Et si on regardait… Bullitt

Posté par vincy, le 20 avril 2020

C'est ce soir, à 20h55, sur France 5 et on vous recommande vivement de regarder Bullitt, cette pépite du film noir datant de 1968. L'histoire en elle-même a peu d'importance (d'ailleurs Robert Vaughn avoue n'avoir jamais vraiment bien compris le scénario): Le lieutenant de police de San Francisco, Frank Bullitt, est chargé par un politicien ambitieux, Walter Chalmers, de protéger Johnny Ross, gangster dont le témoignage est capital dans un procès où est impliqué l'homme politique. Malgré les précautions prises par Bullitt et ses hommes, Ross est grièvement blessé et décède des suites de ses blessures sur son lit d'hôpital. Bullitt mène alors l'enquête pour retrouver les meurtriers.

Mais voilà, une histoire banale, adaptée du roman Un silence de mort (Mute Witness) de Robert L. Fish, devient là un film dont une seule séquence l'a fait entrer dans le mythe hollywoodien.

Une course-poursuite d'anthologie, qui est toujours étudiée en école de cinéma. Il faut dire que les stars s'effacent au profit des voitures. Seules les belles mécaniques sont les héroïnes de cette longue scène haletante à travers les rues de San Francisco. On comprend en voyant le montage de cette montée en puissance pourquoi Frank P. Keller a reçu l'Oscar du meilleur montage. En utilisant les lignes droites et les pentes des collines de la ville, pour mieux s'échapper dans les faubourgs, on visite la ville, pieds au plancher, avec une Ford mustang et une Dodge qui se toisent des phares. Cela file entre 120 et 180 km/h, avec un seul point de vue: celui du pilote, comme dans un jeu vidéo. Trois semaines de tournage pour 10 minutes et 50 secondes de vroum-vroum (le son n'a pas été négligé). Pas de truquage, mais des faux raccords et quelques répétitions de plans pour remplir et faire la transition.

Au volant (pas tout le temps, pour des questions d'assurances), on retrouve la star, pilote accompli et producteur du film, Steve McQueen. C'est l'autre bonne raison de revoir le film. Au sommet de son glam, l'acteur joue à la perfection sa nonchalance, cette cool-attitude un brin décalée qui le rend singulier dans ce monde de pourris. Ce flic rebelle a été inspiré par l'inspecteur Dave Toschi, chargé de l'affaire du Zodiac, tueur en série des années 1960 (à San Francisco) qui deviendra un sujet récurrent pour le cinéma et la télévision. De Brad Pitt (Ocean's 11) à Ryan Gosling (Drive évidemment), nombreux sont les stars contemporaines qui ont été influencées par son jeu basé sur le mouvement et le minimalisme.

Aujourd'hui, il reste de tout cela, le look de Steve McQueen: imper, bottes, veste avec coudières, lunettes noires, col roulé bleu... le comble du chic. Ce policier anti-conformiste colle bien à l'époque. Le réalisateur britannique (ça a son importance) Peter Yates en fait un ingrédient innovant dans le polar, entre Nouvel Hollywood et Série noire venue du polar pulp américain. C'est le début du héros individualiste, à la fois justicier, vengeur et citadin (loin des westerns) qui vont nous donner quelques années plus tard des films avec Delon, Belmondo, Eastwood ou encore Bronson.

A ses côtés, on croise Robert Vaughn, magnifique d'ambivalence dans le personnage du sénateur Walter Chalmers, Jacqueline Bisset, sublime maîtresse qui ne sert pas que de faire-valoir, et dans un petit rôle de chauffeur de taxi, l'immense Robert Duvall.

Enfin, troisième bonne raison, et pas des moindres: la musique jazzy et chaude de Lalo Schifrin, aux accents un peu plus pop. Entre cordes, flûtes et cuivres, le thème groovy, avec guitare basse traduit parfaitement le pont entre deux époques et deux genres, à la fois rétro et hype (pour l'époque).

7 films pour survivre au confinement (partie 3)

Posté par wyzman, le 20 avril 2020

Pour ne pas sombrer dans l’ennui pendant ce confinement, la rédaction d’Ecran Noir vous propose toutes les semaines une sélection de 7 films disponibles en VOD. L’occasion de redécouvrir des pépites oubliées ou de prendre de belles claques !

