Berlin 2020 : Gustave Kervern et Benoit Delépine vitriolent l’époque dans Effacer l’historique

Posté par MpM, le 24 février 2020

Il y a tout juste dix ans, Gustave Kervern et Benoit Delépine foulaient le tapis rouge berlinois avec Mammouth, l'un de leurs plus grands succès. Cette année, le célèbre duo est de retour en compétition avec Effacer l'historique, un film parfaitement dans la lignée de leur cinéma, qui fait flotter sur cette 70e édition un petit souffle punk réjouissant.

Plus que jamais, les deux réalisateurs radiographient l'époque, dont ils proposent un instantané saisissant et d'une justesse folle. De l'omniprésence du numérique aux fantasmes sur l'intelligence artificielle, de la dictature des réseaux sociaux au binge watching compulsif, Effacer l'historique capte ce qui fait l'air du temps. Voilà donc ses trois personnages principaux aux prises avec les affres du cyber-harcèlement, du chantage à la sextape et de la notation via application interposée, et donc fatalement en guerre contre les GAFA (Google Apple Facebook et Amazon) et leurs clones.

C'est évidemment hilarant, tant le scénario foisonne de détails satiriques et croque avec méchanceté l'absurdité d'un monde qui ne tourne plus tout à fait rond. Christine sous-loue son salon pour gagner un peu d'argent, Bertrand vend sa (vieille) voiture à un homme qui veut se suicider (l'un des nombreux irrésistibles caméos du film), Marie se fait livrer des packs d'eau par coursier...

On se croirait même parfois dans une dystopie plutôt sombre lorsque l'on voit la manière dont sont niés la vie privée ou le libre arbitre. Avant de réaliser que Kervern et Delèpine se contentent de brosser le tableau d'un avenir si proche qu'il est déjà à nos portes, dans lequel le moindre moment d'intimité, de lâcher prise ou de faiblesse risque d'être jeté en pâture à la foule anonyme des réseaux, consultable ad vitam aeternam par tous ceux qui en auront l'envie ou le pouvoir.

Le constat n'est pas follement optimiste, bien qu'il soit dressé avec un sens indéniable des situations, des dialogues et de l'auto-dérision. Malgré tout, le film ne cherche pas tant à démoraliser le spectateur qu'à le faire réfléchir. Il y a ainsi sans cesse des détails, à l'image ou dans le récit, qui permettent de faire un pas de côté pour regarder les situations sous un autre angle, souvent moins tragique. Un Deux ex machina sauve même la mise à deux reprises aux personnages qu'il n'est jamais question d'enfoncer. Comme dans le reste de leur oeuvre, Gustave Kervern et Benoit Delépine encouragent en effet l'action, même lorsqu'elle est désespérée, plutôt que la résignation. Avec Effacer l'historique, ils rappellent également que la lutte ne peut être que collective, joyeuse et poétique.

Leurs trois protagonistes, incarnés avec bonheur par Blanche Gardin, Corinne Masiero et Denis Podalydès, se sont d'ailleurs rencontrés sur un rond-point, dans les premiers temps des gilets jaunes. Ils portent en eux le formidable espoir lancé par le mouvement, la fierté d'en avoir fait partie, et l'esprit de solidarité et d'entraide qui y préside. Leur relation est très belle, sans grands effets, mais avec une simplicité et une justesse qui font que l'on est toujours avec eux, jamais dans le jugement et toujours dans la bienveillance, même lorsqu'ils répètent inlassablement les mêmes erreurs. Sans doute parce qu'ils sont si proches de nous, et si irrépressiblement humains.

