Berlin 2018 : Dovlatov d’Alexey German jr remet l’engagement politique au coeur de l’art

Posté par MpM, le 17 février 2018, dans Berlin, Festivals.

Alexey German jr, déjà présent à la Berlinale en 2015 avec Under electric clouds, est de retour en compétition au 68e Festival de Berlin avec Dovlatov, une plongée enlevée et piquante dans le Leningrad artistique et intellectuel du début des années 70. Le film s’intéresse plus particulièrement à cinq jours dans la vie de Sergueï Dovlatov, futur grand écrivain russe de la fin du XXe siècle, qui est alors dans une impasse professionnelle. Aucun média officiel n’accepte en effet de publier ses textes, et il en est réduit à couvrir des événements patriotiques pour des journaux serviles obsédés par le fait d’être « positif » et donc conforme à la ligne du parti de l’époque.

La temporalité du film n'a bien sûr pas été choisie au hasard. Novembre, c'est le mois des commémorations de la Révolution d'octobre, qui occupent une part importante de la société civile. Alexey German jr filme ainsi un pays qui ne cesse de regarder en arrière, enlisé dans un passé dont il ne parvient pas à s'extraire. Au point mort, l'Union soviétique honore ses plus grands artistes (défunts) dans des reconstitutions de pacotille, mais délaisse les nouveaux, cantonnés à des travaux de propagande sans âme, à l'humiliation et à la faim, quand ce n'est à l'exil ou à la mort.

En parallèle, le réalisateur nous immerge dans la communauté artistique du Leningrad de l'époque, dont il fait ressortir la vitalité et la fougue vibrante. Ses portraits de groupe sont d'une étonnante fluidité, captés par une caméra aérienne qui fait oublier toute notion d'effort de mise en scène pour ne garder que cette impression de plans-séquences à la chorégraphie spontanée et naturelle. Les dialogues sont à l'unisson, aiguisés et percutants, qui révèlent à la fois l'intelligence des personnages et leur irrémédiable désespoir.

On retrouve au coeur du récit l'un des thèmes de prédilection d'Alexy German jr, celui de la droiture morale, à travers le formidable personnage de Dovlatov lui-même (magnifiquement incarné par le comédien Milan Maric), trublion cynique et désabusé qui refuse pourtant toute forme de compromission. Son combat est celui du Juste qui sait avoir raison contre tout le monde, esprit brillant persécuté par les médiocres et les faibles, et qui malgré tout continue à croire en son destin. On sent vibrer en lui  l'irrépressible nécessité d'écrire, coûte que coûte, et la douleur d'en être empêché.

Ce qui est peut-être le plus beau, dans ce biopic d'un genre très singulier, c'est qu'il pourrait aussi bien s'agir de l'histoire d'un individu lambda qui n'aurait jamais eu aucune reconnaissance. Dovlatov devient en effet la double allégorie de l'artiste maudit et de l'homme engagé, une figure éminemment symbolique de résistance à l'oppression et de persévérance obstinée. Un être prêt à tout perdre pour poursuivre le but qu'il s'est fixé, à la fois intime (s'accomplir en tant qu'écrivain) et politique (combattre le système en parlant de la réalité de son époque).

Ainsi, le film a beau être ancré dans un contexte et une période historique extrêmement particuliers, il est en réalité atemporel, et bénéficie d'une portée universelle qui le rend encore plus dense et puissant. On est tout simplement bouleversé par la vision de tant d'intelligence bafouée, comme par la démonstration sans ambiguïté de la manière dont l'art a toujours su répondre (avec panache et humour) à la bêtise et à la tyrannie. A l'image de son héros, Alexey German jr ne fait pas plus de compromis sur ses choix formels que sur ses positions idéologiques, et rappelle que si talent et succès ne vont pas forcément de pair, art et engagement politique, eux, peuvent parfois se combiner à la perfection.

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