Berlin 2018 : retour sur la compétition

Posté par MpM, le 23 février 2018

Alors que le 68e festival de Berlin touche à sa fin, il est temps de dresser un premier bilan des grandes tendances de cette compétition, l'avant-dernière orchestrée par Dieter Kosslick. Depuis une grosse dizaine d’années, il y a à Berlin des constantes fortes, avec notamment une compétition ouverte à des premiers films ou des auteurs ne bénéficiant pas (encore) d’une grande reconnaissance internationale, mais aussi des œuvres singulières, clivantes ou engagées. À ce titre, le festival demeure cette année encore un festival politique et social, particulièrement ancré dans son époque.

Politique et engagement


On l’a vu notamment avec le choix du film d’ouverture, L’île aux chiens de Wes Anderson, qui en plus d’être un divertissement brillant et virtuose, aborde frontalement la question de la ségrégation et de la corruption politique. D'accord, ce sont des chiens qui sont exilés sur une île déserte et abandonnés à leur sort (en l’occurrence une extermination programmée), mais le message est malgré tout transparent, et rappelle les heures les plus sombres de l’histoire passée et contemporaine.

Dans un autre style, Dovlatov d’Alexey German Jr défend avec virulence la liberté d’expression et la nécessité de l’engagement dans l’art. Il plane sur cette vision tragique de l’URSS de la fin des années 70 l’ombre de la Russie actuelle, tenue de main de fer par Vladimir Poutine.

Autre région du monde, même procédé, puisque Lav Diaz propose quant à lui un parallèle saisissant entre les Philippines de la fin des années 70 (encore) et celles d'aujourd'hui. Le constat est d’autant plus glaçant que Season of the devil est une tragédie désespérée sur les exactions de la dictature Marcos dans laquelle tout embryon d’espoir est annihilé méthodiquement par l’absence totale d’humanité ou de compassion des oppresseurs.

Enfin, Pig de Mani Haghighi est une farce au vitriol sur la société iranienne qui met en scène un réalisateur frappé par une interdiction de tourner (sujet plutôt tabou) et menacé par un serial killer puritain qui se déguise en cochon. Il n’y a probablement pas grand chose, dans ce film outrageusement irrévérencieux, qui plaise au régime de Téhéran, ou ne le tourne pas en ridicule, du réalisateur fan de death metal au couple très libre qu’il forme avec sa femme.

Comment filmer l'horreur ?


On peut ajouter un film qui n’est pas à proprement parler politique, mais qui parle viscéralement de notre époque. Utoya 22. Juli de Erik Poppe relate en temps réel la prise d’assaut du camp des jeunes travaillistes norvégiens sur l’île d’Utoya le 22 juillet 2011. Il suit pour cela en un unique plan séquence de 72 minutes le personnage de Kaja, une jeune fille prise dans la terreur de l’attentat obsédée par la nécessité de retrouver sa jeune sœur. Le film ne montre jamais le point de vue du tireur (celui-ci n’apparaît que fugacement dans un plan, sous la forme d’une silhouette) ni les fusillades et c’est le son (détonations et cris) qui apporte la dimension anxiogène au récit.

Erik Poppe trouve la bonne distance entre une vision purement documentaire qui montrerait trop de choses, et un regard totalement épuré de violence, qui sonnerait faux. Il livre ainsi un film terrifiant, mais pas tire-larmes, qui réveille douloureusement les souvenirs des nombreux attentats ayant émaillé les dernières années. Il pose surtout  la question de comment filmer, aujourd'hui, ce genre d’histoire qui jusqu'il y a peu, appartenait principalement à l'univers du jeu vidéo (les fameux shoot them up), ou du film d’horreur. Il interroge notre regard de spectateur et montre l'irréversible contamination de la réalité par ce qui n'était que de la fiction, puis de la fiction par ce qui est devenu une réalité. Comment, dès lors, « refictionnaliser » cette réalité sans paraître obscène, maladroit ou manipulateur ? Erik Poppe s’y essaye comme il peut, et n’échappe pas à quelques clichés de mise en scène, des réflexes romanesques de metteur en scène. Mais ce faisant, il propose une oeuvre dense et forte qui livre un regard sans ambiguïté sur les événements d'Utoya.

Personnages réels


La réalité, globalement, était au cœur de nombreux films sélectionnés cette année, notamment à travers plusieurs personnages réels incarnés à l'écran : Sergueï Dovlatov, l’écrivain russe dont on a déjà parlé, mais aussi la comédienne Romy Schneider (Trois jours à Quiberon d’Emily Atef) et le cartooniste John Callahan (T'inquiète pas, il n'ira pas loin à pied de Gus van Sant). Aucun des trois n'est un biopic au sens strict du terme, mais tous racontent un moment particulier de la vie du personnage. Alexey German Jr s'intéresse à 5 jours de la vie de Dovlatov, Emily Atef à trois, et Gus van Sant propose plusieurs récits imbriqués qui racontent le parcours de Callahan entre le jour où il a eu un accident de voiture qui l'a paralysé, jusqu'au moment où il a atteint une certaine notoriété. C'est probablement le film le plus classique des trois, avec une construction en flash-backs et suffisamment de références au passé du personnage pour que l'on ait un large aperçu de son existence et de sa personnalité. Le cinéaste américain réussit un film drôle et profond, bien réalisé, qui délivre discrètement un message d'espoir et de courage.

Trois jours à Quiberon joue sur un registre plus intime, en racontant les coulisses d'une interview devenue célèbre que Romy Schneider donna en 1981 au magazine Stern. Elle s'y livre tout entière, fragile et perdue, laissant entrevoir des failles qui l'ont hantée toute sa vie. Le quatuor d'acteurs fonctionne admirablement (à commencer par l'incroyable Marie Baümer qui joue une Romy plus vraie que nature) et l'on découvre, au-delà de l'actrice, un personnage de femme écartelée entre sa passion pour son métier et son amour pour ses enfants, sévèrement jugée justement parce qu'elle est une femme assoiffée de liberté, et contrainte à une fuite en avant mortifère. Emily Atef trouve le ton juste pour réaliser un portrait sincère et sensible sans gommer les aspérités et les contradictions de son personnage.

