Cannes 70 : les pépites de Cannes Classics

Posté par cannes70, le 3 mai 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-15. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .

Alors que la nouvelle sélection de Cannes Classics vient de nous être (enfin) dévoilée, voici nos coups de coeur très personnels sur les belles découvertes faites depuis la création en 2004 de cette case rétrospective officielle du Festival de Cannes, par ordre chronologique de passage sur la Croisette. Hasard ou intérêt tout personnel de l'auteur de ces lignes, une grande majorité d'entre eux est issue du programme de restauration de la World Cinema Foundation, l'association présidée par Martin Scorsese, qui aide les pays en voie de développement à sauvegarder leurs trésors cinématographiques.

Mélodie pour un tueur (Fingers) de James Toback (Etats-Unis, 1977 ; Cannes Classics 2008)


Le premier film de James Toback est redécouvert grâce à Jacques Audiard qui s'en inspire pour réaliser un remake radicalement différent, malgré des prémices et certaines scènes très proches : De battre mon coeur s'est arrêté, avec Romain Duris dans son premier rôle «adulte». Dans le film d'origine, on découvre un Harvey Keitel dans son premier premier rôle après quelques seconds rôles marquants pour Martin Scorsese (Mean Streets ; Taxi Driver).

Dès la première scène, le ton est donné. On le découvre à son piano, totalement habité par une toccata de Bach dans l'attente d'une audition qui pourrait le mener à jouer au Carnegie Hall. Lorsqu'il sort de la rue, il ne quitte pas son transistor encombrant, écoutant aussi bien Bach que des standards de soul music, prétextant que c'est ce qui l'empêche de devenir dingue. Mais comme le lui fait remarquer son père, fan du crooner Jimmy Vale, il l'est déjà. Ce qui pourrait n'être qu'une boutade reflète un vrai malaise. Une sexualité hésitante, une déception amoureuse, une famille qui pèse sur son moral défaillant et une vie qui ne semble pas vouloir décoller à 32 ans. Sa nervosité se reflète physiquement et malgré un vrai talent au piano, il se met dans des situations dangereuses, provoquant des conflits, incapable de dire non, mettant en péril son futur éventuel en risquant de blesser ses mains si précieuses.

Ses Fingers (les doigts) sont en effet au cœur de ce polar noir, sur les touches d'un piano, pour tenir un revolver, pour se battre à poings nus... Comme s'il était en quête non pas de réussite mais d'un échec qu'il ne semble pas pouvoir, ou vouloir, éviter. Le désenchantement présent dans les grands films américains des films des années 70 se reflète dans cette œuvre d'une grande noirceur, portée par Harvey Keitel, au jeu imposant et étrangement attachant, dans ses failles et ses renoncements. Michael V. Gazzo (alias Niels Arestrup chez Audiard) est ce père en bout de course qui utilise son fils car il n'a plus que lui à utiliser. L'acteur qui dort (involontairement) avec un cheval dans Le Parrain 2 est parfait avec ce costume très jaune qu'il ne quitte pas, sa voix grave éraillée et son incapacité à prononcer le nom de sa fiancée irlandaise.

Tisa Farrow, soeur de Mia et dont la carrière fut trop brève, est parfaite elle-aussi dans le rôle d'une femme partagée entre ce jeune homme indécis et un drôle de costaud incarné par Jim Brown, connu pour Les 12 Salopards. La scène de la prison où Harvey Keitel passe une nuit est à l'image de ce personnage trouble et passionnant, la seule où il s'avère capable de jouer du piano, même imaginaire, en public. Ses compagnons de cellule apportent un des moments les plus légers de ce film tendu. La copie, alors en 35mm, était magnifique.

Un été sans eau de Metin Erksan (Turquie, 1964 ; Cannes Classics 2008)


Tout commence par un conflit autour de l'eau. Deux frères possèdent un terrain sur lequel se trouve la seule source d'un village. Lors d'un été particulièrement aride, l'aîné refuse de partager avec ses voisins, au dam de son cadet, plus généreux, qui le prévient que son égoïsme aura de graves conséquences. Une prédiction qui s'avérera juste : les tragédies vont se succéder et la vie heureuse qui se préparait est heurtée par la trahison et la lâcheté d'un homme.

