Edito: Ôtez-nous d’un doute…

Posté par redaction, le 7 septembre 2017

Il y a presque un mois, une jeune femme antiraciste a été tuée par un suprémaciste blanc à Charlottesville, en Virginie. La question / division raciale aux Etats-Unis est toujours aussi vivace. Pas seulement aux Etats-Unis d'ailleurs, puisque, désormais, le politiquement correct domine l'ensemble de la communication des uns et des autres (au points d'être choqué ou amusé dès que quelqu'un sort des clous dictés par le code de bonne conduite).

Chaque citoyen occidental pèse un statut ou un tweet pour ne pas subir les trolls opposants. On anéantit le débat, on écrase la réflexion sous un torrent d'insultes, de vannes, de piques, de punch-lines. Le second degré disparaît. L'esprit se meurt. La nuance n'a plus le droit d'exister. La liberté d'expression est "sous contrôle" et "sous pression".

Cela conduit à des situations absurdes, proche d'un révisionnisme historique ou/et cinématographique inquiétant. Une salle de cinéma de Memphis a ainsi annulé la présentation annuelle d'Autant en emporte le vent, projeté depuis 34 ans en août à l'Orpheum Theatre. Brett Batterson, président du cinéma, considère qu'en tant qu’organisation "dont la mission est de divertir, d’éduquer et de mettre en valeur la communauté que nous servons, The Orpheum ne pouvait diffuser un film qui est insensible à une grande partie de la population locale", suite aux nombreux messages sur les réseaux sociaux. Le film le plus vu au cinéma dans l'Histoire du 7e art est qualifié de "potentiellement raciste". Sic.

En 1939, les producteurs savaient que le contenu racial du film pouvait être offensant pour certaines personnes. Pour adapter le roman de Margaret Mitchell, quelques modifications avaient été apportées afin d'atténuer l'esclavagisme ou même les stéréotypes liés aux afro-américains. Malgré cela, la comédienne Hattie McDaniel, qui incarnait une domestique bienveillante, a été la première Afro-Américaine à gagner un Oscar (meilleur second-rôle féminin), près de 25 ans avant la fin de la ségrégation dans les Etats du sud.

Mais oui, en effet, Autant en emporte le vent peut-être vu comme "potentiellement raciste". Ce qui ne retire rien aux qualités du film. Car cet aspect dérangeant est aussi celui qui prévalait (parfois encore plus durement) à l'époque où se déroule les aventures de Scarlett O'Hara. La guerre de Sécession était aussi un combat pour l'abolition de l'esclavage et l'affranchissement des Afro-américains. Les Sudistes, héros du livre comme du film, n'étaient pas dans le bon camp (et d'ailleurs, ils perdent). C'est toujours mieux que d'effacer complètement le sujet comme dans Les Proies de Sofia Coppola.

Censure

Si on en vient à refuser de projeter ce film mythique, quid des Westerns (franchement anti Amérindiens pour la plupart)? Quid des films de guerre où les ennemis étaient régulièrement caricaturés (propagande oblige)? Peu de films seraient finalement "visibles".

De la même manière le raciste Tintin au Congo serait interdit (il l'est parfois dans certaines bibliothèques). Comme on a gommé la pipe de Monsieur Hulot ou le clope de Lucky Luke au nom du dogme "Le tabac c'est mal". On révise l'histoire, on la transforme au gré de nos humeurs, morales, et autres contextes sociétaux. Mais il est évident qu'un film réalisé dans les années 1930 ou 1950 ne peut pas avoir le même point de vue qu'un film contemporain. Ce n'est pas pour rien aussi que les minorités se battent pour être "visibles" ou plaident pour "l'égalité" des salaires. Le combat n'est pas fini. Cependant, on constate que sur les Afro-américains, les Amérindiens, les homosexuels, etc..., le cinéma américain a évolué. Et peut-être que dans 30 ans, les futurs spectateurs seront choqués de voir des acteurs/actrices se fréquenter dans un fast-food ou conduire une voiture (autant de choses qu'on jugera sans doute nocives dans le futur). Pour l'instant, fumer semble moins tolérer que baiser (et souvent c'est sans capotes). Doit-on pour autant juger les films où Bogart allume une cigarette comme "potentiellement dangereux" pour la santé? Et que dire de tous les grands films pourtant très sexistes réalisés au fil des décennies?

Le racisme n'a aucun sens et être raciste est un délit indiscutable et condamnable. On ne reviendra pas là dessus. Mais plutôt que d'interdire à un spectateur de voir ou revoir un grand film sous prétexte qu'il n'est pas politiquement correct "de nos jours", il suffit d'accompagner la projection d'un débat pédagogique pour expliquer son contexte.

Car si on efface l'identité d'une époque, la vérité d'un moment de l'Histoire, l'art illustrant/traduisant cette période, alors on risque de censurer de nombreuses œuvres plastiques, littéraires ou cinématographiques. Autant en emporte le vent, les John Wayne ou les James Bond sont datés. Pas forcément cinématographiquement, mais socialement, politiquement. Mais ils font aussi partie d'un grand récit artistique, de notre mythologie par l'image, de ces fictions qui construisent notre perception du monde et reflètent la vérité de leur époque, donc de notre Histoire. Donc de notre présent.

