaire...

Pour la première fois depuis bien des années, Dogora a donc été de nouveau projeté dans une salle de cinéma, et Patrice Leconte a fait le voyage à Vesoul pour continuer de partager avec les spectateurs sur ce film qui lui tient à cœur :

A propos du dispositif de tournage :
Je suis cinéaste, et pas paparazzi. J’avais des principes pour faire ce film : ne pas filmer les gens à leur insu, ne pas mettre en scène, juste filmer du réel. On s’installait avec la caméra à la vue de tout le monde sans se cacher, on expliquait aux gens qu’on allait filmer un moment, d’abord on ne faisait rien du tout et ils ne faisaient plus attention à nous et puis après on commençait à filmer ce qu’on voyait.

A un moment on était sur un bateau qui faisait des aller-retour pour filmer ce qui se passait sur la rive, et une petite fille avançait à la même vitesse que notre bateau et ça fait une image magnifique, mais pas du tout mise en scène, sans tricherie. Comme la musique pré-existait, j’avais déjà fais un montage et découpage de la musique. Je savais que pour telle musique je mettrais des images d’enfants qui travaillent dans une décharge ou que sur telle musique des images de circulations en ville, c’était préparé en amont.

On a peut-être tourné cinq fois plus d’images que la durée du film terminé, mais pas non plus des dizaines d’heures. Je savais que je voulais commencer et finir sur l’orchestre et les chœurs, et je voulais filmer ça de manière pas conventionnelle, donc en noir et blanc et du flou pour les chœurs sauf pour le chef d’orchestre : c’était une manière d’être un peu dans l’abstrait pour se concentrer sur la musique. Le langage de la chorale c’est un langage qui n’existe pas, inventé par Etienne Perruchon.

Revoir Dogora en 2016 :
Mon rêve aurait été de signer le film avec 3 noms : le mien Patrice Leconte, Etienne Perruchon pour la musique et Joelle Hache pour le montage. Au départ le titre était simplement 'Dogora' tout court, ce sont les producteurs-distributeurs qui ont insisté pour le sous-titre ‘Dogora : ouvrons les yeux’ : c’est dommage car ça fait un peu donneur de leçon, et je n’ai aucune leçon à donner et plein à recevoir. C’est eux aussi pour les deux lignes de texte d’introduction, j’aurais préféré absolument aucun mot.

On me pose souvent une question sur ‘faire du cinéma’ et je dis aux jeunes gens c’est très bien de faire des films, mais il faut vous poser la question de pourquoi voulez-vous faire du cinéma. Un jour Wim Wenders avait répondu quelque chose comme ‘je fais des films pour rendre le monde meilleur’ : je me suis dit que quand-même c’est un peu gonflé de dire ça. Mais en fait il a raison. On ne fait pas des films pour soi ni pour rendre le monde pire, bien entendu. Moi je n’ai pas des choses à dire mais plutôt des choses à essayer de partager, en particulier avec ce film Dogora.

Crédit photos : Maximin Demoulin

Netflix s’offre Angelina Jolie et Rithy Panh pour un film sur les Khmers rouges

Posté par vincy, le 24 juillet 2015

angelina jolie pittAngelina Jolie Pitt (et oui, désormais ils sont mariés), va réaliser l'adaptation de D'abord, ils ont tué mon père, l'autobiographie de Loung Ung, une auteure d'origine cambodgienne et militante pour les droits humains qui a survécu à l’impitoyable régime khmer rouge. Le livre est paru il y a treize ans en France.

Le film sera diffusé sur Netflix fin 2016. Il sera proposé aux principaux festivals internationaux dès qu'il sera prêt. Co-produit par Rithy Panh, nommé à l'Oscar, césarisé et primé à Cannes pour L'image manquante, l'adaptation sera co-signée par Jolie Pitt et l'auteure du roman.