Metin Erksan est un réalisateur turc (1929-2012), méconnu en dehors de son pays. Susuz Yaz, Ours d'Or à Berlin en 1964, est l'une de ces restaurations de la World Cinema Foundation. La mise en scène est clairement héritée du meilleur du néo-réalisme italien : une approche documentaire d'une histoire mélodramatique, de beaux partis de mise en scène comme ce paysage qui virevolte pour souligner la détresse de son héroïne ou une agression violente d'un homme par un groupe dans un rythme accéléré. Une histoire simple mais émouvante et lyrique. Un drame soutenu par des personnages forts, ces deux frères aux tempérament différents et la fiancée du plus jeune, convoitée par l'aîné, un homme qui se perd dans son rejet de l'autre et dans son repli sur lui-même et son territoire.

Les interprètes sont admirables : Ulvi Dogan et Erol Tas en frères ennemis et Hülya Koçyigit en jeune femme amoureuse. La tendresse et l'humour ne sont pas absents, surtout dans les premières scènes comme celle où les deux jeunes amoureux quittent le foyer de la mère de la future mariée, savoureuse par sa légèreté et les beaux sentiments qui se dégagent. En contraste avec les mauvaises intentions de ce frère qui semble être au départ un bougon pas si antipathique mais la noirceur de ses comportements, son amertume profonde, ne cesse de s'aggraver.

En 75 minutes à peine, avec un art maîtrisé de l'ellipse et de la gestion de situations qui ne sont pas artificiellement étirées, Metin Erksan montre une violence que rien ne peut stopper malgré l'évidence de son impasse, sous le soleil frappant de la Turquie dans une contrée pauvre. Le noir et blanc est parfait pour illustrer la sensualité, le désir, les sentiments contradictoires. Un très beau contraste visuel relevé par la restauration effectuée par la Cinémathèque de Bologne, haut lieu de la cinéphilie, compagnon de «lutte» de Cannes Classics.

Cette séance a permis à l'auteur de ces lignes de découvrir un cinéaste majeur européen trop méconnu et auquel la Cinémathèque a rendu un bel hommage en 2010 qui a confirmé les attentes de cette première rencontre.

Touki Bouki de Djibril Diop Mambéty (Sénégal, 1973 ; Cannes Classics 2008)


Nous l'évoquions déjà dans notre texte sur le cinéma africain mais impossible de ne pas revenir sur le choc esthétique et culturel de l'un des premiers chefs d'oeuvre du cinéma africain en général, sénégalais en particulier. Dakar au Sénégal dans les années 70. Mory, ancien gardien de troupeau, conduit une belle moto avec en figure de proue le crâne d'un zébu. Il propose à sa compagne Anta de prendre le bateau qui part le lendemain pour Paris, l'eldorado pour de nombreux Africains. Mais l'entreprise n'est pas aisée lorsque l'on a pas d'argent.

En multipliant les actes malhonnêtes, ils vont réunir le budget mais ont-ils réellement envie de partir ? À travers leur errance, leur ennui, leur rêve d'un avenir meilleur loin de leur pays natal, le réalisateur remet en question une société perdue entre tradition et modernité. Le comportement libre d'Anta évoque une jeunesse américaine héroïque façon James Dean, allant jusqu'à adopter une silhouette de garçon manqué. Membéty entretient dans un premier temps le doute sur sa féminité, loin des canons habituels de sa communauté, de sa mère notamment. La nudité est une donnée rare dans le cinéma africain et Membéty transgresse les règles d'alors avec une scène pudique mais dont le montage transcende la discrétion.

