Berlin 2020 : La Femme qui court, un Hong Sang-soo en demi-teinte

Posté par MpM, le 27 février 2020

Hong Sang-soo tourne tellement qu'il parvient à être à la fois un habitué de Cannes, de Locarno et de la Berlinale. Deux ans seulement après le très bon cru Grass présenté au Forum, il est donc de retour à Berlin, et en compétition qui plus est, avec son nouveau film La femme qui court (à ne pas confondre avec son autre nouveau film, Hotel by the river, qui sort le 22 avril en France).

Dans ce nouvel opus, changement de décor : le film s'ouvre sur un plan rapproché de poules, puis sur une femme qui jardine. Nous sommes à la campagne, dans un pavillon tranquille et reculé en banlieue de Séoul, où l'héroïne Gamhee (Kim Minhee, l'interprète désormais fétiche de Hong Sang-soo) vient rendre visite à l'une de ses amies. La structure sera comme toujours symétrique : trois rencontres, trois successions de conversations à bâtons rompues, et une multitude de similarités, de variations et de non-dits.

Malgré ce dispositif presque austère qui repose principalement sur les dialogues, il se dégage du film une impression appuyée de romanesque, en raison d'un foisonnement de personnages et d'intrigues secondaires réelles, supposées, suggérées ou même cachées. On a alors plus que jamais l'impression d'une immense connexion entre tous les éléments du film, et on se prend à imaginer les histoires qui se dissimulent derrière le récit principal, et dont la plupart nous sont invisibles. Il y a cette jeune fille qui va à un entretien d'embauche avec une gueule de bois, un voisin dont l'épouse a peur des chats, un poète harceleur, une jeune femme en admiration devant l'écrivain qu'elle interview... Sans oublier des personnages qu'on ne voit jamais, et qui sont pourtant source de nouvelles histoires : le voisin du dessus, le mari de Gamhee, la femme disparue...

L'intuition que tous sont liés d'une manière ou d'une autre (même si on n'en aura jamais de confirmation concrète) est renforcée par un motif propre lui-aussi au cinéma de Hong Sang-so, le jeu d'échos permanent entre les différentes parties du film et les petits détails qui se répondent et se complètent. Car ce qui relie les personnages de La femme qui court est peut-être tout simplement leur plus petit dénominateur commun, à savoir leur part d'humanité, une question qui ne cesse d'obséder le réalisateur coréen depuis ses premiers films, et dont une carrière entière ne suffirait à faire le tour.

Si l'on prend son oeuvre sous cet angle, pas étonnant que Hong Sang-soo tourne tant, et que ses détracteurs (de mauvaise foi) aient le sentiment de voir sans cesse le même film. C'est que la condition humaine, puisque c'est bien ça dont il est question, mérite bien quelques variations répétées sur le thème de l'amitié et de l'amour, sur la manière dont on communique les uns avec les autres, ou celle dont on vit ensemble, séparément, ou les uns à côté des autres, en harmonie ou dans l'indifférence.

Quelle surprise, c’est le couple qui est au centre de son nouveau film, comme des préoccupations des personnages. Des couples que l’on ne voit jamais, mais qui sont abondamment évoqués dans les longues conversations que Damhee a avec ses amies. On est d’ailleurs dans la situation presque caricaturale d’un film réunissant principalement des personnages féminins (les hommes sont des figurants et des silhouettes, et souvent ils n’ont pas le beau rôle) qui passent néanmoins la majorité de leur temps à parler d’hommes. On croit, à deux reprises, que le film suggère des relations lesbiennes. Mais c’est bien le couple hétéro-normé qui occupe tout l’espace.

Comme souvent avec Hong Sang-soo, ce qui est dit compte moins que ce qui est suggéré ou tu. À l’une de ses amies, qui vient de divorcer, l’héroïne déclare que son ex-mari (metteur en scène) mérite d’échouer. Elle n’en dira pas plus, mais la référence à la situation du réalisateur lui-même, qui a quitté sa femme pour Kim Minhee, est transparente. Même chose avec cette autre jeune femme qui se plaint que son compagnon parle trop, et pour dire toujours la même chose, qui résonne avec les propos de Damhee elle-même. Cette dernière raconte en effet à ses trois amies, sensiblement dans les mêmes termes, qu'elle est séparée pour la première fois de son mari depuis leur mariage, cinq ans auparavant. Et d'expliquer que pour lui, lorsqu'on s'aime, on doit rester ensemble en permanence. Rien de plus n'est dit, mais le spectateur s'interroge : pourquoi avoir soudain dérogé à cette règle ?

Le reste du film est tout à fait dans la lignée du cinéma habituel de Hong Sang-soo : plans fixes, mouvements lents de caméra qui zooment et dézooment, longs dialogues. L'alcool, de même que le cinéma et la création en général, jouent un rôle moins important que parfois, mais ne sont pas totalement absents pour autant. Les conversations sont souvent terre-à-terre ou à double lecture (comme ce coq méchant qui assoit son autorité en arrachant les plumes des poussins). Les animaux, de manière générale, reviennent à plusieurs reprises, avec une mention spéciale à la séquence totalement burlesque dans laquelle un homme vient se plaindre parce que ses voisines nourrissent les chats errants, et qu'elles lui répondent en substance : "que peut-on y faire ? Les chats ont besoin de manger", suivie de l'apparition (adorable) d'un chat qui vient corroborer leurs propos.

On est donc immanquablement en terrain connu, dans l'un de ces Hong Sang-soo mineurs auxquels on n'a pas grand chose d'autres à reprocher que de ne pas tout à fait répondre à nos attentes. Peut-être tout simplement parce que le récit est moins fluide que dans des films comme Un jour avec, un jour sans, Seule sur la plage la nuit ou Grass, pour ne citer que les plus récents, et que la construction paraît aussi plus relâchée, moins millimétrée, et le propos tout simplement moins fort. On est comme le cinéaste fasciné par la nature humaine et ses manifestations, mais parfois le miroir qu'il nous tend renvoie une image trop minuscule pour véritablement nous passionner.

Berlin 2020 : Gustave Kervern et Benoit Delépine vitriolent l’époque dans Effacer l’historique

Posté par MpM, le 24 février 2020

Il y a tout juste dix ans, Gustave Kervern et Benoit Delépine foulaient le tapis rouge berlinois avec Mammouth, l'un de leurs plus grands succès. Cette année, le célèbre duo est de retour en compétition avec Effacer l'historique, un film parfaitement dans la lignée de leur cinéma, qui fait flotter sur cette 70e édition un petit souffle punk réjouissant.

Plus que jamais, les deux réalisateurs radiographient l'époque, dont ils proposent un instantané saisissant et d'une justesse folle. De l'omniprésence du numérique aux fantasmes sur l'intelligence artificielle, de la dictature des réseaux sociaux au binge watching compulsif, Effacer l'historique capte ce qui fait l'air du temps. Voilà donc ses trois personnages principaux aux prises avec les affres du cyber-harcèlement, du chantage à la sextape et de la notation via application interposée, et donc fatalement en guerre contre les GAFA (Google Apple Facebook et Amazon) et leurs clones.