Agnès Varda et Donald Sutherland vont recevoir un Oscar d’honneur

Posté par vincy, le 7 septembre 2017

agnès varda

Depuis 2009, les Oscars d'honneur sont distinct des Oscars et nommés les Governors Awards. Jean-Luc Godard et Jean-Claude Carrière sont les seuls artistes francophones a avoir été honorés jusqu'à présent. Et auparavant, la liste n'est pas vraiment plus fournie: Jeanne Moreau (1998), Jean Renoir (1974) et Charles Boyer (1942).

La liste s'allongera le 11 novembre avec un Oscar d'honneur pour Agnès Varda. Le comédien Donald Sutherland, le scénariste et réalisateur Charles Burnett et le directeur de la photographie Owen Roizman seront aussi honorés le même soir.

Agnès Varda, dont le dernier film Visages, Villages a séduit 215000 spectateurs en France et est bien parti pour recevoir le César du meilleur documentaire, "papesse" de la Nouvelle Vague, a reçu de multiples prix au cours de sa carrière: un césar d'honneur (en plus de deux autres César), un Lion d'or pour son film Sans toit ni loi, un léopard d'honneur à Locarno, une Palme d'honneur à Cannes et un Prix Jean-Vigo d'honneur. Elle a réalisé 12 longs métrages de fiction entre 1955 et 1995 et 16 documentaires entre 1958 et 2017.

Donald Sutherland, sept fois nommé aux Golden Globes et aucune fois aux Oscars (on comprend la volonté de se rattraper), fête cette année ses 53 ans de cinéma. On l'a notamment vu dans M*A*S*H, Palme d'or et énorme succès en salles, La grande attaque du train d'or, Klute, Johnny s'en va-t-en-guerre, L'invasion des profanateurs, Des gens comme les autres, Une saison blanche et sèche, Space Cowboys, et récemment la franchise Hunger Games et les séries Dirty Sexy Money et Crossing Lines.

Charles Burnett, auteur de documentaires, courts et longs métrages et de films pour la télévision, est l'un des premier cinéastes afro-américains a avoir été reconnu à Hollywood. Il avait reçu le prix de la critique à Berlin pour Killer of Sheep (en 1981), et deux Independent Spirit Awards pour To sleep with Anger (1990).

Enfin Owen Roizman a été le chef op de films comme French Connection, L'Exorciste, Les trois jours du Condor, Network, Tootsie, Wyatt Earp et La famille Addams. Il a été nommé cinq fois, sans aucune victoire, aux Oscars.

3 raisons d’aller voir Une famille syrienne

Posté par wyzman, le 7 septembre 2017

Huit ans après Le Jour où Dieu est parti en voyage, le chef-op Philippe Van Leeuw repasse derrière la caméra. Pendant 1h26, il nous présente dans un huis-clos suffocant le quotidien d'une famille devenue atypique, confirmant la bonne forme du cinéma belge. Le film a reçu le Prix du public et le Prix Label Europa Cinémas à Berlin, où il était dans la sélection Panorama. A Angoulême, Une famille Syrienne est reparti avec le Valois de la mise en scène, le Valois du public et le Valois de la meilleure actrice pour Hiam Abbbass et Diamand Abou Abboud.

1. La guerre est invisible mais omniprésente. Dans la Syrie en guerre, une mère, ses enfants et leur grand-père tiennent bon, cachés dans leur appartement. Par solidarité, ils accueillent un couple et leur nouveau-né et tentent de garder espoir. Voilà pour le pitch. Si le film frappe c'est parce qu'avec précision, Philippe Van Leeuw montre la lourdeur d'un conflit. Les personnages attendent, tentent de se contenir et de se soutenir durant cette page de l'histoire qui dure. Intelligemment, le réalisateur belge laisse les soldats et les milices de l'autre côté de la porte, pour nous faire ressentir une promiscuité touchante et terrible à la fois.

2. Le scénario est en béton. On ne le dira jamais assez mais sans un bon scénario, un film ne peut pas être bon. Et avec Une famille syrienne, on frôle la perfection. En effet, si le synopsis du film peut faire redouter un projet dramatique et particulièrement difficile à regarder, il n'en est rien. Une famille syrienne est un drame qui s'intéresse frontalement et honnêtement au calvaire de ceux qui refusent ou ne peuvent pas fuir plutôt qu'aux tenants et aboutissants d'un conflit qui dure depuis maintenant 6 ans. Les dialogues sont justes et les rebondissements bien placés en plus d'être presque toujours imprévisibles.

3. La pédagogie d'Une famille syrienne réconforte. Très réaliste, le second long-métrage du Belge profite d'un véritable créneau : rares sont les films de fiction et européens qui traitent de ceux qui vivent au quotidien la guerre en Syrie. En ne montrant qu'à de petits moments ce qu'est l'enfer de la guerre et en se focalisant sur les épreuves que subissent les civils, Philippe Van Leeuw propose une œuvre didactique et prenante. Happé par cette histoire qu'il finit par s'approprier, le spectateur attend un rebondissement, un signe annonçant une quelconque résolution. Une famille syrienne ne fait jamais dans le larmoyant mais tire son épingle du jeu  par l'efficacité de l'ensemble. Une belle réussite.