Le cinéaste se révèle d'ailleurs être un maître dans ce domaine. Il enchaîne les plans avec un art du saut du coq à l'âne visuel qui ne cherche pas la clarté à tout prix mais à faire naître d'étranges sensations à travers des associations d'images avec vision de bêtes abattues qui symbolisent Mory et Anta comme les représentants d'une génération sacrifiée. Grâce à la restauration, les couleurs chaudes retrouvent tout l'éclat d'origine.

Dieu ne croit plus en nous d'Axel Corti (trilogie Welcome in Vienna, première partie) (Autriche, 1982 ; Cannes Classics 2009)


Vienne,1938. Lors de la Nuit de Cristal, Ferry Tobler, un adolescent juif, voit son père assassiné par les nazis. Il fuit l'Autriche et se retrouve à Prague. D'abord seul, il est confronté à l'inhumanité de ceux qui espèrent récupérer les biens de sa famille et à la corruption d'un policier. Autour de lui, la vie continue pour ceux qui ne sont pas traqués. Dans sa recherche de papiers lui permettant de passer d'un pays à l'autre, il rencontre d'autres personnes aux trajets divers qui attendent dans la peur tout le temps, dans des moments humains, parfois. Lire le reste de cet article »

Cannes Classics 2017: de Belle de Jour à Madame De… en passant par Cary Grant et les Belges

Posté par redaction, le 3 mai 2017

Le programme de Cannes Classics 2017 sera dédié cette année en grande partie à l’histoire du Festival, qui célèbre sa 70e édition. Au total, 24 séances provenant d'une vingtaine de pays directement impliqués dans la restauration/numérisation des copues, dont un film en 35mm (L'Atalante), cinq docus sur le cinéma et même un court métrage.

Célébration du 70e Festival de Cannes, une brève histoire du Festival

•1946 : La Bataille du Rail (Battle of the Rails) de René Clément (1h25, France) : Grand Prix International de la mise en scène et Prix du Jury International.

•1953 : Le Salaire de la peur (The Wages of Fear) de Henri-Georges Clouzot (1952, 2h33, France, Italie) : Grand Prix.

•1956 : Körhinta (Merry-Go-Round / Un petit carrousel de fête) de Zoltán Fábri (1955, 1h30, Hongrie) : en Compétition.

•1957 : Ila Ayn? (Vers l’inconnu ?) de Georges Nasser (1h30, Liban) : en Compétition.

•1967 : Skupljaci Perja (I Even Met Happy Gypsies / J’ai même rencontré des Tziganes heureux) d’Aleksandar Petrovi? (1h34, Serbie) : en Compétition, Grand Prix Spécial du Jury, Prix de la Critique Internationale- FIPRESCI ex-aequo

•1967 : Blow-up de Michelangelo Antonioni (1966, 1h51, Royaume-Uni, Italie, États-Unis) : Grand Prix International du Festival.

•1969 : Matzor (Siege / Siège) de Gilberto Tofano (1h29, Israël) : en Compétition.

•1970 : Soleil O (Oh, Sun) de Med Hondo (1h38, Mauritanie, France) : Semaine de la Critique

•1976 : Babatu, les trois conseils de Jean Rouch (1h33, Niger, France) : en Compétition.

•1976 : Ai no korîda (In the Realm of the Senses / L’Empire des sens) de Nagisa Oshima (1h43, France, Japon) : Quinzaine des Réalisateurs.

•1980 : All that Jazz (Que le spectacle commence) de Bob Fosse (1979, 2h03, États-Unis) : Palme d’or.

•1981 : Czlowiek z ?elaza (Man of Iron / L’Homme de fer) d’Andrzej Wajda (2h33, Pologne) : Palme d’or.

•1982 : Yol The Full Version (The Way / La Permission) de Yilmaz Güney, réalisé par Serif Gören (1h53, Suisse) : Palme d’or, Prix de la Critique Internationale-FIPRESCI

•1983 : Narayama Bushik? (Ballad of Narayama / La Ballade de Narayama) de Shôhei Imamura (2h13, Japon) : Palme d’or.

