Quinzaine 50 – de l’ombre à la lumière pour le cinéma « queer »

Posté par wyzman, le 15 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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"Cinéma en liberté", aux yeux des créateurs de la Quinzaine, n'était pas une simple formule. On s'en apercevra au fil de ce dossier : la plus provocatrice des sections parallèles aime tous les cinémas, et notamment ceux qui sortent de la norme, de l'horreur à l'érotisme, en passant par  l'expérimental et bien sûr le queer.

Petit tour d'horizon des films queer qui ont égayé les 50 premières éditions.

LUMINOUS PROCURESS (1972)

A travers un univers aujourd'hui sobrement qualifié de "fantasmagorique", Steven Arnold met en scène ses propres fantasmes. Son héroïne Pandora, une grande prêtresse, initie deux jeunes hommes à l'hédonisme. Le film, choc à la fois mais oublié depuis, condense tous les thèmes phares de la filmographie de Steven Arnold : les hommes, le glamour, l'androgénéité et le sexe.

TRIPLE ECHO (1972)

Adoré par la télévision britannique depuis qu'il a tourné certains des meilleurs épisodes du soap opera Coronation Street, Michael Apted signe ici son premier long-métrage. Culotté et comique malgré lui, ce drame raconte les péripéties du caporal Barton pendant la Seconde guerre mondiale. Tombé amoureux d'une veuve et refusant de retourner au front, il se déguise en sa "sœur" mais finit par se plaire dans son "nouveau corps". Par la suite, il se laisse séduire par un sergent, ce qui va déclencher sa descente en enfer.

O CASAMENTO (1976)

Le quatrième long-métrage du Brésilien Arnaldo Jabor est un film coup de poing. Il raconte comment un bourgeois spécialisé dans le bâtiment voit sa vie bouleversée par les révélations de sa fille. Cette dernière, après avoir appris que son fiancé a été vu en train d'embrasser un autre homme, raconte ses 18 années de calvaire auprès d'un père incestueux et véreux. Ici, amour morbide, révolte, crime, sexe et mort se croisent pour ne former qu'un long drame à l'humour noir ravageur.

THE GETTING OF WISDOM (1978)

L'adaptation de ce roman d'Henry Handel Richardson par Bruce Beresford, douze ans avant son Oscar du meilleur film pour Miss Daisy et son chauffeur, est un mélange de young adult et de teen movie. Mais le cinéaste rend bien plus explicite la relation lesbienne entre deux étudiantes. Enorme succès en Australie quand il est sorti, ce drame est devenu un classique au même titre que celui de son compatriote Peter Weir, Picnic à Hanging Rock, sorti deux ans plus tôt.

NIGHTHAWKS (1978)

Le documentariste Ron Peck signe ici son premier long métrage de fiction, l'histoire d'un enseignant londonien qui drague d'autres hommes dans des bars ou des boites, et cloisonne sa vie publique et sa vie privée , ses collègues de tous les jours et ses rencontres d'un soir. Il est obligé de se cacher: son travail (avec des enfants), la société (répressive) sont autant de contraintes à son fragile équilibre. Nighthawks (qui rappelle le tableau d'Edward Hopper, qui inspirera plus tard un docu au réalisateur) est le premier film "gay", sans meurtres, sans chantage et sans stéréotypes, sorti dans un large circuit de salles au Royaume Uni. C(est aussi l'un des premiers films à offrir des scènes de nudité masculine frontale, ce qui l'a classé X. On pourrait le revoir aujourd'hui comme un reportage sur le milieu gay des années 1970.

ANGUELOS (1983)

Le réalisateur grec Georges Katakouzinos revendique ce film comme "un choix moral et militant face à l’intolérance et au « fascisme quotidien »." Dans un monde méditerranéen macho et homophobe, filmer l'homosexualité c'est filmer la dimension humaine et le droit à la différence, en puisant dans la mythologie grecque, et sa part de tragédie. Un jeune gay athénien, dans l'armée le jour, cache son homosexualité. Il craque pour un marin. Ce dernier le force à se travestir et à se prostituer. La violence et la fatalité font mauvais ménage dans ce drame qui a reçu les trois plus grands prix du Festival de Thessalonique en 1982.