Femmes de tête


Cela semble d'ailleurs une tradition à Berlin : tous les ans, les femmes sont sur le devant de la scène et marquent la compétition. Cette année ne fait pas exception, avec bien sûr le très beau personnage de Romy Schneider, et celui, très fort, de Kaja dans Utoya 22. Juli. On peut également parler de Las Herederas de Marcelo Martinessi, dans lequel une femme laissée seule suite à l'emprisonnement de sa compagne reprend peu à peu sa vie en main et redécouvre ses propres désirs ;  Eva de Benoit Jacquot, avec son personnage de prostituée femme fatale à la force de caractère terrible ; Figlia mia de Laura Bispuri dans lequel deux femmes se disputent l'amour d'une petite fille ; Damsel de David et Nathan Zellner, qui met en scène une jeune femme de l'Ouest américain qui mène tous les personnages masculins par le bout du nez ; Isle of dog de Wes Anderson et son étudiante dure à cuire ; Season of the devil de Lav Diaz et la jeune médecin qui se dresse face aux oppresseurs de son village...

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Berlin 2018 : Steven Soderbergh angoisse la Berlinale avec Unsane

Posté par MpM, le 21 février 2018

Steven Soderbergh est de retour à Berlin hors compétition, cinq ans après Effets secondaires, avec un nouveau thriller efficace et tendu dont la particularité est d’avoir été tourné avec un IPhone. Unsane est clairement dans l’air du temps puisqu’il suit le parcours de Sawyer Valentini (interprétée avec subtilité par Claire Foy), une jeune femme qui a dû fuir sa ville et ses amis après avoir été harcelée par un homme qui s’était épris d’elle. Toujours traumatisée, la jeune femme se rend dans une clinique privée pour une consultation psychologique, et se retrouve internée contre son gré.

Si le réalisateur américain ne révolutionne ni le cinéma, ni la série B avec cette histoire relativement classique d'une héroïne prise au piège d'un dangereux psychopathe, il propose un film à la fois anxiogène et divertissant qui ne manque pas de panache. Sa mise en scène très découpée et précise offre une grande fluidité au récit qui se déroule sans temps morts ni essoufflement. Le réalisateur est évidemment très fort pour ménager ses effets et donner le sentiment d'une machine infernale qui se referme peu à peu sur son personnage. Il lance ainsi plusieurs pistes de salut possible, avant de les refermer sèchement une à une jusqu'à placer Sawyer (Claire Foy, révélée par la série The Crown) dans une impasse mortifère dont elle est semble ne jamais pouvoir sortir.

Il est à ce titre intéressant de constater que le réalisateur lève assez rapidement l'ambiguïté sur l'existence réelle du harceleur pour se concentrer au contraire sur l'état mental de Sawyer, qui multiplie les crises de violence et les comportements déviants. Il y a chez elle une ambivalence qui persiste jusqu'à la toute fin, destinée à faire réfléchir le spectateur à la notion toute relative de "happy end". Il montre en substance les réalités de la vie d'une victime de harcèlement, à la fois lors d'un flash-back ahurissant de détails (et l'apparition réussie de Matt Damon en spécialiste de la protection) et dans la persistance des conséquences bien au-delà du danger réel.

Le film s'inscrit évidemment dans un climat social particulier, à une époque où les violences faites aux femmes et la notion de harcèlement sont clairement sur le devant de la scène, et il montre (avec la puissance mais aussi les faiblesses d'une oeuvre de fiction) ce que cela peut signifier concrètement au quotidien. Ce faisant, cela ne l'empêche pas de recourir aux codes du cinéma de genre (avec notamment une très prenante musique répétitive et des cadres inquiétants qui suggèrent la présence d'un prédateur aux aguets) et de proposer un film grand public, certes minimaliste, mais qui propose toutes les émotions fortes propres au thriller traditionnel.

Il allie ainsi une intrigue ancrée dans l'actualité à des choix formels facilement accessibles, et mêle à tout cela un regard extrêmement critique sur les dérives de la psychiatrie et sur l'exploitation éhontée des assurances maladies, thème qu'il avait déjà abordé dans Effets secondaires. Voilà sans doute pourquoi Unsane s'avère si impliquant émotionnellement. Pour le spectateur, c'est en effet comme se retrouver dans un cauchemar éveillé mêlant ses pires angoisses : être interné contre son gré, perdre le contrôle de son existence, frôler la folie et se retrouver à la merci de son pire ennemi. La recette n'est peut-être pas extraordinairement originale, mais elle porte une nouvelle fois ses fruits, et avec élégance.

Berlin 2018 : Lav Diaz est de retour avec une tragédie musicale statique et obsédante

Posté par MpM, le 20 février 2018

La durée est une donnée fondamentale du cinéma de Lav Diaz, qui nous a habitués à des films de cinq ou huit heures. Season of devil, présenté en compétition dans cette 68e Berlinale, fait donc pour lui figure de moyen métrage, puisqu’il dure « seulement » 4h. Quatre heures dont on ressent malgré tout chaque minute dans un processus à la fois épuisant (on s’ennuie beaucoup, il ne faut pas le nier) et efficace, consistant à faire physiquement ressentir au spectateur la pesanteur, l'immobilisme et l’inéluctabilité de la situation dans laquelle il se retrouve immergé.

C’est que Lav Diaz situe son intrigue à la fin des années 70, sous la dictature de Ferdinand Marcos, lorsque des milices paramilitaires sont créées, officiellement pour faire régner l’ordre, et en réalité plutôt pour tyranniser les civils. Il dépeint la vie d’un petit village tombé sous la coupe de l’une de ces milices toutes-puissantes. La dictature se manifeste ainsi par des exécutions, des viols et des actes de violence gratuite qui instaurent un climat d’angoisse permanente. Comme si cela ne suffisait pas, la milice agit aussi insidieusement sur les consciences, tentant d’imposer l'obscurantisme à travers de nouvelles croyances et surtout de nouvelles craintes fantasmatiques. Elle renforce ainsi sa main mise sur un peuple qui n’a pas les armes (au sens propre comme au figuré) pour se défendre.

Season of devil n’est donc ni romanesque, ni rythmé, et propose une progression dramatique si limitée que la situation de fin sera sensiblement la même que celle du début, à l’exception de la disparition de quelques personnages. Dès le départ, on nous avait prévenu qu’il s’agissait d’un conte : on aurait plutôt penché pour le cauchemar éveillé. La situation s’avère en effet sans issue et sans le moindre embryon d’espoir d’amélioration. La force brutale triomphe. Les faibles et les sages sont humiliés et annihilés. L’Humanité tout entière court à sa perte dans une irrépressible fuite en avant.

