Berlinale 2019 : Grâce à Dieu de François Ozon, reconstitution sensible rattrapée par l’actualité

Posté par MpM, le 8 février 2019

Première entrée française de cette 69e Berlinale, Grâce à Dieu, le nouveau film de François Ozon aborde la question de la pédophilie dans l'Eglise en relatant l'histoire des victimes du prêtre Bernard Preynat accusé d'attouchements sexuels sur de jeunes scouts dans la région de Lyon. Le film, qui s'est fait en secret, arrive au moment-même où le cardinal Barbarin et Régine Maire, psychologue au service du diocèse, attendent le verdict du procès dans lequel ils sont accusés d'avoir couvert les agissements du prêtre, et avant même que le principal accusé n'ait été jugé. Un recours a d'ailleurs été déposé pour reporter la sortie du film, prévue le 20 février, afin qu'il ne soit pas sur les écrans avant la fin de la procédure judiciaire.

Et le film, dans tout ça ? On comprend que les accusés (qui bénéficient jusqu'au verdict de la présomption d'innocence) ne soient pas particulièrement ravis d'y apparaître sous leur véritable nom, sans le voile pudique de la fiction pure (d'autant que les victimes, elles, n'apparaissent pas sous leur véritable identité). La narration est en effet un mélange de reconstitution quasi documentaire et d'enquête minutieuse racontant comment le premier plaignant a porté plainte contre le prêtre Preynat après avoir tenté une conciliation avortée avec l'Eglise, puis comment d'autres victimes se sont jointes à son combat en montant l'association "la parole libérée".

La première partie du film consiste ainsi notamment en un échange épistolaire (lu en voix-off) entre Alexandre Guérin (Melvil Poupaud) et Régine Maire d'une part, et le cardinal Barbarin d'autre part. Les enjeux y sont clairement posés, entre le besoin qu'éprouve la victime de voir le responsable sanctionné et la volonté de la hiérarchie religieuse d'amener l'affaire sur le terrain du pardon et de la repentance. Ces allers et retours entre les deux "camps", par le biais des lettres et des rencontres, se font sans temps mort, dans une forme de sécheresse narrative qui laisse très peu de place pour la fiction. Du personnage principal, on ne saura que ce qui a rapport à l'affaire, toute digression étant bannie, ou laissée hors champ.

François Ozon dresse ainsi en creux le portrait de l'accusé (pas vraiment à son avantage) mais aussi de Barbarin et de son équipe, présentés comme les gardiens d'une énorme machine rigide et froide qui ne pense qu'à sa propre sauvegarde. Le film décortique alors la stratégie d'évitement du cardinal, ainsi que l'incompréhension agacée, dénuée du moindre tact, de ceux qui l'entourent : "Pourquoi toujours remuer ces vieilles histoires ?" s'exclame l'un des responsables du diocèse.

On suit ensuite successivement deux autres personnages (interprétés par Denis Ménochet et Swann Arlaud) ayant été abusés par le prêtre, qui poursuivent le travail commencé par Alexandre Gérin. Le premier se met en quête d'autres victimes, en créant l'association "la parole libérée", et le second s'engage dans le mouvement, y trouvant un moyen de reconstruire sa vie. Le film bascule plus clairement dans le format de l'enquête, sans céder pour autant aux sirènes du sensationnalisme. L'aspect très clinique de la première partie laisse place à une fiction plus classique, avec quelques scènes qui permettent d'en savoir plus sur les personnages, et notamment d'appréhender les traces laissées, dans leur vie d'adulte, par les abus subis dans leur enfance.

François Ozon propose ainsi un récit sensible et pudique (malgré des flashbacks répétitifs qui n'apportent pas grand chose au récit) sur une tragédie humaine qui est celle des victimes de Lyon, mais qui pourrait être plus largement celle de toutes les victimes d'abus sexuels. Toutefois, difficile de nier que le film se fait plus précisément à charge contre l'Eglise en tant qu'institution toute-puissante qui n'a pas été capable de prendre la mesure de ce qui se passait dans ses rangs, et contre tous ceux qui ont été, volontairement ou non, les complices des agissements du prélat.

