Dinard 2017: Le jury tombe amoureux de « Seule la Terre »

Posté par vincy, le 30 septembre 2017

Le jury du Festival du film britannique de Dinard, présidé par Nicole Garcia, a (logiquement) succombé au meilleur film de la compétition, Seule la terre de Francis Lee qui est sacré par un Hitchcock d'or. Ce premier film a déjà reçu le prix de la mise en scène à Sundance, le prix du jury dans la section Panorama à Berlin, le prix du meilleur film britannique à Edinbourgh et de nombreux prix dans les festivals LGBTQI.

Francis Lee suit le parcours de Johnny, jeune homme malheureux, subissant sa vie de fermier dans le Yorkshire, alors que son père, handicapé ne peut plus assurer l'entretien de la ferme. Le soir, il noie son amertume au pub du village et multiplie les aventures sexuelles et furtives. Pour l'aider en cette fin d'hiver, ils font appel à un saisonnier, Gheorghe, d'origine roumaine. Johnny doit alors faire face à des sentiments jusqu’alors inconnus. Une relation intense naît entre eux. Johnny saura-t-il saisir la chance que lui offre le destin?

Seule la terre est "un premier long métrage intelligent, drôle, et très joliment filmé, qui a des faux airs de feel good movie rural et romantique" (lire notre bilan).

Le film sortira le 6 décembre en France chez Pyramide. Il a également reçu le Hitchcock « Coup de cœur » décerné par l’association La Règle du Jeu.

Le reste du palmarès couronne Pili de Leanne Welham, qui reçoit une mention spéciale du jury et le prix du public. Le sujet en lui-même est inspiré d'une multitude de faits réels: l'histoire d'une femme tanzanienne, seule avec ses deux enfants, qui luttent simultanément contre son HIV et cherche de l'argent pour s'offrir un commerce et une vie meilleure.

Le prix Hitchcock du meilleur scénario a récompensé Daphné, le film de Peter Mackie Burns. Parmi les autres prix, le jury des courts métrages a distingué We Love Moses de Dionne Edwards (Hitchcock d'or du court métrage) et une mention spéciale à The Party d'Andrea Harkin. Le prix du public revient à The Driving Seat de Phil Lowe. A noter que les deux Hitchcock d'or, celui du long et celui du court, récompensent des films dont le thème est assez similaire: l'homosexualité cachée.

Enfin, un Hitchcock d'honneur a sacré Jim Broadbent, Oscar du meilleur acteur dans un second rôle en 2001 dans Iris et prix d'interprétation à Venise pour Topsy-Turvy, père de Bridget Jones, maître de cérémonie du Moulin Rouge, juge dans Vera Drake (Lion d'or à Venise) et doyen dans Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal. Il était à Dinard pour présenter À l'heure des souvenirs (The Sense of an Ending) de Ritesh Batra, film avec Charlotte Rampling, dont la sortie est prévue en France en avril 2018.

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Dinard 2017 : retour sur la compétition

Posté par MpM, le 30 septembre 2017

C'est une compétition étonnamment homogène que propose cette année le Festival de Dinard. En tout six longs métrages britanniques dans lesquels le parcours individuel prime sur le collectif, et dans lesquels on assiste presque systématiquement à un combat pour sortir d'une impasse ou atteindre une certaine forme de rédemption. On peut ainsi dresser d'importants parallèles entre les personnages, tous aux prises avec un moment charnière de leur existence, en quête d'un sens à leur vie, contraints de se battre (au propre comme au figuré, chacun avec ses propres armes) pour atteindre le but qu'ils se sont fixés et, peut-être, retrouver leur dignité, ou tout simplement le bonheur.

Même la construction des films se répond, qui montrent tous des êtres en situation d'échec auxquels un cheminement initiatique permettra de sortir de l'impasse, ou de prendre un nouveau départ : une femme abandonnée, malade et pauvre dans Pili de Leanne Welham ; un boxeur alcoolique et raté dans Jawbone de Thomas Napper ; un adolescent mal dans sa peau et dans sa vie dans England is mine de Mark Gill ; une trentenaire à la dérive dans Daphne de Peter Mackie Burns ; un Britannique mi-boxeur mi-dealer condamné à une lourde peine de prison en Thaïlande dans Une prière avant l'aube de Jean-Stephane Sauvaire ; un jeune homme malheureux et frustré dans une ferme du Yorkshire dans Seule la terre de Francis Lee.

D'ailleurs, les situations se répondent : Daphne et le jeune agriculteur de Seule la terre noient leur mal-être dans l'alcool et les aventures sexuelles sans lendemain ; les boxeurs de Jawbone et Une prière avant l'aube jettent toutes leurs forces dans un ultime combat en forme de coup de dé ; et tous savent saisir l'opportunité qui leur est offerte, parfois à n'importe quel prix, et souvent à l'issue d'un long combat intérieur. Pili doit décider jusqu'où elle est prête à aller pour obtenir un kiosque de commerçante, le jeune Steven Morrissey doit mettre ses réticences et son angoisse de côté pour avoir le courage de refonder un groupe ; l'éleveur de Seule la terre doit apprendre à communiquer pour ne pas passer à côté de sa vie...

L'autre grand point commun entre ces six films est qu'ils sont tous, à leur manière, porteurs d'espoir. Les personnages ne se laissent enterrer ni par la vie, ni par le scénario, et tous trouvent ce qu'ils cherchaient au bout du chemin, que ce soit le pardon, la rédemption, la paix intérieure ou tout simplement l'amour. Un constat plutôt optimiste assez symptomatique d'une époque où chacun aspire à un accomplissement personnel et à une existence pleinement choisie. C'est ici le matériau humain qui est au centre des récits, bien plus que les grands sujets de société qui émaillent parfois les récits. Peut-être est-ce justement le constat d'un certain échec du collectif. Puisque la société semble incapable de résoudre les problèmes de ses membres, c'est à chacun de trouver ses propres ressources pour trouver le bonheur. Puisqu'il est impossible de changer le monde, commençons-donc par nous changer nous-mêmes.