Loung Ung avait cinq ans quand les Khmers rouges ont pris le pouvoir au Cambodge en 1975. Ils ont régné par la terreur pendant quatre ans et se sont livrés à un génocide qui a coûté la vie à près de deux millions de Cambodgiens. Arrachée à son foyer à Phnom Penh, Loung a été forcée de devenir enfant soldat dans un camp pour orphelins, tandis que ses six frères et sœurs étaient envoyés dans d'autres camps de travail. La jeune femme a malgré tout survécu et est devenue une militante des droits de l'homme aux Etats-Unis, où elle réside.

Après l’avoir lu, Angelina Jolie Pitt a contacté Loung il y a plus de dix ans, et les deux femmes sont devenues amies. La réalisatrice et actrice explique que "Le livre de Loung [l]'a bouleversée." "Il m'a permis d'appréhender de l'intérieur la façon dont les enfants vivent la guerre et sont affectés par le souvenir émotionnel qu'elle laisse. Il m'a aussi rapprochée des Cambodgiens et du pays natal de mon fils. Pouvoir adapter ce livre au cinéma est un rêve devenu réalité. C'est un honneur pour moi que de travailler avec Loung et avec le cinéaste Rithy Pahn" ajoute-t-elle.

De son côté, Loung Ung explique qu'elle a rencontré la star en 2001 au Cambodge. Elle écrit actuellement son premier roman, après avoir signé deux autres livres, Lucky Child et Lulu in the Sky.

Le tournage de First They Killed My Father commencera cette année au Cambodge. Angelina tournera ensuite Africa sur le combat du Dr Richard Leakey, un paléo-anthropologue qui s'efforce depuis plusieurs décennies de sauver l'Afrique du trafic de sa faune et de sa flore. Africa a été retardé afin de laisser à l'équipe le temps de terminer le scénario et de préparer la production. Elle travaille actuellement à la postproduction de By the Sea, qui sortira d'ici la fin de l'année.

L’image manquante, chef d’oeuvre de Rithy Panh ce soir sur Arte

Posté par MpM, le 9 octobre 2013

image manquante

L'image manquante, documentaire atypique sur les souvenirs impossibles du génocide cambodgien,  fut l'un des temps forts du dernier festival de Cannes, où il reçut le Prix Un certain regard.

Rithy Panh, à qui l'on doit déjà deux des films les plus saisissants sur la période khmer rouge au Cambodge : S21, la machine de mort khmère rouge et Duch, le maître des forges de l'enfer, s'y est cette fois penché sur son propre passé de déporté dans un camp de travail où il perdit une partie de sa famille.

Mais pas question de transformer le génocide cambodgien et toutes les horreurs qui l'ont accompagné en "fonds de commerce" pour documentariste en mal d'idées. "Je trouve qu'il faut qu'on soit aussi cinéaste, et pas seulement cinéaste de génocide", explique Rithy Panh dans une interview à l'AFP. "Il faut une proposition artistique. C'est elle qui doit permettre de transmettre et de s'approcher d'une certaine vérité."

C'est donc en gardant à l'esprit son devoir de cinéaste qu'il a abordé la complexité de ce nouveau projet. Comment raconter une histoire dont il n'existe pas d'images ? Comment transmettre, dans un film qui plus est, un passé qui n'existe plus que dans les mémoires ?

La démarche qui en résulte est d'autant plus passionnante qu'elle mêle souvenirs intimes, événements historiques et réflexion sur le cinéma. Puisqu'il n'a que très peu de matière à sa disposition (les images d'archives sont rares, de même que les documents sur sa famille), Rithy Panh décide de l'inventer et d'utiliser un pur procédé de fiction au service d'une réalité intangible.

L'idée, reconstituer avec des figurines d'argile ce passé à jamais disparu, confine au génie. Parce que ces petites statuettes sont à la fois enfantines, allégoriques et universelles, ce que n'auraient pu réussir des acteurs incarnant les personnages. Mais aussi parce qu'en restant figées, comme en retrait, elles accompagnent la tragédie sans prétendre la mimer artificiellement. Seul compte le récit, terrible et bouleversant, et pourtant d'une sobriété absolue, qui accompagne à la première personne cette reconstitution minutieuse.

