Berlinale 2019 : cinéma, engagement et féminisme avec Agnès Varda, Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos

Posté par MpM, le 13 février 2019

Agnès Varda est une formidable guide à l’intérieur de son propre cinéma, elle l’a déjà prouvé à plusieurs reprises et notamment en 2008 avec Les plages d’Agnès qui fut présenté hors compétition à Venise. On pourrait peut-être croire qu’à force de faire sa propre exégèse, elle allait finir par se répéter, mais Varda par Agnès (à Berlin en sélection officielle hors compétition) prouve habilement qu’il n’en est rien. La réalisatrice n’a pas son pareil pour livrer une analyse distanciée de son travail, et incorporer à cette analyse une réflexion plus large sur le cinéma et sur la vie en général.

Le film permet par exemple de comprendre le cheminement qu’a suivi sa carrière, de La courte pointe en 1955 à Visages, Villages avec JR en 2017. Elle dresse des parallèles et des ponts entre ses différents projets (installations comprises) et raconte avec humour comment l’engagement politique qui était le sien, couplé à son sens du dispositif cinématographique, l’ont menée à filmer Cléo de 5 à 7 en temps réel  (analyse de séquences à la clef), s'intéresser au mouvement des Black Panthers (Black Panthers) ou faire chanter un répertoire féministe à Valérie Mairesse dans L'une chante, l'autre pas pour que le propos soit "un peu moins raide" tout en exprimant clairement son point de vue sur le droit des femmes à disposer de leurs corps.

La construction, qui alterne des extraits de masterclasses données par Varda devant différents publics, des extraits de films, et des rencontres impromptues avec l'actrice Sandrine Bonnaire ou la directrice de la photo Nurith Aviv, offre à la fois une vivacité de montage et un ton très joyeux. Agnès Varda ne confie à personne le soin de parler d’elle-même, et le fait avec l’autodérision qui la caractérise (concernant par exemple Les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma : "un désastre") mais aussi avec le recul permettant de remettre son expérience et son travail dans leur contexte, notamment social et politique.

Avec elle, on revit plus de cinquante ans de luttes et d’interrogations sociétales, ou tout simplement humaines. On se souvient des « glaneurs », des Justes, des veuves de Noirmoutier. On réfléchit à ses côtés à ce que signifie faire du documentaire, ou plus précisément avoir une approche documentaire, même dans la fiction. Comment filmer au plus près et au plus juste. Comment représenter et donner la parole. En quelque sorte commet aborder le monde, quand on se promène une caméra à la main. Mais bien sûr Agnès Varda ne parle-t-elle que pour elle-même, n'étant jamais dans le manifeste mais dans la transmission et l'enthousiasme.

La vidéo au service des droits des femmes


Hasard classique en festival, un autre documentaire montré à Berlin cette année, en compétition Forum, semble faire écho au travail d’Agnes Varda. Il s’agit de Delphine et Carole, insoumuses de Callisto McNulty, qui raconte comment la comédienne Delphine Seyrig et la militante Carole Roussopoulos ont utilisé le format vidéo au service des mouvements de lutte pour le droit des femmes dans les années 70 et 80. A grands renforts d'images d'archives passionnantes et drôles (ah, Maso et Miso vont en bateau, réponse cinglante à un improbable programme télévisé intitulé "l'année de la femme : Dieu merci c'est fini"), le film retrace leur collaboration fructueuse autour de toutes les grandes questions féministes de l'époque, comme l'avortement, la dictature de l'apparence, la prostitution ou de la place des femmes dans le cinéma.

On y retrouve des témoignages et des interventions médiatiques de Simone de Beauvoir, Chantal Akerman, Marguerite Duras, et bien sûr des deux principales protagonistes du documentaire, qui livrent toutes des réflexions d'une brûlante actualité sur leur combat pour obtenir l'égalité des droits. Quand on les entend parler de ce qui n'était pas encore le "male gaze" ou déplorer le manque de moyens concédés aux réalisatrices, quand Jane Fonda raconte qu'on a voulu lui casser la mâchoire pour que ses joues semblent plus creuses ou que Chantal Akerman explique pourquoi il est important de montrer le quotidien des femmes de leur point de vue, on a l'impression que beaucoup de problématiques n'ont pas vraiment changé aujourd'hui.

