Cinespana 2014 : une 19e édition sous le signe du contraste et de la modernité

Posté par MpM, le 3 octobre 2014

cinespanaOn retrouve chaque année avec plaisir le festival Cinespana qui porte haut les couleurs d'un cinéma comptant parmi les plus intrigants et audacieux d'Europe.

Si, avec l'arrivée de la crise, on s'était inquiété pour la créativité espagnole forcément bridée par les restrictions budgétaires et les difficultés sociales où se retrouvait le pays, la production des deux dernières années nous avait quelque peu rassuré.

Certes, l'industrie cinématographique espagnole se porte mal (il y est de plus en plus difficile de faire un film), mais ses créateurs ont su tirer profit des contraintes économiques pour offrir un cinéma en toute liberté, souvent très ancré dans la réalité contemporaine, et soucieux de renouveler les codes et les cadres.

On en aura la démonstration (efficace) lors de cette 19e édition du Festival toulousain avec notamment la sélection en compétition du très remarqué La belle jeunesse de Jaime Rosales (un portrait sombre des conséquences de la crise qui mêle prises de vue en 16mm et images numériques prises sur le vif ) ou encore du formellement original 10 000 km de Carlos Marques-Marcet (principalement filmé à travers une webcam).

Le reste de la programmation réunit un panorama de films contemporains, une programmation jeune public, un cycle "Sexe, genre et identités", des apéro concerts, une section "Mémoire et politique", une séance consacrée au cinéma de genre, et plusieurs hommages.

Les festivaliers pourront ainsi assister à une Rencontre avec l'actrice Lola Dueñas, à un hommage à la danseuse de flamenco et actrice espagnole Carmen Amaya et une carte blanche thématique ("Cinéastes de l’exil : Madrid, Mexico, Paris") au réalisateur, acteur et critique Luis E. Pares.

Le cinéma espagnol, dans ce qu’il a de plus contrasté, entre innovation et patrimoine, modernité et continuité, posera donc une fois de plus ses valises à Toulouse pour dix jours de projections, rencontres et soirées forcément animées.

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19e édition du Festival Cinespana
Du 3 au 12 octobre 2014
Infos et programmation sur le site de la manifestation

Cinespana 2013 : trois prix pour Los Ilusos de Jonás Trueba

Posté par MpM, le 7 octobre 2013

los ilusosLa 18e édition de Cinespana s'est achevée par le sacre de Los ilusos de Jonás Trueba, récompensé à la fois de la Violette d'or du meilleur film, du prix d'interprétation masculine (Francesco Carril) et de la meilleure musique (Abel Hernández).

Ce deuxième long métrage du fils de Fernando Trueba (L'artiste et son modèle) est un film expérimental qui parle, avec poésie et liberté, du désir de cinéma, thème récurrent de la compétition 2013.

Trois autres films se partagent les autres prix : la heridaFrontera de Manuel Pérez (un huis clos dans une prison, quimêle détenus et acteurs professionnels) est distingué pour sa photographie, La plaga de Neus Ballús (documentaire sur différents individus confrontés à la crise sociale) pour son scénario et La Herida de Fernando Franco (sur une femme souffrant d'un trouble de la personnalité borderline) vaut un second prix d'interprétation à Marian Álvarez après celui remporté à San Sebastian en septembre dernier.

otelloA noter enfin que le public a récompensé El Cuerpo de Oriol Paulo (le nouveau polar des producteurs de l'Orphelinat Juan Antonio Bayona) tandis que Otel.lo de Hammudi Al-Rahmoun Font (mise en abyme du tournage d'une adaptation décomplexée d'Othello) recevait le prix du meilleur premier film et Dime quien era sanchicorrota de Jorge Tur Molto (portrait en creux d'un bandit-héros du sud-est de la Navarre qui volait aux riches pour donner aux pauvres) celui du meilleur documentaire.

