Jean-Claude Brisseau (1944-2019) part sans bruit ni fureur

Posté par vincy, le 11 mai 2019

Le cinéaste Jean-Claude Brisseau est décédé samedi à Paris à l'âge de 74 ans, a appris l'AFP par son entourage.

Le réalisateur et scénariste est décédé dans un hôpital des suites d'une longue maladie. Sa filmographie est marquée par trois films: De bruit et de fureur (1988), prix spécial de la jeunesse au Festival de Cannes et prix Perspectives du cinéma français, Noces Blanches (1989) qui révéla l'actrice Vanessa Paradis (qui empocha un césar l'année suivante) et La Fille de nulle part (2012), Léopard d'or au festival de Locarno.

Sa filmographie s'étend sur 40 ans, depuis son premier long en 1976, La croisée des chemins, qui pose une partie des bases d'un cinéma sulfureux où il scrute une jeune fille rebelle partagée entre le désir et la mort. Avec Un jeu brutal, il croise le chemin de Bruno Cremer, qu'il enrôle pour être un biologiste meurtrier. Crémer sera le truand de De bruit et de fureur, l'un des premiers films sur la banlieue, où la dureté et la violence quotidienne croise le rêve naturaliste d'un adolescent dans un environnement de solitude et d'exclusion. Une série de déflagrations qui achève le film dans une tragédie désespérée.

Noce blanche est une confrontation presque sage entre un Cremer prédateur et une Paradis pas vraiment innocente en jeune fille ex-prostituée et toxico, amoureuse de son professeur de philosophie. Derrière son émancipation, et leur histoire d'amour, il y a le vertige des deux à plonger dans un monde inconnu. Dans une interview accordée aujourd'hui au journal Le Monde, Vanessa Paradis évoque un réalisateur très grand, très autoritaire, avec une voix grave.

Il était réputé difficile. Pas vraiment le genre à attirer la sympathie. Mais ce révolté passionné et avide de liberté, avec le soutien des Films du Losange, a pu bâtir une œuvre singulière dans le cinéma français et relativement hétérogène. Avec Céline, portrait d'une jeune femme paumée versant dans le surnaturel, L'ange noir, seul grand rôle de cinéma pour Sylvie Vartan, accompagnée de Michel Piccoli, Tchéky Karyo et Philippe Torreton, dans une sordide manipulation criminelle, ou encore Les savates du bon Dieu, film romantique autour d'une quête amoureuse, à travers une errance et des braquage.

C'est loin d'être parfait. Mais il y a l'influence des grands cinéastes américains - dont John Ford qu'il admirait - qui planent à chaque fois. A partir des années 2000, la difficulté de trouver des vedettes de premier rang ou des noms connus ont compliqué le montage de ses films. Il poursuit sa voie sur le portrait de jeunes femmes marginales, dans des milieux précaires, avec la séduction, la cruauté et la mort qui s'entremêlent: Choses secrètes, A l'aventure, ou son dernier film Que le Diable nous emporte, son ultime film (2018), vaudeville plus mature où la violence masculine et la méditation sont autant d'obstacles ou de leviers vers le bonheur compliqué par le jeu des sentiments.

Jusqu'à cette mise en abyme ratée dans Les anges exterminateurs, inspiré de son propre livre et présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, où il confie ses méthodes particulières de travail, sa manière de sélectionner ses actrices et finalement, comment il s'est retrouvé condamné en justice pour harcèlement et agression sexuelle sur des actrices à qui il avait fait passer des auditions.

Il avait été condamné par le tribunal correctionnel de Paris en 2005 pour harcèlement sexuel à un an de prison avec sursis et à 15 000 euros d'amende pour harcèlement sexuel sur deux actrices lors d'auditions pour son film Choses secrètes. En décembre 2006, il est condamné en appel pour agression sexuelle sur une troisième actrice.