LE CHANT DES SIRENES (1987)

A travers Polly, la réalisatrice canadienne Patricia Rozema raconte sa volonté de croire en ses rêves. Son héroïne, une secrétaire intérimaire, modeste et innocente est fantasque et parfois absurde mais jamais ridicule. Et c'est sans doute pour cela que Le Chant des sirènes demeure aujourd'hui encore au panthéon des meilleurs films portés par un personnage queer. Prix de la Jeunesse cette année-là, le premier long-métrage de Patricia Rozema a ravi la critique et décroché 11 nominations aux Genie Awards, l'équivalent canadien des César.

MASCARA (1987)

Avec son troisième et dernier long-métrage, le Belge Patrick Conrad fait le pari audacieux de parvenir à mêler milieux de l'opéra, du travestissement et de la police. Plus qu'un film sur la féminité, son Mascara a tout d'une lettre d'amour destinée à Charlotte Rampling. L'actrice y incarne Gaby, une sœur absolument fascinante lorsque son quotidien est bouleversé par les machinations de son policier de frère Bert, complètement jaloux de son ami Chris. Polar outrageusement érotisé, Mascara marque un tournant dans la carrière de Charlotte Rampling.

MA VIE EN ROSE (1997)

Ce fut le feel-good movie de la sélection cette année-là. Alain Berliner avec Michèle Laroque en maman dépassée par son garçon qui se déguise en fille, et Zazie pour la chanson qui clôt le conte de fée (car ça se finit plutôt bien). Le film est un Tomboy avant l'heure, où le désenchantement collectif (famille, voisins, école) se mêle aux rêves d'un enfant qui veut être princesse. Ode à la différence, évidemment, Ma vie en rose a les allures d'une fable tout-public et s'avère en fait une insidieuse critique de la société normative.

BILLY ELLIOT (DANCER, 2000)

Aujourd'hui âgé de 56 ans, Stephen Daldry a le luxe de pouvoir dire qu'il a réalisé peu de films mais que c'était à chaque fois de grands films. Dancer est son premier film. Ici, il met en scène le quotidien d'un garçon de 11 ans, fasciné par la pratique de la danse mais issu d'une petite ville minière du Nord de l'Angleterre où la boxe est le seul sport digne des hommes. Drôle et touchant, le film qui deviendra par la suite Billy Elliot - pour éviter toute confusion avec Dancer in the Dark (autre film présent cette année-là à Cannes) - enterre les autres comédies dramatiques de l'époque en mêlant frustration, homophobie, patriarcat et sens du devoir. Billy Elliot a été sacré meilleur film au British Independent Film Awards.

ODETE (2005)

Diplômé de l'Ecole Supérieure de Cinéma de Lisbonne, le bienveillant Joao Pedro Rodrigues raconte ici les aventures d'Odete, Pedro et Rui. La première travaille dans un hypermarché et rêve d'avoir un enfant (en vain) tandis que les deux autres viennent de se fiancer. Lorsque Pedro meurt soudainement, son fantôme fait appel à Odete pour que son histoire d'amour avec Rui perdure et demeure éternelle. Porté par Ana Critistina de Oliveira, Nuno Gil et Joao Carreira, Odete est un drame moderne  et innovant où la vie et le sexe côtoient en permanence la mort.

J'AI TUE MA MERE (2009)

A tout juste 20 ans, le Québécois Xavier Dolan débarque pour la première fois sur la Croisette. Neuf ans plus tard, on se demande encore comment il est possible que le jeune surdoué n'ait pas encore décroché de Palme d'or. Stylé et fascinant, son premier long-métrage quasi-autobiographique raconte dans en détail la relation compliquée de Hubert Minel avec sa mère. Du haut de ses seize ans, il la jauge avec mépris et tente de vivre à fond sa sexualité ainsi que ses expériences artistiques. J'ai tué ma mère a raflé le prix "Regard Jeune", le prix SACD et l'Art Cinema Award quelques mois avant d'être sacré meilleur film étranger aux César 2010.

