First Love : rencontre avec Takashi Miike

Posté par kristofy, le 31 décembre 2019

Pour son nouveau long-métrage, Takashi Miike mêle les genres pour un résultat détonant que l’on ne peut que valider. A Tokyo, un boxeur ayant appris qu’il est atteint d’une tumeur au cerveau s’éprend d'un call-girl toxicomane. Impliquée malgré elle dans un trafic de drogue, la jeune femme est poursuivie par un policier corrompu, des yakuzas et des assassins chinois... Le cinéaste japonais ultra-prolifique oscille entre les genres avec une habileté des plus remarquables. First Love se la joue film de yakuzas un instant avant de plonger dans la comédie d’action la scène suivante et de finir en drame romantique au détour de quelques répliques. Violent et gore, drôle et piquant, First Love est en salles dès ce 1er janvier.

Le film avait été présenté à La Quinzaine des Réalisateurs du dernier Festival de Cannes, au lendemain de cette projection rencontre sur une plage de la croisette avec Takashi Miike :

EcranNoir : Pour présenter  la séance de First Love aux festivaliers de Cannes vous avez dit cette blague à destination de vos fans : "il n’y aura pas de sang, pas de violence, c’est une histoire d’amour" : pourquoi avoir attendu de faire environ 80 films pour parler un peu plus d’amour ?
Takashi Miike : On ne me demandait pas de faire des histoires d’amour jusqu’à présent mais beaucoup plus des histoires de yakuzas. Au Japon, les films d’amour qui sont produits sont surtout des romances pour plaire en particulier à des collégiennes et des lycéennes, avec rien dedans qui ne risque de leur faire peur. D’autres réalisateurs font déjà ce genre de films à l’eau de rose. Moi ici j’ai voulu raconter une histoire d’amour mais à ma façon, alors oui bien sûr, il y a dedans un certain degré de violence.

EN : On y voit des scènes d’action avec des sabres, des bras coupés, des pistolets, comme on peut s’y attendre ; mais il y a aussi beaucoup de gags de comédie avec plein de moments drôles dans ce film, soit un beau mélange des genres. Est-ce qu'au départ du projet First Love, il s’agissait d'aller vers une forme de polar, et l’humour s’est invité, ou au contraire de faire d’abord une comédie avec de l’action ?
TM : En fait dans le scénario il y avait déjà certains moments avec de la violence et d’autres avec de l’humour, ces deux registres cohabitaient à différents moments, et je les ai fait se rapprocher ensemble dans plusieurs séquences. Il y a certains personnages violents qui peuvent provoquer un rire, et aussi une situation drôle qui peut provoquer la violence d’un personnage. Ce qui s’est passé aussi sur le tournage c’est que certains acteurs qui devaient jouer un personnage violent y ont apporté leur propre dose d’humour. Ayant vu que certains "méchants" pouvaient être drôles dans leurs comportements violents, alors j’ai accentué un peu plus l'humour par rapport au scénario.

EN : Ces dernières années il y a eu plusieurs de vos films présentés à Cannes dans cette section de La Quinzaine des Réalisateurs (Gozu en 2003, Yakuza Apocalypse en 2015) et aussi d’autres qui étaient en sélection officielle en compétition (Hara-Kiri: Mort d'un samouraï en 2011, Shield of Straw en 2013,) et hors-compétition (For love's sake en 2012, Blade of the Immortal en 2017). Vous préférez faire découvrir vos films dans quel cadre : celui solennel de la très grande salle où tout le monde est habillé en smoking après avoir monté les marches ou dans cette autre ambiance de salle moins grande où à la fin les gens viennent vous voir pour vous saluer et prendre des photos ?
TM: On peut dire en effet que c’est deux types de public different, c’est un peu deux salles deux ambiances, ça contraste beaucoup! C’est ça qui est intéressant au Festival de Cannes, chaque section a sa propre couleur en choisissant sa sélection de films, et ça dépend aussi de l’attente autour du film. Chaque film n’a pas forcément la même importance, tous ne peuvent pas prétendre à une palme d'or. C’est ça qui me plait avec ces différentes sections, on y voit des choses très différentes. Ce qui compte c’est d’être présent à Cannes. Je dirais que je préfère La Quinzaine des Réalisateurs puisque je peux y voir mon film avec un public qui est peut-être plus mon public.