Quitte, parfois, à flirter avec un certain didactisme dans son propos. D'autant que les témoignages proposés par le film, ainsi que le récit qui est fait des agissements du cardinal Barbarin ou de ses proches, n'amènent pas vraiment le spectateur à douter de leur culpabilité, ce qui pose un vrai problème éthique. Car si on ne peut reprocher au réalisateur d'avoir voulu raconter "sa" vérité, qui est celle des victimes, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la pertinence de laisser le verdict de fiction s'exprimer avant celui de la justice.

Albert Finney (1936-2019), acteur prodigieux et carrière prestigieuse

Posté par vincy, le 8 février 2019

L'acteur britannique Albert Finney est mort aujourd'hui à l'âge de 92 ans. Son élégance naturelle alliée à un corps robuste et un regard malicieux restent inoubliables. Fils de bookmaker, il a parfois pris des risques. Il avait refusé le rôle de Lawrence d'Arabie. Ce qui ne l'a pas empêché au fil des décennies d'obtenu cinq nominations aux Oscars, de gagner trois Golden Globes (en plus de six nominations), de remporter un BAFTA (et 8 autres nominations) et de tourner durant 50 ans au Royaume Uni comme aux Etats-Unis. Il a notamment été marié avec Jane Wenham, puis Anouk Aimée et enfin Pene Delmage.

En 2000, Steven Soderbergh le remet sur le devant de la scène en lui offrant le rôle masculin principal d'Erin Brokovich, où il joue un avocat-mentor de Julia Robert dans une "class-action" écologique. Soderbergh le réembauche pour Traffic et surtout pour Ocean's Twelve, pour une apparition dans l'épilogue, en père voleur de Catherine Zeta-Jones. Albert Finney jouera ainsi les valeurs ajoutées dans plusieurs productions hollywoodiennes: Une grande année de Ridley Scott, La Vengeance dans la peau de Paul Greengrass (en affreux Dr Hirsh) ou Skyfall de Sam Mendes (en garde-chasse de la propriété familiale de James Bond). Le 007 sera son dernier film de cinéma, il y a 7 ans.

Tim Burton lui offre aussi le rôle de Ed Bloom âgé (jeune, il est incarné par Ewan McGregor) dans Big Fish (et il fera une voix dans Les noces funèbres). Il faut dire que Finney est entouré d'un culte pour les cinéastes de cette génération.

Débutant d'abord au théâtre, aux côtés d'Alan Bates et Peter O'Tool, il joue Shakespeare durant les années 1950. On le considéra souvent comme l'héritier de Laurence Olivier. Il débute sur le grand écran en 1960, dans Samedi soir et dimanche matin de Karel Reisz. Tout au long de sa vie, épris de sa liberté, il refuse des gros cachets ou des responsabilités. L'argent ne l'intéresse pas. En 1962, il est Tom Jones dans le film éponyme de Tony Richardson. Albert Finney est l'acteur emblématique de ce Free Cinema britannique qui s'impose dans le Swinging London. Bad boy sympathique dans ce film culte, il envoute la critique qui le propulse dans le star-système. Avec Tony Richardson, il connaît aussi son plus grand succès théâtral dans les années 1960 en incarnant Martin Luther King dans Luther.

Cette liberté artistique le pousse à n'en faire qu'à sa tête. Il réalise ainsi Charlie Bubbles, autoportrait parodique où l'on croise une jeune Liza Minelli. Il fonde la société de production Memorial Enterprises, qui remporte la Palme d'or avec If..., et lance Stephen Frears avec Gumshoe (avec Finney en acteur), Mike Leigh avec Bleak moments et Tony Scott avec Loving Memory.