LES GARÇONS ET GUILLAUME, A TABLE! (2013)

Pour son premier long-métrage, Guillaume Galienne choisit d'adapter son one-man show. Il y raconte comment, fasciné par sa mère, il a décidé de tout faire pour lui plaire, quitte à sacrifier son orientation sexuelle. Ou du moins, celle que sa mère lui pensait. Pendant 86 minutes, André Marcon, Diane Kruger et Reda Kateb viennent embellir cette comédie déjà bien enflammée par la double performance de son réalisateur. Nommé pour la Queer Palm, le film de Guillaume Galienne n'a pas fait le poids face à L'Inconnu du lac d'Alain Guiraudie.

PRIDE (2014)

A l'été 1984, les mineurs britanniques se mettent en grève face à la politique d'une Margaret Thatcher omniprésente. Lors de la Gay Pride de Londres, un groupe d'activistes gays et lesbiens décide de récolter de l'argent pour aider les familles des mineurs en grève. De cette rencontre entre deux communautés qui se sont longtemps ignorées naît un récit fun et délirant dont seuls les Anglais ont le secret et où se croisent Ben Schnetzer, Dominic West, Russell Tovey ou encore Bill Nighy, le tout devant la caméra de Matthew Marchus. A l'époque, Pride a quitté la Croisette en remportant la Queer Palm.

MA VIE DE COURGETTE (2016)

Lorsque Claude Barras décide de réaliser l'adaptation du livre pour enfants Autobiographie d'une courgette, il n'a sans doute pas l'intention de faire un film queer. Mais l'aventure d'Icare, jeune orphelin recueilli par une communauté d'enfants abandonnés, est pourtant bien peuplée de personnages "étranges" et "bizarres". Avec ses enfants-marionnettes aux visages gender neutral, son récit non-stéréoytpé et ses jeunes victimes de problèmes physiques et d'agressions sexuelles, Ma Vie de courgette est devenu le film d'animation must-see de la jeunesse queer.

CARMEN Y LOLA (2018)

Un an seulement après 7 from Etheria, la réalisatrice espagnole Arantxa Echevarria présente son premier long métrage en solo. Très attendu, son Carmen y Lola raconte l'histoire d'amour que vivent deux jeunes femmes gitanes, dans un milieu où l'homosexualité est tabou. D'après les premières images dévoilées dans la bande annonce espagnole, Carmen y Lola semble lorgner du côté de La Vie d'Adèle pour son dynamisme et de Carol pour sa sensualité.

Cannes 2018 : Cannes en orbite avec « Star Wars »

Posté par wyzman, le 15 mai 2018

Puisque cette 71e édition nous emmène dans les étoiles avec l’avant-première mondiale de Solo: A Star Wars Story, nouvel épisode de l'univers étendu de la saga Star Wars, présenté hors compétition, et la projection de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick dans une nouvelle copie 70 mm restaurée (sans modification numérique de l'oeuvre de 1968) à Cannes Classics, profitons-en pour un petit tour d’horizon des « Space opéras » qui ont eu les honneurs de la sélection officielle.

Cannes ce n'est à priori pas le lieu où on s'imagine voir un film de vaisseau spatial et de bataille intergalactique, et pourtant certains gros films de science-fiction ont bel et bien décollé depuis la croisette. Retour sur la saga intergalactique la plus célèbre du monde, par ailleurs grande habituée du tapis rouge.

"Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine..." Tandis que Solo : A Star Wars Story sera projeté hors-compétition le mardi 15 mai en avant-première mondiale, un petit rappel de l'histoire qui lie la saga créée par George Lucas et le Festival de Cannes s'impose. Car outre la nécessité d'avoir quelques blockbusters à l'affiche, Star Wars pourrait bien être le miroir inattendu de la politique et de la production cinématographique américaines.

Jeudi 16 mai 2002 | Star Wars : Episode II - L'Attaque des clones

Projeté hors compétition, le deuxième volet des aventures d'Anakin Skywalker permet une révolution sur la Croisette : l'arrivée en grande pompe du numérique. Le film de George Lucas, qui avait présenté son premier film, THX 1138 à la Quinzaine 31 ans plus tôt, est en effet le premier à avoir été entièrement réalisé avec la caméra Sony-24P. Ce qui n'empêche pas cet Episode II d'être tout simplement assassiné par la critique. La cause principale étant bien évidemment le très mauvais jeu de Hayden Christensen (Anakin Skywalker). Il fait ici de son mieux pour être convaincant mais ne parvient jamais à développer une véritable alchimie avec l'interprète de Padmé Amidala, Natalie Portman.