EN: Vous avez déjà réalisé plusieurs dizaines de films mais il y a des spectateurs en France qui vous découvriront pour la première fois avec First love : est-ce qu’il y aurait quelques titres que vous leur conseillerez de voir ensuite pour qu’ils découvrent qui est Takashi Miike ?
TM : C’est difficile d’en choisir, certains sont assez sérieux et et d'autres peuvent être très bizarres... Je conseillerais à qui ne me connais pas de commencer par voir d’abord Gozu, c’est d’ailleurs le premier à avoir été présenté à Cannes alors que même moi je trouve que c’est un film très bizarre ! Après, voir Hara-Kiri: Mort d'un samouraï qui est un film d’époque assez traditionnel mais en 3D. Ensuite je conseillerai Audition qui est devenu très populaire, et puis pourquoi pas après Ichi the killer. Ainsi il y a une sorte de progression crescendo, parce que commencer directement par Ichi the killer, ça va apparaitre comme beaucoup trop violent. Il faudrait parcourir ma filmographie de manière progressive vers l’extrême.

EN: Certains de vos films ont été un tel succès que vous en avez fait une suite, ou même une trilogie, comme Dead or alive, Zebraman, Crows Zero... est-ce qu’il est imaginable que First Love ait lui aussi une suite ?
TM : Si je fais une suite avec les deux personnages principaux qui sont amoureux, la suite serait qu’ils aient des problèmes et qu’ils se séparent, mais je n'en ai pas envie. Pour cette histoire, je préfère rester sur la note idéale où à la fin ils sont amoureux et ensemble. Je préfère garder cette note positive. Par contre il y a dans First Love le personnage de Kase joué par Shôta Sometani qui m’intéresse beaucoup pour raconter peut-être une autre aventure. Si un jour il y a une suite ça pourrait être plutôt axé sur lui et sur comment il est devenu un yakuza. Mais c’est une idée en l’air, il n’y a pas de projet de suite. On verra, j’espère que First Love aura beaucoup de succès...

[2019 dans le rétro] 40 talents au top

Posté par vincy, le 31 décembre 2019

Le cinéma serait une grande famille. Mais alors façon Downton Abbey. Bien recomposée. Cette année, nombreux sont ceux qui ont su s'imposer dans nos mémoires de cinéphiles, au box office, et surtout à l'écran. Sur les écrans devrait-on dire. Le grand et celui chez soi. Il n'y a plus vraiment de distinction avec la déferlante Netflix, la hausse de la VàD et le succès de masse de certaines fictions télévisuelles. Sans oublier l'écran web, où Adèle Haenel a révélé la première grande affaire #MeToo du cinéma français. Son courage et sa clairvoyance en ont fait un événement marquant de l'année, rebattant les cartes des rapports hommes/femmes dans la profession. Adèle Haenel a été un symbole, pas seulement parce qu'elle a été la jeune fille en feu mais bien parce qu'elle (nous) a mis le feu. Ouvrant les portes anti-incendie à une nécessaire mise à plat. Elle n'a pas joué, cette fois-ci, ni misé pour voir. Elle a abattu ses cartes et déjoué les bluffs de certains.

Trois mondes

Ce sont les patronnes de l'année. Des impératrices dans leur genre. Olivia Colman, avec un Oscar en février pour La favorite, a incarné une reine au bord de la folie, avant de nous éblouir dans les habits d'une autre reine dans la troisième saison de The Crown. Régnante indétrônable sur le cinéma français, Catherine Deneuve continue inlassablement de tourner. Et pour ceux qui doutent encore de sa maestria, il suffit de la voir dans La vérité, où elle déploie tout son talent, sans se soucier de son image, dans une fausse mise en abime d'elle-même. Quant à Scarlett Johansson, elle a brillé (tragiquement) dans le dernier Avengers, plus gros hit de l'année, mais c'est bien son éclectisme qui la rend si spécifique par rapport au reste du cast de Marvel, tournant un second-rôle dans la comédie décalée Jojo Rabbit et poussant son niveau de jeu vers les plus grandes dans Marriage Story.