•1992 : El sol del membrillo (Le Songe de la lumière) de Victor Erice (2h20, Espagne) : Compétition, Prix du Jury, Prix de la Critique Internationale- FIPRESCI

•1951-1999 : Une brève histoire des courts métrages présentés par le Festival de Cannes. Un programme préparé par Christian Jeune et Jacques Kermabon.

Pour les courts, dans l’ordre : Spiegel van Holland (Miroirs de Hollande) de Bert Haanstra (1951, 10mn, Pays-Bas) / La Seine a rencontré Paris de Joris Ivens (1958, 32mn, France) / Pas de deux de Norman McLaren (1968, 13mn, Canada) / Harpya de Raoul Servais (1979, 9mn, Belgique) / Peel de Jane Campion (1986, 9mn, Australie) / L’Interview de Xavier Giannoli (1998, 15mn, France) / When the Day Breaks d’Amanda Forbis et Wendy Tilby (1999, 10mn, Canada).

Les autres films de Cannes Classics

Madame de… de Max Ophüls (1953, 1h45, France). Séance proposée en hommage à Danielle Darrieux à l’occasion de son anniversaire, et présentée par Dominique Besnehard, Pierre Murat et Henri-Jean Servat qui présentera la dernière interview filmée de Danielle Darrieux.

L’Atalante de Jean Vigo (1934, 1h28, France) en copie restaurée 35mm

Native Son (Sang noir) de Pierre Chenal (1951, 1h47, Argentine)

Paparazzi de Jacques Rozier (1963, 18mn, France). Le film sera présenté par Jacques Rozier.

Belle de jour (Beauty of the Day) de Luis Buñuel (1967, 1h40, Espagne-France)

A River Runs Through It (Et au milieu coule une rivière) de Robert Redford (1992, 2h04, États-Unis)

Lucía de Humberto Solas (1968, 2h40, Cuba)

Documentaires sur le cinéma

La belge histoire du festival de Cannes (The Belgian’s Road to Cannes) de Henri de Gerlache (2017, 1h02, Belgique)

Un road-movie joyeux à la découverte du cinéma belge présent à Cannes depuis 70 ans. Les cinéastes d’hier dialoguent avec ceux d’aujourd’hui pour dresser le portrait d’un cinéma hétéroclite et libre. Une « belge histoire » du plus international des festivals.

David Stratton- A Cinematic Life de Sally Aitken (2017, 1h37, Australie)

Les relations du critique anglais David Stratton avec son pays d’adoption, l’Australie, qui l’a amené à se comprendre. C’est aussi la glorieuse histoire du cinéma australien et de ses créateurs racontée par ce cinéphile fidèle de Cannes et tourné vers le monde.

Filmworker de Tony Zierra (2017, 1h29, États-Unis)

Le jeune acteur Leon Vitali abandonna sa carrière prospère après Barry Lyndon pour devenir le fidèle bras droit du réalisateur Stanley Kubrick. Pendant plus de deux décennies, Leon a joué un rôle crucial, dans une relation complexe et interdépendante, fondée sur le dévouement, le sacrifice et la réalité éprouvante et néanmoins joyeuse d’un processus créatif unique dans l’histoire du cinéma.

Becoming Cary Grant (Cary Grant - De l’autre côté du miroir) de Mark Kidel (2017, 1h25, France)

À la cinquantaine, Cary Grant entame une cure au LSD pour se libérer de ses démons. Le film raconte, à travers les mots de Cary Grant lui-même, interprétés par Jonathan Pryce, l’histoire d’un homme à la recherche de lui-même et de l’amour qu’il n’a pas su trouver pendant une grande partie de sa vie.

Jean Douchet, l’enfant agité de Fabien Hagège, Guillaume Namur, Vincent Haasser (2017, 1h30, France)

Trois jeunes cinéphiles suivent Jean Douchet et interrogent ses amis et anciens élèves. Ce documentaire dévoile l’homme et sa philosophie critique, une partie de l’histoire des Cahiers du Cinéma et cet Art d’aimer auquel il a dévoué son existence.