Pour les puristes de la saga (et les festivaliers qui ont vu La Menace fantôme), cette suite est néanmoins sauvée par l'intrigue autour du personnage que campe Ewan McGregor (Obi-Wan Kenobi). George Lucas se vantera de la qualité visuelle (!) de son film mais personne n'oubliera le tollé subi par L'Attaque des clones...

Dimanche 15 mai 2005 | Star Wars : Episode III - La Revanche des Sith

Trois ans après le mauvais Episode 2, George Lucas est de retour sur la Croisette pour son grand final. Et ce qui devait simplement émouvoir les festivaliers de plus en plus accro à la culture pop se transforme en standing ovation avant et après la projection de gala. Ayant fait le déplacement, Hayden Christensen et Natalie Portman se retrouvent confrontés à l'un des publics les plus difficiles de la planète. Mais décrit comme "un grand film commercial" par le réalisateur Souleymane Cissé, le film est accueilli à bras ouverts par les people présents dans la salle ce soir-là : Sharon Stone, Alain Chabat, Clovis Cornillac...

Bien plus sombre que les films précédents, La Revanche des Sith dispose du parfait dosage entre scènes de combats spatiaux et dilemme shakespearienne sur l'immortalité. La dimension politique du film (on assiste au basculement d'une démocratie en dictature) permet à l'époque à George Lucas de faire le parallèle avec la guerre en Irak.

Mardi 15 mai 2018 | Solo : A Star Wars Story

A l'heure où les grands studios "réservent" des réalisateurs et dates de sortie des mois (voire des années) à l'avance, l'affaire Solo est un cas d'école. L'an dernier, presque à la même période, Disney, le studio qui a racheté les droits de la saga Star Wars pour 4 milliards de dollars, se séparait des deux réalisateurs jusque-là aux commandes du film : Phil Lord et Chris Miller. La raison évoquée est sans surprise des "différends créatifs". Et bien que cela ne nous apprenne pas grand-chose, il y a fort à parier que le ton que les réalisateurs de La Grande Aventure Lego souhaitaient donner à ce spin-off n'a pas plu à Kathleen Kennedy, la grande patronne de la franchise, issue de l'écurie Spielberg. Dès lors, c'est Ron Howard qui est entré en scène pour les remplacer.

Et si la production du film a très certainement dépassé son budget initial en raison de reshoots nécessaires et d'un tournage rallongé, c'est bien lui qui devrait fouler le tapis rouge avant la projection au Grand Théâtre Lumière. Par chance, le héros de son film, Alden Ehrenreich n'est pas un inconnu de la Croisette. Il était présent en 2009 pour Tetro de Francis Ford Coppola. La seule question qui demeure aujourd'hui, en sachant qu'Alden Ehrenreich a signé pour "3 films", est de savoir si Solo aura la singularité et l'originalité d'un Rogue One, le premier stand alone de Disney au succès et à la qualité indéniables.

Cannes 2018: Qui est Lucie Debay ?

Posté par kristofy, le 15 mai 2018

Elle est enfin à Cannes. Avec Nos Batailles en séance spéciale à La Semaine de la Critique. Le film réunit Romain Duris, Laetitia Dosch (Jeune femme) et Laure Calamy (Ava, Dix pour cent), mais aussi la prometteuse Lucie Debay.

Déjà en 2015 il y avait eu un rendez-manqué entre Lucie Debay et Cannes. Le film Un français avait failli être dans l'une des sélections. À l'écran, Lucie Debay irradiait en passionaria raciste et homophobe aux côtés d'Alban Lenoir (coïncidence, il se retrouve aussi à Cannes cette année à Un Certain Regard dans Gueule d'ange avec Marion Cotillard).

