Les Arcs 2017 : l’émigration s’invite en compétition

Posté par MpM, le 20 décembre 2017

Il est toujours fascinant d'observer comment, dans le cadre d'un festival, les thématiques se répondent d'un film à l'autre, et viennent donner du monde une vision particulière, renforcée par le hasard (et les coïncidences) des sélections. Ainsi, trois films présentés dans la compétition officielle de ce 9e festival des Arcs traitent plus spécifiquement des questions de migration, d'exil et d'expatriation : La mauvaise réputation d'Iram Haq, The charmer de Milad Alami et Beyond words d'Urszula Antoniak.

Le premier prend le sujet à contrepied en racontant l'histoire, inspirée de l'expérience personnelle de la réalisatrice, d'une jeune fille d'origine pakistanaise vivant en Norvège, parfaitement intégrée, qui est enlevée par sa famille puis envoyée au Pakistan, pays qu'elle ne connaît pas et avec lequel elle doit se confronter. Le deuxième raconte le combat mené par Esmail, un jeune homme iranien dont le permis de résidence au Danemark a été refusé. Son seul espoir réside dans le fait de se marier avec une Danoise, ce qui l'oblige à draguer inlassablement toutes les jeunes femmes qu'il rencontre. Le troisième s'intéresse à Michael, un jeune avocat d'affaires talentueux exerçant à Berlin et cherchant à dissimuler au maximum ses origines polonaises.

A chaque fois, il y a une originalité dans la manière de traiter le sujet de l'exil et de l'intégration. L'angle choisi par Milad Alamai est à ce titre particulièrement intéressant puisqu'il place son personnage dans une situation de "séduction" permanente complètement intenable, faisant de lui une sorte de gigolo dissimulé à qui toute sincérité est refusée. Son parcours est un peu trop tracé d'avance (notamment dans la dernière partie du film qui multiplie les maladresses de scénario), mais il est malgré tout assez représentatif d'une détresse humaine impossible à exprimer. Le personnage, en plus du stress de sa situation, souffre en effet à la fois de la honte de devoir utiliser son corps, de la culpabilité de mentir aux femmes qu'il rencontre et du déshonneur de trahir sa famille.

Le réalisateur parvient à s'abstraire de tout misérabilisme, grâce à des scènes très courtes et une mise en scène tout en retenue, et suggère habilement à la fin que le destin d'Esmail n'a rien d'un cas particulier. Il observe ainsi un durcissement des conditions d'accueil des réfugiés qui les pousse à renoncer à toute dignité élémentaire. Car tout le paradoxe est là : Esmail est intégré socialement, a un travail, et parvient à se débrouiller au Danemark, mais il doit malgré tout monnayer son corps et ses sentiments dans le but d'être autorisé à rester.

Discours plus ambigu dans Beyond words d'Urszula Antoniak, une réalisatrice néerlandaise d'origine polonaise, qui s'inspire de son propre vécu d'émigrante pour dresser le portrait d'un jeune homme parfaitement intégré dans le pays où il a choisi de vivre, et qui pourtant n'y serait pas parfaitement à sa place. On a de quoi être dérangé par le fort relent de déterminisme qui émane de la cinéaste pour qui son personnage continue d'appartenir au monde des réfugiés vivant dans des conditions précaires bien qu'il soit installé depuis longtemps en Allemagne et ait réussi à y avoir une belle carrière.

Avec un mélange de naïveté et de didactisme, le film traque en lui tout ce qui le distingue d'un "vrai" Allemand, s'embourbant dans un parallèle douteux avec un réfugié africain tentant d'obtenir le droit d'asile. On vous passe la justification hallucinante du choix d'une image noir et blanc pour mieux renforcer ce qui semble être le message clef du récit : il est plus facile pour un émigré blanc de passer inaperçu en Allemagne, que pour un émigré noir. C'est d'autant plus regrettable que le film dispose de belles qualités esthétiques et qu'il sonne juste lorsqu'il s'attache aux scènes de rue, aux respirations dans un Berlin parfaitement capté, ou encore à la relation ténue et hésitante qui se tisse entre le personnage et son père qu'il croyait mort.

On sent ainsi que le cinéma a besoin de s'emparer du sujet de l'exil et des migrations, volontaires ou contraintes, et d'interroger à la fois les représentations du migrant (Esmail comme Michael sont loin de la figure stéréotypée du réfugié en galère) et l'histoire particulière de chaque pays avec son immigration. Pourtant, le sujet le plus brûlant, celui des réfugiés de guerre ou victimes de répression politique, et qui est au coeur des préoccupations européennes actuelles, est étonnamment hors champ, laissé à distance. Comme s'il était trop tôt (trop douloureux ?) de se pencher sur une réalité contemporaine dans laquelle la responsabilité collective est plus présente.