Mon père en grand de Mathias Renou : un vrai-faux docu-fiction qui hurle son envie de cinéma

Posté par MpM, le 9 novembre 2016

Mon père en grand

Le cinéma Saint-André des Arts (dans le VIe arrondissement de paris) propose toute l'année ses "découvertes", un cycle de films indépendants inédits qui ont souvent été réalisés en marge des circuits de production traditionnels, avec des budgets inexistants. C'est non seulement l'occasion de donner de la visibilité à des œuvres fragiles et singulières, mais surtout un acte de militantisme à l'égard d'un cinéma extrêmement dynamique, foisonnant et d'une grande richesse, qui est pourtant presque systématiquement maintenu hors de portée du grand public.

Cette semaine, et jusqu'à la fin du mois de novembre, c'est Mathias Renou, jeune cinéaste passionné de 23 ans, qui est à l'affiche des Découvertes du cinéma du Quartier latin avec son premier long métrage Mon père en grand, un film étonnant qui brouille joyeusement les frontières entre fiction et réalité et s'amuse du flou qui en résulte.

Au cœur du récit, un jeune homme (prénommé Matthieu) qui filme tout ce qui l'entoure, façon cinéma sur le vif, et réalise un film autobiographique sur la rupture de ses parents, avec son propre père dans le rôle principal. On est tout de suite frappé par la qualité de la relation entre le père et le fils, de cette complicité inconditionnelle qui les unit dans l'humour comme dans le drame. On sent à chaque instant le regard bienveillant du fils sur le père, à la ville comme à l'écran.

Différents degrés de réalité

mon père en grandEn contrepoint, la mère de Matthieu intervient à plusieurs reprises face caméra pour dire tout le mal qu'elle pense du projet. Sauf qu'il s'agit de l'actrice Marie Rivière qui incarne avec gourmandise cette fausse mère chargée à la fois de créer de la distanciation avec le récit principal, afin de rappeler au spectateur qu'il s'agit bien de fiction, et d'appuyer en même temps l'aspect autobiographique revendiqué du long métrage. On se retrouve ainsi dans un savoureux double (voire triple) niveau de lecture qui, s'il peut être parfois perturbant, donne un vrai relief à cette histoire familiale au fond presque banale.

En osant ce jeu permanent entre les différents degrés de réalité (puisque le film transpose dans la fiction des éléments autobiographiques), Mathias Renou propose un vrai-faux docu-fiction qui hurle son envie de cinéma. Outre les références cinématographiques qui parsèment l'intrigue, le jeune réalisateur a opté pour un procédé formel fort : faire du cameraman l'un des personnages centraux de l'histoire, bien qu'on ne le voit jamais à l'écran.

Le spectateur se retrouve alors impliqué directement dans le récit à travers les regards-caméra que s'autorisent de fait les autres protagonistes lorsqu'ils s'adressent à ce personnage hors champ. Cela apporte également au film une sincérité sidérante, l'impression que Mathias Renou, s'il s'amuse avec le fil narratif, déconstruit au gré du récit, ne triche pourtant jamais.

Il y a là l'énergie et la fougue non pas seulement de la jeunesse, mais aussi des débuts, de ces premiers pas portés par une confiance absolue dans la force et la magie du cinéma. Une foi et une inventivité forcément communicatives quand on aime soi-même le cinéma.

______________________

Mon père en grand de Mathias Renou
A découvrir tout le mois de novembre dans le cadre des "Découvertes" du Saint-André des Arts

Raoul Coutard (1924-2016) éteint la lumière

Posté par vincy, le 9 novembre 2016

Le chef-opérateur Raoul Coutard est décédé mardi soir, le 8 novembre 2016, à l'âge de 92 ans près de Bayonne. Il avait été le directeur de la photographie de films de référence comme Jules et Jim, La peau douce, La mariée était en noir et Tirez sur le pianiste de François TruffautLa 317e section et Le crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer, Lola de Jacques Demy ou encore L'aveu et Z de Costa-Gavras. Sa filmographie comporte au total 65 films signés De Broca, Molinaro (L'Emmerdeur ), Rouch, Oshima (Max mon amour), Dembo (La diagonale du fou), Mocky, Pinheiro (Ne réveillez pas un flic qui dort), Nicloux et sur la fin de sa carrière Philippe Garrel, avec qui il a collaboré sur trois films.