Le plus saisissant, peut-être, n’est pas cet hommage rendu par Lav Diaz aux victimes de la répression, mais le parallèle qu’il tisse avec notre époque, et le régime de Rodriguo Dutertre. Les références à la drogue, notamment, sont assez transparentes, puisque le président actuel a autorisé une guerre sans merci contre la drogue, autorisant les milices à tuer. On ne sait donc pas trop si le réalisateur nous plonge dans le passé, ou dans sa vision de l’avenir.

Dans les deux cas, la noirceur et le pessimisme sont de rigueur. Et ce malgré l’étonnant choix formel de Lav Diaz de remplacer tous les dialogues par des chansons. De très beaux chants qui deviennent de plus en plus lancinants au fur et à mesure que le récit avance. Chaque couplet est d’ailleurs répété deux fois, plusieurs chants reviennent à plusieurs reprises, et un terrible refrain formé de « la, la, la, la » hante tout le film comme une menace. On ne sait ce qui est le plus surprenant, voir les soldats psalmodier avec morgue des paroles parfois extrêmement poétiques, ou entendre chanter en chœur oppresseurs et oppressés.

Ce climat musical contribue quoi qu'il en soit à créer une atmosphère étrange et irréelle, à mi-chemin entre la réalité et le fantasme, le monde des vivants et celui des esprits. Comme ce dirigeant qui a littéralement deux visages, dont un toujours endormi, les choses, les situations et les gens sont doubles. Même les séquences les plus tragiques finissent par tourner à la farce, et les discours les plus guerriers à la blague, quand ils ne sont pas tout simplement incompréhensibles. Il faut d'ailleurs saluer l'audace de Lav Diaz qui ose aller vers cette ambivalence permanente (le ridicule et le tragique, le grotesque et le profond) pour traiter un sujet aussi sensible.

Le cinéaste continue ainsi de creuser son sillon singulier sans se soucier de la tyrannie du marketing ou des attentes des spectateurs. Une politique qui, jusque-là, l'a plutôt bien servi en festival. Après un Léopard d'or en 2014 pour From what is before, un lion d'or en 2016 pour La femme qui est partie, et si 2018 était l'année de l'Ours ?

160 cinéastes européens demandent une politique européenne ambitieuse pour le 7e art

Posté par vincy, le 19 février 2018

Droits d’auteur, piratage, territorialité, financement, fiscalité, diffusion : à l'occasion de l'intervention de la Commissaire européenne Mariya Gabriel au Festival de Berlin, plus de 160 cinéastes européens listent dans une tribune trilingue publiée sur le site de l'ARP (Société civile des auteurs réalisateurs-producteurs) leurs priorités à l’heure où la Commission de Bruxelles doit rendre des arbitrages sur sa politique médias.

"La culture européenne est la mise en commun de toutes les singularités, façons d’être et de voir, traditions, langues et histoires propres à chaque pays. A l’heure du Brexit et des nationalismes montants, l’Europe doit comprendre que sa force demeure dans sa capacité de dialogue entre union et identités spécifiques. C’est notre force et non pas notre faiblesse : ne pas comprendre cette dualité nous mènera à notre perte" rappelle cette tribune en préambule

"Cinéastes, nous portons le projet d’une véritable Europe de la création, guidée par l’Exception culturelle. Nous sommes convaincus que le numérique est une chance immense pour la création et la circulation des œuvres : la diversité peut ainsi être exposée dans chaque Etat-Membre, auprès de tous les spectateurs. Il n’y a pas de petit ou grand état européen de la création ; il y a une formidable richesse de regards" expliquent les signataires, parmi lesquels les frères Dardenne, Costa Gavras, Claude Lelouch, Abderrahmane Sissako, Agnès Joaui, Cédric Klapisch, Euzhan Palcy, Michel Ocelot, Bertrand Tavernier, Fatih Akin, Joachim Trier, Bela Tarr, Cristian Mungiu, Isabel Coixet, Ursula Meier, John Boorman, Ken Loach...

Ils affirment qu'"Une grande Europe de la Création est possible si nous affirmons, au cœur de l’économie numérique, la défense de droits fondamentaux, et un partage de valeurs équilibré entre tous les acteurs de la chaîne."

Droit d'auteur et piratage

Pour eux, "le projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique est une occasion unique d’assurer aux auteurs une rémunération juste, proportionnelle et inaliénable lorsque leurs films et œuvres audiovisuelles sont regardés sur des plateformes numériques. Il est temps de mettre en place un mécanisme européen qui garantisse aux auteurs une juste rémunération pour l’exploitation à la demande de leurs œuvres partout en Europe."

"Une plateforme ou un diffuseur qui tire profit de la diffusion d’une œuvre ne peut en aucun cas s’exonérer de contribuer au financement de la création. Dans le cadre de la directive sur les Services de Médias Audiovisuels (SMA), assurons-nous que chaque acteur qui diffuse des œuvres pour les spectateurs d’un Etat-Membre, par quelque mode que ce soit (plateforme, télévision payante ou en clair, hertzien ou numérique, etc.), obéisse impérativement aux règles de ce pays" exigent-ils, réaffirmant par la même occasion que "le principe du pays de destination permettra à chaque Etat-Membre de définir librement l’investissement de tous les acteurs (y compris les plateformes) dans la production d’œuvres nationales, et de conduire ainsi sa politique culturelle au service de la diversité des œuvres. Par ailleurs, le taux de 30% d’œuvres européennes dans les catalogues des plateformes numériques – inscrit dans cette révision de la directive, reste un plancher, laissant aux Etats-Membres toute la latitude de fixer un seuil plus élevé."

Signes inquiétants

"Nous défendons par ailleurs l’idée d’une Europe respectueuse du principe de territorialité, qui refuse qu’une œuvre soit diffusée sur des territoires pour lesquels les droits n’ont pas été acquis. Dans le cadre du règlement Câble-Satellite, garantissons aux créateurs, et aux cinématographies les plus fragiles, les moyens nécessaires au financement de leurs œuvres et combattons toute stratégie de contournement" attendent les producteurs, cinéastes et comédiens auteurs de ce texte.