Reste que le film de Callisto McNulty rend un très bel hommage à l'action de Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos, dont on perçoit au fil des interviews la finesse et l'intelligence, mais aussi l'humour et la ténacité. A une époque où être une femme est encore un handicap dans le milieu professionnel, ou une raison suffisante pour subir harcèlements et "blagues" sexistes, Delphine et Carole, insoumuses s'avère un document historique galvanisant et fédérateur, qui donne envie de reprendre avec fierté le flambeau.

3 raisons d’aller voir Les Drapeaux de papier de Nathan Ambrosioni

Posté par kristofy, le 13 février 2019

Le pitch: Charlie, bientôt 24 ans, mène une vie sans excès : elle se rêve artiste et peine à joindre les deux bouts.
Quand son frère vient la retrouver après douze ans d’absence, tout se bouscule. Vincent a 30 ans et sort tout juste de prison où il a purgé une longue peine. Il a tout à apprendre dans un monde qu’il ne connait plus. Charlie est prête à l’aider. C’est son frère après tout, son frère dont la colère peut devenir incontrôlable et tout détruire malgré lui...

Nathan Ambrosioni, nouveau (très jeune) talent du cinéma français
En France l'une des particularité de notre cinéma est de voir chaque année éclore quantité de premiers films ; c'est réaliser un second ou un troisième film qui est parfois plus complexe...  Les Drapeaux de papier est l'œuvre du très jeune Nathan Ambrosioni : écrit à 17 ans, tourné à 18 ans, et maintenant, à 19 ans, il s'offre une belle sortie dans les salles. C'est déjà son 3ème long-métrage, après deux films qui font peur ) Hostile en 2014 et Therapy en 2016 qui avaient été sélectionné dans plusieurs festival fantastiques (comme le BIFFF). Il a déjà un scénario en cours pour son prochain film ! Après s'être fait la main dans le registre de l'horreur, il change de registre avec ce drame émouvant. La jeunesse de Nathan Ambrosioni est en fait un détail : il raconte là une histoire très adulte d'une famille éclatée avec une belle sensibilité. La caméra s'attache à fixer en gros plan les personnages où à les suivre de manière à ce que l'on soit toujours au plus près deux, et il évite les dialogues pompeux tout en sachant ménager des silences. Le pari des Drapeaux de papier est justement d'avoir su capter et faire parler les différents regards de cette famille... «Dis moi comment faut faire pour être quelqu’un de bien, quelqu’un de mieux?»

Après être sorti de prison, on entre comment dans la vie ?
«La prison c’est long, 12 ans c’est long.» Lui vient tout juste de sortir de prison, il a 30 ans et personne ne l'attend. Alors il va frapper à la porte de sa petite sœur qui à la vingtaine : elle ne l'a quasiment pas vu depuis gamine, c'est presque un étranger. Le frère et la sœur vont devoir s'apprivoiser et apprendre à se (re)connaître et à cohabiter ensemble pour quelques temps. Vincent est sans aucune ressource ni compétence et il va devoir essayer de trouver un travail; du côté de Charlie elle vivote comme elle peut. Avec le délicat sujet de la réinsertion pour le frère, et en creux de l'insertion pour la sœur, le film commence par jouer sur cette subtile relation à la fois de confiance et de défiance entre eux deux. Progressivement les rôles s'inversent. Ce qu'ils se disent et en même temps les non-dits font dessiner une famille qui ne peut se retrouver sans l'ombre de leur père...

