Retour sur la 66e édition du Festival de courts métrages d’Oberhausen

Posté par MpM, le 4 juin 2020, dans Courts métrages, Festivals, Films.

La situation sanitaire a au moins un avantage, celui de rendre accessible à tous un certain nombre d'événements et manifestations ayant choisi de passer en version dématérialisée. On a ainsi pu découvrir courant mai le Festival du court métrage d'Oberhausen (Allemagne) qu'il ne nous avait jamais été donné de couvrir. En préambule, évidemment, rien ne vaut l'expérience d'un festival physique, avec des séances en salles, et surtout des rencontres et des échanges à la fin de chaque journée (autour d'un verre, ou pas, chacun fait ce qu'il veut).

Mais même dans la solitude de son salon, cette 66e édition d'Oberhausen fut riche et captivante, minutieusement organisée pour une découverte on-line, avec des publications régulières de programmes disponibles pendant 48h et des courtes interviews venant éclairer la plupart des films en compétition. Elle fut surtout particulièrement inspirante pour tous ceux qui s'intéressent au cinéma sous toutes ses formes.

Car autant le dire tout de suite, la programmation d'Oberhausen ne ressemble pas exactement à celle de la plupart des festivals de courts métrages que l'on a l'habitude de fréquenter. Bien sûr, on y trouve plusieurs compétitions (internationale, allemande, et régionale, cette dernière étant consacrée aux films d'école), des focus sur des auteurs tels que Maya Schweizer et Philbert Aimé Mbabazi Sharangabo, de nombreux programmes jeunesse pour tous les âges, de 3 à 16 ans, mais surtout une grande quantité d'autres programmes proposant notamment des cartes blanches à des fonds d'archives spécialisés tels que Cyland Video Archive ou des distributeurs spécialisés dans le cinéma expérimental et les vidéos d'art tels que LIMA aux Pays-Bas, Filmform en Suède et Light Cone en France.

Une offre foisonnante et riche de films singuliers et "à la marge" qui était tout à fait au diapason d'une compétition internationale elle-même très axée sur des choix de cinéma audacieux. Se refusant résolument à être un simple best of des "meilleurs" courts des derniers mois (c'est-à-dire de ceux ayant déjà tourné partout), la compétition réunissait en effet un mélange hétéroclite et passionnant de films étranges et hors-normes mêlant documentaires conceptuels, installations vidéo, essais expérimentaux et recherches formelles radicales. La narration n'était pas forcément le maître mot de la majorité de ces oeuvres mais on y sentait un intérêt pour le geste de cinéma, une réflexion sur le médium, un regard privilégié porté sur l'instant.

Expériences immersives

Quelques films, notamment, amenaient le spectateur à faire l'expérience particulière, souvent immersive, presque physique, d'un lieu donné. C'est le cas de Chris Kennedy qui, dans The Initiation Well (Canada), descend à l'intérieur d'un puits d'initiation portugais et nous en fait éprouver la réalité circulaire, mouvante, presque floue, qui rend le lieu et ceux qui le visitent fantomatiques et insaisissables. On a le même sentiment face à Junkerhaus de Karen Russo (Allemagne) qui nous emmène dans la résidence de l'artiste Karl Junker. Méditation sur le lieu plus qu'explication sur sa construction, le film donne vie à ses étranges sculptures par des jeux de lumière et de projection.

Dans un style plus documentaire, mais toujours dénué d'explications superflues, A Thin Place de Fergus Carmichael (Royaume Uni) plonge le spectateur dans les célébrations du solstice d'été sur la colline de Glastonbury Tor (Angleterre) et lui fait vivre l'expérience d'une joyeuse communion collective sur fond de mythologie celtique et de nouvelles technologies. Josef Dabernig, lui, nous emmène chez le dentiste. Heavy Metal Detox (Autriche) est en effet un cauchemar éveillé pour ceux que l'idée même de la roulette met au supplice. Dans un noir et blanc glaçant, le film montre avec une distanciation ironique, mais malaisante, différents actes de chirurgie dentaire qui nous ont semblé intolérables (mais c'est très personnel).

Problématiques environnementales

D'autres thématiques plutôt classiques se dégageaient également de cette sélection, traitées elles-aussi sur un mode décalé, formaliste ou conceptuel. Plusieurs films abordaient par exemple des problématiques environnementales, à l'image de Extrañas Criaturas de Cristóbal León et Cristina Sitja (Chili), qui sous forme de conte, dans une esthétique rétro volontairement naïve et un style d'animation ouvertement artisanal, met en scène des animaux confrontés à la destruction de leur forêt par leurs voisins humains, contraints d'expliquer à ces "étranges créatures" ce qu'est le concept d'habitat.

Camera Trap de Chris Chong Chan Fui (Malaisie) met quant à lui en parallèle des images vieilles de plus de cent ans (celles du photographe et inventeur du zoopraxiscope Muybridge) et d'autres contemporaines, prises dans les forêts tropicales de Borneo. S'y côtoient ainsi des animaux confinés auxquels le procédé de Muybridge redonne le mouvement et d'autres surpris dans leur habitat naturel, saisis par l'indiscrétion de "pièges photographiques" se déclenchant automatiquement. Le film, qui était à l'origine une installation, met ainsi subtilement en parallèle la manière dont notre rapport aux animaux et à la nature en général a changé en l'espace d'un siècle.