Suite à cela, le mouvement #metoo, qui jugeait toute célébration de son œuvre insupportable, avait contraint la Cinémathèque, qui avait essayé de défendre l'artiste en oubliant que l'homme avait été condamné, à annuler fin 2017 la rétrospective qu'elle devait lui consacrer.

Pas étonnant que son film le plus sincère, sacré à Locarno, La fille de nulle part, soit aussi son film miroir. Il y joue le rôle masculin principal, Michel un professeur de mathématique veuf et à la retraite qui vit cloîtré dans son appartement parisien. Sa vie monacale est bouleversée par l'arrivée d'une jeune femme agressée. Se noue une complicité et une entraide, troublée une fois de plus par d'étranges manifestations paranormales. Tout son cinéma est condensé là: la détresse des femmes, la violence de la société, l'amour comme seul rempart, loin des jugements et de la morale.

"C’est précisément l’esprit archaïque du cinéma des origines que convoque le réalisateur dans son propre appartement, où il a tourné avec un caméscope et une poussette (pour les travellings). Impression unique de voir un hybride entre le prosaïsme délicat et articulé d’Éric Rohmer (tendance Lumière) et les noires féeries de John Carpenter (tendance Méliès). Le dispositif paraît évidemment rudimentaire, voire bredouillant, mais cela en fait le charme gracile et discret" pouvait-on lire dans L'Humanité.

Sans doute filmait-il son propre fantôme, lui si mystique. Sans doute son cinéma a-t-il été mal compris à cause de ses agissements et de ses méthodes qui déforment les jugements. Car si on y regarde bien, il sublimait souvent ses actrices, et dénonçait tout aussi souvent la brutalité masculine. Homme d'une autre époque, cela n'excuse pas tout. Il vitupérait le féminisme castrateur d'hommes hétérosexuels et le climat de censure de l'époque. Mais il regrettait surtout de ne plus pouvoir tourner avec les vedettes qui l'intéressaient. Il s'inquiétait de ne plus pouvoir filmer. Il était déphasé.

Dans une de ces dernières interview, à Paris-Match, il expliquait: "Je suis trop émotif (...)  Je vous avoue que l’opinion que les gens de cinéma peuvent avoir de moi me laisse indifférent. Là où je suis triste, c’est pour mes anciens élèves. Avant, quand je les rencontrais dans la rue, ils étaient fiers. Maintenant, j’ai l’image colportée d’un “super-violeur”. Mais quand j’ai eu un procès, je ne me suis pas défendu. J’ai eu tort". Ajoutant: "J’ai vécu des réactions de vengeance… Alors que la jouissance de la femme m’a toujours intéressé au cinéma et que je ne fais que creuser les mêmes thèmes."

Jean-Claude Brisseau, inexcusable, restera entaché par cette affaire (alors que d'autres bien plus vénérés s'en sont sortir indemnes). Mais le cinéaste, lui, aura produit quelques beaux films qui sondaient le mystère des femmes, le plus inexplicable à ses yeux.

Le convoi de la peur: un tournage d’enfer et une restauration éclatante

Posté par vincy, le 4 août 2015

La sortie de la reprise restaurée de Sorcerer aka Le Convoi de la peur mérite d'être soulignée. Ce film de William Friedkin, méconnu, pour ne pas dire oublié, est un bijou dans son genre. Adaptation du roman de Georges Arnaud, Le salaire de la peur, qui a donné l'excellent film d'Henri-Georges Clouzot (Palme d'or ET Ours d'or en 1953), Le Convoi de la peur est une oeuvre scindé en trois parties presque distinctes: la présentation de quatre "criminels" au Mexique, à Jérusalem, à Paris et dans le New Jersey que rien ne relie a priori ; le quotidien de ces quatre hommes dans un pays d'Amérique latine où la dictature militaire et l'exploitation des gisements de pétrole par une compagnie étrangère dictent leur loi ; le périple dangereux des quatre hommes à bord de deux camions pour transporter de la nitroglycérine sur 300 kilomètres.