Les combattants

Ils sont à la fois au sommet du côté du box office, dans leur genre, et engagés, par leurs choix cinématographiques comme par leur parole en promo. Ainsi Adèle Haenel n'a plus sa langue dans sa poche, et fait preuve d'une franchise salutaire, tout en étant sublimée en amoureuse énigmatique dans Portrait de la jeune fille en feu, plus beau film LGBT de l'année. Corinne Masiero affirme ses idées de gauche, cartonne avec son Capitaine Marleau sur France 3 et dans Les Invisibles au cinéma, film sur les exclus. Ladj Ly prend sa caméra pour nous tendre un miroir sur notre société en décomposition avec Les Misérables, sans juger. François Ozon, auréolé d'un grand prix à Berlin avec Grâce à Dieu, a aussi livré un film qui ouvre les yeux, cette fois-ci sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique, et leurs conséquences sur l'existence des victimes. En s'aventurant chez les Juifs ultra-orthodoxes de Tel Aviv, Yolande Zauberman, avec M, ne montre pas autre chose: abus sexuels, dévastation psychique, rejet des victimes... De la même région, avec sa fable burlesque et absurde, It must be Heaven, Elia Suleiman poursuit son inlassable lutte pour la paix des peuples dans un monde de plus en plus aliéné et sécuritaire. Avec courage, Waad al-Kateab a filmé Alep sous les bombes dans Pour Sama, exposant l'horreur de la guerre en Syrie.

Naissance des pieuvres

De nombreux nouveaux talents ont émergé, soit autant de promesses cinématographiques. Côté réalisateurs, Levan Akin et Kirill Mikhanovsky, révélés à la Quinzaine des réalisateurs avec respectivement Et puis nous danserons et Give Me Liberty,  ont justement soufflé un vent de liberté autour de "marginaux" avec une vitalité jouissive, que ce soit pour aborder l'homosexualité dans un pays homophobe ou l'exclusion du rêve américain. Côté animation, deux coups de maîtres très loin des standards hollywoodiens ont emballé la critique et fait preuve d'un renouveau esthétique et narratif:  Jérémy Clapin avec J'ai perdu mon corps et Ayumu Watanabe avec Les enfants de la mer. Côté acteurs, on retiendra, la beauté et le charisme de Luca Marinelli dans Martin Eden et Maud Wyler, actrice touche-à-tout et sensible vue dans Alice et le maire, la série Mytho et surtout Perdrix. Sans oublier Mati Diop, qui, avec Atlantique, est l'incarnation de cette promesse de cinéma tant souhaitée, en mariant la fable fantastique, l'épopée romantique et le drame socio-politique avec audace. C'est d'ailleurs le mot qui leur conviendrait le mieux, à chacun.

En liberté !

Ils sont déjà bien installés en haut de l'affiche, et pourtant, ils parviennent encore à nous surprendre. Ils ont tous ce grain de folie nécessaire pour accepter des projets divers ou des films sans barrières. Ils ont tous excellés à des niveaux différents. Qui aurait pu deviner il y a quelques mois qu'Eva Green en astronaute dans Proxima trouverait son plus beau rôle ou que Chiara Mastroianni dans Chambre 212 serait étincelante comme jamais avec un personnage pas très moralement correct? De la même manière, le futur Batman, Robert Pattinson, avec le radical et barré The Lighthouse, et l'éternel OSS 117, Jean Dujardin, hors des sentiers battus dans Le Daim et parfait en contre-emploi dans J'accuse, ont démontré que leur statut ne les bridait pas dans leurs envies de cinéma. Car c'est bien à cela qu'on reconnaît les grands: passer d'une famille à l'autre, sans se soucier des étiquettes. A l'instar d'Anaïs Demoustier (Alice et le maire, Gloria Mundi) et d'Elisabeth Moss (La servante écarlate, Us, Les Baronnes, Her Smell) qui sont à chaque fois justes et convaincantes, peu importe le genre. C'est ce qu'a fait durant toute sa carrière Fanny Ardant, rare césarisée pour un rôle de comédie, dont on perçoit le bonheur de jouer dans La belle époque, elle qu'on ne considère plus comme "bankable". Cette liberté que chacun s'autorise a permis d'ailleurs à la réalisatrice Rebecca Zlotowski de signer à la fois Une fille facile, véritable œuvre personnelle sur le féminin contemporain, et Les sauvages, l'une des meilleures séries françaises, qui plus est politique, de ces dernières années.