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Le palmarès complet

Violette d'or
Los ilusos de Jonás Trueba

Meilleure interprétation féminine
Marian Álvarez pour La Herida de Fernando Franco

Meilleure interprétation masculine
Francesco Carril pour Los ilusos de Jonás Trueba

Meilleure photographie
Oriol Bosch Vázquez, pour Frontera de Manuel Pérez

Meilleur scénario
Neus Ballús et Pau Subirós pour La plaga de Neus Ballús

Meilleure musique
Abel Hernández, pour Los ilusos de Jonás Trueba

Prix du public
El Cuerpo de Oriol Paulo

Meilleur premier film
Otel.lo de Hammudi Al-Rahmoun Font

Meilleur documentaire
Dime quien era sanchicorrota de Jorge Tur Molto

Prix du meilleur court métrage
Eskiper de Pedro Collantes
Mention spéciale à
Bendito machine IV de Jossie Malis

Cinespana 2013 : retour sur la compétition

Posté par redaction, le 4 octobre 2013

cinespana 2013Le Festival du Cinéma espagnol Cinespaña, dont la 18e édition se déroule à Toulouse jusqu'au 6 octobre, est nécessaire pour se rendre compte qu’il n’existe pas qu’un seul réalisateur en Espagne, l'incontournable Pedro Almodovar, connu de tous !

Au contraire, nous pouvons découvrir et apprécier toute une diversité de propositions artistiques, de long-métrages, premiers films, documentaires, courts-métrages, tous inscrits dans le cadre de la programmation du festival.

Patrick Bernabé, le vice-président et programmateur de Cinespaña, expliquait récemment que la sélection pour la compétition officielle est centrée sur le cinéma d’auteur et se fait selon plusieurs critères parmi lesquels prime avant tout la qualité du film dans son ensemble : qualité du scénario, critère d’originalité du film,  de sa proposition artistique, jeu des acteurs, etc.

Cette programmation très réussie pour sa 18e édition se caractérise effectivement par la qualité et la diversité.

los ilusosLos Ilusos de Jonas Trueba est un film expérimental, film dans et pour le film, métacinema ou cinéma qui se regarde et s’observe pour mieux trouver sa place. En même temps, il s’agit d’un film simple, qui s’écarte d’une narration cinématographique classique ; telle une recompilation de fragments de tâtonnements et possibilités.

Filmé en noir et blanc, avec une esthétique proche de la nouvelle vague, c'est un film poétique qui rend hommage au cinéma. Jonas Trueba, fils du grand réalisateur Fernando Trueba, a baigné dans le cinéma depuis son enfance et connaît son sujet. Il déclarait lors de l’interview qu’il nous a accordée que le film est construit sur trois axes fondamentaux : les amis, le besoin de continuer à travailler dans sa propre ville, Madrid, et l’appétit, le besoin ou la nécessité vitale de filmer. D’une grande originalité et d’une poésie rare, il s’agit d’une belle proposition de ce réalisateur talentueux.

Toujours axé sur le processus de création, ilusion l’expression de liberté en quête de reconnaissance de la place de l’artiste dans la société actuelle, Ilusión de Daniel Castro est une comédie à la fois drôle et intelligente. Daniel, le personnage principal du film, interprété par le réalisateur, est un scénariste qui cherche désespérément à vendre à un producteur son projet de comédie musicale ayant pour toile de fond la période de transition en Espagne [Nom donné à la période politique initiée en 1977, chargée d’assurer un rétablissement démocratique après la dictature de Franco].

Avec cette proposition loufoque et innocente à la fois de vouloir vendre une comédie musicale politique, le personnage principal nous livre toute une série de moments intimistes allant de simulation de remise de prix, possible préparation d’interview pour le Figaro et coups de gueule teintés d’humour à l’encontre de Haneke, réalisateur jugé trop « pessimiste ». Un film qui vaut vraiment le détour !

la fronteraLa Frontera de Manuel Pérez, est un film à caractère social, qui se déroule en huis clos dans une prison. Le groupe de théâtre de la prison de Quatre Camins à Barcelone se trouvera être mis en quarantaine suite à l’alarme donnée d’une possible contagion par un virus. L’isolement dans l’isolement et le manque d’information accentuent la manipulation, l’agressivité et l’égoïsme des sujets enfermés qui représentent finalement la société actuelle.

Il existe une frontière ou plusieurs : la frontière dans l’espace entre l’isolement et l’extérieur, la frontière psychologique ou personnelle des individus, la frontière esthétique dans un film qui se trouve entre le documentaire et la fiction. Le défi du film étant l’intégration, il mêle vrais codétenus et acteurs professionnels, et a été coécrit avec le groupe de théâtre de la prison en gardant comme prémisse l’isolement, la justification de cet isolement et un travail de groupe. Une proposition intéressante avec beaucoup de personnalité.