C'est évidemment hilarant, tant le scénario foisonne de détails satiriques et croque avec méchanceté l'absurdité d'un monde qui ne tourne plus tout à fait rond. Christine sous-loue son salon pour gagner un peu d'argent, Bertrand vend sa (vieille) voiture à un homme qui veut se suicider (l'un des nombreux irrésistibles caméos du film), Marie se fait livrer des packs d'eau par coursier...

On se croirait même parfois dans une dystopie plutôt sombre lorsque l'on voit la manière dont sont niés la vie privée ou le libre arbitre. Avant de réaliser que Kervern et Delèpine se contentent de brosser le tableau d'un avenir si proche qu'il est déjà à nos portes, dans lequel le moindre moment d'intimité, de lâcher prise ou de faiblesse risque d'être jeté en pâture à la foule anonyme des réseaux, consultable ad vitam aeternam par tous ceux qui en auront l'envie ou le pouvoir.

Le constat n'est pas follement optimiste, bien qu'il soit dressé avec un sens indéniable des situations, des dialogues et de l'auto-dérision. Malgré tout, le film ne cherche pas tant à démoraliser le spectateur qu'à le faire réfléchir. Il y a ainsi sans cesse des détails, à l'image ou dans le récit, qui permettent de faire un pas de côté pour regarder les situations sous un autre angle, souvent moins tragique. Un Deux ex machina sauve même la mise à deux reprises aux personnages qu'il n'est jamais question d'enfoncer. Comme dans le reste de leur oeuvre, Gustave Kervern et Benoit Delépine encouragent en effet l'action, même lorsqu'elle est désespérée, plutôt que la résignation. Avec Effacer l'historique, ils rappellent également que la lutte ne peut être que collective, joyeuse et poétique.

Leurs trois protagonistes, incarnés avec bonheur par Blanche Gardin, Corinne Masiero et Denis Podalydès, se sont d'ailleurs rencontrés sur un rond-point, dans les premiers temps des gilets jaunes. Ils portent en eux le formidable espoir lancé par le mouvement, la fierté d'en avoir fait partie, et l'esprit de solidarité et d'entraide qui y préside. Leur relation est très belle, sans grands effets, mais avec une simplicité et une justesse qui font que l'on est toujours avec eux, jamais dans le jugement et toujours dans la bienveillance, même lorsqu'ils répètent inlassablement les mêmes erreurs. Sans doute parce qu'ils sont si proches de nous, et si irrépressiblement humains.

Bien sûr l'esprit est à la satire et à l'outrance, aussi faut-il également s'attendre à quelques passages au vitriol, comme celui avec le fraudeur aux aides sociales (portrait-robot de "l'assisté-profiteur" tel qu'il existe dans l'esprit des politiques les plus réactionnaires) ou avec le livreur d'une parodie d'Amazon qui semble au bout de sa vie à 35 ans, sans parler de la quasi diabolisation des nouvelles technologies. Mais la pire erreur serait de prendre Effacer l'historique au premier degré, telle une charge manichéenne sur la modernité. Il serait au contraire plus juste d'avoir en tête l'adage populaire selon lequel il vaut mieux rire des choses, plutôt que d'en pleurer. Il y a longtemps que le duo de réalisateur a fait sienne cette devise, déclinée de film en film avec une tonalité il est vrai de plus en plus désespérée. On rit donc de bon coeur avec eux, en attendant que la réalité dépasse définitivement la fiction.

Berlin 2020 : Avec En avant, Pixar fait du sur-place

Posté par MpM, le 21 février 2020

La Berlinale, que l'on a connue moins frileuse concernant le cinéma d'animation (ours d'or ex-aequo pour Le voyage de Chihiro de Miyazaki en 2002, prix de mise en scène pour l'Ile aux chiens de Wes Anderson en 2018, sélection officielle pour Have a nice day de Liu Jian en 2017), présente hors compétition le nouveau film de Pixar, En avant de Dan Scalon, qui sortira en France le 4 mars prochain.

Au risque de décevoir les fans du studio, disons d'emblée que ce n'est pas une excellente cuvée. Certes, une fois revenus du choc d'un design personnages plutôt moche, on se laisse emporter par les aventures de ces deux frères elfes qui, ayant très peu connu leur père décédé (et même pas du tout pour l'un d'entre eux), ont enfin la chance de passer une journée avec lui. On n'a guère le choix, de toute façon, tant le film, tonitruant et presque hystérique, nous abreuve en continu d'un flot d'action, de rebondissements et de péripéties.

Un réflexe pavlovien fait que l'on adhère à une partie du récit, malgré le prétexte microscopique de départ (le père magicien a laissé des instructions plus qu'incomplètes pour sa résurrection temporaire, lançant ses fils - quelle surprise - dans une quête frénétique), parce que le mélange conte initiatique, univers magique et double dose d'émotion est un cocktail savamment maitrisé par les scénaristes. Il faut d'ailleurs être honnête : on est effectivement ému à plusieurs reprises par cette histoire extrêmement familiale, et surtout par la relation qui unit les deux frères, dont l'ainé s'avère le vrai personnage principal, bien plus intéressant que le cadet complexé-froussard-et-timide-qui-finit-par-se-révéler-en-cours-de-film déjà vu cent fois.

Question de point de vue

Il est peut-être symptomatique, néanmoins, que ce soit ce dernier qui soit présenté comme le héros et narrateur de l'intrigue, au lieu de Barley, le rêveur passionné par le passé, la magie et tout ce qui réenchante le monde. Comme si, symboliquement, Ian représentait la sécurité d’une histoire proprette qui rassemble, alors que Barley représentait le risque (très mesuré, on vous rassure) de sortir un peu des sentiers battus en allant à fond dans les codes du jeu de rôle et de l'heroic fantasy, ici brossés à grands traits stéréotypés et souvent narquois.

Ce film-là nous aurait surpris, déstabilisés peut-être, et surtout nous aurait contraints, sans obligation de résultats, à le suivre en terrain inconnu, non balisé, entièrement sien. Mais sans doute cela n'aurait pas été assez à l'image de ce que Pixar semble désormais chercher à faire, du divertissement mainstream qui n’en finit plus d’appliquer les mêmes recettes. Les touches de fantaisie sont donc savamment contrôlées, presque cosmétiques, au service d'une histoire qui ronronne : la quête est nécessairement intime (permettant au personnage de réaliser des choses sur lui-même), son issue compte moins que le voyage accompli, les blessures du passé seront refermées, et tout le monde sera joyeusement réconcilié à la fin. Pas une étape qui ne soit "obligée", dictée par on ne sait quel guide en scénario pour film familial à haut potentiel de box-office.

Si Pixar n'avait pas réussi par le passé à nous faire étrangement vibrer avec des histoires novatrices, souvent audacieuses, brillamment écrites, probablement qu’on ne lui en voudrait pas autant de ne plus chercher à nous étonner et à nous emporter. Mais en l'état, c'est comme si le studio nous servait de la bonne cuisine standardisée après nous avoir régalée de petits plats maison créés rien que pour nous. Est-ce vraiment là le cinéma familial que l'on souhaite, reposant sur l'éternel même équilibre entre émotion et comédie, action et introspection ? Où est la poésie de Wall-E ? Qu'est-il advenu du grain de folie de Ratatouille et de l'ironie de Là-Haut ?

