« Mala noche » à la Cinémathèque française: occupation politique et évacuation policière

Posté par vincy, le 7 mai 2016

© @JeromePasanauDe 60 à 100 de personnes ont occupé pendant quelques heures la Cinémathèque française à Paris, durant trois heures, dans la nuit de vendredi à samedi, avant d'être délogées par les forces de l'ordre.

Après une projection de Prête à tout de Gus Van Sant, auquel la Cinémathèque rend hommage à travers une exposition, un groupe d’une cinquantaine de personnes a décidé de ne pas quitter la salle, clamant qu'ils occupaient désormais l'institution.

Si l'on en croit Twitter, il s'agissait d'un mélange de revendications d'employés de la Cinémathèque, d'intermittents du spectacle, et du mouvement citoyen Nuit debout. Tous évoquaient une lutte contre le projet de loi travail et la précarisation de l’emploi dans la culture. La Cinémathèque est prise au piège dans une polémique depuis fin janvier quand on a appris que le personnel d'accueil était géré par une société externe, City One, qui impose des conditions de travail où harcèlement, chantage et pressions font mauvais ménage (lire l'article paru dans Libération à ce sujet et le témoignage d'une employée).

Lors de la Matinale de France Culture le 9 février (à réécouter ici), le nouveau directeur de la Cinémathèque française, Frédéric Bonnaud, ancien directeur de la rédaction des Inrocks où il était très soucieux des inégalités et très en colère contre le régime policier, expliquait qu'il n'avait pas à signer des CDI "pour que quelqu’un vende des billets” et souhaitaient que les postes de billetterie et d'accueil restent dévolus à “des jobs étudiants“. "Je pense qu’hôtesse d’accueil, caissier, guichetier ou ouvreuse, ça doit rester des petits jobs d’étudiants, au risque de choquer. Moi, je ne me vois pas signer un CDI à vie pour que quelqu’un vende des billets à la Cinémathèque" a-t-il expliqué précisément.

Reste le symbole lourd et gênant d'un établissement connu pour ses hauts faits d'armes durant Mai 1968. En effet, pour la première fois depuis la création de la Cinémathèque en 1936, et à la demande de la direction qu'on croyait plutôt du côté des victimes, à été évacuée de force par la police. Bref une "mala noche" pour ce temple de la cinéphilie.

Cinéma et prison (4) : Trois questions à Nicolas Silhol, animateur d’ateliers d’écriture

Posté par MpM, le 14 janvier 2009

A Poitiers, les Rencontres Henri Langlois proposent différentes passerelles entre le festival et le milieu carcéral, parmi lesquelles des ateliers d’écriture de scénario de courts métrages pour les détenus de la Maison d’arrêt. Nicolas Silhol, scénariste et réalisateur, a accompagné ces ateliers en 2007 et 2008.

Nicolas SilholComment se déroulent concrètement ces ateliers d’écriture ?
Ces ateliers se font sous forme de 5 à 6 séances proposées librement aux détenus des quartiers hommes, femmes et mineurs. Ils ont deux objectifs : initier les participants à un type d’écriture spécifique et aiguiser leur sens critique en discutant librement de films sous l’angle du scénario. Lors de la première séance, je leur montre des courts métrages. Ensuite, on a peu de temps et je dois leur fournir un cadre d’écriture défini : d’abord ils font un synopsis, puis un séquencé et enfin ils passent à l’écriture proprement dite. Là encore, je les contrains à un cadre dramatique très précis.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné ?
Je ne les oriente à aucun moment vers un scénario qui serait autobiographique et pourtant la plupart choisissent ce vecteur pour raconter une histoire personnelle et souvent en lien avec la prison. Je relie ça au peu d’occasions qu’ils ont de se raconter. Je ne suis pas là pour les confesser ou faire de la thérapeutique et je n’ai pas accès à leur dossier. L’enjeu est donc de parvenir à accompagner ce désir spontané de parler de soi tout en le mettant à distance. Très tôt, j’essaye d’insuffler cette distance en leur faisant comprendre que même s’ils racontent leur propre histoire, elle doit intéresser tout le monde et qu’il ne s’agit plus d’eux mais d’un personnage. Autre chose très importante, ce qu’ils écrivent ne doit pas seulement être vrai ou réel, mais être vraisemblable, pour que l’histoire tienne la route. Et surtout écrite à la troisième personne. Cela peut paraître étonnant, mais certains ont mis deux ou trois séances pour réussir à passer de la première à la troisième personne !