La Herida de Fernando Franco est un film intimiste, la heridatrès réaliste dans sa réalisation, centré sur le personnage d’Ana, interprété magistralement par Marian Alvarez, récemment consacrée meilleure actrice au Festival du Film de San Sébastian. Ana est une ambulancière épanouie dans sa profession mais isolée dans sa vie privée. Sa maladie, elle est borderline, fait qu’elle est toujours à fleur de peau, fragile, irritable, ce qui l’empêche de s’épanouir. Ce film qui a mis 5 ans avant de voir le jour est un film « dur » et « non commercial » selon les propos du réalisateur, Fernando Franco. L'idée de départ était de faire un documentaire sur cette maladie mais, observant que cela amenait à accentuer les symptômes des personnes borderline, le réalisateur a fait le choix de la fiction.

Marian Alvarez, l’actrice principale du film, lors de l’interview qu’elle nous a accordée, déclarait  sur le processus de travail du personnage : « J’ai eu beaucoup de temps pour préparer le personnage, car heureusement ou malheureusement le projet a mis beaucoup de temps a aboutir, je me suis centrée sur des recherches dont la source d’information principale provenaient de blogs, un temps pour répéter qui a été essentiel et ma proposition était m’ouvrir de l’intérieur. Je savais que cela allait être douloureux mais je savais aussi que Fernando (Franco) était derrière moi pour me soutenir. Ce personnage m’a amené un vertige immense j’avais besoin de lâcher prise sur toute forme de contrôle car le personnage ne prend conscience à aucun moment qu’il est malade ». C’est un des films incontournable de ce festival et il nous livre une belle prestation d’actrice.

la plagaLa plaga de Neus Ballus présente une double particularité dans cette sélection. Il s’agit d’un documentaire et c’est une femme qui le réalise. Ce film, présélectionné au Festival du Film de Berlin, est un documentaire car il s’agit de la vraie vie des personnages, mais présente une construction, une narration très proches de la fiction.

La Plaga est un beau voyage. Il nous livre une succession d’images très poétiques, une série de portraits de plusieurs individus très différents qui sont parfois amenés à se rencontrer (une personne âgée en maison de retraite, un agriculteur catalan, un lutteur de catch moldave, une infirmière philippine, une prostituée). Tous humains, simples et atteints par ce « fléau » qu'est la crise sociale (signification de La plaga en espagnol).

Enfin, Fil de Cain de Jesus Monllaó el cuerpoet El cuerpo d’Oriol Paulo, deux films à suspens ou films policiers, très bien construits, qui comptent avec la présence de José Coronado, en tant qu’acteur et invité spécial du Festival, sont sans doute les propositions les plus « commerciales » ou plus ouvertes au public. La salle était d'ailleurs comble lors de la projection de El cuerpo, le très attendu film de Rodar y Rodar, producteurs de L’Orphelinat (El Orfanato de Juan Antonio Bayona).

L'édition 2013 de Cinespana proposait donc une compétition diversifiée où on peut observer trois des tendances qui sont par ailleurs le reflet de l’actualité du cinéma espagnol :

- La baisse considérable du budget accordé à la culture en Espagne et des aides à la création s’est dramatiquement répercutée sur la production et les moyens de financement des films. La plupart des films présents à Toulouse sont donc par la force des choses autofinancés, c’est-à-dire financés par les réalisateurs avec leurs propres moyens.
- Une grande présence d’un métacinema ou de films faits pour ou dans le cinéma,  un cinéma qui s’observe, se regarde et cherche sa place.
- La présence d’un hyperréalisme et des films souvent à la frontière entre le documentaire et la réalité.

De difficiles délibérations attendent sans aucun doute les membres du Jury à l’heure de décider qui seront les lauréats de cette 18e édition de Cinespaña...