Après un premier rôle dans le film belge Somewhere between here and now en 2009, le cinéma tarde à la rappeler mais qu'importe, puisqu'elle se plait davantage sur scène et se régale dans des courts-métrages. Le talent de Lucie Debay éclate enfin en 2014/2015 dans Melody: elle va ‘louer’ son ventre pour devenir mère porteuse. Ce rôle lui vaudra en Belgique le Magritte du meilleur espoir féminin et d'être listée en France dans la pré-sélection du César du meilleur espoir. Se suivront alors Un Français de Diastème, King of the Belgians (à Venise), une participation à Lola Pater (avec Fanny Ardant) et aussi Une Confession de Nicolas Boukhrief avec Romain Duris.

Avec Nos batailles, elle retrouve donc Duris mais cette fois avec un rôle beaucoup plus important.

Lucie Debay est ce genre d'actrice belge rare qui s'efface pour mieux se métamorphoser dans son personnage. Son apparence même semble changer à chaque fois : ses cheveux tantôt blonds ou bruns, sa voix douce sait aussi hurler, aussi bien français qu'anglais. Que ses yeux soient perdus au bord des larmes ou hostiles et durs de menace, son regard est toujours troublant. Lucie Debay, on va la voir de plus en plus... Ce n'est plus un espoir.

Et rappelons nous que la Belgique est riche d'une multitude d'actrices qui ont tellement de talent que la France les adopte très rapidement. Toutes ces actrices d'origine belges se retrouvent nommées à nos César (Cécile de France, Marie Gillain, Yolande Moreau, Pauline Etienne, Virginie Efira...). Dans l'histoire de la sélection officielle du Festival de Cannes par deux fois déjà le talent d'une jeune actrice belge débutante dans son tout premier grand rôle a contribué à faire gagner la récompense suprême : Émilie Dequenne en 1999 et Palme d'or pour Rosetta (plus prix d'interprétation féminine pour elle) et Déborah François en 2005 et Palme d'or pour L'enfant.

Quinzaine 50 : entretien avec Pierre-Henri Deleau – épisode 5, trouver les films

Posté par redaction, le 15 mai 2018

Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L'occasion d'une promenade à son image - en toute liberté, et forcément subjective - dans une histoire chargée de découvertes, d'audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Maître d'oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l'âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.

Merci à lui pour le temps qu'il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilons sous forme de feuilleton, sur plusieurs jours.

Pourriez-vous me donner des précisions sur vos accès aux films, notamment pour la première année ? Concernant les films de cinématographies balbutiantes notamment.

Pierre Kast était un grand voyageur. Il connaissait l'Amérique du sud par coeur, spécialement le Brésil et le Chili. Donc il me disait «il se passe des choses au Brésil». C'était l'explosion du Cinema Novo qu'on n'avait quasiment jamais vu en France. En tout cas, pas les grands, pas Saraceni, Gustavo Dahl, Joaquim Pedro de Andrade, Neville d'Almeida, Julio Bressane ou Ruy Guerra. Il y a avait des quotas et les salles devaient passer au moins 50 % de films brésiliens. Plus tard [dans les années 90] tout ça a été foutu en l'air par Fernando Affonso Collor de Mello quand il a été élu président. Depuis, 80 % des films à l'écran sont américains. Mais à l'époque, ils tournaient énormément ! Ça permettait à une industrie de vivre et soudain ce cinéma libre s'est développé sur le même principe grosso modo que les réalisateurs de la Nouvelle Vague. Ils ne pouvaient pas engager Jean Gabin ou Michèle Morgan et devaient travailler avec des gens qui n'étaient pas connus. D'abord ils n'osaient pas aller les voir, ensuite ils se disaient que ça allait coûter trop cher. Et donc ils ont tourné avec des acteurs devenus célèbres ensuite comme Belmondo, que personne ne connaissait, ou Emmanuelle Riva.

Quels étaient vos principaux obstacles avec certains pays ?