A votre avis, qu’apporte ce type d’activité en milieu carcéral ?
C’est primordial. Il faut non seulement continuer, mais le développer. Pour les détenus participants, c’est extrêmement valorisant d’avoir l’impression de se raconter et que cela ressemble à quelque chose. Que leur texte puisse être lu par d’autres personnes. Cela met à distance leur vécu, je pense. Et puis, en milieu carcéral, il y a peu d’activités proposées, ils sont très demandeurs. Ceux qui viennent en profitent pleinement. Maintenant, on se bat pour que leurs scénarios soient mis en ondes afin d’obtenir une meilleure valorisation de leur travail. Pour que cela ne reste pas seulement un bout de papier. C’est un objectif important, mais c’est très compliqué…

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A lire : les scénarios écrits lors des ateliers 2007 et 2008.

Cinéma et prison (3) : le témoignage de Claire Burger

Posté par MpM, le 13 janvier 2009

Claire BurgerA Poitiers, les Rencontres Henri Langlois proposent différentes passerelles entre le festival et le milieu carcéral, parmi lesquelles des projections des films en compétition pour les détenus de la ville. C’est ainsi qu’accompagnée de sa coscénariste Marie Amachoukeli, la réalisatrice Claire Burger est allée présenter son court métrage Forbach à la maison d’arrêt de Poitiers. Pour Ecran Noir, elle a accepté de revenir sur cette expérience unique, ressentie comme le "point d'orgue" de son séjour poitevin.

La prison
C'était la première fois que Marie Amachoukeli et moi avions l'occasion de visiter un établissement pénitentiaire, et c'était pour nous réellement impressionnant. D'emblée, avant même de pouvoir voir les détenus, on est scotché par le lieu, les gardiens, le bruit des grosses clefs dans les grosses serrures, l'atmosphère ultra-sécuritaire… On réalise qu'on a vu ce genre d'images très souvent dans notre vie, mais toujours à la télévision. La visite d'un endroit comme celui-ci donne un sentiment d'"hyperréalisme". On prend conscience qu'on avait jusque-là un rapport naïf à la prison, un peu comme si c'était un décor de fiction. Tout à coup, on se sent responsable en tant que citoyen du fait que certaines personnes soient enfermées ici. On repense bien sûr à Surveiller et punir de Michel Foucault... On se sent obligé d'avoir un véritable avis sur la fonction d'une prison dans nos sociétés. Et surtout, on se sent un peu dépassé par l'ampleur de cette question.

Les détenus
Ce trouble se renforce à la rencontre des détenus. Le fait d'apprendre qu'ils n'ont droit qu'à une heure de sortie de leur cellule dans l'après-midi, et qu'ils ont choisis de venir voir le film [Forbach] nous met une pression d'un nouveau genre. Je n'avais pas le même trac que celui que j'ai pu ressentir lors de projections plus classiques. J'étais terrifiée à l'idée de leur faire perdre leur temps, qui semble particulièrement précieux en prison…

Projection dans le quartier hommes
Dans le quartier hommes, les détenus discutaient pendant la projection, ils exprimaient à voix haute ce qui les amusait ou ce qui les dérangeait dans le film, ça contrastait beaucoup avec le silence d'église qui règne en général pendant les projections. C'était aussi un peu stressant de les voir s'exprimer aussi franchement pendant le film, parce qu'on savait qu'après, ils ne nous ménageraient pas. Ils avaient l'air de trouver les comédiens pas assez virils, le rapport entre la mère et ses fils trop ambigu... Finalement, je ne sais pas s’ils ont réellement aimé le film. Je crois qu'ils sont restés très gentils avec nous et qu'ils ne nous ont pas dit que sans doute, ils auraient préféré voir un bon thriller. En tous les cas, le dispositif semi-documentaire du film les a intrigués. Ils étaient nombreux à dire qu'ils auraient aimés pouvoir raconter leur propre histoire dans un film.