Le Convoi de la peur c'est donc l'itinéraire de quatre "mercenaires" prêts à tout pour se casser du trou paumé où ils ont fuit leur passé: Roy Scheider, Bruno Cremer, Francisco Rabal et Amidou. Le premier a participé à un braquage qui a mal tourné et devient la cible de la mafia new yorkaise, à ses trousses. Le deuxième a ruiné son entreprise et ne peut pas échappé aux poursuites pénales. Le troisième a tué de sang froid un homme. Le quatrième est responsable d'un attentat meurtrier. Cremer et Amidou d'un côté, Scheider et Rabal de l'autre vont rivaliser pour amener la matière explosive et instable à travers une jungle hostile, avec en récompense un paquet de cash qui peut les amener vers la liberté.

Un casting démissionnaire

Nous sommes en 1975 quand William Friedkin songe à ce film. Il vient d'enchaîner deux énormes succès, French Connection et L'Exorciste. Il a deux films en tête: Le Triangle des Bermudes et Le convoi de la peur, dont le scénario sera écrit en quatre mois. Avec le scénariste Walon Green (La horde sauvage), il cherche à se détacher du roman, en mélangeant le film de genre avec un style littéraire proprement sud-américain, le réalisme magique (Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez est alors l'un des livres les plus lus dans le monde depuis sa parution en 1967). Clouzot a accepté, sans enthousiasme, de lui céder les droits cinématographiques.

Le film coute cher (tournage en Israël, à Paris, à New York et en Equateur), il faut donc des stars. Friedkin veut Steve McQueen, Lino Ventura, Marcello Mastroianni et Amidou. Le script est écrit pour eux. Rien ne va se passer comme il le faut. McQueen finalement se rétracte.  Il vient d'épouser Ali MacGraw et ne souhaite pas passer des mois à l'étranger, à moins qu'elle n'ait un rôle dans le film. .

La production craint un tournage coûteux, avec ses prologues aux quatre coins de la terre et son action principale perdue en Equateur, mais aussi dangereux : « Tu te feras assassiner, ton équipe se fera assassiner, et personne ne voudra assurer ton film », le prévient Lew Wasserman, exécutif d’Universal alors qu’une guerre civile éclate dans le pays. Friedkin refuse, et avouera plus tard qu'il avait tort. Suite à cette désaffection, Ventura commence à émettre quelques doutes. Ils seront renforcés quand Marcello Mastroianni décline finalement l'offre. Catherine Deneuve, alors compagne de l'acteur italien, vient de mettre au monde leur fille Chiara. Hors de question que la famille aille vivre en Equateur, alors que le pays plonge dans une guerre civile sous l'emprise d'une dictature militaire. Le château de carte s'écroule. Robert Mitchum ne veut pas plus aller se morfondre dans la jungle équatoriale.

Apocalypse Now aux Antilles

Mais pour 12 millions de $ de l'époque, il faut de la star. Et un partenaire. Le Convoi de la peur va ainsi être coproduit par Universal et Paramount, un premier cas exceptionnel dans l'Histoire (et qui sera un modèle pour les années 2000). Petite ironie de l'histoire, la Paramount appartient alors à un énorme conglomérat pétro-chimique, Gulf+Western, qui a des sites en République dominicaine. Et voilà que le dangereux Equateur disparaît de la production pour être remplacé par une île des Antilles.

Roy Scheider est alors proposé par Universal. Mais l'acteur se souvient que Friedkin ne l'avait pas enrôlé pour L'Exorciste. Il accepte sans joie. Lino Ventura abandonne alors le navire, remplacé par Cremer, totalement inconnu hors de France.  Et Rabal complète alors l'affiche.

