Les nuits de Sister Welsch, bienvenue dans l’âge adulte

Posté par Sarah, le 25 octobre 2010

Les nuits de Sister Welsch« - Tu n'es pas si bête dans le fond.
- Non, malheureusement »

L'histoire : Emma a 16 ans et sa mère est odieuse. Alors elle la transforme en héroïne romantique et amoureuse dans un 19ème siècle victorien.

Emma est amoureuse d’un garçon de son âge. Alors elle le rêve en prince charmant qui l’emmène sur son scooter jusqu’à Tanger. Emma rongée par les fantasmes doit grandir et vite. Pour vivre enfin. (in DP)

Notre avis : Jean-Claude Janer aborde ici un sujet cinématographique galvaudé, la vie, pas toujours facile, d'une adolescente de 16 ans. Emma est une jeune femme plutôt décalée car elle a la tête constamment dans les nuages, ou plutôt dans le monde qu'elle s'est créé. Elle se sent particulièrement seule, entre une mère glaciale (Anne Brochet) et un beau-père qui n'a aucun sens des réalités. Et puis il y a l'école, les amis, les amours. Son père est absent, mais elle a souvent des conversations imaginaires avec lui, dans lesquelles elle le supplie de venir la tirer de son quotidien étouffant. Ambiance connu de nombreux enfants de divorcés. L'originalité du film de Jean-Claude Janer se situe à un autre niveau. Le monde imaginé par Emma, dans lequel sa mère est une héroïne romantico-tragique digne d'un roman des soeurs Brontë, la fameuse Sister Welsch, est dépeint dans un décor de carton-pâte très kitsch. Ces épisodes de rêverie sont très attendrissants, poétiques mais dépeignent aussi un monde adulte cruel.

Car si l’intrigue semble se focaliser sur l'imagination débridée d'une adolescente ayant des problèmes plutôt communs (elle se trouve moche, grosse et personne ne la comprend), le film montre aussi l'histoire (beaucoup plus tragique) d'une survie. Emma a en effet besoin de s'échapper de son quotidien glacé. Son personnage détone par bien des aspects. Elle vit ailleurs, apparaît comme une ado complètement paumée, elle chante du M en plein cours de maths, mais en fait elle a besoin de cela. Pour garder l'esprit sain, elle doit s'échapper du réel. Ainsi, elle raconte tous les jours à une asiatique qui prend l'ascenseur dans son immeuble les aventures de Sister Welsch qui n'est autre que l'incarnation de sa mère en bonne soeur torturée par l'amour qu'elle porte à un marin en fuite, le Capitaine Grant.

Son évasion est métaphorique, langagière, comique mais aussi très sarcastique. Le monde des adultes dans ses rêves n'est guère plus reluisant que la réalité. Entre la course à la perfection, ils vivent sous l'emprise de la peur d'être abandonné et la folie. Le film pourrait très bien s'arrêter à ce propos, mais il montre aussi comment Emma va devoir concilier entre ses rêves et la réalité. Elle va tomber amoureuse et même si l'imagination peut servir, elle va devoir retomber sur terre et y vivre pleinement son premier amour.

On sent rapidement à quel point être adolescent(e) peut être angoissant, mais la vie de adultes n'est guère mieux. Emma, jouée par Louise Blachère, nous émeut fortement, et campe ici une adolescente paumée et délicieusement attachante. Au final, elle ne cherche qu'une chose : rencontrer l'amour et être avec quelqu'un qui la comprenne. Même si le film nous offre un happy ending, ce n'est que le début de la fin. En effet, Emma n'est qu'au commencement de son apprentissage d'adulte. Elle va devoir grandir, arrêter de chercher le consentement paternel, et faire des concessions. Welcome !

Comme les autres : le conformiste

Posté par vincy, le 31 août 2008

commelesautres.jpg« Bientôt vous aurez les mêmes emmerdes que les autres : le mariage, les enfants et même le divorce. »

L'histoire : Manu et Philippe vivent ensemble depuis des années. Mais l'obsession de Manu de vouloir un enfant les conduit à se séparer, persuadés qu'ils ne voient plus la vie, et l'avenir, de la même manière. Après une tentative d'adoption avortée, Manu demande à Fina, jeune femme argentine sans papiers, de lui faire un gamin, en échange d'un mariage blanc qui la régulariserait...

Notre avis : Sur le papier, il était intéressant de voir le cinéma français s’attaquer frontalement à l’homoparentalité, avec thèse, antithèse, synthèse. Comme les autres est une comédie sociétale où les mœurs et la morale évoquent toutes les hypothèses du sujet.
Dans ce Belleville bourgeois mais faussement bohème, deux beaux quadras prospères vivent leur passage à l’âge adulte. Le pédiatre rêve d’enfant quand l’avocat plaide l’illégalité, l’immoralité et même le « contre-nature ». Le débat, entre progressiste et réac, est lancé.
Parfois cocasse (ou caricatural), le comique de situation n’est pas aidé par une mise en scène hésitant entre théâtralité et formatage télévisuel. Même le décor semble conçu pour un reality show cathodique. Quand la réalisation est banale, le scénario peut sauver un film s’il est délirant ou exceptionnel. Il y a bien ce parallèle entre l’embauche d’une jeune immigrée et la sélection d’un couple de lesbienne, distrayant et bien foutu ou la scène des révélations au repas familial dans le jardin, assez (im)pertinente. Mais rien de cruel, conflictuel, passionnel.

Il manque notamment quelques scènes qui nous auraient fait croire à la relation « longue durée » de Wilson et Elbé, qui fasse que leur séparation soit déchirante. D’ailleurs Elbé est zappé durant la moitié du film… Mais voila : on préfère nous montrer un homo qui fait l’amour à une fille plutôt que deux homos batifolant sous les draps. Grossier.
D’une part, il faudrait cesser de croire qu’un homo est capable d’être bi dans chaque film populaire. D’autre part, il aurait été bon, vu le sujet, de nous montrer un couple homo qui s’aime. Le cinéma espagnol ou même américain a déjà été plus audacieux. Or, là, dès ce postulat, nous pouvons constater que la production a décidé de « normaliser » le futur père et de « marginaliser » l’homosexualité en la réduisant à une cohabitation. L’aspiration à la normalité, avec ce passage de l’hétéro refoulé, l’emporte sur la justification d’un choix de vie, où homos comme hétéros, chacun peut refuser de suivre le schéma traditionnel.
Cette faute de goût dérègle l’ensemble du message et empêche le spectateur d’être choqué ou interpellé. On l’anesthésie avec l’idée qu’un gay peut être converti s’il veut un enfant… Après tout, on nous le dit bien, l’adoption est hypocrite et impossible dans ce pays.
Du coup le film n’est qu’une sage illustration d’un point de vue impopulaire. Le traitement aurait mérité plus de cran. L’homoparentalité est noyée dans d’autres débats : mère porteuse, mariage blanc, adoption gay… La surdose nuit à l’argumentation.

Reste les comédiens. Wilson est parfait, pas trop efféminé, juste ce qu’il faut. Elbé, naturellement viril, banalise l’homo en le rendant presque hétéro, presque dur, peut-être pas assez complice. Brochet, sur une note sensible, est exquise en vieille fille frustrée. Enfin la douce Lopez de Ayala est délicieuse, sensuelle, et apporte ce qu’il faut de passion à ce film un peu frigide. Ce sont d’ailleurs les deux femmes qui emportent le film dans une dimension plus touchante, quand la caméra s’éloigne d’elles, l’une seule dans son appartement, l’autre seule sur son lit d’hôpital ; le bonheur passant à côté d’elles. Pas comme les autres…