On sort ébranlé de L'image manquante qui raconte les pires exactions dont est capable l'être humain. Mais grâce à ce procédé décalé, presque radical, qui permet d'incarner les fantômes du passé en personnages peints, c'est comme si, au final, les victimes finissaient par avoir le dernier mot, à l'image de cette séquence hallucinante où la figurine qu'on enterre resurgit encore et toujours de la terre.

Rithy Panh réussit ainsi l'exploit de livrer un récit intime bouleversant et de porter en même temps un regard critique sur ce qu'il fait. Ne laissant pas l'émotion le submerger tout à fait, il met des mots sur l'horreur, cherchant à l'expliquer pour mieux la comprendre, et réfléchit à son triple rôle d'acteur, de témoin et de narrateur d'un épisode insupportable de l'Histoire. C'est en cela qu'il agit en véritable cinéaste, soucieux d'interroger à la fois les images qu'il montre et la démarche qui l'anime.

Qu'un film aussi singulier, puissant et débordant d'humanité ne bénéficie pas d'une sortie en salles a quelque chose de profondément troublant. Mais peut-être touchera-t-il un plus vaste public lors de sa diffusion télé (mercredi 9 octobre à 20h50 sur Arte), en attendant sa sortie en DVD le 19 novembre prochain. Car quel que soit le support, il ne faut pas passer à côté de cette Image manquante qui invente une nouvelle forme de cinéma, à la frontière du poétique et du réel.

Rithy Panh scrute un bourreau Khmer dans un documentaire et dans un livre

Posté par vincy, le 18 janvier 2012

Le film documentaire Duch, le maître des forges de l'enfer, de Rithy Panh, sort aujourd'hui sur les écrans. Panh continue d'explorer le passé tourmenté du Cambodge. Entre 1975 et 1979, le régime des Khmers rouges a causé la mort d'environ 1,8 million de personnes soit un quart de la population du pays. Le film s'intéresse à Kaing Guek Eav, dit "Duch", qui dirigeait alors le centre de détention et de torture S-21, dont personne ne sortait vivant. En juillet 2010, Duch fut le premier dirigeant Khmer à comparaître devant une cour de justice pénale internationale, qui le condamna à 35 ans de prison. Il fit appel du jugement.

Ici, il tente de se justifier en se racontant face caméra. Ou plutôt en face à face avec le spectateur. Un vieillard a priori banal, plutôt érudit, qui a été le responsable de la mort de 15 000 êtres humains, celui qui a traumatisé certains adolescents en les nommant bourreaux. C'est un complément au plus célèbre documentaire du réalisateur, et son film le plus primé, S21, la machine de mort Khmère rouge, sorti en 2002. Dutch clame qu'il n'était qu'un rouage d'un système. Un élément qui ne peut s'empêcher de sourire et de rire en lisant les interrogatoires, les aveux sous la torture qu'il annotait... Menteur et manipulateur, il est expert en rhétorique quitte à contredire ses engagements passés au nom d'une vérité plus grande contemporaine.

Il élimine. L'élimination est aussi le titre du livre qui accompagne le film, publié aujourd'hui et édité chez Grasset. Rithy Panh rédige un livre bouleversant où il raconte ces heures d'entretien avec le sanguinaire. Co-rédigé avec Christophe Bataille, le livre sonne juste. La pudeur l'emporte souvent. Panh en profite pour faire partager son attachement au Cambodge, et ses obsessions : le passé, la mémoire, l'enfance perdue, qu'on retrouve à travers toute son oeuvre cinématographique.

Le livre et le film sont ainsi hantés par la vision d'un enfer qui semble si loin et qui finalement reste si proche. "Je vois encore mes neveux et ma nièce, affamés, quel âge ont-ils, cinq et sept ans, ils respirent mal, regardent dans le vague, halètent. Je me souviens des derniers jours, du corps qui sait" écrit-il. Il se souvient de tous ces visages qui ont souffert autour de lui.

