[2019 dans le rétro] Le cinéma français entre gris clair et gris foncé

Posté par vincy, le 23 décembre 2019, dans Business, Cannes, Films, Venise, bilan 2019.

Une belle année pour le cinéma français? Côté festivals et prix internationaux, c'est indéniable. Rarement la production française n'a autant brillé à Berlin, Cannes, Venise et Hollywood. A Berlin, la coproduction franco-israélienne de Nadav Lapid, Synonymes, a raflé l'Ours d'or, tandis que Grâce à Dieu de François Ozon repartait avec le Grand prix du jury. A Cannes, deux premiers films ont récolté les honneurs - Les Misérables de Ladj Ly, prix du jury, Atlantique, coproduction franco-sénégalaise signée Mati Diop, Grand prix du jury - en plus d'un prix du scénario pour Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et de la mention spéciale pour Elia Suleiman et son It Must be Heaven. Et à Venise, J'accuse de Roman Polanski a été sacré par un Grand prix du jury tandis qu'Ariane Ascaride a été couronnée pour son rôle dans Gloria Mundi. On peut ajouter l'excellent parcours dans les palmarès du film d'animation de Jérémy Clapin, J'ai perdu mon corps. Avec les films de Sciamma, Ly et Diop, ils fait partie des films en vogue actuellement dans les bilans de fin d'année aux USA.

Le ciel se couvre de quelques nuages clairs quand il s'agit des entrées de tous ces films acclamés par les professionnels et la critique. J'accuse et Les Misérables ont dépassé les 1,3 million d'entrées et Grâce à Dieu a séduit plus de 900000 spectateurs. Tous les autres ont plus ou moins limiter la casse avec des scores honnêtes dans le circuit art et essai, sans réaliser d'exploit.

Dans un contexte favorable - la fréquentation des salles de cinéma connaît une belle hausse cette année en France, à plus de 200 millions de tickets -, le cinéma français n'affiche que 33-34% de part de marché. Un seul film français se classe dans les 10 films les plus vus. Quatre films français ont dépassé les 2 millions d'entrées. La variété paye, mais elle ne fédère que très peu. 15 films hexagonaux sont millionnaires, ce qui n'est pas su mal, et 26 au total ont franchi la barre des 700000 spectateurs. Ce n'est pas un mauvais score en soi.

Il est surtout intéressant de constater que la comédie française ne paye plus forcément. Certes, Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu? est le seul film français populaire de l'année (6,7M d'entrées), le seul à se placer dans le Top 10 d'ailleurs. Mais les autres comédies avec castings de comiques - Nicky Larson, Inséparables, All Inclusive, Chamboultout, Tanguy le retour... - ont largement déçu. Le potentiel est plutôt du côté des seniors (C'est quoi cette mamie?!, surprise estivale, Joyeuse retraite!, surprise hivernale, comme quoi la ponctuation paye), d'une écriture plus engagée (La vie scolaire, Hors-normes, Alice et le maire) voire de la comédie féminine et sociale (Les invisibles, Rebelles), beaucoup mieux rentabilisées.

Si la comédie ne fait plus automatiquement recette (la faute à une formule sans doute trop éculée), les drames et les grandes destinées retrouvent des couleurs avec des hits comme Nous finirons ensemble, de Guillaume Canet, malgré un box office bien moindre que Les petits mouchoirs, Au nom de la terre, avec Guillaume Canet  qui a séduit 20 fois plus de spectateurs en province qu'à Paris, Le chant du loup, avec une bonne dose de suspens et d'action, Donne-moi des ailes dans le registre familial, La belle époque à l'ambition plus romanesque, Le mystère Henri Pick et Venise en Italie, sur un mode plus divertissant, L'incroyable histoire du facteur Cheval, presque tragique ou avec un peu moins de succès mais pas mal de bon buzz, Mon inconnue, dans une veine fantastique, Le daim dans un style déjanté, et Les crevettes pailletées et sa joyeuse ambiance gay-friendly.

Tous ces films ont trouvé leur public, en restant fidèle à leur genre. Hélas, hormis Minuscule 2, aucun film d'animation français n'a rivalisé avec les productions américaines; idem pour les thrillers ou les films d'horreur. Le public français reste classique pour ne pas dire conservateur dans ses choix. De plus en plus d'ailleurs. Seuls quatre films non américains ou non français ont attiré plus de 700000 curieux. Aujourd'hui, un film d'auteur à 300000 spectateurs est considéré comme un succès.