Et à quand un nouveau souffle dans le cinéma d'animation grand public issu des studios, à commencer par des designs moins formatés, des formes plus singulières, et des histoires renouvelées, c'est-à-dire qui s'affranchissent de la nécessité d'être toujours édifiantes, initiatiques ou pédagogiques, ou qui au contraire tentent de regarder le monde en face  ? Hormis le deuil, qui est bien souvent résolu par le cheminement du personnage principal, on aimerait voir plus souvent des thèmes graves ou sensibles, des questions contemporaines et des enjeux concrets de société traités par les blockbusters animés hollywoodiens. Après tout, les rares incursions dans le domaine ont jusque-là plutôt été des succès : Pixar et les autres devraient avoir une plus grande confiance dans leur propre talent.

Berlinale 2020: une compétition intimiste et un programme ambitieux

Posté par vincy, le 30 janvier 2020

La 70e Berlinale, avec son nouveau directeur artistique Carlo Chatrian, a dévoilé sa compétition: soit 18 films de 18 pays. Si on note la présence d'auteurs respectés et admirés, on remarque l'absence de grosses productions. Berlin est allé cherché un cinéma plutôt intimiste, cosmopolite et éclectique, allant du cinéma expérimental au récit documentaire. Trois films français et deux coproductions françaises seront en lice pour l'Ours d'or, remporté l'an dernier par le film franco-israélien Synonymes, boudé par les César. On se réjouit aussi des retours de Tsai Ming-Liang, Mohammad Rasoulof, Kelly Reichardt, Sally Potter et Christian Petzold, comme on est intrigué par le nouveau Delépine/Kervern et peu surpris des présences de Rithy Panh, Abel Ferrara et Hong Sangsoo.

Pinocchio, Pixar, Fontaine et Fallardeau

Hors-compétition, Berlin s'offre quand même Matteo Garrone avec son Pinocchio et le nouveau Pixar, En avant. Les grands noms sont plutôt là, avec Jia Zjhangke et Johann Johannsson en documentaire, Philippe Falardeau (en ouverture) Agnieszka Holland, Anne Fontaine et le récemment libéré Oleg Sentsov en fiction.

Dans les autres sections, on croisera Sébastien Lifshitz, Guillaume Brad, Patric Chiha (Panorama), Atiq Rahimi (Generation 14plus), Nibuhiro Suwa, Maïmouna Doucouré, Anaïs Barbeau-Lavalette (Generation Kplus), Jonathan Rescigno et le film posthume de Raul Ruiz, co-réalisé avec Valeria Sarmiento (Forum).

Jeremy Irons présidera le jury du festival qui se tiendra du 20 février au 1er mars.

Compétition :
- Berlin Alexanderplatz de Burhan Qurbani
- DAU. Natasha d’Ilya Khrzhanovskiy et Jekaterina Oertel
- Domangchin yeoja (The Woman Who Ran) de Hong Sangsoo
- Effacer l’historique de Benoît Delépine et Gustave Kervern
- El prófugo (The Intruder) de Natalia Meta
- Favolacce (Bad Tales) de Damiano & Fabio D’Innocenzo
- First Cow de Kelly Reichardt
- Irradiés de Rithy Panh
- Le sel des larmes de Philippe Garrel
- Never Rarely Sometimes Always d’Eliza Hittman
- Rizi (Days) de Tsai Ming-Liang
- The Roads Not Taken de Sally Potter
- Schwesterlein (My Little Sister) de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond
- Sheytan vojud nadarad (There Is No Evil) de Mohammad Rasoulof
- Siberia d’Abel Ferrara
- Todos os mortos (All the Dead Ones) de Caetano Gotardo et Marco Dutra
- Undine de Christian Petzold
- Volevo nascondermi (Hidden Away) de Giorgio Diritti

Berlinale Special Gala :
- My Salinger Year de Philippe Falardeau (ouverture)
- En avant de Dan Scanlon
- Curveball de Johannes Naber (Allemagne)
- DAU. Degeneratsia d’Ilya Khrzhanovskiy et Ilya Permyakov
- Speer Goes to Hollywood de Vanessa Lapa
- Pinocchio de Matteo Garrone
- Persian Lessons de Vadim Perelman
- Police d'Anne Fontaine
- Docteur Jerry et Mister Love (The Nutty Professor) de Jerry Lewis (1963)
- High Ground de Stephen Maxwell Johnson
- Sa-nyang-eui-si-gan de Yoon Sung-hyun
- Nomera d'Oleg Sentsov, en collaboration avec Akhtem Seitablaiev
- Charlatan d'Agnieszka Holland
- Minamata d'Andrew Levitas
- Golda Maria de Patrick Sobelman et Hugo Sobelman
- Hillary de Nanette Burstein
- Last and First Men de Jóhann Jóhannsson
- Yi Zhi You Dao Hai Shui Bian Lan de Jia Zhang-ke

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ?

Posté par vincy, le 14 mai 2019

Qu'on le veuille ou non, le Festival de Cannes reste un des épicentres du cinéma mondial. Il n'en a jamais eu le monopole. Mais il est clairement parmi les événements majeurs du 7e art. Depuis sa création, il mue, au gré des révolutions. Les révolutions formelles et artistiques pour commencer, avec la Nouvelle Vague, le Nouveau cinéma américain, la 5e génération de cinéastes chinois, le surgissement de films venus de pays jusque là inconnus, les films tournés en numérique, etc... La concurrence actuelle des plateformes de streaming, des séries et des jeux vidéos équivaut à celle dans les années 1960, quand la télévision détournait les spectateurs du grand écran.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Rencontre avec le réalisateur Erwan Le Duc

Mais il est incontestable que d'un point de vue comptable, Cannes a moins d'impact que les blockbusters d'Hollywood, notamment auprès des millennials, qui ne retiennent souvent que l'actu "glamour" du festival, relayée par la presse populaire et les influenceurs et influenceuses. Ceci dit, ce n'est pas l'objectif du Festival.

Les marques Disney, Netflix et autres Apple et Amazon (sans oublier les Chinois) imposent un marketing de masse qui concentrent aujourd'hui les spectateurs sur certains films, ou, pire, chez eux. Cannes - comme Berlin, Venise, Toronto, Sundance, Locarno, Telluride, Busan, etc - a vocation à résister à cette tendance. Le glam et les stars, tout ce cérémonial pour les télévisions et la presse people, ne font qu'attirer le regard des fans pour leur parler d'autres films.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Rencontre avec Jérémy Redler, président de la Commission du Film Ile-de-France

Avec les Oscars, la Palme d'or reste ainsi la récompense suprême du 7e art. Une sorte de Nobel. Même si ces derniers temps, ce sont plutôt les films présentés à Venise qui ont la cote aux Etats-Unis. Il n'empêche, année après année, même si les blasés évaluent le Festival de Cannes sur un échelle de médiocre à grandiose (c'était toujours mieux avant parait-il), même si les plus fidèles oublient que ce sont souvent les surprises et les nouveaux talents qui donnent de la saveur à une compétition, Cannes s'impose à chaque foi dans les bilans annuels et palmarès de critiques.