Audrey Hepburn et Hercule Poirot

Cela ne l'empêche pas de céder à certaines sirènes. dans les années, 1960, il tourne Voyage à deux, de Stanley Donen, périple ensoleillé et cruel avec Audrey Hepburn (avec qui il a eu une liaison) autour d'un couple. Film de guerre, thriller, comédie, il ne cherche pas à s'installer dans un genre. Il excelle en misanthrope dans le film familial Scrooge. Il campe un légendaire Hercule Poirot dans Le crime de l'Orient-Express de Sidney Lumet (qui le retrouvera pour son ultime film en 2007, le très noir 7h58 ce samedi-là, en doyen familial). Les années 1970 ne sont finalement pas moins riches, même s'il se fait rare, contrairement à Sean Connery ou Michael Caine. Admirable Fouché dans Les Duellistes de Ridley Scott (où il fut payé par une caisse de champagne), il enchaîne des films comme Looker film de SF de Michael Crichton, L'usure du temps d'Alan Parker ou L'habilleur de Peter Yates. On notera surtout sa participation aux œuvres de John Huston, la comédie musicale Annie, et le drame Au-dessous du volcan, où il transcende son personnage de consul solitaire et dépressif.

Les années 1990 peuvent être perçues comme sa traversée du désert au cinéma. Ce serait oublié son passage chez les Coen, en parrain de la mafia irlandaise dans Miller's crossing et surtout deux rôles importants chez Mike Figgis dans The Browning Version en prof homosexuel amer et chez Suri Krishnamma dans Un homme sans importance en chauffeur de bus homosexuel toujours dans "le placard".

les critiques des films d'Albert Finney

Finney tournera un tiers de sa filmographie entre 2000 et 2012, passant de Agnieszka Holland à Michael Apted, en passant par Alan Rudolph. Il a eu pour partenaire Diane Keaton, Jill Clayburgh, Jacqueline Bisset, Julia Roberts. Sur le petit écran il a incarné le pape Jean-Paul II et Winston Churchill. Il a été soldat, docteur, juge, écrivain.

A ne jamais faire trop de concession, à conserver son talent toujours intact, même pour un petit rôle, Albert Finney est resté l'un des acteurs les plus respectés. Son charme et son charisme, son refus d'être acheté par le système et son aspiration à s'en affranchir en ont fait une figure à part dans le cinéma anglo-saxon. Il savait être drôle ou inquiétant, séduisant ou antipathique, sensuel ou monumental. Mais c'est bien son esprit rebelle qui restera : il a refusé tout anoblissement et honneur royal au cours de sa vie, rejetant ainsi le titre de Sir. Pourtant, il a donné de beaux titres de noblesse au métier d'acteur.

Un film sur la naissance de Rome en latin

Posté par vincy, le 8 février 2019

Fin janvier, le film Il primo re (Le premier roi) est sorti sur les écrans italiens. La particularité du film de Matteo Rovere (Veloce come il vento) est d'avoir voulu être le plus réaliste possible. L'image a ainsi été filmée à la lumière naturelle, et le cinéaste a préféré faire appel à des cascadeurs et du maquillage plutôt qu'à des effets numériques. Mais surtout, le film est parlé en latin préroman (ou proto latin), autant dire de l'époque. Mel Gibson avait aussi utilisé une langue morte, l'araméen, dans La Passion du Christ. Certains films ont utilisé le latin, le grec ancien et d'autres dialectes disparus épisodiquement par souci d'authenticité.

Mais c'est la première fois qu'un film se déroule entièrement dans le langage supposé de l'époque. Il Primo Re raconte la naissance de Rome, qui, selon le mythe date de 753 avant notre ère, avec la rivalité de Rémus et Romulus, jumeaux abandonnés et élevés par une louve. Rémus est interprété par Alessandro Borghi tandis que Romulus est joué par Alessio Lapice.

Le réalisateur explique qu'il voulait faire un film sur cette époque historique jamais traitée avant,, alors qu'elle est "la base de notre civilisation et de la fondation de l'Occident." Un péplum de Sergio Corbucci, Romulus et Rémus, était sorti en 1961, sous un angle plus romanesque.

Le film s'est classé 4e du box office pour son premier week-end (930000€ de recettes), après avoir reçu de relativement bonnes critiques.