Berlinale 2019 : Denis Côté fustige la tentation du repli sur soi avec Répertoire des villes disparues

Posté par MpM, le 11 février 2019, dans Avant-premières, Berlin, Festivals, Films.

Habitué de la Berlinale (Vic+Flo ont vu un ours en 2013, Boris sans Béatrice en 2016), Denis Côté apporte une nouvelle fois sa singularité à la compétition, qui en a particulièrement besoin cette année. Son nouveau film Répertoire des villes disparues est un étrange portrait de groupe inspiré d'un roman de Laurence Olivier. En ouverture, un jeune homme d'Irénée-les-neiges se tue en voiture, d'une manière qui laisse peu de doute sur le caractère volontaire de l'accident. Peu à peu, d'étranges phénomènes se produisent dans la petite commune de 215 habitants, et notamment l'apparition au bord des routes d'étranges silhouettes immobiles.

Construit sur un mode choral, le film pourrait être le pilote particulièrement accrocheur d'une série fantastique. Le rythme est rapide, les scènes courtes, les personnages nombreux. On passe de l'un à l'autre avec une forme de gourmandise romanesque, chaque séquence apportant une nouvelle pierre à l'édifice complexe de l'intrigue, sous forme d'une question ou d'une autre sous-intrigue. L'humour, au départ, côtoie le drame. Puis on observe peu à peu un glissement vers le cinéma de genre, avec une inquiétude sourde qui envahit l'écran. C'est à ce moment-là que Denis Côté montre la maîtrise de son cinéma, en réussissant à nous faire peur avec un simple plan fixe sur des gens debout et immobiles.

Mais effrayer le spectateur n'est pas forcément le but ultime de Denis Côté, qui préfère de loin le surprendre avec de multiples ruptures de ton, et ménage notamment de vrais moments de comédie pure. Il pose surtout la question du repli sur soi, tentation caressée par les habitants de la commune suite au décès du jeune Simon, et explore les différentes facettes du deuil et de son impact sur les êtres. Il ausculte enfin le microcosme que forment ces villages minuscules où tout le monde se connait tellement que le moindre visiteur inhabituel apparaîtra comme un intrus, voire une menace.

Car ce sont bien les pires travers de ses semblables (méfiance envers ce qui est différent, rejet de ce que l'on ne connaît pas) que croque le cinéaste dans ce conte métaphorique où l'on reproche aux "arrivants" de ne pas être à leur place. Le personnage de la mairesse est à ce titre édifiant, de son discours lors de la veillée funéraire, à sa diatribe envers les inconnus qui envahissent son village, en passant par son propos condescendant face à la psychologue envoyée pour aider les habitants à surmonter le drame de la mort de Simon. Pour elle, Irénée-les-neiges doit rester perpétuellement la même, territoire presque sacré que menacent tout changement et tout nouveau venu. Ici, on règle ses problèmes entre-soi, et on est prêt à tout pour ne pas faire appel à l'extérieur.

Cette attitude de repli en évoque évidemment d'autres, terriblement contemporaines, et tout aussi mortifères. Denis Côté ne cache pas avoir pensé à la situation migratoire actuelle pour écrire le film, et dénonce en filigrane dans ce Répertoire des villes disparues l'idée que l'identité d'un territoire ou d'un peuple puisse être mise en péril par une poignée d'individus venus d'ailleurs. Ce faisant, le cinéaste démontre que si chacun gère comme il le peut son angoisse face au changement, la fraternisation est encore la solution qui conjure le mieux la peur irrationnelle de tout ce qui est autre et différent.

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