England is mine de Mark Gill


Ce premier long métrage de Mark Gill, dont le titre original est Steven before Morrissey, est un biopic étrange qui pourrait aussi bien être un récit initiatique sur un adolescent lambda et archétypal qui se rêve en artiste. On y suit en effet le combat d'un jeune homme introverti et pas du tout adapté à son époque, quoique convaincu de sa propre valeur, pour trouver sa voie dans le monde de la musique.

Très rythmé, avec des dialogues efficaces, et une bonne dose d'ironie, le film raconte brillamment les quelques années ayant précédé la création du groupe The Smiths. Ne prenant jamais son personnage au premier degré (le génie méconnu), il le montre dans toute sa complexité, ses contradictions et ses travers. On sent ainsi à la fois la frustration de ne pas réussir, et le décalage fondamental entre ses aspirations et la réalité. L'une des meilleures idées du scénario est également de ne quasiment jamais montrer le personnage en train de chanter, mais de lui avoir au contraire donné la parole dans des monologues intérieurs d'une grande puissance.

Jawbone de Thomas Napper


Dans Jawbone, on suit un ancien boxeur ayant échoué après avoir été un jeune champion prometteur. Seul, à la rue, aux prises avec une addiction à l'alcool... le personnage semble dans un premier temps condamné par le récit qui ne lui laisse guère d'échappatoire. Mais c'est pour mieux mettre en lumière ce moment charnière de son existence où il essaye d'effacer en un coup toutes les erreurs du passé. Il s'extrait ainsi de la fatalité dans laquelle on le croyait enfermé, et va jusqu'au bout de son combat pour une vie meilleure.

On est dans un schéma assez classique à la fois pour ce qui est du "film de boxe", mais aussi du film de rédemption. Rien de très original, non, et d'indéniables longueurs qui alourdissent le propos déjà pas franchement subtil du film. Les séquences de combat posent malgré tout la question du corps des hommes, moins exposé que celui des femmes, et pourtant soumis à la même terrible contrainte économique : le personnage livre son corps en pâture aux coups de son adversaire, et accepte de risquer sa vie pour gagner un peu d'argent. Le film induit la question de la fatalité : dans quelle mesure a-t-il le choix de refuser ce combat de tous les dangers alors qu'il a déjà tout perdu  ?

Pili de Leanne Welham


Pili est une mère courage qui se bat pour réunir la somme d'argent lui permettant d'ouvrir un petit commerce, et de quitter la dure vie d'ouvrière agricole. Cette intrigue extrêmement classique (voire rebattue) permet au film de dresser un portrait très riche de la vie dans la campagne tanzanienne.

La réalisatrice a rencontré 80 femmes pour écrire le scénario du film, et a condensé leurs histoires en un seul personnage, ce qui se sent dans la profusion de tuiles qui tombent sur la jeune femme en quelques jours. Le résultat est presque anecdotique, et plein de bons sentiments. Malgré tout, on retrouve au coeur du film la volonté indéfectible du personnage d'atteindre son but : obtenir une vie meilleure, coûte que coûte.

Une prière avant l'aube de Jean-Stéphane Sauvaire


Une prière avant l'aube mélange les passages obligés du film de prison avec ceux du film de boxe. Cela donne une oeuvre assez classique dans son écriture, et qui ne recule devant aucun cliché. Mais son principal problème vient de sa mise en scène absurdement "arty", avec une caméra qui ne tient pas en place, rendant souvent l'action illisible, et a contrario de longs plans insistants sur les éléments les plus complaisants, de la promiscuité dans les cellules aux viols en passant par une pendaison.

Là encore, le film est par moments un prétexte pour parler des prisons thaïlandaises : trafics illégaux, gangs rivaux, violence latente... Tout y passe, dans une surenchère qui donne assez rapidement l'impression que plusieurs histoires (vraies, puisque le film s'inspire d'une histoire vraie) ont été condensées en une.

Daphné de Peter Mackie Burns


Plus ténu, Daphe est le portrait peu complaisant d'une trentenaire insidieusement mal dans sa peau, en panne dans sa vie, dont on suit la trajectoire intime à travers une (longue) succession d'épisodes tantôt cocasses, tantôt désespérants.

Ce que recherche l'héroïne, et ce qui lui manque, est moins tangible, moins concret que dans les autres films. On est sur un destin plus intérieur, moins immédiatement appréhendable. On a donc tendance à rester extérieur aux atermoiements de la jeune femme, jusqu'à ce que la dernière partie du film éclaire subitement le personnage et ses aspirations, nous le rendant enfin plus compréhensible et attachant.

Seule la terre de Francis Lee


Probablement le film le plus accompli de la sélection, malgré quelques longueurs, Seule la terre suit John, un jeune éleveur du Yorkshire coincé dans une vie rude et monotone qu'il n'a pas choisie. Frustré, malheureux, incapable de communiquer avec les autres, il va peu à peu retrouver une raison de se battre et d'aspirer au bonheur.

On admire la finesse d'écriture du scénario qui sans jamais surligner le moindre effet, nous permet peu à peu de comprendre le personnage principal, la situation de blocage dans laquelle ils se trouve, et le lent processus qui lui permet de s'ouvrir aux autres et à lui-même. Un premier long métrage intelligent, drôle, et très joliment filmé, qui a des faux airs de feel good movie rural et romantique.