Banafcheh Pérez

Cinespana 2013 : Les sorcières de Zugarramurdi, nouveau délire grinçant d’Alex de la Iglesia

Posté par redaction, le 2 octobre 2013

Les Sorcières de ZugarramurdiLes sorcières de Zugarramurdi, le nouveau et très attendu film d’Alex de la Iglesia, comédie noire et extravagante sur fond de sorcellerie, était présenté mardi en grande avant-première dans le cadre du 18e Festival du cinéma espagnol Cinespaña, où il a reçu un très bon accueil du public. Prochainement sur les écrans en France (Sortie Rezo Films), le film est déjà devenu numéro un des entrées en Espagne depuis sa sortie en salles le 27 septembre dernier, rapportant plus d’1,2 million d’euros.

Un groupe d’hommes décide de braquer un magasin, malheureusement Jose amène son fils Sergio de 8 ans pour le réaliser (les mardis et un week-end sur deux il en a la garde), la femme d’Antonio prend le véhicule destiné à la fuite pour faire des courses, et ils se retrouvent obligés de continuer la course poursuite en taxi, avec un otage et leur butin composé de 25000 bagues d’or, jusqu’à Zugarramurdi, un village de sorcières.

Ce petit village du pays basque, sorte de Salem espagnol, est tristement célèbre puisqu’en 1610 s’y est tenu le plus grand procès en sorcellerie : arrestations, condamnations, torture et mise à mort sur le bûcher.

Zugarranmurdi sert donc à Alex de la Iglesia de prétexte et de toile de fond pour faire un film actuel qui mélange fantastique et comédie, pour déployer un humour noir doublé d’un arrière fond social et pour renouer avec la folie de ses premiers films en se dotant des moyens d’une production spectaculaire. Ces moyens lui permettent d’avoir recours à toute une série d’effets spéciaux, gags, dialogues qui fonctionnent à la perfection. De plus, il réunit de très bons acteurs, têtes d’affiche en Espagne comme Hugo Silva, Mario Casas ou Carmen Maura (qui vient de recevoir un prix honorifique pour l’ensemble de sa carrière au festival de Saint-Sébastien).

Seul regret : des excès dans une mise en scène trop chargée, une cérémonie de sorcières noyée par l’opulence, et du coup une certaine perte de vitesse vers la fin.  Ce qui ne l’empêche pas d’être un très bon film dans son ensemble, et une comédie exceptionnellement réussie.

Banafcheh Pérez

Cinespana 2012 : nouvelle consécration pour Javier Rebollo avec El muerto y ser feliz

Posté par MpM, le 9 octobre 2012

La 17e édition du Festival Cinespana a vu le couronnement de Javier Rebollo qui, deux ans après son prix pour La mujer sin piano, remporte à nouveau la Violette d'Or du meilleur film. Son nouveau long métrage, El muerto y ser feliz, déjà récompensé à San Sebastian (coquillage d'argent du meilleur acteur pour Jose Sacristan) raconte le périple argentin d'un tueur à gages sur le point de mourir. La prestation de l'actrice Roxana Blanco a également séduit le jury présidé par Agnès Jaoui qui lui a décerné le prix de la meilleure interprétation féminine.

A puerta fria de Xavi Puebla remporte également deux prix : meilleur scénario et meilleure interprétation masculine pour Antonio Dechent. Le film explore la rivalité entre deux vendeurs, dont l'un est menacé de licenciement, au cours d'un important salon professionnel.

Les autres longs métrages distingués pendant le festival sont Els nens salvatges de Patricia Ferreira (meilleure musique originale pour Pablo Cervantes), De tu ventana a la mia de Paula Ortiz (meilleure Photographie pour Migue Amoedo) et Seis puntos sobre Emma de Roberto Pérez Toledo (meilleur premier film et prix du public).

Pour l'instant, aucun des lauréats ne semble avoir de date de sortie en France.

Le palmarès complet

Violette d'or du meilleur film
El muerto y ser feliz de Javier Rebollo

Meilleure interprétation féminine
Roxana Blanco dans El muerto y ser feliz de Javier Rebollo

Meilleure interprétation masculine
Antonio Dechent dans A puerta fria de Xavi Puebla

Meilleur scénario
Jesús Gil Vilda et Xavi Puebla pour A puerta fria de Xavi Puebla

Meilleure musique originale
Pablo Cervantes pour Els nens salvatges de Patricia Ferreira