Cellule 211 de Daniel Monzón (Universciné)

Une prison est sans doute l'un des pire lieux pour être confiné, surtout dans celle où il y a ce dingue de Luis Tosar. Derrière les barreaux il y a des règles officielles et d'autres officieuses, et il y a de grandes chances d'y mourir si il y a des prisonniers de la pire espèce qui provoquent une émeute, la seule chance serait de se faire passer pour un vrai dur mais comme ce n'est pas le cas…

Des serpents dans l'avion de David R. Ellis

Le titre du film est tellement évocateur c'est le confinement le plus dangereux. Avec la peur de l'avion + la peur des serpents on pourrait craindre que le scénario ne compte pas beaucoup de pages, et pourtant il y a beaucoup de personnages et surtout beaucoup de gros serpents venimeux. Presque tout le monde va mourir, Samuel L. Jackson est assez énervé et demande "Y a-t-il un pilote dans l'avion?", c'est le film de catastrophe aérienne le plus mortel (et le plus fun).

Le Cheval de Turin de Bela Tarr (Universciné)

Au moment de sa sortie en 2011, nous écrivions : "s’il ne devait rester qu’un seul film, à regarder encore et encore jusqu’à la fin des temps, ce serait Le Cheval de Turin, œuvre-somme à la beauté bouleversante et vertigineuse". Pas loin de dix ans plus tard, on n'a pas changé d'avis, et le quotidien austère de ce vieil homme et de sa fille nous fait plus que jamais l'impression d'une anti-Genèse, conduisant l'Humanité vers sa fin.

Madame porte la culotte de George Cukor (Orange TV)

C’est d’abord un chef d’œuvre de la comédie américaine avec un duo magistral dans le genre, Katharine Hepburn et Spencer Tracy. Côté cour, une histoire de violence conjugale qui tourne au crime passionnel et enflamme les féministes. Côté chambre, un couple d’avocats qui plaide l’égalité et le droit, entre coups bas et mauvaise foi. Le divorce n’est pas loin…

Moonlight de Barry Jenkins (Netflix)

Qui a dit que l’on ne pouvait pas rattraper des films oscarisés pendant ce confinement ? En se basant sur la pièce semi-autobiographique de Tarell Alvin McCraney, Barry Jenkins a signé le meilleur film de 2017. Ou l’histoire d’un enfant noir issu d’un quartier chaud de Miami et dont l’éveil sexuel se fait dans la douleur. Grand film sur l’acceptation de soi et la différence, Moonlight ne laisse personne indifférent et mérite toute votre attention.

Nid de guêpes de Florent Emilo Siri (Canal VOD)

C'est la seule fois où des français n'ont pas été en retard sur le confinement. Le hold-up d'un entrepôt dégénère, il y a une bande de mecs cagoulés et armés tout autour : non seulement ils empêchent de s'échapper mais en plus ils veulent rentrer dedans, seule chose à faire est de savoir avec qui faire alliance... Réunir dans un huis-clos Benoît Magimel, Nadia Farès, Sami Bouajila, Pascal Greggory, Samy Naceri à cette époque-là ça avait de la gueule, et c'est toujours le cas car dans le genre on n'a pas fait mieux depuis.

Sans soleil de Chris Marker (La Cinetek)

Parce que le film débute, et s'achève, sur une image du bonheur. Parce qu'entre les deux, il nous emmène aux confins du monde, et nous raconte d'autres peuples, d'autres lieux, d'autres vies. Parce que s'y mêlent des réflexions sur la mémoire et le temps, et toujours et encore sur le regard et sur le cinéma. Un film à regarder en toutes circonstances, et même à emmener sur une île déserte.

BONUS : The Raid de Gareth Evans (Netflix)

Rester confiné dans un appartement sur un canapé est un confort inestimable, car se retrouver confiné dans une tour d'immeuble sans pouvoir en sortir et avec à chaque étage des fous furieux qui sont là que pour vous découper à la machette c'est plutôt violent, très.

Philippe Nahon (1938-2020), un « ogre » seul contre tous…

Posté par kristofy, le 20 avril 2020

Son visage était rarement sur les affiches mais son nom est pourtant au générique de pas loin d’une centaine de films : l’acteur Philippe Nahon est décédé le 19 avril à 81 ans, suite à l’aggravation de son état de santé compliqué par le coronavirus.