Bien sûr l'esprit est à la satire et à l'outrance, aussi faut-il également s'attendre à quelques passages au vitriol, comme celui avec le fraudeur aux aides sociales (portrait-robot de "l'assisté-profiteur" tel qu'il existe dans l'esprit des politiques les plus réactionnaires) ou avec le livreur d'une parodie d'Amazon qui semble au bout de sa vie à 35 ans, sans parler de la quasi diabolisation des nouvelles technologies. Mais la pire erreur serait de prendre Effacer l'historique au premier degré, telle une charge manichéenne sur la modernité. Il serait au contraire plus juste d'avoir en tête l'adage populaire selon lequel il vaut mieux rire des choses, plutôt que d'en pleurer. Il y a longtemps que le duo de réalisateur a fait sienne cette devise, déclinée de film en film avec une tonalité il est vrai de plus en plus désespérée. On rit donc de bon coeur avec eux, en attendant que la réalité dépasse définitivement la fiction.

Harvey Weinstein condamné pour agression sexuelle et pour viol

Posté par vincy, le 24 février 2020

Lundi, en fin d'après midi, le producteur américain Harvey Weinstein a été reconnu coupable de l'agression sexuelle de l'ancienne assistante de production Mimi Haleyi en 2006, et le viol de l'aspirante actrice Jessica Mann en 2013. Un verdict qu'on attendait depuis la fin de semaine dernière avant que les jurés n'hésitent sur une des accusations.  Cependant, il a échappé à une condamnation pour les accusations les plus lourdes, notamment le viol aggravé (au premier degré) de Jessica Mann et la circonstance aggravante d'un comportement de "prédateur sexuel". Le jury a aussi déclaré Harvey Weinstein non coupable du viol de l'actrice Annabella Sciorra, en 1993.

L'actrice Ellen Barkin a rappelé: "0.7% des criminels sexuels sont condamnés. Weinstein a été condamné."

Car, c'est malgré tout une victoire pour les victimes de cet agresseur sexuel, dont les premières accusations d'actrices et de mannequins fin 2017, avaient lancé l'ère #MeToo. Le mouvement Time's Up, né de ce scandale, a d'ailleurs réagit en parlant d'une "nouvelle ère de justice" pour les victimes. Car pour la jurisprudence de ce genre d'affaires, jusque là, les condamnation étaient très rares. Ce qui change la donne.

Harvey Weistein est donc envoyé en prison, en attendant de connaître sa peine le 11 mars. La journaliste féministe Gretchen Carlson a tweeté: "J'espère que les menottes sont bien serrées".

Ses avocats ont déjà annoncé qu'ils feront appel. Il risque jusqu'à 29 ans de prison. Cependant, il a évité la prison à vie puisque les jurés n'ont retenu que deux des cinq accusations, et ne l'ont pas inculpé en tant que prédateur sexuel.

Ce qui fait dire à certains que le verdict est mitigé, empêchant à un camp ou un autre d'être totalement satisfait.

Lire aussi: Harvey Weinstein : anatomie d’une sale affaire

Mais pour Harvey Weinstein, c'est une défaite. Il a, durant tout le procès, malgré les détails des faits évoqués par trois de ses victimes, nié toute forme d'agressions sexuelles, clamant que les relations étaient consenties. Clairement, après cinq jours de délibération, le jury l'a unanimement reconnu coupable, même partiellement.

Avouons-le, ce procès était sordide. Les témoignages des femmes étaient poignants (certains détails sur l'anatomie et les pratiques sexuelles du producteur ne parvenaient pas à faire rire). La défense n'a pas arrêter de vouloir les discréditer, à plaider le consentement, jusqu'à les humilier. Faisant fi du trauma psychologique ou de l'emprise de leur client, ils les ont présentées comme des profiteuses, cherchant à tenir des dommages et intérêts et même un surplus de gloire.

L'accusation n'a pas flanché, rappelant la peur qu'il inspirait et le pouvoir qu'il détenait. L'actrice Ashley Judd, harcelée sexuellement par Weinstein en 1997, a tweeté: "Pour les femmes qui ont témoigné dans ce dossier et vécu un enfer traumatique, vous avez rendu un service public aux filles et femmes du monde entier."

Ce n'est pas terminé. L'ancien producteur doit affronter un autre procès, pour d'autres agressions sexuelles, à Los Angeles. Le scénariste et réalisateur Judd Apatow lançait de son côté sur Twitter: "Ce n'est que le début pour qu'il soit jugé responsable de ses actes"