Enfin, L’eau faux de Sverre Fredriksen et Serge Onnen (Pays-Bas) est une parabole sur le cycle de l'eau, observant et retranscrivant ce cycle dans sa dimension la moins naturelle possible, celle de l'eau en bouteille. Mélangeant prise de vues continue et animation, le film est un objet déroutant, tantôt abstrait, tantôt grotesque, qui questionne le paradoxe d'un élément constitutif du cycle naturel de la vie transformé en vulgaire bien de consommation.

Transmissions

Dans un autre registre, les questions de transmission, notamment de l'histoire commune des minorités éthniques, étaient elle aussi au centre de plusieurs films, tels que O Jardim Fantástico de Tico Dias et Fábio Baldo (Brésil), dans lequel une institutrice veut inciter ses élèves à renouer avec leurs racines et à découvrir les secrets d'une réalité cachée à travers le rituel de la consommation de Ayahuasca. Dans Oursons de Nicolas Renaud (Canada), c'est un Canadien natif qui témoigne de son existence dans la Réserve de Lorette, et de la manière dont les habitants (appartenant aux Hurons-Wendats) ont peu à peu été chassés par le gouvernement local au profit de "clubs" réservés aux élites.  A travers ses souvenirs et son expérience, il interroge la disparition progressive de l'identité de son peuple.

Le film ( ( ( ( ( /*\ ) ) ) ) ) de Saúl Kak et Charles Fairbanks (Mexique) observe quant à lui la vie dans un petit village du Chiapas où s'est réfugiée la communauté zoque suite à l’éruption du volcan Chichonal. Sans commentaires, mais avec un sens aigu du montage, le film nous plonge dans l'ambiance presque pittoresque des annonces publicitaires crachées par les hauts parleurs, sur fond de contexte électoral et de revendications liées à l'exil forcé de tout un peuple.

Le cinéma comme sujet

Il faut enfin relever la multiplicité des films portant un regard réflexif sur leur propre forme, et sur le média cinéma en général. On a déjà parlé de Camera trap de Chris Chong Chan Fui, qui juxtapose les procédés de Muybridge avec sa propre pratique consistant à animer image par image les photographies prises par des cellules automatiques posées telles des pièges dans les forêts de Borneo. We Still Have to Close Our Eyes de John Torres (Philippines) réunit des images prises dans les lieux et décors d'autres films en train de se tourner à Manille (ceux de Lav Diaz, Erik Matti, Dodo Dayao, Joel Ferrer et Dan Villegas), proposant une fiction étrange et fantomatique sur les dérives d'une application permettant à l'utilisateur de prendre le contrôle de véritables personnes, les dirigeant à sa guise comme des avatars de jeu vidéo. Une dystopie inquiétante dont toute ressemblance avec le régime autoritaire du président Dutertre n'est évidemment pas fortuite, doublée d'une plongée troublante dans les coulisses du cinéma philippin.

Hacer una Diagonal con la Música d'Aura Satz (Royaume Uni) est un documentaire que l'on pourrait qualifier de plus traditionnel, bien qu'il s'ouvre sur une porte qui grince. C'est un portrait fascinant de la compositrice électroacoustique argentine Beatriz Ferreyra qui explique, démonstration à l'appui, et avec humour, comment elle collectionne les sons, à la recherche de ceux dont elle aura un jour besoin pour recomposer un élément sonore particulier. Avec Patentti Nr. 314805, Mika Taanila (Finlande)  fait en quelque sorte écho à ces recherches sur le son, puisqu'il a exhumé des séquences tournées en 1914 par Eric Tigerstedt avec son invention alors révolutionnaire; le photomagnétophone permettant d'enregistrer les images et le son simultanément. La guerre l'a malheureusement empêché de voir reconnaître son procédé. Ce que l'on voit dans Patentti Nr. 314805, ce sont des ondes noires matérialisant les voix et les bruits qui nous parviennent du passé, de manière désormais banale, tant nous y sommes habitués, et en réalité comme par miracle.

Enfin, A Month of Single Frames de Lynne Sachs, qui a d'ailleurs remporté le Grand Prix du Jury, est un dialogue à travers le temps entre les images tournées par la réalisatrice Barbara Hammer lors d'une résidence de réalisation en 1998 et le travail effectué sur ces images par la réalisatrice Lynne Sachs vingt ans plus tard, à la demande de Barbara Hammer qui était malade. Le film mêle les recherches expérimentales de Barbara Hammer, le journal tenu par la cinéaste à l'époque, et qu'elle lit en voix-off, mais aussi des scènes contemporaines et des commentaires de Lynne Sachs ajoutés directement sur l'image. La nature joue un rôle primordial dans ces images, gorgées de soleil et de couleurs, mais aussi de la simplicité chère à Barbara Hammer. On sent en filigrane le temps qui passe, et la solitude à la fois féconde et mélancolique de la créatrice. On comprend pourquoi le jury a été séduit par la combinaison des recherches formelles de Barbara Hammer et du regard porté a posteriori sur son travail, proposant un duo à deux voix à vingt ans d'écart.

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