Ses débuts se sont faits devant les caméras de Jean-Pierre Melville (Le doulos), Jacques Doillon, René Féret (avec qui il fera plusieurs films tout au long de sa carrière) et Romain Goupil. Mais les propositions de cinéma se font rares et espacées de plusieurs années, alors, pendant ce temps-là, il joue  sur les planches et pour la télévision. Il n’aura presque jamais cessé de tourner des téléfilms, et ce n’est qu’après ses 55 ans que le cinéma s'est souvenu de lui.

Devenu alors très sollicité, il un des rares acteurs avec une certaine notoriété qui acceptait de tourner sans mépris dans des courts-métrages : on le voit trimballer sa gueule et son corps imposant dans 45 courts-métrages de réalisateurs alors débutants (Erick Zonca, Pierre Vinour, Julien Leclercq). C’est justement en tournant un court-métrage, Carne, en 1991, qu'il rencontre Gaspar Noé. Leur collaboration allait s'étendre dans le long-métrage avec le cultissime Seul contre tous en 1998. Ce rôle de boucher incestueux, à la voix râpeuse, va lui coller à la peau longtemps, et Philippe Nahon devient une sorte d’icône contre-culturelle pour une nouvelle génération de cinéastes.

D'Audiard à Spielberg

Curieusement, il n’a pas beaucoup joué pour les réalisateurs de son âge, ni avec les abonnés aux nominations aux César. Philippe Nahon c’est un regard perçant, une présence et un charisme. A la suite des films avec Gaspar Noé (dont Irréversible), il se retrouve alors dans ceux de Mathieu Kassovitz (Les rivières pourpres), Jacques Audiard (Un héros très discret), Guillaume Nicloux (Le poulpe, Une affaire privée), Christophe Gan (Le pacte des loups), Rémi Bezançon (Ma vie en l'air) ou encore Bouli Lanners (Eldorado). Il s'amuse aussi chez Benoît Mariage, Sam Karman, Hélène Fillières ou encore chez Alexandre Astier dans la série Kaamelott, incarnant savoureusement Goustan le cruel…, et mêmes dans les gros films de Jean-Marie Poiré (Les angles gardiens, Les visiteurs 2), Alain Corneau (Le deuxième souffle), Olivier Marchal (MR 73), Luc Besson (Adèle Blanc-sec), ou Steven Spielberg (Cheval de guerre) !

Presque tout ce qui va se tourner en cinéma de genre et d’horreur francophone voudra l’avoir à l’image : Haute Tension d'Alexandre Aja, Calvaire de Fabrice Du Welz, Lady Blood de Jean-Marc Vincent, Humains de Jacques-Olivier Molon, La Meute de Franck Richard, Kill me please d'Olias Barco, Cannibal de Benjamin Viré, Au nom du fils de Vincent Lannoo, Nos héros sont morts ce soir de David Perrault, Ablations d'Arnold de Parscau, Horsehead de Romain Basset…

"Un Gaulois, direct et sentimental"

Et pourtant, si il a été en quelque sorte un ogre inquiétant dans le cinéma, Philippe Nahon était  un bonhomme qui préférait rigoler. Une de ses dernières apparitions publiques aura été en septembre dernier sur la scène de l'Etrange Festival pour une première de Irreversible-inversion integrale de Gaspar Noé où la salle l'a vivement applaudi au point de le faire un peu pleurer...

C’est évidement la lettre de Gaspar Noé (parue dans Libération) qui représente l’hommage le plus émouvant à Philippe Nahon : « Nous, on s’est connus il y trente ans, je rêvais de m’amuser à faire du cinéma, comme Buñuel ou comme Franju. Toi, de vingt-cinq ans mon aîné, tu en faisais déjà depuis longtemps. Au retour de cette sale guerre coloniale que tu n’avais pas réussi à déserter et qui t’a valu trois ans de camp disciplinaire, tu avais commencé à faire du cinéma avec Reggiani et Melville. Moi, je voulais faire un premier film avec un personnage masculin qui soit la quintessence de ce que je croyais être un homme normal, donc complexe et le plus souvent perdu. Ce «héros» devait être bien plus âgé que moi. C’était un vrai homme qu’il fallait, d’une cinquantaine d’années, avec un visage universel et intemporel comme celui de Jean Gabin. Je voulais un Gaulois, direct et sentimental. J’ai vu une photo de toi et le coup de foudre a été immédiat. Tu es venu chez moi, un peu imbibé, et rigolard face à ce jeune étranger à la diction inaudible. Tu rêvais de vrais rôles. Jouer, te transformer, pour t’amuser, pour te faire de nouveaux amis. »