[La Rochelle 6/6] Frank Beauvais: la douceur, le cri et la solitude

Posté par Martin, le 4 août 2019, dans Avant-premières, Films.

Le Festival du film de La Rochelle, qui a lieu chaque année fin juin début juillet, est l’occasion de découvrir des films inédits, avant-premières, rééditions, et surtout des hommages et des rétrospectives. Cette année, furent notamment à l’honneur les films muets du Suédois Victor Sjöström (1879-1960) et les dix premiers films de l’Américain Arthur Penn (1922-2010), un des pères du Nouvel Hollywood. Parmi les nouveautés, fut remarqué le très bel essai de Frank Beauvais, Ne Croyez surtout pas que je hurle, qui sortira le 25 septembre 2019 (lire aussi notre article lors de sa projection à la Berlinale). Ces cinéastes questionnent chacun à leur manière la place de l’individu dans la collectivité. Tour d’horizon en trois chapitres.

Suite du chapitre 3

Aussi intime que soit le texte, Ne croyez surtout pas que je hurle n’est pas un film égotiste. La rupture n’est pas le sujet. C’est un point de départ, un incident déclencheur : le manque du petit ami est très peu raconté, et quand il revient chercher ses affaires à la fin, la scène est une anecdote, rien de plus. La mort du père, autre scène inaugurale, est autrement plus inoubliable : un soir, devant un film de Grémillon, le père s’écroule et meurt dans les bras de son fils, image d’une piéta inversée. Si le texte nous donne à voir la scène, les images, elles, racontent déjà l’absence du corps : un fauteuil vide, un canapé, un écran de télé, une fenêtre, le sol. Le souvenir personnel devient une image à combler, collectivement.

Cette façon de faire entrer spectateur dans le film vient autant de la distance de l’image et du son que de la façon avec laquelle les événements ayant marqué 2016-2017 s’invitent dans l’intimité du réalisateur. Les attentats du Bataclan, de Nice, les réfugiés en Méditerranée donnent à sa dépression un tour politique. C’est un mal être historique qui est ici représenté, et l’impression d’être enfermé devant un écran est d’autant plus forte que la vie du village, marqué par le sceau de l’extrême droite, n’amène qu’à davantage d’exclusion. La description d’une France profonde à la servitude et à l’aveuglement volontaires a rarement été aussi glaçante. La souffrance ne vient dès lors pas tant d’être exclu, d’être isolé, que de faire partie de ce monde-là, un monde hostile.

La douceur de la voix de Ne croyez surtout pas que je hurle n’y trompe pas : le titre est une antiphrase, et le film tout entier un cri. S’il va vers la lumière, c’est que les films vus, névrose obsessionnelle symptôme de la maladie, sont peut-être aussi un médicament. Les images pansent. L’autre antidote, ce sont les amis. Le film saisit une forme d’échec des élans collectifs, mais il reconstruit in fine une nouvelle façon d’être à plusieurs – un concert avec la mère, une nuit à boire et parler avec un ami, un ex qui vient aider… La reconnaissance des solitudes transforme alors la triste multitude des « je » en un « nous » revigorant. Sur l’écran noir du générique, peut enfin défiler le titre des films cités, et résonner la magnifique chanson de Bonnie Prince Billy, I see a Darkness : « And did you know how much I love you / Is a hope that somehow you, you / Can save me from this darkness. »

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