Après la gauche : témoignages autour d’un monde qui s’est effondré

Posté par vincy, le 1 juin 2011

Lionel Jospin (haut) Edwy Plenel (bas)

Après la gauche est un documentaire où la parole l'emporte sur l'image, bien que celle-ci soit très soignée. Des bureaux désaffectés, des usines délabrées, des hangars vides, et quelques sons musicaux électro-rock. Les visages, les gestes des intervenants, se confrontent aux photos qui illustrent le film : des gens désoeuvrés par une crise économique, anéantis par une catastrophe naturelle. Il y a peu de cinéma dans Après la gauche, et pourtant, on en ressort intellectuellement revigoré, politiquement perplexe.

Une chose est certaine : qu'on vote d'un côté ou de l'autre, le film n'intéressera peut-être que ceux qui place les idées au dessus du culte des hommes, ceux qui préfèrent l'Histoire aux épiphénomènes médiatiques. Mais ceux-là trouveront cette succession de témoignages passionnants, soutenus par des chiffres percutants. En voyant les intervenants, de très grande classe (Albert Jacquard, Lionel Jospin, François Houtard, Jean Ziegler, Eric Hazan, Susan George ...), on craint de subir un mouroir dans un service gériatrie (à l'exception d'Edwy Plenel), débattant de lubies périmées. On en est loi : l'esprit est vif, la réflexion riche, les expériences et autres constats passionnants. Ces philosophes, sociologues, politiciens, chercheurs sont des petits ruisseaux de la pensée qui espèrent nous amener à une grande rivière.

Après la gauche porte un regard très critique sur les échecs de la gauche dans le monde, mais dessine aussi les conditions de sa résurrection. De la Révolution Française, élément fondateur, à la chute du Mur de Berlin, le préambule du déclin de la gauche, ils nous racontent comment la gauche a opté pour la gestion, avec des partis transformés en PME, plutôt que pour l'émancipation des populations dont elle tirait sa légitimité. Elle ne servait plus qu'à "humaniser le capitalisme". Les dominés se sentaient vaincus sans combattre. La financiarisation du monde avait gagné et "on savait d'avance qu'on allait payer la facture." Plenel cite alors Spartacus (et le film de Stanley Kubrick). Nous sommes tous des Spartacus, prêts à se soulever contre l'ordre dominant, celui qui manipule les masses : les 500 entreprises transnationales qui représentent 52% des richesses, les géants Lagardère, Bolloré, Bouygues, Dassault, LVMH qui contrôlent les média,s les lobbys qui font les lois à la place des élus... Il suffira d'un grain de sable - lequel? quand? - pour que le château s'écroule.

Lucides, ils ont conscience que la faculté à transformer est de plus en plus difficile à incarner, que l'utopie a changé de territoire. "Aujourd'hui, c'est dans la vie et pas seulement dans la politique qu'on peut transformer les choses". L'individualisme est si présent que lutter pour l'intérêt général s'annonce vain. Pourtant le combat collectif a commencé. Aux Etats-Unis, le néo-libéralisme a vacillé en deux temps : les manifestations de Seattle en 1999 qui ont fait émergé une nouvelle génération de citoyens militants et les attentats du 11 septembre qui ont fragilisé l'Empire dominant. Si le monde entier est devenu capitaliste an moins de dix ans, il a progressivement allumer des contre-feux, notamment en Amérique Latine, érigée en exemple pour la gauche internationale. Dans ces pays, la propriété a été désacralisée, le bien commun est devenu la variable d'ajustement. L'exploitation ne doit plus se faire au détriment de l'usage. Plutôt que de parler de pouvoir d'achat, évoquons le savoir d'achat...

Idéaliste? Dans un monde où la connaissance n'a jamais été aussi partagée, aussi avancée, les injustices et les absurdités politiques de notre civilisation n'ont jamais autant exclu. En pleine pré-campagne présidentielle, voilà un formidable logiciel à idées où le projet serait davantage de sublimer que de raisonner. Encore faut-il pouvoir l'incarner... Ne plus croire en un monde meilleur, c'est se rendre esclave d'un système oppresseur. A voir ces "Sages" espérer (sans être béats d'optimisme), on se demande pourquoi il y a cette odeur de formol dans l'air et cette impression d'aller à la morgue quand on va voter.

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12 extraits du film sur le site Mediapart
site internet de la Compagnie des Phares et Balises

Le DVD sort le 5 juillet 2011.