Le cinéma d’animation dans tous ses états à la Cinémathèque

Posté par MpM, le 13 janvier 2017, dans Courts métrages, Films.

Pour la 4e année consécutive, la Cinémathèque française proposait lundi 9 janvier "Le cinéma d'animation dans tous ses états", une carte blanche offerte au spécialiste d'animation Francis Gavelle (réalisateur, présentateur de l'émission "Longtemps je me suis couché de bonne heure" sur Radio Libertaire et ancien sélectionneur pour la Semaine de la Critique). L'occasion de découvrir un panorama de la création contemporaine mêlant une dizaine de courts métrages et un long, le très beau Tout en haut du monde de Rémi Chayé, sorti de manière bien trop confidentielle début 2016.

Côté courts, toutes les techniques et tous les styles étaient représentés, permettant de passer (avec bonheur) d'un documentaire sur la sexualité masculine composé de dessins à l'encre (Petite mort d'Antoine Bieber) à un drame familial en volume - marionnettes et stop motion - (Wellington jr de Cécile Paysant), en passant par une évocation aux dessins presque enfantins d'un poème de Guillaume Apollinaire (Le Pont Mirabeau de Marjorie Caup), un documentaire mêlant animation 3D et images documentaires peintes (Lupus de Carlos Gómez Salamanca) ou encore un film anxiogène sur la solitude et la peur en 2D noir et blanc (Colocataires de Delphine Priet-Mahéo).

Une sélection réjouissante et qui présage d'autant mieux de l'avenir de l'animation (notamment française) que plusieurs courts métrages sont des films de fin d'études, ou l'oeuvre de très jeunes réalisateurs. Parmi eux, retour sur cinq films qui ont plus particulièrement retenus notre attention.

*** Colocataires de Delphine Priet-Mahéo ***

Le trait, en noir et blanc, semble fondre décors et personnages dans un flou qui matérialise la vie de son héroïne, coincée dans un quotidien morne et répétitif. Entre son travail de caissière rythmé par le "bip" incessant des articles qui défilent et la solitude de sa maison, où seul son chat l'attend, les jours se suivent, se ressemblent et se confondent. La presse attise cette solitude en générant peur et haine vis-à-vis des "errants" qui hantent la ville. Une rencontre est pourtant possible entre cette femme désabusée et l'homme qui investit sa maison en son absence. Une rencontre ténue, sans réel face à face, mais qui passe par l'appropriation de l'espace, le langage des objets et le partage de nourriture. Car rien n'est simple ou angélique dans ce conte anxiogène sur l'isolement, le repli sur soi et le découragement.

*** Journal animé de Donato Sansone ***

Journal animé est une improvisation artistique sur l'actualité à travers le détournement des pages du quotidien Libération entre le 15 septembre et le 15 novembre 2015. Le réalisateur dessine sur les photos, les anime, les transforme dans une farandole d'abord potache (des moustaches ajoutées à une personnalité publique, un ballon de foot qui rebondit d'une page à l'autre...) puis plus grave (des coups de feu, une mer de cadavres...). Tout va très vite, le crayon virevolte, le temps aussi, il est parfois malaisé de saisir les détails de l'animation ou le sujet de l'article, mais le résultat est indéniablement fort, puissant, comme une rétrospective hypnotique de ce qui constitue notre monde au jour le jour.

*** Love de Reka Bucsi ***

Réjouissante allégorie de l'amour, ses manifestations et ses conséquences, qui se décline dans un univers onirique à la fois charmant et inquiétant. Entre ironie et poésie, humour et recherche esthétique, Love met ainsi en scène des individus littéralement pris au piège du sentiment amoureux, une nature luxuriante dont le cœur s'emballe ou encore des planètes qui ont un petit grain de folie. Une vraie ambition narrative et esthétique anime ce récit foisonnant qui a quelque chose d'un feel good movie un peu cruel. Ambivalent, certes, mais tellement réjouissant.

*** Petite mort d'Antoine Bieber ***

Ce documentaire cru ose la parole masculine sur la sexualité et l'orgasme sans jamais déraper vers le voyeurisme ou l'illustration littérale. Les témoignages, sincères et spontanés, sont aussi captivants que l'animation fluide et délicate (composée de dessins à l'encre) qui recrée avec un certain minimalisme la valse (aérienne) des corps et le ballet (complexe) du désir. Le seul défaut du film est d'être trop court, tant on aurait aimé en voir (et en entendre) plus !

*** Ragoût d'Inès Bernard-Espina ***

Énigmatique film qui mêle habilement une nouvelle de Richard Brautigan, dans laquelle des hommes essayent désespérément d'enterrer un lion (vivant) dans un trou trop petit, et l'histoire tout aussi curieuse d'une femme obligée de manger ce que son visiteur lui a cuisiné. Plusieurs styles cohabitent en fonction des variations du récit : gammes chromatiques et techniques distinctes d'un lieu et d'un moment à un autre, traits larges pour les silhouettes noires massives des hommes qui creusent, trait fin pour le corps gracile et délicat de la jeune femme, etc. On est à la fois dérouté, intrigué et terriblement séduit.

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