C'est sans doute pour Panh un douloureux exercice. Sa seule façon d'exorciser ses démons puisque Duch n'avoue jamais son crime. La vérité ne surgit même pas dans le regard. La dissimulation est le pire des mensonges. Le film épie le bourreau, tandis que le livre préfère se concentrer sur la victime, un garçon qui se retrouve orphelin à l'adolescence.

Rithy Panh continue de chercher, de comprendre. Endeuillé à jamais, en désarroi permanent, il évite les complaisances et les facilités, et explique comment ce totalitarisme a broyé un pays entier, en niant les individus, jusqu'à torturer une femme pour avoir écrire des lettres d'amour.

Le cinéaste a écrit sa lettre d'amour à un peuple. Malgré l'atmosphère mortifère qui règne aussi bien dans les plans du film que dans les pages du livre.

Vesoul 2011 : Rithy Panh et le Cambodge d’aujourd’hui

Posté par kristofy, le 12 février 2011

Le Cambodge est un des deux pays, avec la Corée, qui est à l’honneur du 17ème Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul. On y attendait son réalisateur emblématique, le plus connu à l'étranger, Rithy Panh, qui a une longue histoire avec le Festival, puisqu'il y avait présenté Un soir apèrs la guerre en 1999.

Un réalisateur occupé par son tournage

Mais il n’est pas encore arrivé pour cause de tournage de son nouveau film, Gibier d'élevage, produit par ARTE. Le film est issu de l'Atelier de la Cinéfondation à Cannes. Il a planté sa caméra au Cambodge pour raconter une histoire d'enfants. En 1972, un avion américain bombarde la piste Ho Chi Minh et s'écrase dans les montagnes cambodgiennes. L'unique survivant, un afro-américain, est capturé par les enfants d'un village isolé. Ils le cachent aux yeux des adultes et jouent avec cet homme comme ils le feraient avec un animal domestique jusqu'au jour ou des maquisards Khmers rouges découvrent leur secret... Il s'agit d'une parabole sur l'asservissement du peuple cambodgien par les Khmers rouges. Rithy Panh, dans sa note d'intention évoque une rencontre entre deux mondes : celui des enfants endoctrines par les Khmers rouges et celui d'un pilote noir tombe du ciel. Aux yeux des enfants, par sa nationalité, sa race, sa langue, il n'est pas qu'un ennemi, mais aussi une bête. Gibier d'élevage devrait être prêt pour le prochain Festival de Cannes.

Si Rithy Panh est le plus connu des cinéastes cambodgiens, il n'est cependant pas le seul réalisateur venu de ce petit pays coincé entre le Vietnam, le Laos et la Thaïlande.

Il faut savoir que la plupart des 400 films cambodgiens réalisés entre 1960 et 1975 sont perdus ; le cinéma est quelque chose qui a d’ailleurs presque disparu aujourd’hui : seuls une dizaine de films ont été produits en 2010, ils sont tournés en quelques jours avec du matériel vidéo. Il n’existe plus de lieux de projections au Cambodge (les écrans de cinéma se comptent sur les doigts de la main), et faute de lieu de diffusion, le 7e art est moribond; si quelques films sont piratés sur CD, les noms de Hitchcock, Truffaut ou Spielberg y sont complètement inconnus. A l'inverse, pour la plupart des touristes occidentaux qui visitent le Cambodge, le pays se résume souvent au temple d'Angkor. Le travail de Rithy Panh est de nous ouvrir les yeux sur les conséquences d'un carnage sur une civilisation.

Un pays de survivants

Le Cambodge porte toujours le poids de sa tragique histoire : entre 1975 et 1979 les Khmères rouges causeront un génocide où un quart de la population (près de 2 millions de personnes) trouva la mort. Les divertissement sont bannis (sauf quelques œuvres de propagande), et Rithy Panh est justement l’artisan majeur de la réappropriation de la mémoire détruite par ce régime tyrannique. Vesoul programme 7 films du réalisateur (et une dizaine d’autres réalisés dans les années 60, dont deux inédits, par Norodom Sihanouk, le seul cinéaste qui est aussi roi d’un pays). Parmi ces films :