Meilleure photographie
Migue Amoedo pour De tu ventana a la mia de Paula Ortiz

Meilleur premier film
Seis puntos sobre Emma de Roberto Pérez Toledo

Meilleur Court-métrage
Zeinek Gehiago iraun de Gregorio Muro

Meilleur Documentaire
Mejunje de Juan Manuel Gamazo

Prix du Public
Seis puntos sobre Emma de Roberto Pérez Toledo

Cinespana 2012 / Espagnolas à Paris : avant-première du captivant « N’aie pas peur »

Posté par MpM, le 6 octobre 2012

N'aie pas peurDeux rendez-vous incontournables du cinéma espagnol, Espagnolas en paris et le festival Cinespana de Toulouse, avaient choisi cette semaine de présenter en avant première le film N'aie pas peur de Montxo Armendariz qui sortira sur nos écrans le 31 octobre prochain. Une œuvre forte et violente qui aborde frontale ment la question de l'inceste et surtout la difficulté qu'éprouvent les victimes à se reconstruire après avoir subi ce type d'abus sexuels.

Très sobre formellement (puisque les scènes sexuelles entre le père et la fille sont systématiquement suggérées et non montrées), le film montre à la fois le douloureux parcours de son héroïne, de son enfance au jour où elle décide de se révolter contre son bourreau, et des témoignages poignants d'autres personnes, hommes et femmes de tous âges, qui ont également vécus l'inceste.

En cadrant Sylvia (Michelle Jenner) de près, son visage net se découpant sur un fond presque toujours flou, avec seulement des bribes de son direct nous parvenant, Montxo Armendariz isole la jeune femme du monde dans lequel elle évolue comme pour bien faire sentir qu'elle n'appartient pas à ce monde dont elle n'a pas les clefs. Quoique libre d'aller et venir, elle est comme emmurée en elle-même, privée de parole et de libre-arbitre, condamnée à se percevoir comme l'objet impuissant du désir de son père. La mise en scène acérée conduit ainsi à une impression de huis clos oppressant où le mal-être de l'héroïne donne un relief particulier à chaque parole échangée, chaque regard, chaque geste esquissé.

Car Montxo Armendariz donne à voir la réalité concrète de l'inceste : dilemme entre amour (père ambigu qui se montre prévenant et attentionné) et haine, sentiment d'incompréhension, n'aie pas peurde culpabilité et de trahison, malaises physiques, et une immense solitude qui agit comme un cercle vicieux et empêche la victime de briser le silence. La fin est d'ailleurs ouverte car le processus de "libération" est long. On ne guérit jamais complètement des plaies laissées par un inceste mais on apprend à vivre avec, semble dire le film.

Il livre ainsi une réflexion juste et sensible sur un sujet qui reste souvent tabou. Lors de la présentation du film à Espagnolas en Paris, Montxo Armendariz a d'ailleurs expliqué que cela faisait partie des raisons fondamentales qui l'avaient poussé à réaliser N'aie pas peur : "Dans notre pays et dans nos sociétés occidentales, l'inceste demeure méconnu. Les gens subissent en silence. Le cinéma leur rend leur voix, et c'est la seule manière de trouver une solution. J'ai passé du temps avec des gens qui avaient subi des violences sexuelles et j'ai vu le temps que cela leur prend pour surmonter ce traumatisme. Toutes ces personnes luttent contre un destin qui a mis leur vie par terre, et ça peut arriver à tout le monde."

Parfois, certains cinéastes se réfugient derrière un douloureux sujet de société pour réaliser un film plein de bons sentiments, et cinématographiquement pauvre. Mais dans le cas de N'aie pas peur, le cinéma est incontestablement présent, totalement au service d'un thème auquel il donne résonance et profondeur. Une œuvre maîtrisée et puissante à découvrir de toute urgence dès le 31 octobre.

Cinespana 2012 : Cinq bonnes raisons d’assister à la 17e édition du Festival

Posté par MpM, le 27 septembre 2012

cinespanaDu 28 septembre au 7 octobre, le cinéma espagnol est à la fête à Toulouse. Pour sa 17e édition, Cinespana propose un programme plus foisonnant que jamais, proposant des dizaines de longs métrages, de courts et de documentaires. Pour vous y retrouver, Ecran Noir, partenaire de la manifestation pour la 6e année consécutive, a dressé la liste des cinq raisons essentielles de faire le déplacement.