La lumière sur Guillaume Gouix et Noémie Merlant
«On est obligé de s’aimer parce qu'on est une famille ?» La caméra filme quasiment tout du long soit le frère soit la soeur, et quelques autres personnages dont le père. Les Drapeaux de papier c'est d'abord un vibrant jeu d'acteur de la part de Guillaume Gouix et de Noémie Merlant, mais aussi de Jérôme Kircher. Il y a beaucoup de gros plans sur les visages et les variations des regards. Le duo frère-soeur entre brutalité et complicité est particulièrement émouvant. Guillaume Gouix s'impose avec une violence contenue prête à surgir et, en même temps, un lâcher-prise où enfin il peut jouir d'être libre. Noémie Merlant est tout à la fois dans la détermination ou la fragilité, dans un rôle plus compliqué à faire exister et où sa présence fait merveille. La puissance du film est justement d'avoir su observer la confrontation de ce duo : c'est avec eux qu'opère toute la séduction de Les Drapeaux de papier.

Vesoul 2019: Pema Tseden reçoit un 2ème Cyclo d’Or avec « Jinpa »

Posté par kristofy, le 13 février 2019

Le 25ème Festival International des Cinémas d'Asie de Vesoul, a soufflé les bougies de cet anniversaire symbolique avec la surprise de la révélation de son palmarès : le Cyclo d'Or a été attribué au film Jinpa du réalisateur Pema Tseden. Durant l'histoire du FICA de Vesoul c'est en fait la première fois qu'un cinéaste reçoit pour la seconde fois la plus haute récompense : Pema Tseden avait déjà reçu un Cyclo d'Or en 2016 pour son film Tharlo, sorti  en salles en janvier 2018.

Pema Tseden est n réalisateur originaire du Tibet, et Tharlo tout comme Jinpa, avait été découverts lors du festival de Venise. Leur point commun est d'ailleurs l'utilisation de certains très longs plans fixes. Ici le chauffeur d'un camion sur une route déserte prend en stop un homme mystérieux qui dans un prochain village à l'intention de retrouver quelqu'un pour le tuer et se venger... La production de Jinpa a été soutenue par Wong Kar-wai. Outre le Cyclo d'Or Jinpa reçoit aussi le Prix de la Critique, et un coup de coeur du jury Inalco.

Comme chaque année les films sélectionnés en compétition représentent des premiers ou seconds films, des œuvres en première européenne pour la plupart, parfois en provenance de cinéphilies rarement distribués en salles en France.

Pour cette année 2019, on croisait Rona Azim's mother de Jamshid Mahmoudi qui était le film candidat de l'Afghanistan à l'Oscar du meilleur film étranger (Grand prix du jury et Prix Inalco), His lost name premier film de la réalisatrice japonaise Hirose Nanako (assistante depuis plusieurs années de Kore-eda Hirokazu, palme d'or à Cannes 2018), African violet de la réalisatrice iranienne Mona Zandi Haghighi dont le premier film avait été primé à Vesoul en 2007...

Le Palmarès du Fica de Vesoul 2019 :

Cyclo d'Or : JINPA de Pema Tseden (Chine)
Grand prix du jury international : RONA AZIM’S MOTHER de Jamshid Mahmoudi (Afghanistan)
Prix du jury international : SUB-ZERO WIND de Kim Yu-ri (Corée du Sud)

Prix NETPAC (Network for the promotion of asian cinema): A FAMILY TOUR de Ying Liang (Hong Kong, Taïwan, Singapour, Malaisie)
Prix de la critique : JINPA de Pema Tseden (Chine)
Prix INALCO : RONA AZIM’S MOTHER de Jamshid Mahmoudi (Afghanistan)
Coup de cœur INALCO : JINPA de Pema Tseden (Chine)
Prix du public du film de fiction ex-aequo : AFRICAN VIOLET de Mona Zandi Haghighi (Iran) et WAITING FOR SUNSET de Carlo Enciso Catu (Philippines)
Prix du jury lycéen : AFRICAN VIOLET de Mona Zandi Haghighi (Iran)
Prix du public du film documentaire : CHINE DU SUD : UNE ROUTE POUR XIAO JIANG de Jean-Michel Corillion (Chine, France)
Prix du jury jeune : OF FATHERS AND SONS de Talal Derki (Syrie)
Prix des exploitants : SIBEL de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti (Turquie)