Ils rappellent, en matière de financement que le programme de financement européen Media "est déjà un des plus petits programmes financés par la Commission européenne et le seul consacré à notre secteur" et "pourraient être encore réduits". "Conscients de son soutien déterminant, tant pour les films que pour les publics qui les découvrent, renforçons et pérennisons ce programme emblématique de l’attachement européen au cinéma" demandent-ils.

Dans le même temps, ils remarquent que les GAFAN (Google, Amazon, Facebook, Apple, Netflix) et certains acteurs globaux accentuent "la concurrence déloyale entre acteurs vertueux et non vertueux". Ils réclament que "L’Europe, si elle veut garder une place majeure dans l’avenir, se doit d’inventer des lois adaptées au monde numérique d’aujourd’hui, afin d’imposer des règles équitables : dans le cas contraire, cela reviendrait à créer, au sein même de l’Union, des « paradis anti-culturels », chevaux de Troie d’une culture dominante."

La quadrature du cercle de la diffusion

Enfin, pour que "Le cinéma, dans toute sa diversité, (irriguent) l’ensemble des territoires", ils proposent d'inventer "un outil européen de référencement des œuvres" qui "encouragerait la circulation des films dans les Etats-Membres où ils seraient encore indisponibles plusieurs années après la sortie initiale." "Travaillons avec les plateformes. Encourageons-les à éditorialiser le cinéma européen et à le valoriser auprès des millions de spectateurs des Etats-Membres. Sur ces services, lors des transpositions en lois nationales, soyons ambitieux et allons, pays par pays, au-delà du plancher de 30% d’œuvres européennes bientôt imposé par la réglementation européenne".

Ils souhaiteraient aussi la création d'un "Festival des cinéastes européens présentant les œuvres primées de chaque pays, et voyageant d’une capitale européenne à l’autre, faisons la promotion de nos plus belles créations. Invitons le public à plébisciter la diversité européenne."

Cette mobilisation n'est pas nouvelle. Régulièrement, à Berlin, Cannes (la dernière date de mai dernier, avec une grande partie de signataires en commun et de nombreuses revendications similaires), ou Venise, les professionnels lancent des appels, des pistes de réflexions, des tribunes pour faire pression sur une Europe relativement absente sur le plan des idées et souvent soumises à des acteurs transnationaux. Le programme Europe Créative ne pèse que 1,46 milliard d'euros pour la période 2014-2020. Rappelons que Netflix va investir 8 milliards de dollars cette année pour la création de contenus originaux.

Austria / Autriche

Barbara Albert

Belgium / Belgique

Dominique Abel, Lucas Belvaux, Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne, Fiona Gordon, Frédéric Sojcher, Felix Van Groeningen

Bulgaria / Bulgarie

Vera Chandelle, Kristina Grozeva, Tonislav Hristov, Kamen Kalev, Vesela Kazakova, Veselka Kiryakova, Stefan Komandarev, Dimitar Kotsev-Shosho, Milko Lazarov, Tsvetodar Markov, Ilian Metev, Mina Mileva, Elitsa Petkova, Ralitsa Petrova, Mila Turajlic, Vania Rainova, Mira Staleva, Petar Valchanov, Pavel Vesnakov, Maya Vitkova-Kosev, Rositsa Vulkanova

Croatia / Croatie

Hrvoje Hribar, Danilo Šerbedžija

Cyprus / Chypre

Tonia Mishiali

Denmark / Danemark

Ole Christian Madsen, Annette K. Olesen, Christina Rosendahl, Birgitte Stærmose

Finland / Finlande

Saara Saarela

France

Jean Achache, Jérémy Banster, Patricia Bardon, Luc Béraud, Charles Berling, Julie Bertuccelli, Gérard Bitton, Sophie Blondy, Bertrand Bonello, Patrick Braoudé, Catherine Breillat, Dominique Cabrera, Christian Carion, Jean-Michel Carré, Olivier Casas, Elie Chouraqui, Etienne Comar, Catherine Corsini, Dominique Crèvecoeur, Audrey Dana, Edouard Deluc, Claire Denis, Dante Desarthe, Léon Desclozeaux, Jérôme Diamant-Berger, Evelyne Dress, Jacques Fansten, Joël Farges, Frédéric Fonteyne, Philippe Garrel, Costa Gavras, Jacques-Rémy Girerd, Eugène Green, Robert Guédiguian, Agnès Jaoui, Thomas Jenkoe, Lou Jeunet, Arthur Joffé, Pierre Jolivet, Cédric Klapisch, Gérard Krawczyk, Jeanne Labrune, Eric Lartigau, Michel Leclerc, Philippe Le Guay, Claude Lelouch, Jean Marboeuf, Nathalie Marchak, Tonie Marshall, Radu Mihaileanu, Jonathan Millet, Steve Moreau, Philippe Muyl, Olivier Nakache, Michel Ocelot, Euzhan Palcy, Martin Provost, Raphaël Rebibo, Christophe Ruggia, Céline Sallette, Jean-Paul Salomé, Tessa-Louise Salomé, Pierre Salvadori, Manuel Sanchez, Jean-Pierre Sauné, Pierre Schoeller, Arnaud Sélignac, Joël Séria, Charlotte Silvera, Abderrahmane Sissako, Bertrand Tavernier, Cécile Telerman, Danièle Thompson, Eric Tolédano, Arnaud Viard

Germany / Allemagne

Fatih Akin, Emily Atef, Reza Bahar, Peter Carpentier, Nicole Gerhard, Jochen Greve, Brita Knöller, Fabian Massah, Hans-Christian Schmid, Tobias Siebert

Greece / Grèce

Elina Psykou

Hungary / Hongrie

Bela Tarr

Iceland / Islande

Benedikt Erlingsson, Fridrik Thor Fridriksson

Italy / Italie

Giovanni Amelio, Francesca Archibugi, Marco Bellocchio, Cristina Comencini , Emanuele Crialese, Matteo Garrone, Fabio Grassadonia, Luca Guadagnino, Daniele Luchetti, Francesca Marciano, Mario Martone, Ivano de Matteo, Sandro Petraglia, Antonio Piazza, Giuseppe Piccioni, Marco Risi, Gabriele Salvatores, Valia Santella, Stefano Sardo, Andrea Segre, Alberto Simone, Silvio Soldini, Massimo Spano, Marco Tullio Giordana, Carlo Verdone, Daniele Vicari