La compétition officielle

C'est le cœur du festival. Sept longs métrages de fiction, tous inédits, concourent pour la Violette d'or, décernée par le jury d'Agnès Jaoui. Parmi les concurrents, on retrouve un huis clos étonnant dans une salle de bains (Madrid 1987 de David Trueba), un road-movie en compagnie d'un tueur à gages mourant (El muerto y ser feliz de  Javier Rebollo, lauréat de la Violette d'or en 2010 pour La mujer sin piano) ou encore un film à six yeux se déroulant au Mozambique (Kanimambo de Adán Aliaga, Carla Subirna et Abdelatif Hwidar). En parallèle, le Festival propose également une compétition de premiers films, de courts métrages et de documentaires.

Les avant-premières

Les festivaliers toulousains auront également la chance de découvrir en avant-première plusieurs longs métrages très attendus comme la nouvelle folie d'Alex de la Iglesia, La chispa de la vida, l'histoire d'un homme qui obtient popularité et attention lorsqu'il se retrouve avec une barre de fer plantée dans la tête,  Rêve et silence de Jaime Rosales, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes cette année, ou encore Insensibles de Juan Carlos Medina qui aborde la question des enfants insensibles à la douleur internés et martyrisés pendant la guerre civile.

Les hommages

Cette année, plusieurs hommages sont rendus à des célébrités du cinéma espagnol, en leur présence. C'est notamment le cas du jeune réalisateur Isaki Lacuesta (La noche que no acaba, Los condenados…) à qui est consacré une rétrospective et de l'acteur Luis Tosar (Les lundis au soleil, Ne dis rien…), présent pour évoquer son travail de comédien. Par ailleurs, le critique et programmateur du Festival du film européen de Séville José Luis Cienfuegos (voir aussi notre actualité du 22 septembre) s'est vu offrir une carte blanche.

Les rencontres

L'une des particularités de Cinespana est de permettre aux spectateurs de rencontrer les (nombreuses) équipes de films présentes. A l'issue des séances s'engagent ainsi des débats et des conversations qui se poursuivent régulièrement dans la cour de la cinémathèque, autour d'un verre ! Une occasion unique d'échanger en toute convivialité avec de grands artistes espagnols. Sont ainsi attendus cette année Jaime Rosales, Juan Carlos Medina, Montxo Armendáriz, Javier Rebollo... sans oublier Agnès Jaoui, la présidente du jury longs métrages !

L’ambiance

Qui dit cinéma espagnol dit bonne humeur et même "fiesta" ! En effet, à Cinespana, la tradition veut que la cour de la cinémathèque où se déroule le festival se transforme chaque soir en salle de spectacles. Ces fameux "apéro-concerts" ouverts au public permettent de danser au rythme du tango, du jazz ou encore de musique latino-américaine ou caribéenne. De quoi se restaurer mais aussi décompresser entre deux séances...

Le festival d’un jour clôt la saison 2011 d’Espagnolas en Paris

Posté par MpM, le 12 décembre 2011

crebinskyPour la dernière de l'année, Espagnolas en Paris  invente un concept novateur et festif, un festival d'un jour centré autour d'un film joyeux, poétique et décalé, qui a déjà su séduire le jury du Festival Cinespaña 2011 : Crebinsky d'Enrique Otero, Violette d'or lors de la dernière manifestation toulousaine, mais également double prix d'interprétation pour les acteurs Miguel De Lira et Sergio Zearreta et prix de la meilleure musique pour le compositeur Pablo Pérez.

Au programme de cette journée exceptionnelle, deux rencontres professionnelles (l'une entre Enrique Otero et des universitaires parisiens et l'autre sur la question des perspectives du cinéma espagnol, avec notamment la présentation du catalogue de la production galicienne 2012) et une soirée pleine de surprises au Majestic Passy.

En présence du réalisateur Enrique Otero et de Miguel de Liria, acteur et scénariste, Crebinsky sera ainsi présenté au public et recevra symboliquement le prix C+ du Festival d'un jour, destiné à encourager sa sortie dans les salles françaises.

Un hommage sera rendu par la même occasion au festival Cinespaña de Toulouse en présence de Françoise Palmerio-Vielmas, présidente de Cinespaña, Patrick Bernabé, vice-président, et Judith Colell, vice-présidente de l'Académie du cinéma espagnol. L'occasion de rappeler l'important travail de découverte de diffusion réalisés par l'équipe de Cinespana depuis maintenant plus de quinze ans.