Qu'on prenne l'édition 2018, plutôt ratée pour le cinéma français en sélection officielle hormis l'excellent "coup" du Grand bain et le snobé jusqu'au bout En guerre, et on retrouve Dogman (9 Donatello et 3 European Film Awards), Plaire, aimer et courir vite (Prix Louis Delluc), Blackkklansman (un Oscar au final), Capharnaüm, Une affaire de famille et Cold War tous trois cités aux Oscars. Une affaire de famille a fait un doublé Palme d'or-César et raflé 8 prix aux Oscars japonais. Il y a pire bilan.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Rencontre avec Jean-Marc Thérouanne, Délégué général du Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul

A chaque édition, un bon tiers de la compétition, et une bonne dizaine de films des autres sélections, sont parmi les films favoris en France et ailleurs au moment des Top 10 de fin d'année. Ce n'est pas le cas forcément des autres festivals, à l'exception de Venise ces dernières années.

Cannes reste donc le temple de la cinéphilie mondiale. Les grands auteurs sont fiers d'y aller, et font tout pour y aller (tournant et post-produisant leurs films à temps pour les sélections). Le Festival ne peut de toute façon pas accueillir tous les grands films de l'année. Mais il y a une variété et une diversité suffisamment forte pour que le logo du festival ait encore une vraie valeur sur les affiches.

Par ailleurs, avec plus de 4000 journalistes, cela reste l'événement culturel le plus suivi du monde, devant les Oscars, qui sont surtout suivis par le grand public. De quoi donner de l'écho à un film, ce qui vaut toutes les campagnes de marketing et un bon indicateur pour la sortie en salles. Certes, cela peut aussi "tuer" un film. Mais n'oublions pas que Cannes a donné de la valeur marchande et artistique en découvrant ou primant au début de leurs carrières des cinéastes comme Martin Scorsese, Xavier Dolan, Quentin Tarantino ou Sofia Coppola. Cela en surévalue certains aussi, mais le temps trie le bon grain de l'ivraie.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Rencontre avec Ron Dyens, producteur chez Sacrebleu productions

Tout est question de marché. Tant que la presse professionnelle américaine est présente quotidiennement, on peut se rassurer: c'est qu'il y a du business. Certes, le marché évolue. Les négociations sont plus difficiles. Les sorties sont aussi plus risquées.

Dans une interview au Monde, Jérôme Seydoux explique: "Dans le temps, les majors avaient une filiale spécialisée en films plus « metteurs en scène ». Beaucoup des studios ont abandonné, tout simplement parce qu’ils perdaient de l’argent. Aujourd’hui, ce cinéma-là est entre les mains de Netflix, Amazon, Apple ou d’autres. Il n’a pas disparu. Quand Netflix fait Roma, c’est un film qui a du mal à financer sa sortie en salle. Idem pour celui de Scorsese. Prenons un film indépendant qui a coûté 20 millions de dollars. Netflix en offre 25, alors que sa sortie en salle nécessiterait entre 15 à 20 millions de dollars aux Etats-Unis. Il faudrait donc 40 millions de dollars de recettes en salle pour le rentabiliser, alors qu’avec les 25 millions de Netflix, le producteur gagne sa vie sans prendre de risques. Le cinéma indépendant américain s’est beaucoup amoindri faute de combattants et de clients. Aux Etats-Unis, les blockbusters se portent de mieux en mieux, alors que les films indépendants et les films étrangers ont quasiment disparu."

Mais, heureusement, il y a toujours un appétit pour le cinéma d'ailleurs. Les 12000 (et plus) de professionnels venus du monde entier, inscrits au Marché international du film, leader mondial qui fête ses 60 ans cette année, ne s'installent pas une semaine sur la Croisette pour bronzer. Dès la mi-avril, les agents, vendeurs et producteurs préparent leurs annonces. Cannes reste un gage de curiosité et d'éclectisme qui peut satisfaire tout le monde. Ni le marché de Berlin, ni celui de Sundance n'arrivent à son niveau. Une preuve supplémentaire.

[Dossier] Cannes, centre du monde cinématographique ? — Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde de Malavida Films

Si les films de Netflix n'ont pas accès aux sélections cannoises (les exploitants français s'attachant à la chronologie des médias, la diffusion en salle et finalement à l'exception culturelle française), les acheteurs de Netflix seront bien présents pour opérer une razzia sur certains films présentés au Palais des festivals, à la Quinzaine ou à la Semaine.

Non, le seul problème c'est bien ce ressenti que les films cannois ne sont pas populaires. Ils gagnent des prix dans leurs pays par la suite, vont parfois aux Oscars (mais ce n'est pas le bon critère pour juger d'un Festival). Mais séduisent-ils le public? On affirme que oui. Le Grand bain a été un succès. On oublie que E.T. a été un film de clôture. On oublie surtout qu'il y a un effet Palme d'or. Outre les gros hits (Apocalypse Now, Un homme et une femme, la dolce vita, Pulp Fiction, ...), combien de films auraient obtenu leur score final sans une Palme? Impossible d'imaginer que La vie d'Adèle ou Entre les murs dépassent le million de spectateurs (et soient si bien exportés), que La leçon de Piano soit au-dessus des 2 millions d'entrées, qu'un film thaïlandais comme Oncle Boonmee intrigue 130000 Français, qu'Une affaire de famille ou Amour finissent aux alentours de 800000 tickets vendus. Jamais ces films n'auraient eu de tels scores sans la Palme. Et allons même sans Palme, Mummy ou 120 battements par minute n'auraient jamais pu élargir leur public comme ils l'ont fait.

Alors, oui, il n'y a pas que Cannes. le cinéma tourne autour de quelques rendez-vous majeurs - Sundance, Cannes, le trio de la rentrée Telluride-Venise-Toronto, - et quelques marchés - Berlin, Cannes, Toronto, Busan, l'AFI de Los Angeles. Mais en étant situé au printemps, la montée des marches donne le coup de sifflet à l'année du cinéma "art et essai" (mais pas seulement, puisque les studios s'en servent aussi pour le lancement de grosses productions).

Il ne s'agit pas de concurrencer Marvel ou la soft power asiatique. Il ne s'agit pas de refléter tout le cinéma romanesque et populaire indien, turc ou nigérien. Le Festival a une autre mission. Cannes devient une forteresse, pour le moment, chargée de protéger un cinéma hétérogène réalisé par des artistes qui croient encore qu'on peut raconter des histoires autrement: ni binaires, ni formatées, ni infantilisantes.

En cela, dans ce domaine, le Festival de Cannes reste incontournable, essentiel et même vital.

Berlinale 2019: Synonymes et Grâce à Dieu grands vainqueurs du palmarès

Posté par vincy, le 16 février 2019

Alors que le Festival se termine avec des températures printanières et un grand ciel bleu, la soirée de la remise des prix de la 69e Berlinale a commencé avec une ombre, la mort de l'acteur suisse Bruno Ganz. Une ovation debout a salué celui qui fut l'un des plus grands comédiens de théâtre et de cinéma germanophones. Et puisqu'on était dans les adieux, ça a aussi été l'occasion de voir un film hommage et un prix honorifique pour le directeur Dieter Kosslick, qui cède les rênes de la Berlinale après 18 ans de service.