Projection dans le quartier femmes
Dans le quartier des femmes, l'ambiance était radicalement différente. Elles étaient moins nombreuses, bien plus calmes, plus attentives aussi pendant la projection. Elles ont très bien réagi au film, elle nous dit avoir beaucoup aimé. Elles répétaient qu'elles trouvaient le film trop court. Elles étaient sensibles au rôle de la mère, compatissante avec les personnages des fils. Elles voulaient savoir si le personnage de Mario avait finalement fait de la prison. Elles trouvaient le personnage de Samuel très courageux.
Avec elles, nous avons surtout discuté des conditions de détention, leurs vies quotidiennes dans la prison. Ce qui est frappant, c'est qu'elles ont l'air abattu, triste. Et on lit cette tristesse sur leurs visages. Elles disent prendre beaucoup de médicaments pour supporter leur condition et certaines semblent effectivement un peu "flottantes". Selon leurs dires, le quartier des femmes est plus dur que celui des hommes. Les gardiennes sont moins souples que leurs collègues masculins, le quartier est plus petit, plus triste.

Et après ?
Avec Marie Amachoukeli, nous avons proposé à Julien Proust [le responsable des actions organisées par le Festival en milieu carcéral] de nous recontacter s'il souhaitait organiser un atelier cinéma avec les détenus. A ma connaissance, il y existe déjà un atelier scénario. Cette visite nous a réellement donné envie d'intervenir à nouveau dans une prison, peut-être de façon plus suivie…

Cinéma et prison (2) : projection de Forbach au quartier hommes

Posté par MpM, le 11 janvier 2009

A Poitiers, les Rencontres Henri Langlois proposent différentes passerelles entre le festival et le milieu carcéral, parmi lesquelles des projections des films en compétition à la maison d’arrêt de Poitiers. C’est au cours de la 31e édition de la manifestation que les détenus des quartiers hommes et femmes ont pu découvrir le court métrage Forbach de Claire Burger.

Pour entrer, il faut sonner. Puis déposer ses affaires dans un casier, passer le détecteur de métal, traverser des sas. Derrière le grillage qui plafonne le long couloir, on aperçoit des portes, toutes identiques. C’est un décor de films, presque exactement comme on l’attendait, et pourtant plus impressionnant qu’on ne l’aurait cru. Les pas, les bruits de porte, tout semble résonner. C’est à la fois labyrinthique et oppressant.

Enfin, on arrive dans la salle polyvalente où a lieu la projection. Celle-ci n’est pas très grande, mais certains murs sont décorés (par les détenus eux-mêmes, nous dit-on). On installe plusieurs rangées de chaises devant un téléviseur et même des tables pour compléter. Enfin, voilà les participants. Bien que ce soit jour de parloir et qu’il y ait d’autres activités en même temps, ils sont une petite vingtaine à se présenter. Encore un peu et il n’y aurait pas eu assez de place ! Après quelques mots de présentation, la séance commence.

forbach.jpgEt, hormis le lieu, forcément à part, rien ne la distingue vraiment de celles qui ont lieu dans la grande salle du Festival avec un public plus traditionnel. Assis en rang, les spectateurs réagissent diversement : certains ne quittent pas l’écran des yeux, d’autres se balancent sur leur chaise, beaucoup chuchotent ou échangent des commentaires. Lorsqu’à l’écran, le personnage féminin décrit la femme idéale pour son fils (une "gothique"), les rires fusent. Quand un autre personnage risque d’aller en prison, le ton se fait plus cynique : "Ca en fera un de plus !"…