Après la projection, place aux festivités avec le premier concert français de la Banda Crebinsky au grand complet (dix musiciens) et un buffet de Noël à base de produits galiciens.

Moralité, ce nouveau festival a beau ne durer qu'une journée, il parvient quand même à concentrer les principaux temps forts de toute fête du cinéma qui se respecte : un bon film, des rencontres, et une ambiance chaleureuse !

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Festival d'un jour
Lundi 12 décembre 2011
au Majestic passy

Informations sur le site d'Espagnolas en Paris

Cinespana 2011 : Crebinsky et 80 Egunean se partagent les prix

Posté par MpM, le 10 octobre 2011

Le choix du jury de la 16e édition de Cinespana, présidé par Anne Alvaro, s'est donc porté sur notre film favori, le poétique et burlesque Crebinsky de Enrique Otero qui rafle la mise avec la Violette d'or du meilleur film, un double prix d'interprétation pour les acteurs Miguel De Lira et Sergio Zearreta et une récompense pour la musique du compositeur Pablo Pérez. 80 egunean de José Mari Goenaga et Jon Garaño, le favori du public (qui lui a d'ailleurs décerné son prix),  tire lui aussi son épingle du jeu avec un double prix d'interprétation pour ses formidables actrices, Itziar Aizpuru et Mariasun Pagoaga, et le prix du scénario pour ses auteurs.

Un palmarès intelligent et équilibré qui conclut en beauté une édition 2011 particulièrement captivante. Cette année, la compétition était en effet assez contrastée (voir notre article du 8 octobre), offrant un aperçu convaincant de la richesse du cinéma espagnol contemporain. En choisissant de mettre en avant la fantaisie joyeuse de Crebinsky, où deux frères naufragés mènent une existence simple dans un univers de bric et de broc, les jurés ont finalement choisi de récompenser un cinéma créatif et baroque, tourné vers l'humain et la légèreté. De même, ils ont voulu distinguer le sujet fort de 80 egunean, drame intimiste, où une femme de soixante-dix ans s'éprend d'une ancienne camarade de classe. Un film qui, malgré ses défauts de narration, aborde avec beaucoup de pudeur cette relation amoureuse tatonnante et fragile.

Avis aux distributeurs : les deux oeuvres, sensibles et originales, pourraient connaître un joli succès dans les salles françaises...

Le palmarès

Violette d'or du meilleur film
Crebinsky de Enrique Otero

Meilleure interprétation masculine
Miguel De Lira et Sergio Zearreta (Crebinsky de Enrique Otero)

Meilleure interprétation féminine
Itziar Aizpuru et Mariasun Pagoaga (80 egunean de José Mari Goenaga et Jon Garaño)

Meilleur scénario
José Mari Goenaga et Jon Garaño pour 80 egunean

Meilleure musique
Pablo Pérez pour Crebinsky de Enrique Otero

Meilleure photographie
Rafael de la Uz pour La mitad de Oscar de Manuel Martín Cuenca

Meilleur premier film décerné par le Jury Etudiant
Cruzando el límite de Xavi Giménez

Meilleur court métrage décerné par le jury Professionnel des Courts-Métrages
Les (El bosque) de Aida Ramazánova

Mention spéciale
La hégira de Liteo Deliro et Te odio de Rafael Rojas-Díez

Meilleur documentaire décerné par le jury Professionnel des Documentaires
La noche que no acaba de Isaki Lacuesta

Prix du public
80 egunean de José Mari Goenaga et Jon Garaño

Cinespana 2011 : des nouvelles du cinéma espagnol

Posté par MpM, le 8 octobre 2011

Il faut des festivals comme celui de Cinespana pour se rendre compte de la variété et de la diversité du cinéma espagnol contemporain, dont on a trop souvent l’impression qu’il se résume à deux ou trois réalisateurs-phares, quelques films de genre, et une poignée de documentaires revenant sans répit sur le traumatisme de la guerre civile. A Toulouse, durant une semaine, on découvre en effet une production espagnole particulièrement contrastée, proposant un large (donc parfois inégal) éventail allant de la comédie populaire au film d’auteur flirtant avec la recherche expérimentale.