Latvia / Lettonie

Ieva Romanova

Lithuania / Lituanie

Arunas Matelis

Netherlands / Pays-Bas

Martijn Winkler

Norway / Norvège

Sverre Pedersen, Joachim Trier

Poland / Pologne

Karolina Bielawska, Jacek Bromski, Agnieszka Holland, Malgorzata Szumowska

Romania / Roumanie

Catalin Mitulescu, Cristian Mungiu, Corneliu Porumboiu

Slovenia / Slovénie

Klemen Dvornik

Spain / Espagne

Juan Antonio Bayona, Pablo Berger, Isabel Coixet, José-Luis Cuerda, José Luís García Sánchez, Manuel Gutierrez Aragón, Javier Rebollo, Emilio Ruiz Barrachina, David Trueba, Fernando Trueba, Felipe Vega

Sweden / Suède

Elisabet Gustafsson, Christina Olofson

Switzerland / Suisse

Ursula Meier

United-Kingdom / Royaume-Uni

John Boorman, Simon Brook, Dan Clifton, Stephen Frears, Ken Loach, Rebecca O’Brien, Sir Alan Parker, Paul Powell, Charles Sturridge, Carole Tongue, Susanna White

Berlin 2018 : le cinéma français discret mais bien présent

Posté par MpM, le 18 février 2018

Nous relevions dernièrement la faible place accordée au cinéma français à Berlin cette année. Et c’est vrai que les deux seuls  films sélectionnés en compétition, Eva de Benoît Jacquot (remake du film du même nom de Joseph Losey et adapté de James Hadley Chase) et La prière de Cédric Kahn, semblent les représentants du versant le plus académique de notre cinématographie nationale. Ici, peu de recherche formelle, des intrigues relativement classiques (un thriller, un récit initiatique), et surtout des films qui auraient tout aussi bien pu être tournés il y a dix ou vingt ans. Même le choix des cinéastes dénote un certain manque de curiosité à l’égard d’un cinéma français plus contemporain, plus novateur, ou en tout cas d’une absence de risque de la part d’un festival qui a pourtant l’habitude d’en prendre.

Mais peut-être est-ce cette vision du cinéma français que l’on a à l’international, entre classicisme et héritage du passé, et qu'il est plus facile de donner aux spectateurs ce qu'ils attendent que de forcer leur curiosité. Le cahier des charges est d'ailleurs plutôt rempli par les deux films en compétition, chacun à sa manière.

Eva de Benoît Jacquot (un habitué de la Potsdamer Platz, venu en compétition en 2012 pour Les adieux à la reine, et en 2015 pour Le journal d'une femme de chambre) est un thriller figé et scolaire qui ne parvient jamais à nous faire croire à ce qu’il raconte. C’est dû, peut-être, à la présence carnassière d’Isabelle Huppert, dont il nous est impossible de croire une seconde qu’elle puisse être manipulée par le falot personnage interprété par Gaspard Ulliel.

C’est d’ailleurs la comédienne qui tire toute la couverture à elle, piquante, entière et ironique, mais également touchante lorsqu'il s'agit de la relation qu'elle a avec son mari. Une femme indépendante et forte dont on peut certes acheter le corps, mais pas la liberté. La mise en scène très classique et le scénario approximatif (qui abandonne des personnages en chemin, et ne sait comment conclure) empêchent certes le venin d’infuser, et le suspense de prendre. Mais il y a l’ombre de Losey sur le film, et cet ancrage dans l’histoire du cinéma français n’est sans doute pas étranger à sa présence en compétition.

Cédric Kahn, lui, nous emmène dans un tout autre univers avec La prière, qui se déroule dans une communauté isolée qui lutte contre toutes les formes de dépendance à travers la religion. On découvre avec son jeune personnage principal, interprété par Anthony Bajon, les règles de cet endroit très strict où les journées sont rythmées par le travail manuel et les horaires des prières. Les « compagnons » n’ont droit à aucune intimité, aucun contact avec l’extérieur, et n’ont pour se libérer de leurs accoutumances que leur foi, et l’amitié vigilante de ceux qui sont déjà passés par là.

Ce qui est étrange, c’est le contraste entre l’ambivalence de la situation (ce lieu de refuge qui devient comme une prison dont les personnages n’osent plus sortir, cette gentillesse permanente qui donne l’impression que les « compagnons » ont subi un lavage de cerveau, l’aide réelle apportée qui exclut pourtant tout traitement ou suivi psychologique, l’omniprésence de la religion et l’injonction à croire) et l’absence de point de vue du réalisateur sur cette ambivalence. Plus le film avance, plus on a la sensation d’être face à une communauté sectaire, et plus le film reste premier degré, se contentant de montrer les bienfaits du Centre sur ceux qui y vivent.

Le scénario est par ailleurs maladroit, souvent au service de la démonstration, quitte à quelques invraisemblances, ou raccourcis dramatiques. La mise en scène, heureusement, apporte un vrai cadre narratif au récit. Les plans sont précis, les scènes sont efficaces et bien découpées, à l’exception de l’embarrassante scène d’amour (filmée in extenso) qui montre donc toujours en 2018 une femme tomber dans les bras d’un homme et avoir une relation sexuelle intense avec lui (sans préservatif, hein, on n’est pas dans un film sur le sida) en trois minutes chrono.

Certes, on saisit le message (pulsion de vie contre pulsion de mort, alternative profane à la vocation religieuse, espoir d’une vie dans le monde réel), mais on peut vous assurer qu’il aurait au moins aussi bien marché avec un personnage féminin plus finement écrit. Il faut avouer à la décharge de Cédric Kahn que ce n’est pas un traitement de faveur réservé à ce personnage féminin, puisque quasiment tous les autres protagonistes du film manquent eux-aussi de consistance, quand ils ne sont pas juste des silhouettes à peine entr’aperçues. Reste malgré tout un film de bonne facture qui fait bien meilleure figure que certains de ses concurrents dans la course à l'ours d'or.