Les prix des autres palmarès de la 69e Berlinale
Le bilan de la compétition

Il y a eu un consensus entre le jury et le public puisque la coproduction franco-soudanaise Talking about trees, prix du public Panorama plus tôt dans la journée, a été couronné par le jury, toutes sélections confondues du Prix du meilleur documentaire.

Mais on note surtout que le cinéma allemand s'en sort bien cette année avec l'Ours d'or du court métrage et le Prix du meilleur premier film (toutes sélections confondues). Mais aussi l'Ours d'argent de la réalisation pour Angela Schenalec et le prestigieux Prix Alfred Bauer (pour des films qui ouvrent des perspectives) décerné à une autre réalisatrice: Nora Fingscheidt.

Le jury de Juliette Binoche avait à remettre 6 autres prix pour les 14 films restants. Tout résidait plus dans la hiérarchie des prix que dans le choix des films primés. Le film de Wang Xiaoshuai a récolté les deux prix d'interprétation, s'offrant ainsi une belle victoire sans être dans le haut du tableau. Mais on soulignera avant tout que c'est le cinéma français le grand vainqueur de cette Berlinale, avec l'Ours d'or et le Grand prix du jury distinguant le film le plus parisien de Nadav Lapid et le film de François Ozon, deux films engagés. Déjà primé à Berlin pour 8 femmes (un prix d'ensemble pour ses actrices), il reçoit là le plus important prix de sa carrière alors que l'on saura lundi si son film sortira en salles mercredi.

Que Synonymes soit sacré par un Ours d'or, alors qu'il s'agit d'un film audacieux, aussi burlesque que tragique, drôle que dramatique. C'est aussi la première fois qu'un cinéaste israélien remporte la récompense. Et par le même coup, on souligne que le jury a oublié Dieu existe, son nom est Petrunya, l'un des favoris. Il faut croire que le jury a été sensible au discours de Nadav Lapid: ouvrez les frontières!

Tout le palmarès

Ours d'or: Synonymes de Nadav Lapid
Grand prix du jury: Grâce à Dieu de François Ozon
Prix Alfred Bauer: Systemsprenger (System Crasher) de Nora Fingscheidt

Interprétation féminine: Yong Mei dans Di jui tian chang (So Long, My Son) de Wang Xiaoshuai
Interprétation masculine: Wang Jingchun dans Di jui tian chang (So Long, My Son) de Wang Xiaoshuai

Mise en scène: Angela Schanelec pour Ich war zuhause, aber (I Was at Home, But)
Scénario: Maurizio Barucci, Claudio Giovannesi & Roberto Saviano pour La paranza dei bambini (Piranhas)
Contribution artistique: Rasmus Videbæk pour l'image de Out Stealing Horses réalisé par Hans Petter Moland.

Ours d'or du court métrage: Umbra de Florian Fischer et Johannes Krell, Allemagne
Prix du jury du court métrage: Blue Boy de Manuel Abramovich, Argentine
Prix du court métrage Audi: Rise de Barbara Wagner et Benjamin De Burca, Brésil

Meilleur premier film: Oray de Mehmet Akif Büyükatalay, Allemagne (Perspektive Deutsches Kino)

Meilleur documentaire: Talking About Tree de Suhaib Gasmelbari, Soudan (Panorama)

Berlinale 2019: « Synonymes » et « Petrunya » parmi les palmarès indépendants

Posté par vincy, le 16 février 2019

Seuls trois films de la compétition ont reçu quelques lauriers depuis hiers lors des diverses remises de prix à la 69e Berlinale: Synonymes, couronné par la critique, Dieu existe, son nom est Petrunya, sacré par deux jurys et System crasher distingué par un jury. Pour le reste les trois films de la section Panorama plébiscités par le public ont été récompensés par ailleurs: 37 Seconds de Hikari, Savovi (Stitches) de Miroslav Terzic et Buoyancy de Rodd Rathjen.

Panorama
Prix du public fiction: 37 Seconds de Hikari, Japon
2e place: Savovi (Stitches) de Miroslav Terzic, Serbie
3e place: Buoyancy de Rodd Rathjen, Australie
Prix du public documentaire: Talking About Trees de Suhaib Gasmelbari, Soudan
2e place: Midnight Traveler de Hassan Fazili, USA
3e place: Shooting the Mafia de Kim Longinotto, Irlande

Generation Kplus
Crystal Bear: Une colonie de Geneviève Dulude-De Celles, Canada
Mention spécialeDaniel fait face (Daniel) de Marine Atlan, France
Grand Prix du jury: Di yi ci de li bie (A First Farewell) de Wang Lina, Chine
Mention spéciale: Mijn bijzonder rare week met Tess (My Extraordinary Summer with Tess) de Steven Wouterlood, Pays-Bas

Generation 14plus
Crystal Bear: Hölmö nuori sydän (Stupid Young Heart) de Selma Vilhunen, Finlande
Mention spéciale: We Are Little Zombies de Makoto Nagahisa, Japon
Grand Prix du jury: Beol-sae (House of Hummingbird) de Kim Bo-ra, Corée du sud
Mention spéciale: Bulbul Can Sing de Rima Das, Inde

Perperktive
Meilleur film: Born in Evin de Maryam Zaree

Fipresci (critique internationale)
Compétition: Synonymes de Nadav Lapid, Israël-France
Panorama: Dafne de Federico Bondi, Italie
Forum: Die Kinder der Toten de Kelly Copper et Pavol Liska, Autriche

Jury œcuménique
Meilleur film compétition: Dieu existe, son nom est Petrunya de Teona Strugar Mitevska, Macédoine
Meilleur film Panorama: Buoyancy de Rodd Rathjen, Australie, et Midnight Traveler, de Hassan Fazili, Afghanistan
Meilleur film forum: Erde Earth de Nikolaus Geyrhalter, Autriche

CICAE
Panorama: 37 Seconds de Hikari, Japon
Forum: Nos défaites de Jean-Gabriel Périot, France

Label Europa Cinémas
Savovi (Stitches) de Miroslav Terzic, Serbie (panorama)

Amnesty
Espero tua (re)volta (Your Turn) de Eliza Capai, Brésil (generation)

Gilde Filmpreis
Dieu existe, son nom est Petrunya de Teona Strugar Mitevska, Macédoine (compétition)

Prix des lecteurs du Berliner Morgenpost
Systemsprenger (System Crasher) de Nora Fingscheidt, Allemagne (compétition)

Prix des lecteurs du Tagesspiele
Monstri de Marius Olteanu, Roumanie (forum)

Teddy Awards
Meilleur film: Breve historia del planeta verde (Brief Story from the Green Planet) de Santiago Loza
Meilleur documentaire: Lemebel de Joanna Reposi Garibaldi
Prix du jury: A Dog Barking at the Moon de Xiang Zi
Prix des lecteurs de Queer.deBreve historia del planeta verde (Brief Story from the Green Planet) de Santiago Loza
Prix spécial: Falk Richter

Berlinale 2019 : une compétition en petite forme

Posté par MpM, le 16 février 2019


Avec sa dernière sélection, Dieter Kosslick ne laissera pas un souvenir impérissable. On le remarque d’année en année, le compétition berlinoise est inégale, souvent décevante, quand ce n’est pas faible, et c’est dans les sections parallèles que l’on fait le plus couramment de belles découvertes, à défaut de retrouver les grands films des mois à venir.