C'était compliqué avec les pays de l'est. À l'époque de la Roumanie de Ceaucescu, ils me montraient des films en espérant que je prenne ceci et moi je prenais cela. Un peu comme les soviétiques, ils laissaient sortir les films mais pas les réalisateurs. Lucian Pintilie dont j'ai pris le premier film n'a jamais pu venir mais le film, je l'ai eu. C'était La Reconstitution, formidable ! Lui a lu les critiques après mais en restant en Roumanie. Il ne sortira que longtemps après. En Hongrie, le cinéma était dirigé à l'époque par quelqu'un qui avait fait de la prison en tant qu'opposant politique. Curieusement, il adorait le cinéma et savait jusqu'où les metteurs en scène pouvaient aller trop loin. Alors il me faisait venir, me montrait des films et disait « si vous prenez celui-ci, va falloir que je ruse » mais il m'aidait. Il y a eu des couacs comme ça et j'en ai bénéficié. Système D, plus la chance.

La réussite de la Quinzaine est aussi due à ce facteur chance ?

Oui, d'un seul coup on a vu l'émergence de cinémas qui brisaient les cadenas d'un cinéma académique. Une émergence de quelque chose. La Quinzaine est née en même temps qu'un grand cinéma québécois. Pierre Perrault, Michel Brault, Gilles Carle, Claude Jutra, Jean-Pierre Lefevre… ils ont tous été à la quinzaine ! Je suis arrivé là bas comme le messie parce que les films canadiens ne sortaient pas en France. Les français disaient qu'on ne comprenait pas leur accent ! Souvent, je faisais sous-titrer 20 % en français quand ça sonnait trop québécois mais pas tout. Ce que j'ai fait pour Denys Arcand, ou pour Jean-Pierre Lefebvre. Au début, les québécois disaient «mais nous, on parle français, nom de dieu». Je leur répliquais : « bah tiens, moi je vais te parler ch'timi, tu vas voir si tu comprends ! ». Mais ça a aidé beaucoup, les sous-titres. Imaginez ce «petit pays» qu'est le Québec, cinq millions d'habitants à l'époque, qui produit la même année, ou en deux ans, cinq ou six grands metteurs en scène de classe internationale. Perrault, c'est un grand poète, Brault c'est du cinéma vérité extraordinaire, Gilles Carle c'est drôle comme tout. Et même les Suisses avaient du talent ! Vous vous rendez compte, j'ai ramené Francis Reusser, Alain Tanner, Michel Soutter avec leur premier ou deuxième film.

Le nouveau cinéma allemand est arrivé vite aussi ! Grâce à Volker Schlondorff qui avait été l'assistant de Louis Malle et fait des études en France juste après la guerre ! Quand la SRF s'est créée, entre fin mai et début septembre 1968, il est retourné en Allemagne et a regroupé autour de lui Alexander Kluge, Werner Herzog, Fassbinder ou Rudolf Thome. D'un seul coup, il y avait quelque chose qui commençait à Munich, pourtant la ville la plus réactionnaire d'Allemagne, dirigée par la CDU. Sans la Nouvelle Vague, ce n'est pas certain que le cinéma allemand aurait pu démarrer aussi vite. Ça leur a permis de s'organiser, de se regrouper et de faire comme nous.

J'avais senti qu'il y avait un frémissement en Afrique où je suis allé chercher les sénégalais Djibril Diop Membety (avec Touki Bouki) ou Ousmane Sembene. J'avais vu qu'il était romancier, j'avais lu des romans de lui d'ailleurs, et il fait des films que je ramène (Eccedo, Emitai…). Plus tard je suis remonté jusqu'au Burkina-Faso d'où j'ai ramené Idrissa Ouedraogo [Yaaba, 1989] et Gaston Kaboré [Buud-Yam, 1997]. L'Afrique était un continent qui n'avait quasiment jamais eu de film en compétition.