Mais si la compétition est évidemment le lieu vers lequel se tournent tous les regards, la France est heureusement présente sous d’autres formes dans les sections parallèles, donnant une vision élargie du dynamisme, et des singularités, de notre cinématographie nationale. On peut ainsi relever la présence de Stéphane Demoustiers avec Allons enfants (Generation Kplus), Claire Simon (Premières solitudes, au Panorama), Julien Faraut (L’empire de la perfection, Panorama), Jean-Paul Civeyrac (Mes provinciales, Panorama), Clément Pinteaux Des jeunes filles disparaissent, Berlinale Shorts) ou encore Arash Nassiri (City of tales, Berlinale Shorts).

Mais ce qui devrait rester comme le plus beau film français présenté à Berlin cette année, on l’a déjà vu, c’est Le tigre de Tasmanie de Vergine Keaton, un court métrage de la sélection officielle (en lice pour l’ours d’or, donc) qui montre en parallèle des images d’un thylacine (également connu sous l’appellation Tigre de Tasmanie) et d'un glacier en train de fondre, reconstitué en animation. La musique envoûtante et puissante signée Les Marquises est en parfaite harmonie avec les images hypnotiques de la glace, puis de sa fusion avec la lave, et du déchaînement de la nature, ainsi qu’avec les allers et retours du tigre qui semble littéralement danser en rythme dans sa cage, avant de se coucher, comme abattu.

On est à la fois bouleversé et sidéré par l’absolue beauté de la nature en action, qui déconstruit tout sur son passage, avant de recombiner ses différents éléments en une autre forme de paysage. La lave en fusion se mue en une nuée d’étoiles, de nouvelles splendeurs apparaissent, et le tigre peut se remettre à danser. Comme s'il avait survécu à sa propre extinction (le dernier représentant de l'espèce a disparu en 1936), l'animal se multiplie même à l'écran, et laisse alors entrevoir un avenir possible à inventer. Même pas besoin d'extrapoler pour y voir en parallèle un signe du renouveau palpable du cinéma français.

Berlin 2018 : Dovlatov d’Alexey German jr remet l’engagement politique au coeur de l’art

Posté par MpM, le 17 février 2018

Alexey German jr, déjà présent à la Berlinale en 2015 avec Under electric clouds, est de retour en compétition au 68e Festival de Berlin avec Dovlatov, une plongée enlevée et piquante dans le Leningrad artistique et intellectuel du début des années 70. Le film s’intéresse plus particulièrement à cinq jours dans la vie de Sergueï Dovlatov, futur grand écrivain russe de la fin du XXe siècle, qui est alors dans une impasse professionnelle. Aucun média officiel n’accepte en effet de publier ses textes, et il en est réduit à couvrir des événements patriotiques pour des journaux serviles obsédés par le fait d’être « positif » et donc conforme à la ligne du parti de l’époque.

La temporalité du film n'a bien sûr pas été choisie au hasard. Novembre, c'est le mois des commémorations de la Révolution d'octobre, qui occupent une part importante de la société civile. Alexey German jr filme ainsi un pays qui ne cesse de regarder en arrière, enlisé dans un passé dont il ne parvient pas à s'extraire. Au point mort, l'Union soviétique honore ses plus grands artistes (défunts) dans des reconstitutions de pacotille, mais délaisse les nouveaux, cantonnés à des travaux de propagande sans âme, à l'humiliation et à la faim, quand ce n'est à l'exil ou à la mort.

En parallèle, le réalisateur nous immerge dans la communauté artistique du Leningrad de l'époque, dont il fait ressortir la vitalité et la fougue vibrante. Ses portraits de groupe sont d'une étonnante fluidité, captés par une caméra aérienne qui fait oublier toute notion d'effort de mise en scène pour ne garder que cette impression de plans-séquences à la chorégraphie spontanée et naturelle. Les dialogues sont à l'unisson, aiguisés et percutants, qui révèlent à la fois l'intelligence des personnages et leur irrémédiable désespoir.

On retrouve au coeur du récit l'un des thèmes de prédilection d'Alexy German jr, celui de la droiture morale, à travers le formidable personnage de Dovlatov lui-même (magnifiquement incarné par le comédien Milan Maric), trublion cynique et désabusé qui refuse pourtant toute forme de compromission. Son combat est celui du Juste qui sait avoir raison contre tout le monde, esprit brillant persécuté par les médiocres et les faibles, et qui malgré tout continue à croire en son destin. On sent vibrer en lui  l'irrépressible nécessité d'écrire, coûte que coûte, et la douleur d'en être empêché.

Ce qui est peut-être le plus beau, dans ce biopic d'un genre très singulier, c'est qu'il pourrait aussi bien s'agir de l'histoire d'un individu lambda qui n'aurait jamais eu aucune reconnaissance. Dovlatov devient en effet la double allégorie de l'artiste maudit et de l'homme engagé, une figure éminemment symbolique de résistance à l'oppression et de persévérance obstinée. Un être prêt à tout perdre pour poursuivre le but qu'il s'est fixé, à la fois intime (s'accomplir en tant qu'écrivain) et politique (combattre le système en parlant de la réalité de son époque).

Ainsi, le film a beau être ancré dans un contexte et une période historique extrêmement particuliers, il est en réalité atemporel, et bénéficie d'une portée universelle qui le rend encore plus dense et puissant. On est tout simplement bouleversé par la vision de tant d'intelligence bafouée, comme par la démonstration sans ambiguïté de la manière dont l'art a toujours su répondre (avec panache et humour) à la bêtise et à la tyrannie. A l'image de son héros, Alexey German jr ne fait pas plus de compromis sur ses choix formels que sur ses positions idéologiques, et rappelle que si talent et succès ne vont pas forcément de pair, art et engagement politique, eux, peuvent parfois se combiner à la perfection.

Berlin 2018 : Hong Sang Soo et l’éloge des émotions

Posté par MpM, le 16 février 2018

Un an seulement après avoir présenté le très beau Seule sur la plage la nuit, Hong Sang Soo est de retour à Berlin, cette fois dans la section Forum. Il présente Grass, un film choral d’à peine plus de 60 minutes, qui fait brillamment la synthèse de tout son cinéma, et paraît un camouflet pour tous les films de plus de deux heures, tant il semble dire de choses en un temps si resserré.

