70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.
Aujourd'hui, J-40. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par là.
La genèse d'un festival reste parfois mystérieuse ou peut se limiter à la plus belle et plus envoûtante des motivations : la passion du cinéma, ou pour ceux qui n'y entravent que dalle, à la cinéphilie maladive. L'envie de créer un festival peut commencer par l'envie égoïste, surtout de nos jours, de montrer des films que vous n'avez pas vus (ou pour ceux de plus grande envergure à faire venir des touristes) et glisser vers quelque chose de plus généreux, l'idée de transmettre et de partager des œuvres enrichissantes. L'ouvrage Cannes 1939, le festival qui n'a pas eu lieu d'Olivier Loubes, publié récemment chez Armand Colin, revient sur l'origine précise les origines de l'existence du Festival International du Film de Cannes, après d'autres ouvrages et articles moins détaillés ou précis.
Un Festival en résistance
En premier lieu, il faut remercier les dérives de la Mostra de Venise, sous les pressions de quelques fascistes et autres monstres historiques mais aussi de quelques personnalités plus positives tout de même. En 1937, Hitler n'est pas content du prix spécial attribué au chef d'oeuvre pacifiste La Grande Illusion de Jean Renoir et, insulte suprême, de l'absence au palmarès de tout film allemand. Reprise en mains des délibérations l'année suivante : le jury du festival italien (créé en 1932) choisit un film américain. Intervention de la «diplomatie» nazie à grand renfort de menaces claires. Résultat : Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl, la «star» du cinéma de propagande nazie, reçoit le trophée suprême, la Coupe Mussolini, le troisième Reich autorisant un ex-æquo local, Luciano Serra, pilote de Goffredi Alessandrini.
Parmi les jurés échaudés figure le diplomate français Philippe Erlanger. Dans le train qui le ramène à Paris lui vient l'idée de créer un festival de cinéma libéré du poids des décisions gouvernementales. «Dès lors que les circonstances enlevaient à la Mostra une indispensable objectivité, pourquoi, si, miraculeusement, la paix était sauvée, ne pas créer en France un festival modèle, le Festival du monde libre ?». Son ministre de tutelle, Jean Zay (éducation nationale) et Albert Sarraut, à l'Intérieur, soutiennent son idée.
L'auteur de l'ouvrage, Olivier Loube, prend bien soin d'insister sur le fait qu'Erlanger, qui sera le premier délégué général jusqu'en 1951, n'est pas le seul père de la manifestation mais que son implication n'en est pas moins importante. La mise en oeuvre n'est pas aisée, mais un an seulement après, le premier festival est programmé, du 1er au 20 septembre 1939, en concurrence frontale avec la Mostra. Dans un premier temps, Biarritz est choisie, mais son cadre lumineux, et un meilleur soutien financier, permettent à Cannes de rentrer dans l'Histoire du 7e Art.
La presse spécialisée soutient dans l'ensemble ce projet, malgré quelques réserves chez certains, sur l'existence d'un rival à Venise (plus ancien donc plus légitime, dans un cadre plus propice à l'évasion), ou sur les conditions pour le bon exercice d'un festival prestigieux. Maurice Bessy, futur délégué général du Festival de Cannes de 1971 à 1977, fait part de ses doutes dans Cinémonde le 30 août 1939 : «Le choix de Cannes ne saurait être que provisoire. Il ne convient pas de transformer ce festival en une simple affaire hôtelière. Le cinéma a déjà assez de mal pour se débarrasser de ses marchands de soupe», ajoutant «pourquoi avoir choisi ce mois de septembre, particulièrement plein dans le métier cinématographique ? Il y a près de trente films actuellement en chantier qui sont presque tous tournés à Paris (...). Comment avoir à Cannes les producteurs, les ouvriers, les artistes des films s'ils ne peuvent quitter Paris ? Et si on ne les a pas, comment donner à cette manifestation toute l'efficacité qu'elle doit comporter ?». Lire le reste de cet article »