120 battements par minute

Ils nous ont fait vibrer avec leur "cinéma". Evidemment, Bong Joon-ho, Palme d'or avec Parasite, est le premier d'entre eux. Son thriller social, dosé parfaitement avec un zest d'horreur et un soupçon de comédie, a été le film palpitant de l'année. Dans le mélange des genres, entre western et drame social, Kleber Mendonça Filho n'est pas en reste avec Bacurau, où le spectacle et le culot sont toujours au service du récit. Tout comme Diao Yinan qui n'hésite pas à revisiter le film noir pour en faire une œuvre d'art avec Le lac aux oies sauvages. Ces films, sous leurs aspects politiques, démontrent qu'il y a encore du grand cinéma possible. C'est d'ailleurs ce que rappelle Martin Scorsese avec son ambitieux The Irishman, coûteux, long, surdimensionné, et presque grandiose, et avec ses prises de paroles coup de poing qui ont créé un débat passionnant sur le 7e art, entre industrie et vision d'auteur. Cette vision intime et personnelle, on la retrouve chez Nadav Lapid qui nous a enthousiasmé avec son film puzzle, Synonymes (Ours d'or), où chaque scène, chaque plan étonne par son imprévisibilité. Et puis, on aurait pu citer Pedro Almodovar, mais c'est son double, Antonio Banderas qui reste dans nos rétines. Douleur et Gloire lui offre une variation infinie sur le même thème, renouant ainsi avec la quintessence de son métier, tout en se révélant sans pudeur, et avec maturité.

Les ogres

Chacun à leur manière, ils ont dévoré l'écran, à chacune de leurs apparitions. Joaquin Phoenix est littéralement le Joker. Le perfectionnisme de l'acteur et la folie de son personnage sont d'ailleurs palpables chez Lupita Nyong'o (Us, Little Monsters) ou chez Christian Bale (Vice, Le Mans 66). Leur exigence n'a rien à envier à ceux qui suivent, mais ils captent la lumière, envahissent l'image et contribuent beaucoup à la réussite de leurs films. On pourrait donc en dire autant, dans des registres un peu moins flamboyants de Mahershala Ali (Green Book, True Detective, Alita : Battle Angel) et de Adam Driver (Marriage Story, The Dead don't die, Star Wars IX). Tous s'imposent par leur prestance physique et leur précision de jeu, peu importe le style de films ou la nature de leurs personnages. Mais en dehors des acteurs, il y a aussi d'autres métiers qui exigent gourmandise, leadership et puissance. On ne peut pas ignorer parmi cette famille Kevin Feige, patron des films Marvel, qui en trois films a rapporté 5 milliards de dollars dans le monde, affirmé son emprise sur le line-up de Disney (y compris Star Wars) et semblé avoir trouvé la martingale pour transformer les super-héros en machines à cash.

Confession d'un enfant du siècle

Guillaume Canet aura réussi un brelan d'as avec Nous finirons ensemble (2,8M d'entrées, 3e plus gros succès de sa carrière), Au nom de la terre (2M d'entrées), et La belle époque (1,3M d'éntrées). Réalisateur ou acteur, cette année fut la sienne, sans qu'il se compromette dans des comédies aux affiches bleutées et criardes. En incarnant un agriculteur dépressif, il a su toucher un large public provincial qui va rarement au cinéma. Après le carton du Grand bain, l'an dernier, il s'est imposé comme l'un des rares talents bankables du cinéma français devant et derrière la caméra. On lui a depuis confié les manettes du prochain Astérix.

Les héros ne meurent jamais

Qu'il soit astronaute au premier plan dans le crépusculaire Ad Astra de James Gray ou doublure cascade d'une vedette sur le déclin dans le jubilatoire Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino, Brad Pitt, 56 ans, est toujours aussi magnétique, beau et cool. Une star de catégorie A, qui remplit un peu toutes les cases précédentes, à la fois ogre et libre, combattant et enfant du siècle (précédent). Il a son style. Capable de s'exhiber torse-poil comme au temps de Thelma et Louise ou de rivaliser avec "Bruce Lee" dans une séquence de combat culte. Il ne semble pas vieillir. Mais il choisit ses films (il se fait rare, a refusé toutes les productions avec super-héros) et surtout ses cinéastes (sa filmographie devient un panthéon assez admirable). De la même manière, comme producteur avec sa société Plan B, il sélectionne des projets engagés, politiques ou sociétaux à l'instar du beau Si Beale Street pouvait parler de Barry Jenkins, du percutant Vice d'Adam McKay et du touchant Beautiful Boy de Felix Van Groeningen.