C'est de là que proviennent les orages à venir. Des distributeurs baissent le rideau. Les quatre majors américaines captent une entrée sur deux cette année. UGC peut se consoler avec le Bon Dieu, Pathé avec le Canet et Gaumont avec Nakache-Tolédano, aucun distributeur indépendant français n'a réussi à dépasser les 2 millions d'entrées avec un film, à l'exception de Diaphana avec Au nom de la terre.

Comme tous les ans, les fiascos sont nombreux, certains plus lourds que d'autres. Et c'est d'ailleurs le prototype de la comédie à la française, Le dindon - un vaudeville, deux têtes d'affiche (Dany Boon, qui s'offre son plus gros bide, et Guillaume Gallienne), un énorme budget de 14M€ - qui s'est planté magistralement. Comme quoi il n'y a pas de recettes.

L'autre gros flop de l'année c'est Isabelle Huppert. Omniprésente avec 4 films à l'affiche, la star n'a pas séduit avec ses variations de femme névrosée que ce soit dans Greta (137000 entrées), Frankie (67000), Blanche comme neige (60000) ou Une jeunesse dorée (10000). Trop répétitive? En tout cas depuis Elle en 2016, l'actrice n'a jamais réussi à attirer les cinéphiles.

Ils ont été nombreux à se prendre un mur, de Convoi exceptionnel de Bertrand Blier à Made in China, de Ibiza, avec Clavier, à Persona non grata, de Roubaix une lumière d'Arnaud Desplechin à Fête de famille, de J'irai où tu iras de Géraldine Nakache à Playmobil le film, d'Anna de Luc Besson à Trois jours et une vie, de Mon chien stupide d'Yvan Attal à Just a Gigolo en passant par l'éternel Lelouch et Les municipaux trop c'est trop. Et justement, ils se tous sentis de trop.E t soyons complètement déprimants avec les ratages de Lucie Borleteau (Chanson douce), Michel Denisot (Toute ressemblance) et Amanda Sthers (Holy Lands).

En tout cas, les échecs n'épargnent ni les grandes vedettes ni les comédies, ni les films de genre, ni les talents découverts à la télévision. On trouve surtout regrettable de voir que les films d'animation pour adultes soient confrontés à un plafond de verre (autour de 300000 entrées) ou que les documentaires manquent de visibilité même quand ils sont acclamés. On s'interroge sur la manière dont les films français sont promus, sur l'absence de réponse des spectateurs à des cinéastes comme Klapisch, Jolivet, Pascal Thomas ou Bonitzer, ou sur l'absence de curiosité pour des jeunes talents comme Sébastien Betbeder (Debout sur la montagne) ou Judith Davis (Tout ce qu'il me reste de la révolution), ou sur l'indifférence face à des films noirs récompensés ou audacieux (Sympathie pour le Diable, L'intervention, Nevada). On peut regretter que des films bien faits, bien joués, et intéressants n'aient pas rempli les salles.

On se console avec des jolies rencontres, celles où on se fiche de la quantité pour se réjouir de leurs qualités, comme Perdrix ou Les hirondelles de Kaboul. Au moins, ils illustrent la diversité de la production française, et parfois révèlent quelques talents prometteurs. Car l'année 2019 restera sans doute comme l'une des plus éclectiques et les plus surprenantes de la décennie pour le cinéma français. C'est ça l'amour, comme le titre du film de Claire Burger, auréolé de prix et 100000 spectateurs au compteur. Ou encore le très singulier et enthousiasmant Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais. Des hauts et des bas, là où ne les attendait pas. Et si c'était la fin du règne du rire, pour revenir à celui des belles histoires contemporaines?

les hirondelles de kaboul

Le problème est sans doute ailleurs. Le ticket de cinéma vaut parfois très cher. Mais surtout les moins de 25 ans ne représentent plus que 28 % des entrées alors que les plus de 50 ans, autrefois minoritaires, fournissent 44 % des entrées. D'où le succès des comédies à casting senior d'ailleurs. Ce vieillissement du public est une bonne chose pour les films du milieu qu'ils soient français ou étrangers. Malheureusement, le fait que les jeunes concentrent leurs sorties cinéma sur les blockbusters américains, largement dominateurs cette année, et préfèrent désormais occuper leurs loisirs aux séries et aux jeux vidéos, peut conduire dans les années à venir à un bouleversement de la cinéphilie dont on mesure encore trop faiblement l'impact sur la création. Il faudra toute la force du système - festival de Cannes, CNC, exploitants - pour que cette génération pas encore tout à fait perdue, retrouve le désir d'aller au cinéma pour voir autre chose que des super-héros.

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