Le dispositif de départ est pourtant d'une grande simplicité. Il filme (en noir et blanc et en plans souvent fixes, fidèle à ses codes traditionnels de mise en scène) une succession de conversations entre des couples installés dans le même café, puis dans un restaurant. Leurs relations sont différentes, leurs propos aussi, et pourtant, bien sûr, les correspondances entre eux sont troublantes et nombreuses : ils s'assoient à la même place, prennent des boissons identiques, abordent des thèmes qui se répondent, du suicide à l'écriture, en passant par des remords ou des regrets sur le temps passé.

Lorsque l'on est un habitué du cinéma d'Hong Sang Soo, on a appris à se méfier des apparences. Aussi suspecte-t-on rapidement que les différents couples, et leurs discussions, sont en réalité le fruit de l'imagination d'une jeune femme, assise à l'écart devant un ordinateur, et incarnée par Kim Min-hee, nouvelle muse d'Hong Sang Soo. Les mouvements de caméra eux-mêmes le suggèrent lors de travellings latéraux explicites entre les deux tables. La voix-off, celle de la jeune femme commentant, voire expliquant la situation et le contexte, ne fait que confirmer cette impression, qui sera pourtant troublée par la suite du récit, avant d'être à nouveau validée par l'image, et ainsi de suite jusqu'à la toute fin du film.

Le film propose ainsi une double lecture de son récit, à la fois réalité captée par une observatrice distante et fiction imaginée par cette même observatrice. Peu importe, au fond, puisque ce personnage à part (en apparence le seul à ne pas fonctionner en duo) peut être perçu comme le double de cinéma du réalisateur. Que ce soit elle, ou lui, qui modèle l'intrigue à sa guide, reviendrait finalement au même.  Elle est à la fois la figure du réalisateur qui contrôle hors champ ce que disent ses acteurs, et celle du spectateur qui écoute et regarde sans prendre part à l'action.

On sent d'ailleurs Hong Sang Soo de plus en plus introspectif sur son propre cinéma, glissant des remarques sur la musique (classique) qui sert d'ambiance sonore à la première partie du film, ou des compliments à l'égard du mystérieux propriétaire du café où se déroule l'intrigue, jusqu'à constituer une sorte de portrait en creux de lui-même. Un autre personnage se plaint même d'avoir l'impression de toujours dire la même chose (n'est-ce pas le reproche principal fait abusivement au cinéma d'Hong Sang Soo ?).

Fidèle à son habitude, le cinéaste coréen brouille donc les pistes et tisse une intrigue faussement limpide (mais réellement fine, légère  et drôle) dont chaque scène entre pourtant de manière complexe en résonance avec les autres, formant un ensemble cohérent et dense sur l'éternelle question des rapports entre les hommes et les femmes. On pourrait un temps penser que Hong Sang Soo est dans une phase pessimiste, et qu'il remet en question avec ses personnages la notion même d'amour. Mais ce n'est que pour mieux retourner chacun de ses propres arguments dans une seconde partie qui fait l'éloge de l'émotion comme trait indissociable de la nature humaine.

Rarement, peut-être, aura-t-on vu une telle chaleur humaine se dégager d'un des films du réalisateur coréen lors d'un final admirablement filmé (qui a dit que Hong Sang Soo n'était pas un véritable metteur en scène ?) où la cartographie des lieux et la chorégraphie des corps suffisent à nous éclairer sur les rapports de chacun avec les autres. De l'intérieur à l'extérieur, d'une table à une autre, d'un plan serré à un plan d'ensemble, les liens se renouent, les émotions se libèrent, les espoirs renaissent.

On se sent comme la narratrice, sentimentale devant ce ballet sensibles des êtres et des sentiments. "A la fin, les gens sont émotions" dit-elle dans une de ces formules grandiloquentes que Hong Sang Soo affectionne, principalement pour les tourner en dérision. Et pourtant, on sent dans cet émerveillement du personnage quelque chose de sincère, une admiration réelle pour la propension de l'être humain à se laisser déborder par ses émotions, et à les vivre pleinement, sans retenue.

Comme le personnage interprété par Kim Minhee (et par ricochets Hong Sang Soo lui-même ?), le spectateur n'a plus qu'une seule envie : entrer à son tour dans la danse, et participer à la grande ronde des émotions humaines. Peu importe qu'elle ne mène nulle part, l'essentiel est juste d'y avoir sa place.

Léa Seydoux retrouve Wes Anderson et s’engage chez Ildiko Enyedi

Posté par vincy, le 16 février 2018

Léa Seydoux retrouve l'univers de Wes Anderson, après avoir joué dans The Grand Budapest Hotel. Elle remplacera Scarlett Johansson dans la version française du film d'animation L'île aux chiens, présenté en ouverture de la 68e Berlinale.

Autour d'elle, on retrouvera Isabelle Huppert (qui avait déjà été Mrs Fox dans Fantastic Mr. Fox, le précédent film d'animation du réalisateur) pour le rôle vocal de Frances McDormand, Mathieu Amalric (qui était le fameux Mr Fox) pour le rôle vocal de Jeff Goldblum, Vincent Lindon (à la place de Bryan Cranston), Louis Garrel (pour Liev Schreiber), mais aussi Yvan Attal, Nicolas Saada et Hippolyte Girardot. Le rôle principal tenu par Edward Norton, qui double Rex, aura, en français, la voix de Romain Duris. Notons quand même que Greta Gerwig se doublera elle-même dans la langue de Molière (ce qui est classe, avouons-le).

Puisque nous sommes à Berlin, Léa Seydoux sera le rôle principal du prochain film d'Ildiko Enyedi, la cinéaste hongroise lauréate de l'Ours d'or l'an dernier avec Corps et âme (par ailleurs nommé à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère). L’histoire de ma femme est l'adaptation d'un roman éponyme de Milan Füst paru en 1958 (et disponible en France chez Gallimard) qui raconte l'histoire du capitaine Jacob Stör (interprété par le norvégien Anders Baasmo Christiansen), géant rabelaisien jouissant au maximum de sa vie de marin, de son prodigieux appétit, de ses aventures. Un soir, il fait un pari avec un ami dans un café : il épousera la première femme qui en franchira le seuil. Entre alors Lizzy,une petite Française dont il est passionnément, exclusivement, incurablement amoureux, et qu'il épouse comme promis.

Le film est une co-production France/Hongrie/Allemagne/Italie. Pyramide le distribuera. Mais le tournage ne débutera pas avant 2019, à Budapest, Paris, Hambourg et Trieste.