Sorcerer, titre original du film, est finalement une prophétie qui s'annonce juste. Un sale sortilège.  Le cinéaste est réputé colérique et perfectionniste. l'ambiance est insupportable. De nombreux producteurs exécutifs et collaborateurs sont évincés ou se cassent du tournage: épuisement, malaria, drogue, etc.... La lumière changeante des tropiques rallongent les jours de productions pour que le cinéaste obtienne une continuité lumineuse. Rien que la scène sur le pont branlant au dessus des rapides demande trois mois de prises de vue chaque matin avec des camions qui ne cessent de tomber à chaque prise. Et finalement, elle sera faite au Mexique. Le budget double quasiment: 22,5 millions de $ au final.

Star Wars l'éclipse

« Ce film devait être mon chef-d’œuvre. J’avais l’impression que tous mes autres films n’avaient été qu’une préparation de celui-ci » confie Friedkin dans ses mémoires. « J’étais devenu comme Fitzcarraldo, l’homme qui veut construire un opéra dans la jungle brésilienne », résume-t-il. La folie emporte ceux qui reste. Friedkin, au passage, perd 25 kilos, atteint de malaria et sombre en dépression.

Mais au final, tout le monde est satisfait du résultat. Manque de chance, les critiques ne sont pas du même avis et le public ne suit pas. Il faut dire que depuis une semaine un certain Star Wars est sur les écrans.

Pour le réalisateur, point de doute: c'est son meilleur film. Et la version restaurée permet de revoir ou découvrir ce qui, en effet, est un grand film.

Hybride, audacieux: le film est un choc

Le Convoi de la peur est à la fois une oeuvre politique et un film sous haute tension, un récit humain désespéré et une aventure sans issue. Friedkin s'amuse aussi bien avec les genres qu'avec le rythme. La première partie est tournée comme un thriller d'espionnage international avec ses quatre séquences d'ouverture qui justifient l'exil des personnages. L'atmosphère est très "seventies" mais avec un attentat terroriste, une course poursuite qui finit mal, une meurtre de sang froid et un suicide brutal. L'ellipse est maligne. Sans transition, le scénario nous immerge directement, en deuxième partie, dans un pays sud-américain, pauvre. Peu importe comment ces quatre maudits sont arrivés là. Ils y (sur)vivent. Friedkin décrit alors la vie dans un bout du monde où militaires et polices font la Loi, où une multinationale exploite le pétrole et le peuple pour enrichir ses actionnaires et le régime. C'est une partie de transition qui est à la fois une critique virulente d'un nouveau colonialisme et d'un lien étroit et malsain entre le capitalisme et l'autorité. C'est aussi le prétexte de réunir les quatre hommes. Sans qu'il y ait beaucoup d'action, le cinéaste impose une sorte d'atmosphère pesante, où tous étouffent dans leur prison à ciel ouvert, loin de chez eux. On comprend alors très bien l'aspiration de chacun: se barrer de ce cloaque. Retrouver une forme de liberté, à défaut de retrouver leur honneur, leurs proches ou leur vie d'avant. Ils sont piégés.

Et s'ouvre alors le troisième chapitre, au petit matin, avec deux camions, Lazarus et Sorcerer. Jusque là le film était un brillant exercice de style, assez audacieux, avec une narration peu classique, se laissant le temps de présenter ses personnages, leurs motifs, et leur psychologie, et ce, sans trop de dialogues. A partir de là, on change de registre: 300 kilomètres sur des routes de montagnes périlleuses (avec éboulements et piste friable) et de jungle répulsive (arbre gigantesque en travers de la route, pont branlant tenant par quelques cordes). Le spectateur est rapidement scotché. Pas besoin d'effets numériques: le bon vieux cinéma est affaire de montage et de musique (ici, celle de Tangerine Dream, avec ses accentuations électro typiques de l'époque est angoissante à souhait). Nous sommes à leurs côtés, dans leur galère. Et la fameuse séquence du pont à cordes, sous des tornades de pluie (artificielle) est un monument en soi: Friedkin multiplie par deux la scène avec pour chacun des camions, leur enjeu dramatique et leur morceau de bravoure.