Une fois la lumière rallumée, c’est le temps des questions. "C’est quoi, le message ?", demande un détenu visiblement troublé. "L’alcool !", lui répond quelqu’un. Un autre ajoute : "Qu’on peut tous finir ici un jour…" Très vite, les échanges ont lieu dans les deux sens et débordent le cadre du court métrage. Claire Burger se prête volontiers au jeu de cette conversation à bâtons rompus, relançant le débat et interpellant ses spectateurs. "Ca vous plairait de raconter votre histoire dans un film ?", demande-t-elle. "Que ressentez-vous devant nous, célèbres prisonniers ?" rebondit un détenu. "On devrait ressentir quelque chose de particulier ?" plaisante la réalisatrice, avant d’enchaîner sur la vie carcérale. Mais l’heure est déjà passée, chacun doit regagner sa cellule. Tous ont l’air heureux de ce petit moment volé à la réalité. Avant de sortir, l’un des plus passionnés avoue qu’il a beaucoup aimé le film et le débat. "Et puis vous venez vers nous, et ça c’est un grand pas…" conclut-il, un sourire aux lèvres.

Cinéma et Prison (1) : les Rencontres Henri Langlois s’engagent

Posté par MpM, le 10 janvier 2009

Cela fait plus de dix ans que les Rencontres Henri Langlois ont à cœur d’inclure le milieu carcéral dans leur politique d’action culturelle. Chaque année, à l’occasion du Festival des films d’école, des séances de projection et de débat sont ainsi organisées à l’intérieur de la Maison d’arrêt de Poitiers. D’abord, les détenus regardent tous ensemble le film, puis ils peuvent échanger avec le ou la réalisatrice présent(e). Un temps fort qui marque souvent autant les spectateurs que les intervenants.

Aussi les Rencontres et la Scène nationale de Poitiers qui en a la gestion ont-elles immédiatement répondu présentes lorsque le Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation de la Vienne (le SPIP, qui s’occupe notamment des activités culturelles en milieu pénitentiaire) leur a proposé de prolonger leur action. Nicolas Silhol, scénariste et réalisateur, avait déjà animé des ateliers d’écriture de scénario, notamment en hôpital psychiatrique. Il souhaitait le faire en prison, ce que le Festival a ainsi pu proposer au SPIP. Il ne faut pas se leurrer, ce genre d’activité est "compliqué à mettre en ouvre", explique-t-il. Mais indispensable.

Quatre scénarii aux histoires bouleversantes 

A l’été 2007, grâce au soutien du SPIP et au financement de la DRAC Poitou Charentes, le premier atelier d’écriture se tient dans les quartiers hommes et mineurs de la Maison d’arrêt. Au bout de quatre séances en groupe réduit, il en ressort trois scénarios côté hommes et un côté mineur. Les histoires, sans être nécessairement autobiographiques, ne sont jamais bien loin du vécu de leur auteur. La prison, notamment, y occupe souvent une place centrale. Qu’il s’agisse d’un père qui découvre en cellule ce fils qu’il n’a jamais connu ou d’un détenu retrouvant l’amour de sa jeunesse, les histoires sont bouleversantes. Mais attention, pas question de faire de l’initiation au rabais : chaque scénario est écrit selon les règles du genre et correspond à une véritable recherche dramaturgique.

Logiquement, le projet est reconduit pour 2008, avec une séance supplémentaire et un rythme plus soutenu. Cette fois, trois détenues travaillent sur un scénario collectif et deux sur des textes individuels tandis que dans le quartier homme, trois scénarios sont finalisés. A nouveau, qualité et émotion sont au rendez-vous. A condition de lire entre les lignes, on est frappé de plein fouet par les regrets et les remords qui habitent les apprentis scénaristes. Mais aussi par l’amitié et la solidarité qui unit certains d’entre eux, comme dans le très beau texte écrit à six mains où trois détenues se serrent les coudes face à la tristesse et au désespoir.

La prochaine étape ? Un tournage, malheureusement, n’est pas envisageable. Mais peut-être les scénarios pourront-ils devenir des récits audio susceptibles d’être diffusés sur radio Accords, dans l’émission consacrée aux détenus et à leur famille. Et d’ici quelques mois, une nouvelle "promotion" de détenus pourra bénéficier des ateliers 2009… En attendant, qui sait, de nouvelles actions imaginées conjointement par le SPIP et la Scène nationale ?!

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A lire : les scénarios écrits lors des ateliers 2007 et 2008