Cannes 70 : 1968, l’autre festival qui n’a pas eu lieu

Posté par cannes70, le 9 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-9. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Le mois dernier, nous vous parlions de l'année 1939, départ manqué pour le Festival de Cannes pour cause de Guerre mondiale imminente (ce qui, vous l'avouerez, est une bonne excuse). Un Festival qui n'a pas eu lieu pour reprendre le titre d'un livre d'Olivier Loubes retraçant cette aventure. Un autre festival n'a pas eu lieu (si l'on ne compte pas les éditions 1948 et 1950, annulées faute de budget), ou plutôt a bien eu lieu, et s'est interrompu au bout de quelques jours : celui de mai 1968. Cette année, en sélection officielle, nous pourrons d'ailleurs voir une partie des événements, autour de la figure de Jean-Luc Godard, dans Le Redoutable, nouveau film de Michel Hazanavicius. Pour entrer dans le vif du sujet, commençons par un témoignage de François Truffaut - car il est toujours de bon aloi de commencer un article, ou une journée, avec l'appui de Truffaut.

« Il fallait mettre les gens devant le fait accompli. J'ai lu un texte de 5, 6 lignes expliquant que les états généraux du Cinéma demandaient la fermeture du Festival. Il y eu une certaine stupéfaction. Il y avait Berri, Godard, Lelouch, Male, Risch, des journalistes, tout le monde parlait ; les cinéastes étrangers arrivaient. Favre Le Bret [le président du festival] nous demandait d'évacuer les lieux. A 14 h 30 la grande salle était remplie. On était sur scène, dans la salle le public était composé de Cannois. On oublie toujours que toutes les salles, pendant le Festival, sont remplies de gens de la ville. Les gens du « métier », ont en général, déjà vu le film. Mais, il s'agissait d'un public qui était chez lui. Il nous insultait, trouvait notre cirque inadmissible. Le Bret énervé a ordonné que la projection du film de Saura commence à 15 h 00 et ça a été le chahut. On voyait Saura se battre pour que son film ne passe pas. Il y a eu une grande échauffourée, une bagarre, des Niçois, des Cannois sont montés sur scène. J'ai du recevoir un coup de poing, un ami a balancé le type qui m'avait frappé dans les pots de fleurs. C'était grotesque, on nous haïssait, on nous tendait le poing.» Source : Mémoires cannoises

Les prémices : l'affaire Langlois

Comment en est-on arrivé là ? Remontons en peu le fil de l'année 1968. En février, le ministre de la Culture André Malraux tente d'écarter Henri Langlois, fondateur et directeur de la Cinémathèque française, pour lui donner le poste moins important de directeur artistique. Le ministère de la Culture lui reproche en effet de mal gérer tout ce qui est administration et fonds, mais aussi la conservation des précieuses bobines - une gageure pour quelqu'un qui a sauvé d'innombrables pellicules.

Face à cette décision, un Comité de défense de la Cinémathèque française est fondé par Truffaut, Godard et Rivette, qui se sont d'ailleurs rencontrés sur place à la fin des années 40, pour protester contre cette éviction qu'ils jugent injuste. Des manifestations vont avoir lieu, et l'affaire prendre de plus en plus d'ampleur. Des réalisateurs internationaux soutiennent le comité de défense : Chaplin, Welles ou encore Kubrick sont de la partie. Tout le monde s'en mêle : inconnus alors (Daniel Cohn-Bendit) ou des politiciens importants, comme Mitterrand qui trouve choquante la mise à l'écart de Langlois. Malraux finira par réinstaller le père de la Cinémathèque à ses fonctions fin avril. Autant dire qu'à la veille de Cannes, le monde du cinéma n'est pas totalement en accord avec le gouvernement d'alors ...

"Vous me parlez travellings et gros plans"…

Considérations politiques mises à part, tout semblait pourtant bien parti. La sélection est variée, avec des films venant de cinq pays d'Europe de l'est, mais aussi des productions britanniques, israéliennes, japonaises, ou encore, bien entendu, françaises. Certes, lorsque le 21e festival international du film démarre, la France est bouleversée depuis une semaine par des révoltes estudiantines. Etudiants et lycéens, face à l'arrestation de 500 manifestants à la Sorbonne, s'affrontent de plus en plus violemment avec la police à Paris.

