Cannes 2018: La révolution algérienne avec « Chronique des années de braise » de Mohammed Lakhdar-Hamina

Posté par vincy, le 11 mai 2018, dans Cannes, Festivals, Films.

Puisqu'on célèbre cette année les 50 ans de mai 68, et l'anniversaire de ce festival qui n'eut pas lieu, c'est l'occasion d'explorer les rapports de Cannes avec la Révolution. Sur la croisette, où les spectateurs défilent en smoking et robes de soirées, où un simple selfie est jugé "irrespectueux", et où toute la société festivalière est organisée en castes strictes, les mouvements de révolte et de contestation eurent souvent les honneurs d'une sélection. C'est là tout le paradoxe d'une manifestation très attachée à ses traditions, et qui n'a pourtant cessé de montrer, défendre et encourager ces moments de l'Histoire où des hommes et des femmes ont pris leur destin en mains.

Palme d'or en 1975, Chronique des années de braise du vétéran Mohammed Lakhdar-Hamina évoque la révolution algérienne à travers les yeux d'un paysan. Découpé en six volets - des années de Cendre au 1er novembre 1954 - le film montre les mutations de l'Algérie, encore colonisée par les Français, et notamment l'exode rural, la misère, et bien entendu la montée du nationalisme.

Avec ce film, Mohammed Lakhdar-Hamina signe une tragédie où la révolution est indissociable du sacrifice, une libération par le sang, que l'on transmet à la génération suivante.

De 1939 au 11 novembre 1954, c'est en fait la construction d'une révolution jusqu'à son "explosion" qui nous est racontée. Ce long processus, où la souffrance individuelle se mêle à la colère collective, est évidemment le résultat d'une colonisation qui a échoué et qui n'est plus acceptable. On comprend mieux que le cinéaste ait été menacé de mort lors de sa venue à Cannes par des anciens membres de l'OAS.

Cette fresque historique, importante historiquement comme cinématographiquement, est portée par un style simple et lyrique.

Premier film africain et premier film en langue arabe à obtenir la Palme d'or, il reste encore aujourd'hui l'un des films du monde arabe les plus emblématiques du XXe siècle.

Pourtant, ça n'a pas été si facile. Le film, malgré sa Palme, ne sort que dans quelques salles à Paris, en version originale, alors que la version française existe. Paradoxalement, le budget pour la promotion est faible alors qu'il s'agit d'une production extrêmement coûteuse (ce qui lui vaut des critiques dans un pays qui se bat contre la pauvreté). "Avec un budget de publicité aussi faible, la promotion de mon film n'est pas assurée correctement. C'est grave ; non seulement pour des raisons économiques, mais parce qu'il est politiquement important qu'un grand nombre de Français voient la Chronique, aient une autre idée de l'Algérie, des Algériens" expliquait-il à l'époque.

C'est justement ça qui est intéressant avec cette Palme : le point de vue des Algériens sur une période que le cinéma français ne parvient pas à restituer autrement que sous l'œil culpabilisé du colonisateur ou d'un récit "national" déformé. Les grands auteurs ont tous essayé de parler de l'Algérie - Le Petit Soldat (1960) de Jean-Luc Godard, Muriel (1963) d'Alain Resnais, Avoir vingt ans dans les Aurès (1972) de René Vautier, Liberté la nuit (1983) de Philippe Garrel, La Guerre sans nom (1991) de Bertrand Tavernier et Patrick Rotman, ... mais c'est bien le film de Mohammed Lakhdar-Hamina qui raconte le mieux cette révolution.

Tags liés à cet article : , , , , , , , , .

exprimez-vous
Exprimez-vous

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.