Mais le directeur de Berlin depuis 2001 n’est pas seul à blâmer dans la demi-teinte de sa compétition 2019. Car où sont-ils, ces grands films ? On le répète souvent, même avec la meilleure volonté du monde, aucun sélectionneur ne peut inventer des films qui n’existent pas. Il ne peut pas non plus forcer les réalisateurs de premier plan à venir chez lui quand le si couru Festival de Cannes a lieu à peine trois mois plus tard. D’autant qu’il se murmure sur la Potzdamer Platz que Thierry Frémaux a déjà réservé beaucoup de films pour son édition 2019, parmi lesquels on imagine d’incontournables pointures.

Et puis Kosslick n’a pas eu de chance avec le retrait soudain de l’un des films les plus attendus de cette 69e édition, signés par l’un des rares grands noms de la compétition, One second de Zhang Yimou, officiellement pour des « raisons techniques », et officieusement pour cause de censure pure et simple. De quoi Pékin a-t-il menacé Berlin ? Toujours est-il que le film a été retiré de la sélection trois jours avant sa présentation à la presse. Ceux qui ont la chance de l’avoir vu assurent que le film est excellent, évidemment éminemment politique (il aborde la période de la R"volution culturelle) mais aussi pensé comme une déclaration d’amour au cinéma. On espère réussir à le voir très vite sur les écrans français, et on se prend à rêver d’un coup de force de Cannes, habitué à montrer les films « interdits ». L’ironie de l’histoire est que la Berlinale avait réussi à présenter il y a deux ans Have a Nice day de Liu Jian, alors que le festival d’Annecy avait dû le retirer de sa compétition après que la production du film ait été soumise à de fortes pressions officielles. On ne peut pas gagner à tous les coups, mais l'incident berlinois ne présage rien de bon pour le cinéma chinois dans les mois à venir.

Films à thèmes

Néanmoins, plutôt que d’épiloguer sur les absents, penchons-nous sur ce que l’on a vraiment vu durant cette 69e Berlinale, à savoir seize films venus principalement d'Europe et d'Asie. La compétition 2019 avait quelque chose d’uniforme (pas d’animation, aucun documentaire) et de presque caricatural par rapport à la réputation « politique » de Berlin, dans la mesure où de nombreux films étaient clairement « à thèmes », de la pédophilie dans l’Eglise (Grâce à Dieu de François Ozon) à la famine volontairement provoquée par Staline en Ukraine au milieu des années 30 (Mr Jones d'Agnieszka Hollad), en passant par l’enfance sacrifiée (Systemsprenger de Nora Fingscheidt) ou la mafia (La paranza dei bambini de Claudio Giovannesi).

On a aussi droit à plusieurs de ces fresques historiques dont la Berlinale est également friande, à nouveau Mr Jones (qui s'intéresse à un épisode marquant de la vie du journaliste Gareth Jones) ou So long, my son de Wang Xiaoshuai (la vie de plusieurs couples d'ouvriers chinois sur une trentaine d'années), et à des portraits plus intimes, mais à la volonté d'édification tout aussi élevée, tels que Out stealing horses de Hans Petter Moland (un vieil homme se souvient d'un épisode marquant de son adolescence), The golden glove de Fatih Akin (l'histoire vraie d'un serial killer sordide dans un quartier ultra-populaire de Hambourg), Elisa y Marcela d'Isabelle Coixet (l'histoire vraie d'un couple lesbien dans l'Espagne du début du XXe siècle) ou encore A tale of three sisters d'Emin Alper (portrait d'une famille réunie dans un petit village isolé de montagne, sur fond de mépris de classe).

Ce qui est frappant avec ces films, c'est qu'ils ont en commun une approche classique, parfois même académique pour les moins inspirés, et se rattachent à un "genre" bien défini, immédiatement identifiable, on dirait presque : sans surprise. Et s'ils sont souvent ancrés dans un contexte économique ou politique spécifiques, on a l'impression qu'ils évitent les problématiques ultra-contemporaines (montée des extrêmes, dérives totalitaires, tragédie des réfugiés, urgence climatique...) pour se cantonner prudemment à des thèmes plus généraux, quasi atemporels.

Cela ne remet aucunement en cause leurs qualités (notamment pour les sensibles So long, my son et A tale of three sisters), mais cela renforce l'impression d'une compétition en demi-teinte, aux films parfois un peu interchangeables avec ceux des années précédentes. Et puis certains sont tout de même très faibles, trop faibles pour une compétition de cette envergure. On pense à l’anecdotique Out stealing horses, au maladroit Systemsprenger, au complaisant The golden golve, au bancal The feet on the ground de Marie Kreutzer, et surtout à l’insupportable Elisa y Marcela, qui gâche un sujet en or avec des effets de caméra ridicules et des scènes d’amour totalement kitschs.

Cinq films à retenir

Heureusement, cinq films se distinguent nettement du lot, justement par leur singularité et leur approche cinématographique. Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensons du très beau Öndög de Wang Quan'an, qui mêle le conte et l'humour, au service d’une histoire d’amour et de vie, ainsi que de Répertoire des villes disparues de Denis Côté, qui est le seul film en compétition à aborder frontalement la question des réfugiés et le risque du repli sur soi, et à le faire non seulement avec finesse, mais aussi avec humour. Il s'agit très clairement des deux longs métrages les plus excitants de cette course à l'Ours d'or (on les voit haut placés dans le palmarès, avec un grand prix à la clef), avec la merveilleuse comédie grinçante Dieu existe, son nom est Petrunya de Teona Strugar Mitevska, qui propose un portrait au vitriol de la société macédonienne misogyne et craintivement inféodée à l'Eglise.

On ne résiste pas au plaisir de vous en dire plus sur le film, dont l’héroïne Petrunyia est une jeune trentenaire diplômée en histoire qui ne parvient pas à trouver un emploi. On comprend à demi mot qu’en Macédoine, c’est une matière assez superflue, surtout lorsqu’elle n’est pas employée à chanter les louanges du pays (on pense alors au court métrage Bigger Than Life d’Adnan Softic dont nous vous parlions lors du festival de Winterthur).

Après quelques scènes d’exposition piquantes, qui mettent en valeur le nihilisme résigné du personnage, Petrunyia assiste par hasard à une cérémonie religieuse au cours de laquelle une croix sacrée est jetée dans le fleuve (glacé) afin que le plus téméraire plonge pour la ramener. Sur une impulsion, la jeune femme saute à l’eau et remporte la croix. Problème : la tradition veut que seuls les hommes puissent participer à la cérémonie. S’ensuit alors un imbroglio absurde et franchement comique durant lequel la police tente de récupérer l’objet sacré, sans avoir de raison légale de le faire puisqu’elle ne l’a pas volé, tandis qu’un groupe de fanatiques religieux assiège le commissariat pour faire payer à Petrunya son impudence. C’est évidemment à la société macédonienne patriarcale que s’attaque Teona Strugar Mitevska, de même qu’au poids toujours prégnant de l’Eglise dans les affaires politiques ou judiciaires (on notera que l’Eglise en tant qu’institution est bien présente dans cette Berlinale, protégeant les prêtres pédophiles dans Grâce à Dieu, et s’insurgeant de l’histoire d’amour entre Elisa et Marcela). Avec ses dialogues incisifs, son personnage haut en couleurs, et son propos profond sur le pays, Dieux existe, son nom est Petrunya a presque une place assurée au palmarès (ne serait-ce qu’avec un prix d’interprétation), malgré ses problèmes de rythme, et son incapacité, par moments, à aller assez loin dans la satire.