De manière sensationnelle, Le Convoi de la peur s'amène alors vers l'épilogue. Des quatre hommes, il n'en restera qu'un. Mort accidentelle, d'autant plus bête après ce qu'ils ont traversé, folie quasiment hallucinogène. Le dernier tronçon de route, dans un cadre lunaire et fantasmagorique, est saisissant. La traversée des enfers où les morts rodent tels des fantômes. Tous sont atteint. Et même le survivant n'aura que peu de répit. La conclusion est hors-champs. Mais on devine la cruauté de la situation. Sans issue.

Le Convoi de mort est arrivé à destination.

Pierre Schoendoerffer (1928-2012) : le dernier combat

Posté par vincy, le 14 mars 2012

Pierre Schoendoerffer, 83 ans, est mort dans la matinée de ce mercredi 14 mars, des suites d'une opération à l'hôpital militaire de Percy à quelques kilomètres de Paris. Grand reporter, écrivain, cinéaste, sa carrière polymorphe est centrée sur la grande histoire : la guerre, et la décolonisation.

Témoin d'événements sanglants et violents, il a voulu les restituer avec justesse et vérité que ce soit dans l'écriture ou l'image. Observateur à distance, artiste individualiste, il était pourtant au coeur du XXe siècle.

Membre fondateur des César, académicien aux Beaux-Arts dans le collège du cinéma, récipiendaire de multiples honneurs militaires et culturels, Pierre Schoendoerffer a filmé les combattants, entre grandeur et décadence.

Cela vient de son enfance. Adorateur de Joseph Kessel, qu'il rencontrera à Hong Kong, et de Joseph Conrad, cet ancien cancre s'embarque sur un bateau suédois à la sortie de l'adolescence. Ce garçon auvergnat rêve d'aventures et de grand large. Après la Baltique, il s'engage en 1952 au service cinématographique des armées, où il fait ses débuts de caméraman en Indochine. Il apprend le cinéma en filmant la guerre durant trois ans. En 1954, il est fait prisonnier par le Viêt Minh à Diên Biên Phu, passant quatre mois en captivité. Il transcrira l'expérience de cette défaite française ça dans son film Diên Biên Phu (1992), fresque puissante et brutale.

Une fois libéré, il quitte l'armée et devient reporter photographe pour le magazine Life. 4 ans plus tard, il adapte La Passe du diable, roman de Kessel, à l'écran. Il s'agit de sa première réalisation. L'année suivante, il adapte un roman de Pierre Loti, autre romancier du voyage, avec Le pêcheur d'Islande.

Mais c'est en 1963 que Schoendoerffer se fait un nom. Il écrit La 317e section qu'il adapte deux ans plus tard pour le cinéma. Jacques Perrin et Bruno Cremer donnent corps à cette guerre d'Indochine, dans l'ombre de la seconde guerre mondiale pas si lointaine. Déjà il pose les fondations de son oeuvre : les sacrifices inutiles de la chair à canon, l'honneur de l'armée, les illusions saccagées, la dureté des combats. Ses films sont aussi documentaires que fictifs, francs et humains. Prix du scénario à Cannes, 45 ans plus tard, il s'agit toujours du film symbolique sur la guerre d'Indochine.

En 1967, il réalise un documentaire, toujours sur le Vietnam, La section Anderson, où l'on suit une troupe de soldats américain en pleine guerre. Oscar à Hollywood. Puis il y aura une longue absence au cinéma. Il écrit en 1969 L'adieu au Roi, qui sera transposé au cinéma 20 ans plus tard par John Milius, prix Interallié.

En 1976, il écrit un autre roman, Le Crabe-tambour. Grand prix du roman de l'Académie française, le livre croise les guerres de décolonisation (Indochine, Algérie). Il réalise le film un an plus tard, inspiré de la vie du Commandant Pierre Guillaume, avec Jean Rochefort, en officier austère proche de la retraite, et Claude Rich. 6 nominations aux César (dont film et réalisateur), dont trois prix : acteur (Rochefort), second-rôle masculin (Dufilho), photo.