S21, la machine de mort Khmère rouge, documentaire  qui revient dans l'enfer du camp S21, lieu où ont été déportés, torturés et tués plus de 17 000 personnes. Rithy Pan revient sur ces lieux avec un survivant qui se confronte à d’anciens bourreaux : les geôliers décrivent leur ‘travail’ de ‘destruction’ de prisonniers après les avoir forcé à avouer des complots invraisemblables de trahison. Avec une devise comme ‘mieux vaut arrêter par erreur que laisser l’ennemi nous ronger de l’intérieur’ les Khmères rouges obtenaient de chaque victime une cinquantaine de noms d’autres personnes à arrêter, l’endoctrinement était tel que des enfants ont dénoncé des parents… Les pratiques du camp S21 sont restées impunies faute de procès qui n’a jamais eu lieu.

Les artistes du théâtre brûlé (photo) : Le film s’intéresse aux conséquences du génocide, en particulier d’éradication d’une histoire culturelle avec une absence d’infrastructure. Il y a toujours des artistes mais aucune salle de spectacle, d’autant plus que la télévision est maintenant partout. Dans un théâtre en ruine des comédiens répète une scène sans espoir, trouver de l’argent pour se nourrir au jour le jour est un vrai problème.

Le papier ne peut pas envelopper la braise : Les témoignages déchirants des condition de (sur)vie de prostituées. Vendre son corps est le seul moyen pour certaines femmes pour se nourrir, et aider une partie de sa famille. Elles subissent les pires violences (des clients et des souteneurs), doivent faire face à des grossesses (avortements et naissances), sont victimes de maladies (dont le sida sans même le savoir) et de la drogue… La prostitution est à la fois assumée ("qui fait le bien reçoit le bien, qui fait le mal reçoit de l’argent") et insupportable, comme si cet échappatoire faisait reculer une absence d’avenir.

À travers chacun de ses films Rithy Pan s’intéresse aux différentes facettes du Cambodge en explorant la négation d’humanité par de multiples témoignages.

Une institution singulière : Bophana

En parallèle des films de Rithy Pan, Vesoul présente aussi une sélection de films issus du programme Bophana, qui coproduit le nouveau film du cinéaste. Le centre Bophana est une institution  initiée par Rithy Pan qui a pour objectif  de réunir toutes les archives audiovisuelles du Cambodge afin de sauvegarder (photo) et restaurer une partie du patrimoine culturel du pays. Il est charge aussi d'une éducation audiovisuelle, notamment avec des ateliers pour initier l’émergence de nouvelles œuvres, des diffusions de films...

En étant programmés à Vesoul, c'est la première fois que quatre de ses films sont vus à l'extérieur du pays.

A Blurred way of life de Soa Sopheark montre une jeune fille qui ne peut poursuivre des études car elle doit vendre des journaux pour rapporter un peu d’argent à ses petits frères et sœurs et sa mère malade du sida ; A pedal man de Yos Katank s’attache au quotidien d’un vieux chauffeur de cyclo (vélo-taxi) qui ne peut plus parcourir de longue distance : il gagne une misère et ça ne fera qu'empirer ; My yesterday night de Chan Lida montre le travail précaire d’une femme qui devient chanteuse dans des bars ; I can be who I am de Chhoun Sarin s’intéresse au ‘ladieboy’, ces garçons qui se sentent filles et qui se travestissent, avec la difficulté d’être compris ou non par leur famille et les insultes des autres, …

Ces différents films du programme Bophana reflètent la société actuelle du Cambodge avec une approche documentariste, ce sont en même temps les débuts de jeunes talents prometteurs, qui croient au témoignage par l'image, observent ce pays, certes cicatrisant toujours ses plaies ouvertes, mais poussé par l'énergie de sa mutation.