Autre film qui surprend, voire déroute, le survitaminé Synonymes de Nadav Lapid, qui met en scène un jeune homme ayant fui Israël, et souhaitant tout rejeter (jusqu’à la langue) de son pays natal. Il s’agit d’une charge violente contre l’état d’Israel, pour lequel le personnage principal trouve une succession de qualificatifs allant d’odieux à fétide. Elliptique, absurde, drôle et cruel, le film part dans plusieurs directions à la fois, en abandonne en cours de route, digresse, n’allant jamais là où on l’attend. C’est évidemment du cinéma exigeant, peu confortable ou pas très flatteur pour le spectateur, auquel il donne parfois l’impression de passer à côté d’une partie de l’intrigue. Mais on ne peut en même temps déplorer l’aspect uniforme d’une partie de la compétition, et ne pas être sensible à cette expérience cinématographique qui propose quelques scènes fulgurantes, et des dialogues extrêmement brillants que ne peuvent gâcher les moments de creux ou les lourdeurs. Ce serait justice de voir le film au palmarès, même si on ne l’imagine pas sur la plus haute marche du podium (mais au petit jeu des pronostics, on se trompe presque tous les ans).

Déformation de la narration

Enfin, I was at home but... d’Angela Schaenelec tranche lui aussi avec le reste de la sélection. Très formel, il affirme presque agressivement son rejet d’une narration conventionnelle, ce qui l’amène souvent à être une caricature du genre de films qu’il tente d’être. Il ne se donne donc pas la peine de raconter quoi que ce soit, et juxtapose des scènes qui sont autant de moments de creux, ou de parenthèses. Parfois, on croit saisir un embryon d’intrigue (d’où revient ce garçon particulièrement sale ? Qui est ce couple qui se dispute à la fin du film ?), et puis on s’aperçoit qu’il n’en est rien. L’intrigue se joue hors champ, et il ne nous est permis que d’en observer des échos déformés et incompréhensibles. Dommage que la réalisatrice soit si appliquée à laisser le spectateur le plus loin possible du film, et s’évertue à aligner des plans poseurs qui sentent l’exercice de style un peu vain. Sans ces affèteries agaçantes, ce sentiment que le film se croit plus intelligent que nous, on aurait pu apprécier cette déformation de la narration, cette alternance de creux et de non-dits avec des extraits de Shakespeare, cette volonté de déconstruire le film lui-même pour parler de la déconstruction d’une famille et de la perte de repères d’une femme. Cette recherche-là mérite d’être soulignée, et pourquoi pas récompensée par un prix plus modeste, comme celui du jury, ou le tarte à la crème prix Alfred Bauer pour l’innovation, qui va rarement à un film réellement innovant, et pour cause.

Mais une fois évoqués ces 5 films qui sortent véritablement du lot, il faut rappeler qu’évidemment le classicisme n’empêche en rien une récompense, et encore moins la qualité. C’est pourquoi on peut aussi imaginer Grâce à Dieu de François Ozon au palmarès (un prix collectif pour le casting masculin ? Un prix de scénario ?), de même que So long, my son (qui brille lui aussi par son casting, son écriture et sa mise en scène) ou encore A tale of three sisters qui malgré ses tendances au didactisme et à la surenchère, évoque efficacement les rapports de classe en Turquie. Lui aussi bénéficie d’un joli casting, et d’une mise en scène tout en retenue. Et puis il mérite également d’être distingué ne serait-ce que pour la longue conversation durant laquelle deux sœurs parlent de sexualité, suivie par la séquence où celle qui est mariée se jette littéralement sur son mari. On ne voit pas ça tous les jours au cinéma, et encore moins dans un film turc.

Les femmes toujours au centre

On l’aura d'ailleurs compris, les femmes brillaient une nouvelle fois par leur propension à dynamiter les clichés sur l’éternel féminin dans cette compétition berlinoise. Rappelons que l’héroïne d’Öndög prend elle aussi les choses en mains quand il s’agit de sexualité, mais aussi de protection ou de défense (c’est symboliquement elle qui est armée dans la steppe), ou encore qu’Elisa y Marcela raconte le destin incroyable de deux jeunes espagnoles ayant tout sacrifié à leur passion amoureuse.

Ce sont également des femmes qui sont au centre de I was at home, but..., The Kindness of strangers de Lone Scherfig, et The feet on the ground, et une petite fille d’une dizaine d’années dans Systemsprenger. Elles jouent à part égale avec les hommes dans Repertoire des villes disparues, et sont en revanche plus anecdotiques dans des films comme Synonymes, Mr Jones, Out stealing Horses...

Leur sort est enfin moins enviable dans The golden golve de Fatih Akin, puisqu’elles sont les victimes systématiques d’un tueur misogyne et tortueux qui les frappe, les viole et les démembre quasiment dans l’indifférence générale. Il faut bien reconnaître que c’est le seul film de la sélection à aller sur ce terrain, au départ avec une forme d’humour satirique, et de plus en plus complaisamment au fil des meurtres. Le pire est que le comédien du film, Jonas Dassler, pourrait lui parfaitement repartir avec un prix d’interprétation (le rôle semble avoir été écrit pour ça, et c'est vrai qu'il est méconnaissable). Il a tout de même un peu de concurrence dans les films déjà cités, ainsi que dans La paranza dei bambini, dans lequel le comédien principal, Francesco Di Napoli, a un charisme impressionnant.

Une vision d’ensemble des 16 films donne ainsi le sentiment d’un échantillon représentatif d’être humains en quête de quelque chose de concret pour donner de la valeur et du prix à leur vie. Dans un monde où la religion n’est plus un secours (voire une menace), où l’état est inexistant ou au contraire intrusif, et où les idéologies ont prouvé leur inanité, les personnages se tournent vers l’engagement militant (Grâce à Dieu), l’amour (Alicia et Marcela), l’argent (La paranza dei bambini), la famille (So long, my son), la réussite professionnelle à tout prix (The Feet on the ground) ou encore l’espoir que quelque chose arrive enfin (Petrunya). En cela, au-delà des pays et des époques, ils nous sont tous terriblement contemporains.

Berlinale 2019: le divin, l’idole et la grâce

Posté par vincy, le 15 février 2019

La religion s’invite plusieurs fois dans cette 69e Berlinale. Le XXIe siècle est décidément spirituel. François Ozon a dressé le portrait d’une communauté de gens victimes d’une église toute puissante dans Grâce à Dieu. Isabel Coixtet a dénoncé l’obscurantisme de l’église catholique espagnole dans Elisa y Marcela. Teona Strugar Mitevska opte plutôt pour le sexisme de cette patriarcale église dans Dieu existe, son nom est Petrunya. On pourrait aussi évoquer la religion comme substitut aux parents absent dans L’adieu à la nuit d’André Téchiné.