À Cannes cependant, le monde du cinéma est réuni dans le même calme que les années précédentes (ou tout du moins les critiques ne dressent pas de véritables barricades face à des opinions contraires). Mais dans la nuit du 10 au 11 mai, alors qu'on vient de visionner Autant en emporte le vent - un titre on ne peut plus approprié au contexte - sur la Croisette, à Paris les manifestations prennent une autre dimension. Cette nuit faite de barricades élevées et de pavés lancés a fait une centaine de blessés. L'opinion publique s'émeut des revendications des étudiants, qui sont rejoints par les syndicats le 13 mai. À Cannes, l'Association française de la Critique demande aux festivaliers de participer à une manifestation de soutien aux étudiants, ce qui n'est pas vraiment du goût des producteurs, qui sont là pour vendre leurs films, ni de celui de Robert Favre Le Bret, qui dirige la Festival.

Trois jours plus tard une assemblée de producteurs, réalisateurs et professionnels en tout genre du monde du cinéma demandent, sous l'égide de ce qu'ils nomment Les Etats généraux du Cinéma, l'arrêt du Festival. Claude Lelouch, qui vient de présenter son long-métrage Treize jours en France, est choisi par ses compères réalisateurs pour aller annoncer leur décision à Le Bret : clore le Festival. Il faut dire qu'en quelques jours le mouvement contestataire étudiant s'est transformé en grève générale, mobilisant sept millions de grévistes spontanés, ce qui paralyse le pays tout entier.

Le 18 mai, pendant une réunion organisée pour discuter de l'affaire Langlois, Truffaut qui vient d'arriver de la capitale rejoint l'avis de la plupart des réalisateurs présents : il faut arrêter le festival. Ils se rendent alors dans la grande salle du palais, où doit être projeté Peppermint frappé de Carlos Saura, pour en empêcher la projection et annoncer publiquement l'annulation du Festival. A moitié hué, à moitié applaudi, on annonce que le comité de soutien à Langlois s'occupera de la suite des événements du Festival. Tout le monde y va de son avis, ce qui donne l'occasion à Godard de formuler une de ces phrases chocs dont il a le secret :

"Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travellings et gros plans. Vous êtes des cons !"

Favre Le Bret, plus tard, annonce que le Festival s'arrête officiellement le 19 mai à midi, sur décision du conseil d'administration.

49 printemps plus tard


Aucun prix n'aura donc été remis cette année là, et seuls huit films sur vingt-sept auront été projetés. En mai 2008, Thierry Frémaux a choisi de diffuser quelques-uns de ces films, dont le Peppermint frappé de Carlos Saura - il faut dire qu'en 1968, le réalisateur, avec la complicité de Géraldine Chaplin et de Godard, s'était accroché aux rideaux du cinéma pour empêcher que son film soit projeté !

Une des conséquences directes de la suspension du Festival est la création, en 1969, de la Quinzaine des réalisateurs. Cette sélection parallèle et indépendante est créée par la Société des réalisateurs de films, née pendant l'affaire Langlois. La Quinzaine a pour but de promouvoir des réalisateurs inconnus, venant de tout horizons, qui n'auraient pas été forcément accepté en Sélection officielle, dont la SRF critique de nombreux points, comme le palmarès décidé par le jury et la tenue de soirée obligatoire. La Quinzaine est ainsi accessible à tout le monde, pas seulement aux critiques, et ne remet aucun prix. Créée dans la précipitation, la première édition n'avait d'ailleurs opéré aucune sélection, et présentait 62 longs-métrages ! Bref, un festival dans le Festival, née de l'envie de liberté cristallisée en mai 68 … Mais ceci est une autre histoire, racontée dans cet autre texte sur la Quinzaine...

Nicolas Santal pour Critique Film

Christoph Waltz passe derrière la caméra

Posté par redaction, le 9 mai 2017

C'est au tour de Christoph Waltz, acteur deux fois oscarisé et primé à Cannes de passer derrière la caméra avec Georgetown. Le tournage aura lieu cet été à Montréal, avec Vanessa Redgrave au générique (l'actrice présente par ailleurs un documentaire qu'elle a réalisé en sélection officielle à Cannes). L'actrice a été nommée six fois aux Oscars et a emporté celui du meilleur second-rôle féminin en 1978.

Waltz sera son époux dans le film. L'histoire est inspiré d'un fait réel: celle d'Albrecht Muth. Dans le film il est renommé Ulrich Mott, inculpé du meurtre de sa femme, Elsa Brecht, il y a six ans à Washington. Il s'agit d'un coupe iconoclaste: elle a trente de plus que lui. Riche veuve, elle s'est mariée avec cet homme excentrique et a organisé avec lui des soirées mémorables dans leur résidence de la capitale américaine. Retrouvée morte quelques heures après une de ces soirées et il est rapidement accusé du meurtre, soupçonné par l'entourage d'Elsa d'être un escroc.

