Adieu Agnès Varda (1928-2019)

Posté par MpM, le 29 mars 2019, dans In memoriam, Personnalités, célébrités, stars.

Avec le recul, cela semble prémonitoire. Il y a quelques semaines à peine, en février dernier, Agnès Varda était honorée au Festival de Berlin, où elle recevait la "Berlinale Camera" (après un César d'honneur en 2001, un Carrosse d'or en 2010, un Léopard d'honneur en 2014, une Palme d'honneur en 2015, un Oscar d'honneur en 2017...) et présentait son dernier documentaire, Varda par Agnès. Un film qui avait évidemment des airs testamentaires, dans lequel elle prouvait à nouveau quelle formidable guide à l’intérieur de son propre cinéma elle pouvait être.

En alternant des extraits de masterclasses données devant différents publics, des extraits de films et des témoignages face caméra, la réalisatrice y disait tout ce qu'il y a besoin de savoir sur elle, de son engagement, de son féminisme, de son approche documentaire, et pour finir de son profond humanisme, présent à chaque oeuvre, qu'elle soit ou non de cinéma. Agnès Varda ne confiait à personne le soin de parler d’elle-même, et c'est intimidant de se dire qu'aujourd'hui elle nous a définitivement passé le relais.

agnes varda jeune

Que retiendra-t-on d'Agnès Varda ? Des faits, d'abord :

Sa naissance en Belgique le 30 mai 1928 d’un père grec et d’une mère française : elle grandit rue de l’Aurore à Bruxelles, entourée de quatre frères et sœurs. De cette enfance, elle recrée des dizaines d’années plus tard (dans Les plages d'Agnès) une reconstitution sur la plage, avec une installation de miroirs. Des bribes d’histoire, exactement comme les souvenirs. Et quand elle entreprend de revoir la maison de son enfance, elle se refuse à jouer devant la caméra la comédie des retrouvailles. "Le jardin est bien là, mais pas l’émotion", dit-elle simplement. Comme un symbole de ce jardin secret dont il ne nous sera pas donné de forcer l’entrée.

Son histoire d'amour avec Jacques Demy, le compagnon de toujours, le père de son fils Mathieu, avec qui elle a vécu de la fin des années 50 à sa mort en 1990. Dans Les plages d’Agnès, la cinéaste évoque avec beaucoup de tendresse et de retenue la vie auprès de Demy. En filigrane, on sent le vide qu’il a laissé dans cette existence pourtant bien remplie. Elle lui a consacré trois films : Jacquot de Nantes en 1990 ("Jacques en train de mourir, mais Jacques encore vivant", dit-elle simplement), Les demoiselles ont eu 25 ans en 1992 et L’univers de Jacques Demy en 1995. On veut retenir d’eux cette image incongrue mais joyeuse d’un jeune couple courant nu dans un couloir.

Et puis, bien sûr, le cinéma, art vers lequel elle se tourne quand, photographe notamment pour le Festival d'Avignon, elle a "envie de mouvement". Son premier long métrage, La pointe courte, réunit justement deux acteurs du Théâtre National Populaire, Silvia Monfort et Philippe Noiret. C’est un jeune homme nommé Alain Resnais qui monte le film, une chronique réaliste et psychologique sur un couple qui se délite. Avec son manque évident de moyens, son interprétation minimaliste et ses décors naturels, ce coup d’essai annonce dès 1954 les prémices de la Nouvelle vague. Suivent des documentaires, et puis le film phare de la période, Cléo de 5 à 7, déambulation dans Paris aux côtés de Cléo, une jeune femme attendant des résultats médicaux, qui lui vaut une sélection à Cannes.

Sa filmographie éclectique s'étoffe au fil du temps et des envies, des causes à défendre, des questions à poser : fictions, documentaires, installations, expérimentations... En 1965, c'est Le bonheur, pour lequel elle reçoit le prix Louis Delluc et un ours d’argent à Berlin. L’année suivante, elle filme une histoire d'amour entre Catherine Deneuve et Michel Piccoli à Noirmoutier-en-L'Isle (Les créatures). Puis c’est un documentaire collectif avec William Klein, Jean-Luc Godard, Chris Marker, Claude Lelouch, Joris Ivens et Alain Resnais, Loin du Viêt Nam. S’en suit une période "américaine" où elle tourne notamment Lions love, inspiré du mouvement hippie.

A Los Angeles, dont elle tombe amoureuse, elle fréquente Andy Warhol et Jim Morrison. Puis revient à Paris où elle part à la rencontre de ses voisins de quartier (Daguerréotypes en 1975), avant de réaliser l'un des grands manifestes cinématographiques sur la condition de la femme : L’une chante, l’autre pas (1977). En 1985, elle remporte le Lion d’or à Venise avec Sans toit ni loi qui révèle Sandrine Bonnaire en jeune femme sans logis. Dix ans plus tard, on lui demande de réaliser le film sur le centenaire du cinéma, Les cent et une nuits, qu'elle qualifiera avec simplicité de "désastre" dans Varda par Agnès.

En 1999, elle réalise Les glaneurs et la glaneuse, un documentaire sur les as de la récupération, ces glaneurs modernes qui ramassent la nourriture ou les objets dont les autres ne veulent plus, et qu'elle retrouve dans Deux ans après. En 2008, elle réalise un portrait saisissant et drôle avec Les plages d'Agnès, puis ce sera Visages, villages tourné avec JR. Toujours en phase avec son temps (elle tournait en numérique, réalisant elle-même de multiples suppléments pour les sorties DVD de ses films), elle nous semblait indéboulonnable, et même immortelle, avec son éternelle coupe au bol bicolore, son humour, son regard pétillant, et ses films inclassables. Et pourtant elle s'est éteinte ce 29 mars 2019, à l'âge de 90 ans.

Pionnière et touche-à-tout, cinéaste autant qu'artiste, figure du cinéma mondial et symbole d'un cinéma au féminin, Agnès Varda laisse une oeuvre colossale et incontournable qui raconte le XXe siècle et ses combats. On l'imagine désormais sur une plage, lieu qui la définissait le plus selon elle ("Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi, si on m’ouvrait, on trouverait des plages."), flânant entre les multiples visages qu'elle a filmés. Malheureusement le dernier plan se finit toujours de la même façon : sur une image fixe où s'écrit le mot "fin".

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