Dans les derniers jours du festival, trois films ont parlé de Dieu à leur manière. Avec une foi débordante dans Divino Amor. Avec une croyance relative dans Woo Sang. Avec une ferveur communicative dans Amazing Grace.

Ce qu'on attend de Dieu. Le film brésilien de Gabriel Mascaro, sélectionné en Panorama, Divino Amor, est un conte futuriste (tout se passe en 2027) autour d'une femme qui aime son travail de bureaucrate, son mari et Dieu, mais souffre de ne pas avoir d'enfants. Le film qu'on aurait pu espérer un peu critique ou tout du moins distant avec la religion en devient finalement un porte-étendard. Mascaro s'avère bien plus ironique avec le monde marchand (tout s'échange) et orwellien (tout est su). Le divin ici est convoqué pour tout: ne pas divorcer comme vouloir un bébé, baiser (y compris avec d'autres partenaires, en toute bienveillance) comme danser (dans d'immenses "party" dédiées à Jésus). Il sauve les couples. Hélas le Mascaro devient une mascarade. Là où l'on voyait une forme de satire, ce n'était que du prosélytisme, à l'image de son héroïne qui se sert de son boulot de notaire gouvernementale pour prêcher la morale biblique aux citoyens. On peut toujours croire qu'elle porte sincèrement cet amour divin en elle. Mais le réalisateur force le spectateur à y croire, ce qui change totalement le point de vue, et l'intention.

Ce que Dieu nous inflige. Passons de la foi absolue à la croyance, disons pragmatique. Toujours en Panorama, le sud coréen Lee Su-jin propose un polar palpitant et néanmoins classique, Woo sang (Idol). On y suit un père de famille aux ambitions politiques bien affirmées, en route pour le poste de Gouverneur. Malheureusement, son fils a tué quelqu'un sur la route. De là commence une enquête aux multiples ramifications, ponctuée de quelques rebondissements (et autant de fausses pistes). Tout le monde a sa part de pourriture et de moisissure en lui. Certains ont juste quelques limites morales, sans doute parce qu'ils ont l'argent, le pouvoir, qu'ils n'ont pas besoin de survivre. On ne sait trop si l'idole est la statue d'un vieil amiral explosée, ce politicien verni et populaire ou les enfants bien malmenés par leurs propres crimes. Celui il croit en Jésus a plus de scrupules que les autres quand il s'agit de franchir la ligne jaune ou de traverser hors des clous. Mais au final, il a beau aller à la messe, il cache sa bible quand il faut kidnapper ou tuer, sans doute persuadé d'être dans son droit. Le sang coule beaucoup, et il n'est pas christique.

Dieu est une femme noire. Finissons avec Aretha Franklin, star d'Amazing Grace. La Reine est morte l'été dernier et la Berlinale a choisi ce film d'Alan Elliott et de Sydney Pollack hors compétition. Il aura fallu 46 ans pour voir ce concert de gospel au New Temple Missionary Baptist Church de Los Angeles. Des complications techniques ont empêché le film d'aboutir alors que le disque enregistré a été un énorme succès aux Etats-Unis. Si voir un concert (enfin deux ici) au cinéma est toujours une expérience étrange, complètement passive, on peut au moins revoir avec plaisir Aretha et son génie prendre tout l'espace de cette église et partager ses saintes paroles à un public presque en transe. Assurément cette grande idole avait une étonnante grâce quand elle chantait. Nul besoin de nous faire croire à la Vierge Marie ou prier sans confesser ses hypocrisies, sa voix était divine.

Berlinale 2019 : culpabilité, résilience et idéologies au centre de So long my son de Wang Xiaoshuai

Posté par MpM, le 14 février 2019

Seizième et dernier film présenté en compétition à Berlin cette année, So long, my son de Wang Xiaoshuai est comme on pouvait s’y attendre une fresque intime et tragique qui raconte en filigrane la grande histoire de la Chine sur plusieurs décennies. On y suit trois couples liés par une profonde amitié depuis l’époque de la Révolution culturelle, et qui sont tour à tour touchés par les conséquences directes de la politique du régime ainsi que par des drames plus personnels.

Wang Xiaoshuai explore ainsi les thèmatiques liées à la culpabilité et à la résilience, tout en mettant en évidence les conséquences des décisions politiques idéologiques sur l’existence concrète des gens. Il s’attaque notamment à la politique de l’enfant unique, dont on sait qu’elle a été parfois appliquée si strictement que des avortements forcés ont été pratiqués sur des femmes presque à terme. Sans véhémence, et parfois même avec une ironie noire, lorsque les personnages principaux sont récompensés publiquement pour un avortement qui leur a été imposé, le cinéaste rappelle que cette politique est un cas assez exemplaire de contrôle extrême du corps des femmes et de la vie intime des individus. Politique dont il « oublie » pudiquement de préciser qu’elle a mécaniquement induit un déséquilibre entre la population masculine et la population féminine du pays.

Toutefois, le film ne se veut pas à charge, et s’avère surtout dépourvu de rancoeur contre les individus. Les protagonistes excusent l’enfant responsable de la mort de leur fils, car il n’est qu’un enfant. Ils pardonnent aussi à celle qui ne fait qu’appliquer la loi et suivre les règles éditées par le régime (même si obéir aux ordres n’excuse jamais l’inexcusable). C’est le système lui-même que blâme en filigrane le film, mettant au jour les fissures dans le mythe du succès économique et social chinois, et pointant les effets chaotiques sur les individus d’un pays en constante évolution forcée.

Finesse des émotions

So long, my son s’avère ainsi un portrait sensible et attachant d’une poignée d’individus qui tentent de vivre leur vie le plus sereinement possible malgré les épreuves et les obstacles qu’ils traversent. Le récit prend son temps (même si l’on ne sent pas passer les trois heures du film) et assume ses accents mélodramatiques comme la tendresse qu’il porte à ses personnages. Bien sûr, cette génération a payé au prix fort l’élévation de la Chine nouvelle. Mais le réalisateur a choisi, à travers les retrouvailles finales, de ne justement pas les sacrifier. Il leur redonne ainsi à la fois dignité et espoir, tout en leur permettant d’être autre chose que des pions dont la vie aura été vaine, au service exclusif d’un plan plus large les dépassant.

Il faut d’ailleurs souligner la manière subtile et touchante dont le cinéaste dépeint la relation qui unit le couple central Yaojun et Liyun. Cela ne passe guère par les dialogues, car le film est peu bavard, mais beaucoup par les gestes, le hors champ et la mise en scène tout en retenue. Le relatif classicisme à la fois de l’intrigue (aux rebondissements romanesques à souhait) et du style (de larges plans fixes posés et aérés et une construction complexe par flashback successifs) met d’ailleurs en valeur cette finesse des émotions et des sentiments. Cela permet à Wang Xiaoshuai de replacer l’humain au centre, et de signer un film beaucoup plus riche que ce que son statut de grande fresque historique laissait présager.