Adapté d'un article du New York Times Magazine signé Franklin Foer ("The Worst Marriage in Georgetown"), le scénario a été écrit par David Auburn (Entre deux rives, Proof).

Christoph Waltz est attendu dans les salles avec Tulip Fever (cet automne), Downsizing (cet hiver) et Alita: Battle Angel (été 2018).

I am not your Negro : la fabrique de la discrimination raciale

Posté par vincy, le 9 mai 2017

Ce mercredi sort en salles I am not your Negro (Je ne suis pas votre nègre), documentaire maîtrisé et passionnant réalisé par Raoul Peck. En VO la voix est celle de Samuel L. Jackson, en VF, le spectateur aura celle de JoeyStarr. Sophie Dulcad distribution a prévu une sortie modeste sur moins de 20 copies, mais avec plusieurs séances événementielles (avec débats le plus souvent) dans des cinémas franciliens notamment à partir du 10 mai.

Une flopée de prix

Le documentaire vadrouille de festivals en festivals depuis sa première à Toronto en septembre dernier, ce qui lui a permis d'être nommé aux Oscars et aux Independent Spirit Awards en février dans la catégorie du meilleur documentaire. Depuis son prix du public dans la catégorie docu à Toronto, il a glané plusieurs prix. A la dernière Berlinale, il a remporté le prix du public dans la section Panorama et une mention spéciale du jury œcuménique. Le public l'a aussi récompensé au Festival de Chicago, au Festival des Hamptons, au festival de Portland et au Festival de Philadelphie (où le film a aussi reçu le prix du jury). Les critiques de Los Angeles, San Francisco et ceux de Dublin l'ont sacré meilleur documentaire. L'Association des documentaristes lui a décerné le prix du meilleur scénario. A Thessalonique, le film a été distingué par le prix Amnesty International. Aux USA, distribué par Amazon studios, il a récolté 7M$ de recettes, soit le 4e meilleur score pour un docu depuis début 2016.

Très bon score sur Arte

Arte a déjà diffusé le documentaire dans version française il y a deux semaines. La chaîne culturelle s'est ainsi offert la cinquième meilleure audience annuelle avec 650000 téléspectateurs, auxquels se sont ajoutés 380000 visionnages en rattrapage, soit le record mensuel pour Arte+7.

Pourquoi ce documentaire est-il si intéressant? Le pitch est assez sobre: "À travers les propos et les écrits de l’écrivain noir américain James Baldwin, Raoul Peck propose un film qui revisite les luttes sociales et politiques des Afro-Américains au cours de ces dernières décennies. Une réflexion intime sur la société américaine, en écho à la réalité française. Les mots de James Baldwin sont lus par JoeyStarr dans la version française et par Samuel L. Jackson dans la version américaine."

La suite d'un roman inachevé

En fait, Raoul Peck, maniant les archives comme un chef d'orchestre assemble les instruments pour rendre harmonieux une partition, décode la manière dont l'identité afro-américaine s'est construite, et comment elle s'est retrouvée marginalisée, discriminée, et attaquée dans une Amérique qui n'a pas su quoi faire de ses descendants d'esclaves. Pour cela il prend un témoin, James Baldwin, écrivain et intellectuel noir et homosexuel, et trois figures mythiques du combat des droits civiques: Medgar Evers, mort le 12 juin 1963, Malcolm X, mort le 21 février 1965 et Martin Luther King Jr., mort le 4 avril 1968. "Les trois ont été considérés comme dangereux parce qu’ils levaient le voile sur le brouillard de la confusion raciale" explique le réalisateur.

James Baldwin voulait écrire sur ces trois hommes dans ce qui serait son dernier ouvrage, Remember This House, inachevé. Ecrivain prolifique et considéré comme un observateur précis et lucide de la société américaine, il avait anticipé la montée des communautarismes et des tensions sociales. Plus surprenant, il se désolait dans les années 1960 qu'il faille attendre au moins 40 ans pour avoir un Président noir à la Maison-Blanche (l'Histoire lui aura donné raison). Il pointait du doigts les gestes visibles et les non-dits de la société à l'encontre des minorités. Il parlait déjà d'identité.

