Cannes 70 : c’est bon de rire parfois…

Posté par cannes70, le 1 avril 2017

70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Critique-Film, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd'hui, J-47. Et pour retrouver la totalité de la série, c'est par .


La sélection officielle en 2016 fut quasiment une exception : il y eut beaucoup d'occasions de sourire voire de rire franchement, grâce aux facéties du père dans Toni Erdmann pour redonner le sourire à sa fille, cadre dynamique trop froide ; à une euthanasie administrée via des voies naturelles inattendues dans Rester vertical d'Alain Guiraudie ; aux failles morales et vestimentaires des sinistres bourgeois de Ma Loute de Bruno Dumont ; à la liberté de ton d'Isabelle Huppert alias Elle pour Paul Verhoeven ou grâce au désormais fameux carton d'introduction de The Last Face de Sean Penn. Cette liste valide cette idée que la franche comédie - ce qu'aucun de ces films n'est – reste bien rare en compétition. Et au passage, rappelons que tous ces films sont repartis bredouilles…

La Palme d'or... et comment l'avoir pour une comédie


En 1965, contre toute attente, alors que la sélection comprenait des futurs classiques bien sombres (La 317e Section de Pierre Schoendoerffer, L'Obsédé de William Wyler, La Colline des hommes perdus de Sidney Lumet...), le jury présidé par Olivia de Havilland ose l'inattendu : remettre une Palme d'or à une comédie, une vraie : The Knack... et comment l’avoir de Richard Lester. Un film délirant, à la croisée du slapstick de l'âge d'or du muet et de la folie furieuse de Helzappoppin (sommet de burlesque sans queue ni tête des années 40), mais dans le style plus réaliste et humain du Free Cinema qui bouleversa les codes du cinéma anglais dans les années 60.

Dans cette chronique romantique chorale se croisent quelques jeunes hommes et femmes vivant avec plus ou moins de sérieux et de bonheur leur quête d'amour ou d'affections éphémères. Dans un entretien accordé aux Cahiers du Cinéma à Cannes cette année là, le réalisateur précisait ses intentions : «The Knack est un film sur la non-communication des jeunes entre eux : ils sont dans une pièce, et chacun parle pour soi, chacun parle de choses différentes, sans écouter les autres, ce qui est très réaliste. Cela me fait penser à un vieux sketch radiophonique : il y a quatre boutons, correspondant à quatre programmes, un agricole, un religieux, un musical, un d'information. Si l'on appuie sur les quatre à la fois, on obtient un torrent d'absurdités. Voilà ce qu'est The Knack».

De ces oppositions et enchevêtrements de situations souvent embarrassantes naît le rire franc, net, massif mais aussi une forme de tristesse, liée à la complexité des relations amoureuses. The Knack, sans être parfait, est une heureuse combinaison d'un portrait réaliste de la jeunesse contemporaine du temps de son tournage et d'un décalage cartoonesque (voir le montage à la Tex Avery dans la scène des portes ci-dessous). Lester avait auparavant dirigé les Beatles dans Quatre garçons dans le vent (A Hard Day's Night) et c'est accompagné de John Lennon qu'il récupéra son trophée, ce dont peu de réalisateurs peuvent se vanter. Petite ironie de l'histoire, il réalisa une dizaine d'années plus tard La Rose et la flèche, avec Audrey Hepburn dans le rôle de Marianne, l'éternelle fiancée de Robin des Bois immortalisée à la fin des années 30 par Olivia de Havilland ! L'autre grand film comique anglais, et plus franchement drôle encore, récompensé à un niveau élevé est le film à sketchs des Monty Python, le Sens de la vie (voir notre texte sur John Cleese).

Etaix bien sérieux, tout cela ?

La même année que The Knack, une comédie plus poétique était également en lice : Yoyo de Pierre Étaix, jolie rencontre quasiment muette entre un milliardaire désabusé, ancien clown (heureux) devenu très très riche (et très très malheureux) et un charmant petit garçon qui va lui redonner le goût de la liberté. Le scénario écrit avec Jean-Claude Carrière est un hommage à un certain génie du cinéma américain des débuts du 7e Art, Chaplin étant clairement l'inspiration première, dans sa capacité à émouvoir et amuser. Petite digression charmante : lors d'une présentation à la Cinémathèque, un enfant rêveur demanda à Etaix pourquoi l'écharpe du personnage était orange. L'acteur-réalisateur-clown fut désarmé par cette question délicieusement absurde, le film étant en noir et blanc !

Pierre Etaix a également contribué à Mon Oncle de Jacques Tati (prix spécial du jury en 1958) en imaginant quelques gags et en interprétant plusieurs petits rôles. Les Vacances de Monsieur Hulot du même Tati fit partie de la compétition en 1953, Etaix signera d'ailleurs une affiche pour l'une de ses multiples rééditions. Ces deux grands noms de la comédie française, aux univers visuels et comiques bien particuliers, n'ont ainsi pas été oubliés par des sélectionneurs attentifs, lorsque qu'ils trouvent des candidats de qualité suffisante, à inviter des comédies soignées et au fort potentiel populaire. Parmi les regrets évoqués par Gilles Jacob sur les grands absents de ses sélections, deux comédies qui résistent fort bien à l'épreuve du temps : Femmes au bord de la crise de nerfs de Pedro Almodovar et Quatre mariages et un enterrement de Mike Newell. Nobody's perfect comme dirait Osgood Fielding !

Souris, puisque c'est grave


L'une des Palmes d'or les plus drôles de l'histoire est un film situé dans un contexte tragique. Avec les mésaventures de chirurgiens potaches dans un hôpital militaire de campagne durant la guerre de Corée, Robert Altman est distingué en 1970 pour ce qui était clairement dans son intention un brûlot anti-Vietnam, comme il l'expliquait au journaliste David Thompson dans son livre d'entretiens Altman on Altman : « J'avais réussi à cacher le fait que l'histoire se déroulait en Corée mais le studio m'a imposé un carton d'introduction. Je voulais que M.A.S.H. soit vu comme une œuvre contemporaine et toutes les considérations politiques dans le film évoquent Nixon et le Vietnam ». Nul n'est dupe en réalité, et la charge est féroce. La causticité du propos repose sur l'attitude faussement désinvolte de Hawkeye (Donald Sutherland) et Trapper (Elliott Gould) alors que la guerre fait rage quelques kilomètres plus loin. Observateurs relativement protégés des combats, ils cultivent le mauvais esprit contre leurs supérieurs trop sérieux et multiplient les blagues d'ados attardés, visant surtout l'infirmière major guindée, surnommée par leurs soins Lèvres de feu et dénudée bien malgré elle en public. Lire le reste de cet article »