Étonnant contraste, par exemple, entre En fuera de juego de David Marqués, une comédie sur le milieu du foot, jouant plus ou moins finement des dissensions entre Espagnols et Argentins, et Estrellas que alcanzar de Mikel Rueda Sasieta, un drame historique sur le destin de femmes de républicains internées dans un camp de prisonnières politiques pendant la guerre civile !

Toutefois, les œuvres présentées dans la compétition principale ont globalement en commun un aspect intimiste, mis au service d’histoires qui privilégient l’humain. Si les relations familiales sont souvent conflictuelles (La mitad de Oscar de Manuel Martin Cuenca  met en scène un frère et une sœur se retrouvant après une longue séparation, et peinant à renouer des liens ; Open 24h de Carles Torras  montre un père indigne qui tyrannise et maltraite son fils handicapé), l’amitié se manifeste sous des formes atypiques : une jeune immigrée et un vieil homme mourant (Amador de Fernando Leon de Aranoa), une retraitée un peu coincée et son ancienne camarade de classe bohème et survoltée (80 egunean de José Mari Goenaga et Jon Garano )… Même les stéréotypes de Carne de neon de Paco Cabezas, bras cassés qui se rêvent gangsters, cultivent une amitié sincère soigneusement masquée par un excès de virilité fanfaronne.

Les milieux divergent (de la bourgeoisie à l’indigence), mais les enjeux restent les mêmes : se recréer une famille d’adoption, un petit monde où il fait bon vivre. C’est flagrant avec les personnages de Crebinsky de Enrique Otero qui vivent comme des naufragés dans un univers qu’ils ont entièrement modelé, mais aussi avec l’appartement protecteur où se réfugie l’héroïne d’Amador, la chambre d’hôpital où se retrouvent les deux amies de 80 egunean, ou encore le club "Hiroshima" que le jeune Ricky offre à sa mère dans Carne de neon

Esthétique dépouillée, survoltée ou classique : tous les styles sont en compétition !

Formellement, les différences sont plus tranchées. La recherche esthétique de Open 24h contraste avec la trivialité de son sujet: un homme confronté à une succession d’injustices et d’humiliations. Les plans relativement dépouillés, le clair obscur qui se veut expressionniste, les partis pris de mise en scène, entre élégance et anxiété, ajoutent une tension psychologique à une intrigue par ailleurs minimaliste. Incontestablement, Carles Torras sait se servir d’une caméra. Dommage qu’il n’ait pas plus soigné le scénario, dont le crescendo final est raté et prévisible.

De son côté, Carne de neon se distingue avec une esthétique résolument moderne, ultra-découpée, servie par une narration survoltée et ne se refusant aucun effet de mise en scène, même les plus maniérés.  Entre ultra violence et humour noir, Paco Cabezas lorgne visiblement du côté d’Alex de la Iglesia, à qui il emprunte un univers sordide et bigarré où les valeurs morales les plus élémentaires n’ont plus cours. Derrière l’outrance, le sexisme apparent et la bêtise crasse se profile une vision au vitriol d’une société espagnole détraquée.

Dans un genre totalement différent, Crebinsky de Enrique Otero touche par sa poésie et sa fantaisie burlesque. Tel un Kusturica ibérique, le réalisateur invente à partir de trois fois rien un univers baroque et décalé où se croisent des êtres aussi variés qu’une vache nommée Mushka, deux frères naufragés, des soldats américains, un parachutiste nazi et une chanteuse de cabaret. Un conte tendre et léger sur le destin, le hasard et l’ironie du sort.

Toutefois, le jury pourrait bien avoir privilégié des œuvres plus classiques mais à la thématique plus engagée. Cinématographiquement, 80 egunean et Amador souffrent des mêmes défauts : un scénario déséquilibré, une surenchère de bons sentiments, un manque de rythme… Mais sur le fond, ils ont tous les deux le mérite d’aborder avec pudeur un sujet qui reste sensible. 80 egunean à travers une amitié amoureuse entre deux femmes âgées, Amador en touchant au tabou de la mort et à la difficulté de l’exil.

C’est donc une lourde tâche qui attend le jury présidé par Anne Alvaro. Car en composant le palmarès, ce n'est pas seulement un certain type de cinématographie qu’il choisira de privilégier, mais bien une vision spécifique de notre monde, engagée à la fois socialement et politiquement.