L'image fantasmée des noirs d'Amérique

"J’avais honte d’où je venais. J’avais honte de la vie dans l’Eglise, honte de mon père, honte du blues, honte du jazz, et bien sûr honte de la pastèque. Tout ça, c’était les stéréotypes que ce pays inflige aux Noirs : que nous mangeons tous de la pastèque et que nous passons notre temps à ne rien faire et à chanter le blues, et tout le reste, j’étais vraiment parvenu à m’enfouir derrière une image totalement fantastique de moi qui n’était pas la mienne, mais l’image que les Blancs avaient de moi" expliquait-il au début des années 1960.

En mélangeant politique, histoire, psychologie et humanisme, sa réflexion, et on le constate tout au long du documentaire au fil de ses interviews ou en écoutant ses textes, n'est pas seulement visionnaire et ne résonne pas seulement avec justesse: elle décrypte minutieusement comment l'Amérique fabriquait une société discriminante, raciste, violente. Et ça n'a pas changé depuis 40 ans. Les incidents et accidents continuent. Les émeutes et les manifs sont toujours là. La fracture n'est pas résorbée. "Le plus consternant est que toutes ces choses ne seraient peut-être pas aussi terribles si, lorsque vous vous retrouvez devant des Blancs pleins de bonne volonté, vous ne vous rendiez pas compte qu’ils ne savent rien de tout cela, et n’en veulent rien savoir" résumait l'écrivain.

Un docu aussi visuel que politique

Raoul Peck démontre ainsi le chaos cyclique qui perturbe la bonne relation entre les communautés, revient sur les racines du mal et décortique l'aspect structurel toujours présent qui entraîne une défiance régulière entre l'Amérique WASP et les afro-américains. Le réalisateur expérimente ainsi un propos très politique avec un formalisme complexe. C'est un puzzle qu'il compose, explosant les codes narratifs classiques du documentaires pour en faire un film plus expérimental, très esthétique, qui met en valeur James Baldwin, ses opinions et leur liens avec l'Histoire américaine. Il s'autorise à insuffler une liberté de pensée, à inviter de la musique et de l'humour, à dramatiser en ne masquant rien de la brutalité, de l'exploitation, des assassinats et des injustices d'un peuple à la fois victime et combattant.

I am not your Negro est aussi visuel que philosophique, sonore que pédagogique. Il se réapproprie toute la culture "noire", des clichés aux malentendus, des icônes aux erreurs historiques. Il "monte" et "découpe" son récit emblématique tout en démontant et coupant les préjugés idéologiques. Il colorise des archives et passe en noir et blanc des images plus modernes. Il trouble notre vision chronologique pour mieux assumer l'unité de temps et de lieu d'un phénomène qui dure depuis plus de deux siècles. De la même manière, les archives sont diversifiées, de programmes télévisés populaires à des interviews et débats plus costauds en passant par des extraits de films hollywoodiens. Ce montage "kaléidoscopique, frénétique et poétique", comme un mix de DJ revisitant des airs connus, permet évidemment de ne pas rendre ce film ennuyeux. Loin de là. Une heure et demi, ça semble presque court.

Insécurité raciale

Outre l'intelligence de l'ensemble, le prosélytisme bienvenu, et la force de son propos, I am not your Negro fait indéniablement écho aux antagonismes sociaux actuels en Occident. "Ce n’est pas tout ce que vous avez pu me faire qui vous menace. C’est tout ce que vous avez fait à vous-même qui vous menace" écrivait-il. Il précisait même : "J’imagine qu’une des raisons pour lesquelles les gens s’accrochent à leurs haines avec tellement d’obstination, est qu’ils sentent qu’une fois la haine partie, ils devront affronter leurs souffrances." En renvoyant les bourreaux à leur propre misère, il avait compris que le problème des exclus était moins le leur que celui des excluants. Critique insatiable des pouvoirs dominants et supérieurs (religions, blancs, politiques...), il interpellait notre insécurité culturelle dans Le jour où j'étais perdu : La vie de Malcolm X:
"Pourquoi ne demandez-vous pas aux Blancs, qui sont vraiment entraînés à la violence, ce qu’ils pensent de tous les Noirs innocents qu’ils tuent ? Quand un jeune blanc tue, c’est un problème « sociologique ». Mais quand un jeune Noir tue, vous êtes prêts à construire des chambres à gaz. Comment se fait-il que vous ne vous inquiétiez jamais quand les Noirs se tuaient entre eux ? Tant que l’on massacrait les Noirs de sang-froid, tant qu’on les lynchait, vous disiez : « les choses s’arrangeront »."