Evidemment son destin est surtout lié à celui de Godard (15 films au total ensemble) dont À bout de souffle, Une femme est une femme, Bande à part, Alphaville, Made in USA, La chinoise, Prénom Carmen, et surtout Le mépris et Pierrot le Fou.

Né à dans le Marais, à Paris, le 16 septembre 1924, Raoul Coutard, qui n'avait pas pu financer ses études de chimiste, ancien sergent dans l'infanterie pendant la guerre d'Indochine avant de devenir photographe aux armées puis photographe-reporter pour Paris Match et Life, a d'abord rencontré Pierre Schoendoerffer à Hanoï en 1952, avec qui il se lie pour ses premiers pas cinématographiques. "Nous avons très vite conclu un pacte entre nous : le premier qui arriverait à entrouvrir la porte du cinéma y entraînerait l'autre !", racontait le cinéaste dans un livre il y a quelques années.

Beauregard impose Coutard à Godard

En 1959, À bout de souffle marque la naissance de la Nouvelle Vague. Le producteur Georges de Beauregard, qui voulait faire des films bon marché, avec des tournages rapides. Il impose Coutard à Godard. Sans savoir que leur "liaison" serait l'une des plus marquantes du 7e art. "Pour moi, la rencontre décisive, ce fut Godard. À bout de souffle, qui devait être n'importe quoi, fut une entrée dans la vie professionnelle", expliquait Raoul Coutard à Libération. Il tourne caméra à l'épaule avec une lumière blanche: à l'époque, c'est révolutionnaire.

S'il s'est éloigné de Godard, c'est un peu à cause de Mai 68 - Coutard n'est pas franchement gauchiste. On a souvent associé son travail au noir et blanc, pas très propre, froid comme l'hiver, naturaliste au maximum. Il cherchait une vérité, celle de la lumière, celle du réel. Ses expériences sur les terrains de bataille de l'Indochine, en tant que photographe, lui avaient appris à travailler rapidement. La caméra à l'épaule était une manière libre de faire du cinéma, qui correspondait à ce qu'il savait faire avec un appareil photo. Mais il ne faut pas oublier que c'était un esthète, un maître des couleurs aussi. Des couleurs franches, saturées, des explosions de bleu et de rouge.

Honoré à Hollywood, primé à Cannes, Venise et aux César

Le cinéma, il y est entré plus pour l'argent que pour une passion quelconque. Mais sa légende était scellée dès ce petit film de Godard où un voyou incarné par un jeune premier au nez cassé et une garçonne américaine tombaient amoureux sur les Champs-Elysées. Terriblement moderne avant l'heure, le chef op' s'était raconté dans L'Impériale de Van Su - Ou comment je suis entré dans le cinéma en dégustant une soupe chinoise, mémoires publiées il y a près de dix ans.

Il avait été distingué par 1un International Award de l'American Society of Cinematographers, un César pour Le Crabe-Tambour (et une nomination pour Prénom Carmen), un prix de la meilleure première œuvre à Cannes et le prix Jean-Vigo, en tant que cinéaste, pour Hoa-Binh en 1970, le Grand prix de la technique à Cannes pour Passion et le même prix à Venise pour Prénom Carmen.

Car Raoul Coutard avait aussi réalisé. Outre Hoa-Binh, sur la guerre d'Indochine, il avait signé La légion saute sur Kolwezi (1980) et S.A.S à San Salvador (1982).

Il affirmait qu'"un film est bon quand on sort du cinéma complètement sonné ; on ne sait pas ce qui nous arrive ; on ne sait plus si on a dîné, où on a garé sa voiture ; on veut rester seul à y réfléchir. Pour moi, c’est ça, la définition d’un grand film."