Vesoul 2011 : l’Asie n’a plus de frontières…

Posté par kristofy, le 8 février 2011

Le plus ancien festival de cinéma asiatique d'Europe se trouve à Vesoul (Haute-Saône, Franche-Comté, autant dire un coin perdu de la France moderne) et il ouvre ses portes aujourd'hui. On y  découvrira les films de toute l'Asie (c'est-à-dire du Proche à l'Extrême-Orient), même si cette 17ème édition du FICA, Festival International des Cinémas d’Asie, mettra particulièrement à l’honneur le Cambodge et la Corée.

Vesoul présentera environ 90 films partagés entre plusieurs sections thématiques, dont une vingtaine de films inédits en France qui seront appréciés par 6 Jurys (le jury International, le jury NETPAC, le jury Musée National des Arts Asiatiques Guimet de Paris, le Jury Langues O'-INALCO, un Jury Lycéen et un Jury Jeunes).

Pour le Cambodge le réalisateur Rithy Panh, artisan de la réappropriation de la mémoire détruite par les Khmers rouges, est attendu à Vesoul avec en même temps 23 oeuvres couvrant 1950-2010.

Le regard sur le cinéma coréen déroulera 65 ans de cinéma (1945-2010) en 27 films clés, avec la présence de Kim Dong-ho, directeur honoraire du Festival de Pusan, le plus important festival de cinéma asiatique.

Certains films sur le thème des "Familles d'Asie" composeront un tableau des familles d'hier et d'aujourd'hui vues par les cinéastes asiatiques. On rendra aussi hommage avec Paprika à Satoshi Kon, le génial cinéaste d'animation récemment disparu.

Enfin, le FICA de Vesoul affirmera son soutien au réalisateur et ami du festival Jafar Panahi, condamné en Iran à 6 ans de prison et 20 ans d'interdiction d'exercer son métier de cinéaste, en projetant son film Le Cercle (lion d'or à Venise) lors de la clôture du Festival.

Le 17e festival de Vesoul met le Cambodge et la Corée à l’honneur

Posté par MpM, le 22 décembre 2010

Parmi les rendez-vous que l'on retrouvera avec plaisir en 2011, il y a le Festival international des Cinémas d'Asie de Vesoul (FICA) dont Ecran Noir est partenaire depuis 2008.

Pour sa 17e édition, le plus ancien festival de cinéma asiatique d'Europe nous a concocté un programme qui répond parfaitement à sa devise : "piquer la curiosité du plus grand nombre, pour votre plus grand plaisir, et en mettant la qualité à la portée de tous". Ce sont ainsi 90 films, parmi lesquels une vingtaine d'oeuvres inédites, qui seront présentés aux festivaliers entre le 8 et le 15 février 2011.

Outre la compétition, qui oppose longs métrages et documentaires du Proche à l'Extrême-Orient, on retrouvera un "Regard sur le cinéma coréen" (65 ans de cinéma coréen en 25 films clés, en présence de Kim Dong-ho, le directeur honoraire du Festival de Pusan) ; une sélection thématique autour des "Familles d'Asie" ; une section Francophonie d'Asie : "Cambodge : Rithy Panh et Bophana, la mémoire retrouvée (1950-2010)" ; sans oublier un hommage à Satochi Kon et une programmation jeune public.

En parallèle sont organisées des journées professionnelles et des actions pédagogiques qui impliquent le tissu local et régional. Et puis bien sûr,  fidèle à ses habitudes festives, le FICA proposera de nombreuses rencontres, des temps de partage et des soirées ouvertes à tous. Pourtant, au milieu de cette bonne humeur et de cette passion cinéphile partagée, on peut être sûr qu'organisateurs et festivaliers trouveront le temps de penser à Jafar Panahi, invité d'honneur du festival en 2010, et qui, déjà, n'avait pu quitter le territoire iranien pour venir recevoir son Cyclo d'honneur.

Rithy Panh préfère rencontrer les gens que filmer la Terre d’un hélicoptère

Posté par Benjamin, le 12 décembre 2009

 Il est en quelque sorte l'invité d'honneur de ces 32ème Rencontres Henri Langlois qui cette année présente un focus sur l'Asie du sud-est. Rithy Panh (réalisateur dernièrement d'Un barrage contre le Pacifique, adaptation du roman de Marguerite Duras avec Isabelle Huppert) est donc présent pour parler de nombreuses choses, de son cinéma tout d'abord, de son centre Bophana qui forme des cambodgiens aux techniques du cinéma, mais surtout il parle de sa mission de cinéaste, il parle du monde et de ses engagements.