5 ans plus tard, il filme L'honneur d'un capitaine, avec Jacques Perrin et Nicole Garcia,de nouveau un portrait de soldats, durant la Guerre d'Algérie. Toute cette filmographie a fait de Schoendoerffer une icône de l'Armée comme de l'extrême droite, rôle qu'il refusait obstinément. Lui préférait se voir en contributeur d'un récit de l'Histoire de France contemporaine, réveillant les mémoires et affrontant les sujets tabous.

La guerre et l'humanité, voilà son oeuvre. Un homme d'honneur, pudique, tourmenté, nostalgique que le goût des horizons lointains a mené à l'horreur des émotions intimes. L'homme en gros plan dans des situations extrêmes où la vie de chaque des personnages est en jeu. Un cinéma hanté, lucide, réaliste, prenant tous les risques, voulant flirter avec ses souvenirs atroces.

Loyal et fidèle, cet ancien combattant détestait les artifices et faisait l'éloge de la liberté. Sa caméra héroïsait des hommes à son image. Des individus défaits. Comme pour vouloir se prouver qu'il n'avait pas subit son calvaire indochinois en vain. Il préférait l'universalité de son propos à la récupération politique. De même sa condition d'artiste, d'artisan selon lui, sublimait son passé militaire.

En 1981, il écrit son avant-dernier roman, Là haut (le dernier date de 2003, L'aile du papillon), qui deviendra son dernier film, en 2004. Bruno Cremer, Jacques Perrin et Claude Rich retrouvent leur cinéaste d'autrefois. Il utilise d'ailleurs des images de ses précédents tournages avec ces comédiens pour des flash backs dans cette histoire qui revient en Indochine, période post-coloniale. Un film testament.

Bruno Cremer nous quitte sans bruit ni fureur (1929-2010)

Posté par vincy, le 8 août 2010

la 317e sectionBruno Cremer, alias Commissaire Maigret (durant 14 ans sur le petit écran), nous a quitté le 7 août 2010. 60 ans de carrière au cinéma, essentiellement des drames et des films policiers. Mais il ne faut pas oublier une filmographie riche en grands cinéastes. Il aura marqué les esprits avec La 317e section (Schoendoerffer, photo), le film qui le révéla au grand public, Paris-Brûle-t-il? (Clément), Un homme de trop (Costa-Gavras), L'étranger (Visconti), La chair de l'orchidée (Chéreau), Le convoi de la peur (Friedkin), Une histoire simple (Sautet), L'union sacrée (Arcady), De bruit et de fureur et Noce blanche (Brisseau), et en mari disparu, comme un requiem, Sous le sable (Ozon).
Au total, une quarantaine de films où il impressionnait par sa carrure, son air grave mais aussi, souvent, une forme de générosité lasse, une bonhommie rentrée. Son regard magnétique, pouvait être aussi perçant qu'inquiétant. Sa voix chaude, presque éraillée, imposait vite sa présence. De Schneider à Rampling, de Paradis ) Miou-Miou, il aura souvent eu les plus belles actrices du cinéma français dans ses bras... Il aura aussi donné la réplique à des géants comme Delon ou Belmondo.

Né le 6 octobre 1929 à Saint-Mandé, dans le Val-de-Marne, le comédien luttait depuis plusieurs années contre un cancer. Né d'une mère d'origine belge et d'un père qui prendra la nationalité belge parce que la France n'avait pas voulu l'accepter comme soldat durant la guerre, contrairement à la Belgique. Lui-même choisira la nationalité française à 18 ans.

Après le Conservatoire et il se consacre pendant dix ans à la scène où il joue Shakespeare, Oscar Wilde, Jean Anouilh. Il aussi écrit une autobiographie publiée en 2000 et intitulée "Un certain jeune homme", où il retrace sa jeunesse, ses débuts de comédien et sa vie jusqu'au décès de son père et permet à l'acteur de se livrer avec sincérité dans un portrait sans complaisance.

Vous pourrez retrouver son portrait complet demain dans Ecran Noir.