À partir de la deuxième année, j'ai ramené les chiliens, Raul Ruiz [Que faire ?,1972], Patricio Guzman [La Bataille du Chili, 1975 et 1976], Helvio Soto et compagnie. Personne ne les connaissait. Salpêtre sanglant de Soto [1970], ça se passe pendant la guerre qui opposait le Chili d'un côté à la Bolivie et au Pérou de l'autre. Le Chili a foutu une raclée aux deux pays, si bien que la Bolivie a perdu son débouché sur l'océan pacifique. C'est la guerre pour le salpêtre, le sel, provoqué par les anglais. C'est un film d'une beauté incroyable. Pierre Kast était allé au Chili et me l'avait conseillé. Ça se passait avant Allende, sous un gouvernement de centre droit. Le Chili était le seul pays d'Amérique latine où il n'y avait jamais eu de coup d'état avec le Costa Rica. Après l'avoir sélectionné, je reçois une lettre de Helvio Soto en français qui me dit qu'il viendra à Cannes. Puis, plus de nouvelles. On lui envoie des messages mais il ne répond plus. Mais on reçoit le film que je programme en deuxième partie de festival.

Deux jours avant la projection, je vois arriver un type avec un nœud papillon à la Malmaison. Il me dit : «c'est moi, Helvio Soto !». «Vous sortez d'où ?», je lui demande. Il me répond qu'il ne prend pas l'avion car il a peur, il est claustrophobe. Alors il a pris sa voiture, traversé la Cordillère des Andes, pris un bateau à Mar de Plata, est arrivé à Marseille et de là, il a pris le train ! On montre le film et immédiatement, un distributeur allemand va voir Soto et lui propose d'acheter le film pour 30 000 dollars pour l'exploiter en Allemagne. Soto vient me voir, pour me demander ce qu'il doit faire, car il craignait de se faire rouler. Je lui dis de signer tout de suite ! Il est payé rubis sur l'ongle et il s'achète une voiture d'occasion. Comme il n'était jamais venu en France, il décide de rentrer en prenant le chemin des écoliers et visite la France avec son épouse, en passant par Paris. J'étais très surpris qu'il parlât un français admirable, qu'il a appris au lycée. Il me raconte une anecdote formidable vécue à douze ans, lors de la signature de l'armistice par Pétain. Avec le décalage horaire, il était cinq heures du matin au Chili. Les cloches du collège ont sonné, tout le monde a été convoqué dans la cour. Le directeur leur a tenu un discours où il disait qu'un pan de la civilisation venait de s'écrouler avec la capitulation de la France. Coup de marteau. Toutes les cloches du Chili, du nord au sud, sur douze mille kilomètres, sonnaient le glas. Imaginez ce que ça veut dire de l'image de la France à l'étranger à l'époque ? Ça l'avait marqué. Lorsqu'Allende est élu président, il est nommé directeur de la télévision chilienne.

Un an plus tard, il coproduit un film de Costa Gavras, État de siège, situé en Uruguay, où il parle des Tupamaros [les rebelles d'extrême gauche du Mouvement de libération nationale]. Les militaires étaient encore au pouvoir et il n'était évidemment pas question de tourner là-bas. Soto lui dit : «qu'à cela ne tienne, moi je te file l'armée chilienne pour faire l'armée uruguayenne dans ton film». Donc Costa les dirigeait en disant des choses comme « mon général, le char, 20 mètres à gauche » et le général en question, c'était Pinochet ! Et c'était peu avant le coup d'état. Au moment du coup d'état, Helvio était en France pour présenter un nouveau film, Vote plus fusil, je crois. Allende est renversé. Heureusement qu'il était là, il aurait été mis à mort là-bas. Il n'est pas rentré. Son fils, capitaine dans l'armée chilienne, a déserté à ce moment là et il est venu en France. Les réalisateurs chiliens se sont tous barrés de leur pays.

Comment faisiez-vous la sélection des courts-métrages ? En détaillant l'histoire de la Quinzaine, on constate que certaines années, il y en a beaucoup mais que, petit à petit, ça a diminué.

Ça a diminué parce qu'à Cannes, le court-métrage, ça ne marche pas. C'est un alibi, pour montrer des cartes de visites de futurs réalisateurs. Cannes n'est pas le lieu pour ça. Les gens ne viennent pas pour ça. À mon avis, la place du court-métrage est à Clermont-Ferrand. Le reste c'est de la poésie, même si ça m'est arrivé d'avoir des coups de coeur lorsque j'en prenais. Critiques et acheteurs viennent pour les longs-métrages, Cannes, ce n'est pas le lieu pour ça, honnêtement.

Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film