"Rétablir la mémoire".

Rithy Panh est venu rencontrer le public poitevin après la projection d'un de ses films, Les gens de la rizière (1994) mercredi 9 décembre. Le lendemain matin, c'est autour d'une assemblée de lycéens et d'étudiants qu'il s'est exprimé sur son cinéma et ses motivations.

Dans presque tous ses films (qu'ils soient documentaires ou de fictions), Rithy Panh accorde une grande importance au savoir, aux traditions ainsi qu'à l'Histoire de son pays, le Cambodge. Pays qui a vécu le dramatique épisode des Khmers rouges. Un régime totalitaire qui non seulement a détruit l'industrie cinématographique mais qui a conduit à la mort des dizaines de milliers de cambodgiens et déchiré tout un peuple. Depuis, Rithy Panh met tout en oeuvre pour instruire les siens par le cinéma et pour sauvegarder l'Histoire de son pays que beaucoup ignorent. Car dit-il en parlant des cambodgiens: "s'ils n'ont pas de culture, qu'est-ce qu'ils vont vendre ? Leurs corps ? [...] Vous allez vendre votre force, votre corps et votre sang si vous n'avez pas de culture." Et les enfants qui n'auront pas eu accès à l'éducation finiront, selon lui, à l'usine à faire des nike pour les garçons et au bordel pour touristes pour les filles.

Rithy Panh a véritablement insisté sur l'état du monde actuel qu'il juge assez déplorable car la "diversité des regards disparaît" selon lui et les petites gens sont de plus en plus écrasés. Car pour lui (et cela se remarque très bien à travers ses films), le plus important est d'aller à la rencontre des gens et non de filmer la Terre d'un hélicoptère comme l'a fait dernièrement Yann Arthus-Bertrand et que Rithy Panh qualifie "d'écologie esthétisante". Pour lui, c'est distance mise avec l'homme ne peut toucher.

"La mémoire des gestes".

Dans Les gens de la rizière, mais dans d'autres de ses films, Rithy Panh se concentre sur les paysans, sur les plus démunis qui travaillent la terre de leur main et qui se battent à la fois contre les éléments et contre le gouvernement pour survivre. Des petites gens à qui il rend toute leur dignité en les accompagnant de sa caméra dans leur quotidien et en s'attardant beaucoup sur leurs gestes. Il veut "être avec les gens, être à la bonne distance où l'on peut les toucher" et donc rendre compte de leur vie avec le plus de respect possible et par deux fois il citera Gandhi: "la générosité, ce n'est pas de donner aux gens, c'est de ne prendre que ce dont on a besoin."

Un cinéaste très porté sur l'humanité et qui veut transmettre "la mémoire dans les gestes et dans le corps". Par exemple, pour une des séquences de S 21: la machine de mort Khmer rouge, l'un des anciens bourreau refait à l'identique les gestes qu'ils affectuaient lors de son activité. Dans une sorte de transe, il revit en quelque sorte, son ancien métier et expie ses fautes. Rithy Panh explique aux étudiants que cette séquence n'était originellement pas prévue mais que l'ex-gardien, ne parvenant pas à expliquer ses "actions", c'est la retranscription visuelle, bien plus frappante, qui fut choisie. Par les gestes, on sauvegarde une certaine époque, une manière de faire disparue que l'on peut alors transmettre aux générations nouvelles.

Rithy Panh défend donc l'Histoire (et critique au passage la réforme du gouvernement en la matière) car c'est de là que vient l'idendité d'un peuple. D'autant plus important pour un pays comme le Cambodge dont on parle peu. Le cinéaste asiatique se positionne donc fermement contre les tendances actuelles et continuera à éduquer les plus petits pour leur donner une chance d'exister de façon moins pénible.