Berlin 2018 : Wes Anderson ouvre brillamment la compétition avec L’île aux chiens

Posté par MpM, le 15 février 2018

La 68e Berlinale s’est ouverte avec l’un des films les plus attendus du printemps, L'île aux chiens de Wes Anderson qui sortira le 11 avril prochain sur les écrans français. Il s'agit du 9e long métrage du cinéaste américain (La vie aquatique, Moonrise kingdom) et son deuxième film d'animation après Fantastic Mr Fox en 2009.

Principalement réalisé avec des marionnettes animées en stop motion, le film se déroule au Japon, dans un futur proche. Profitant d'une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la déportation de tous les chiens, qu'ils soient errants ou domestiques, sur une île voisine servant de décharge publique. Très vite, l'île devient un lieu de désolation. Mais l'arrivée d'Atari, un jeune garçon en quête de son chien Spots, leur redonne un peu d'espoir.

Malgré un contexte assez noir, L'île aux chiens est avant tout un formidable récit d'aventures  sous la double influence du cinéma japonais et des films mettant en scène des chiens (comme une réhabilitation du chien à une époque où il n’y en a que pour les chats ?). Wes Anderson cherche clairement à s'amuser, et truffe donc son film de clins d'oeil et de références qui forment un Japon alternatif, ludique et inventif, qui tient probablement plus d'Anderson lui-même que de Kurosawa, sorte de synthèse entre les fantasmes du réalisateur et les nombreuses références esthétiques et narratives dont il s'est inspiré.

Peut-être le réalisateur a-t-il d'ailleurs emmagasiné trop de matière. Ce foisonnement de détails, flash-backs et autres intrigues parallèles finit par encombrer la narration au détriment du récit lui-même. On est si noyé sous les informations, les gags et les digressions que l'on a par moments l'impression de ne pas profiter pleinement de la richesse scénaristique et formelle du film.

C'est comme si L'ile aux chiens avait à la fois les qualités d'un film de Wes Anderson : style inimitable, inventivité exubérante, ton savoureusement décalé, et les défauts inhérents à ces qualités, à commencer par une construction trop brillante, si travaillée qu'elle ne laisse pas de place à la magie et à l'émotion, mettant le cerveau du spectateur sous pression, plus obnubilé par le désir de ne rien perdre du film que par le plaisir de profiter de chaque minute.

C'est d'autant plus surprenant que bien que le cinéaste cherche à compliquer à l'envi son intrigue et sa construction dramatique (notamment d'un point de vue temporel), le dénouement est lui expédié en quelques minutes, si ce n'est bâclé.

Toutefois, il faut reconnaître la grande réussite visuelle du film qui exploite habilement les possibilités de l'animation image par image. Les marionnettes ont un rendu très spécifique qui ne cherche pas à être réaliste, ou encore moins "mignon". Les chiens, notamment, ne sont pas de mignonnes peluches que l'on a envie de caresser. Ils ont tous une physionomie particulière, blessés ou mal en point, hirsutes ou sales. Leur personnalité prime clairement sur leur physique, tout en permettant à chacun d'avoir un style bien défini.

Les thèmes du film sont également denses et ambivalents : si le lien ancestral entre l'homme et le chien est au coeur de l'intrigue, ainsi que l'amitié et la solidarité, il est aussi question d'eugénisme, de maltraitance animale, d'intolérance et de manipulation politique. On peut d'ailleurs faire une lecture très politique du film, dans lequel le pouvoir en place cherche à expulser les étrangers (la jeune Tracy qui se bat pour la vérité), élimine les opposants politiques (le professeur Watanabe), utilise toute une population comme bouc émissaire et ravive symboliquement de mauvais souvenirs liés à l'Histoire du XXe siècle.

L'occasion de vérifier qu'animation et sujets graves font on ne peut meilleur ménage, la première permettant de mieux faire passer les seconds, avec une légèreté délibérée qui n'en rend le propos que plus fort et marquant. Wes Anderson allie ainsi comme à son habitude la forme et le fond, auxquels il porte le même soin jaloux. Les deux se répondent alors dans un dialogue singulier et saisissant où le récit d'aventures le dispute à un véritable hymne à la tolérance et à la désobéissance civique, entre comédie satirique, thriller engagé et récit initiatique audacieux. Exactement le genre de film qui triomphe généralement à la Berlinale. Un Ours d'or pour les chiens, avouez que ça aurait un certain panache.

Berlin 2018: une ouverture sous le signe du chien

Posté par vincy, le 14 février 2018

La 68e Berlinale s'ouvre aujourd'hui sous le signe du chien. Vendredi, le nouvel an chinois s'ouvrira en effet avec l'année du Chien de terre, qui remplace l'année du (Balance ton) Porc de Terre. Le Festival du film prend juste deux jours d'avance avec L'île aux chiens, son film d'ouverture. Wes Anderson est le premier réalisateur à imposer un film d'animation en guise de lancement du festival. Il est en lice pour l'Ours d'or, qui, de toute son histoire, n'a récompensé qu'un seul film d'animation, Le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki, en 2002.

Le jury et les hommages
La compétition
L'île aux chiens en ouverture

Les chiens sont donc lâchés pour chasser l'Ours. Le Berlinale Palast s'apprête à dérouler son tapis rouge. Le jury affrontera une température proche de zéro degré. Wes Anderson est accompagné de ses deux co-scénaristes, Roman Coppola et Jason Schwartzman , et de son casting: Bryan Cranston, Greta Gerwig, Bill Murray, Jeff Goldblum, Kunichi Nomura, Liev Schreiber, Koyu Rankin, Bob Balaban, Tilda Swinton, Akira Takayama, Yojiro Noda et Mari Natsuki. Un sacré défilé dans un Festival qui fait de moins en moins de place au cinéma américain (le dernier Ours d'or date de 2000, pour Paul Thomas Anderson et son Magnolia).

Parmi les autres vedettes que le Festival annonce ce soir, il y aura, outre un contingent impressionnant de personnalités allemandes - Wim Wenders, Fatih Akin, Daniel Brühl, Sebastian Koch, Hanna Schygulla, Christian Petzold et Margarethe von Trotta, etc... - Ingrid Caven, Sung-Hyung Cho, Patricia Clarkson, Elle Fanning, Helen Mirren ou encore Fernando Solanas.