Crise à Téléfilm Canada: le cinéma québécois dans la tempête

Posté par vincy, le 22 mai 2019, dans Business, Cannes, Festivals.

Deux films canadiens sont en sélection officielle à Cannes cette année: Monia Chokri avec La femme de mon frère qui ouvrait Un certain regard et Xavier Dolan, avec Matthias et Maxime.

Licenciements sans justification: la mèche est allumée

Pourtant le 7 mai, une lettre envoyée G. Grant Machum, président par intérim du conseil d'administration de Téléfilm, rappelait: "Quelle ironie d'ailleurs que de penser que les représentants de Téléfilm Canada monteront bientôt les marches du Palais des Festivals à Cannes pour y découvrir Matthias et Maxime de Xavier Dolan, un film qui n'aurait pas vu le jour si l'équipe dirigée par Monsieur Michel Pradier [directeur du financement, ndlr] et de Madame Roxanne Girard [directrice des relations d’affaires et de la coproduction, ndlr]  n'avaient pas donné son aval au projet pour un financement anticipé sur l'année fiscale 2019-2020". Pradier et Girard sont deux des trois directeurs, avec Denis Pion, directeur de l’équipe information, performance et risque, de Téléfilm Canada récemment congédiés, sans justification.

Depuis quelques semaines, c'est la crise dans l'institution canadienne depuis ces licenciements alors que les problèmes de financement du volet francophone sont au cœur des préoccupations de la profession puisque l'édition 2019-2020 est compromise. Trop de fonds ont été exploités dans cette enveloppe pour finir l’exercice 2018-2019: autrement dit les caisses sont déjà vides pour le cinéma francophone. Michel Pradier avait annoncé le 17 avril dernier l’absence de fonds supplémentaires alloués cette année aux films francophones, sauf si on redistribuait l'argent en ponctionnant dans divers programmes de Téléfilm.

Une directrice qui n'a plus la confiance de la profession: le feu se propage

En congédiant ces trois personnalités estimées des producteurs, le signal envoyé a semé un vent de panique. La nouvelle directrice générale de Téléfilm, l’Ontarienne (province anglophone) Christa Dickenson, n'est à son poste que depuis un an. Les Québécois se sentent maltraités puisque depuis quelques temps, les aides de Téléfilm Canada sont réparties deux tiers-un tiers au profit des productions de langue anglaise, au lieu de moitié-moitié.

En quelques semaines, Christa Dickinson s'est vue complètement discréditée par la profession qui l'accuse de vouloir saboter le cinéma québécois.

"C’est non seulement la tête dirigeante de Téléfilm qui est décapitée, mais également sa mission et sa raison d’être qui sont mises en danger", affirment différentes associations : l’Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son (AQTIS), l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), Québec Cinéma, le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec (RDIFQ), le Regroupement des producteurs indépendants de cinéma du Québec (RPICQ), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), la Table de concertation de l’industrie du cinéma et de la télévision de la Capitale-Nationale, et l’Union des artistes (UDA).

Du côté de Téléfilm Canada, on assure qu'il est nécessaire d'opérer des changements dans le contexte actuel, en plein bouleversement. Mais le cinéma québécois est très dépendant des fonds de Téléfilm Canada et des aides de la Sodec. Le risque est devoir d'ici un à deux ans une chute de la production, et des emplois, au Québec. C'est un enjeu économique, culturel, et aussi linguistique puisque cela permet de défendre la langue française dans un marché dominé par les productions américaines.

Un ministre qui fait le pompier: la maison brûle

Les producteurs québécois avaient déjà interpellé cet hiver le ministre canadien du Patrimoine, Pablo Rodriguez, parce que plusieurs productions sont menacées faute de subventions. Outre le micmac politique, Odile Tremblay, du Devoir, pointait le mauvais timing de ce "remue-ménage", juste avant le Festival de Cannes (et le marché du film), essentiel pour lancer les projets de coproductions.

C'est d'ailleurs Pablo Rodriguez qui a réagit juste avant le Festival de Cannes en annonçant une aide exceptionnelle de 7,5 millions de dollars canadiens pour Téléfilm Canada, "pour atténuer les défis liés à l’allocation des fonds destinés aux productions francophones par Téléfilm Canada en 2019-2020."

Selon lui, "ça règle l’ensemble des besoin". "Pour nous, il n’était pas question que de bons films ne soient pas réalisés. C’est pour ça que ce nouvel investissement sera disponible dès cette année pour appuyer directement les projets en français" précise le ministre. Ce financement s'ajoute aux 2,5 millions de dollars canadiens disponibles pour des longs métrages en attente de financement, soit un total de "10 millions de dollars canadiens disponibles pour appuyer des productions de langue française en 2019-2020."

Il en a aussi profité, pour acheter la paix, en nommant deux nouveaux membres au conseil d'administration. Robert Spickler comme président, et Karen Horcher comme membre.

Dimanche 2 juin (eh oui, c’est bien tard !), le Gala Québec Cinéma célébrera les films de 2018 avec ses récompenses. On imagine l'ambiance qu'il y aura puisque désormais les professionnels se situent entre colère et indignation, même si les récentes annonces devraient calmer le jeu.

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