Cannes 2016: Femmes (agressées), actes de résistance, IPhones complices, de l’ultra-moderne solitude, du cul et du rire

Posté par vincy, le 25 mai 2016

Si on ne prend que la compétition cannoise, les cinéastes ont livré cette année une drôle de vision du monde, assurément féminine et engagée. Ce 69e Festival de Cannes fut celui du "clito" affirmé.

Des femmes
Elles sont illuminées (Ma Loute), hystériques (Sieranevada, Juste la fin du monde, American Honey), manipulatrices et lesbiennes (Mademoiselle), vulnérables et combattantes (Moi, Daniel Blake, Ma'Rosa), dominantes et fragiles (Toni Erdmann, Elle), libres (Loving, Paterson, Elle), mal dans leur peaux et même dépressives (Mal de pierres, Mademoiselle, Toni Erdmann, Julieta, Juste la fin du monde, The Last Face, The Neon Demon, Personal Shopper, Baccalauréat, Le client), résistantes (Aquarius), artistes (Julieta, Aquarius, Mademoiselle, The Neon Demon, Paterson), troublées et un peu paumées (Elle, La fille inconnue, Mal de pierres). Une chose est sûre, elles sont toutes amoureuses: seniors, bisexuels, amant de passage, violeur, wasp quand elle est noire, basque quand elle est madrilène, patronne, fantôme, salaud, samaritain, ... Mais une chose est certaine, il y a des femmes agressées de toute part cette année: Ma Loute, Baccalauréat, Elle, Le client, The Neon Demon, la fille inconnue. Attaquées ou violées, assassinées ou kidnappées, la femme a reçu de sacré coups.

De la résistance
D'une manière ou d'une autre, il y a eu beaucoup de rébellion. Dans Sieranevada, les intellos essaient de convaincre les complotistes. Dans Moi, Daniel Blake, vainement, les pauvres combattent un système social et économique absurde. Dans Toni Erdmann, le père cherche à faire rire sa fille pour qu'elle prenne son métier plus à la légère. Dans Loving, le couple se bat contre des lois racistes et inhumaines. Dans beaucoup de films, les personnages cherchent à vaincre une dépression. Dans Aquarius, l'héroïne fait la guerre à un promoteur immobilier (et au passage à l'élite brésilienne). Dans La fille inconnue, la jeune médecin essaie de se racheter une bonne conscience en cherchant "l'assassin" d'une jeune réfugiée. Dans Paterson, le conducteur de bus s'évade de sa routine en écrivant des poèmes. Dans Baccalauréat, la fille veut rester intègre dans un système corrompu. Dans Juste la fin du monde, le fils prodigue tente de survivre à une journée en famille. Dans The Neon Demon, la jeune top model doit se protéger des mauvaises intentions de ses rivales. Dans The Last Face, deux humanitaires veulent sauver l'Afrique (alors qu'ils ne sauvent pas leur couple). Dans Elle, la femme violée, bafouée, rejette tous préjugés et toute solution convenue pour vivre librement.

Des IPhones complices
L'intermittent du spectacle le plus sollicité cette année était l'IPhone. Outre, les scènes devenues communes d'un personnage téléphonant avec son mobile (Rester vertival, Sieranevada, Toni Erdmann...), il y a des films où il est devenu central. Dans Personal Shopper, c'est même un acteur à part entière qui dialogue par sms avec Kristen Stewart. Dans La fille inconnue, Adèle Haenel n'a pas de copain, puisque son meilleur compagnon c'est siri et sa voix soumise. Dans Ma'Rosa, c'est un objet de transaction. Dans Elle, on ne supporte pas que sa batterie soit vidée. Il y a une exception: Adam Driver dans Paterson, qui refuse d'en avoir un.

De l'ultra-moderne solitude
A la campagne ou dans les villes portuaires (Rester vertical), à l'étranger (Toni Erdmann) ou chez soi (Aquarius), la solitude est prégnante dans de nombreux films. Un veuf (Moi, Daniel Blake) ou un homme marié mais malheureux (Sieranevada), époux (Paterson) ou épouse (Mal de pierres), séparée de sa fille (Julieta) ou de sa famille (Loving), pleurant son frère disparu (Personal shopper) ou regrettant le départ de son stagiaire (La fille inconnue), être seul n'est pas facile. Face à soi-même la plupart du temps (Elle, Baccalauréat, Le client, etc...), les personnages sont finalement dans l'incommunicabilité la plus totale à l'instar du quintet désaccordé de Juste la fin du monde. La mondialisation est en arrière plan souvent, tout comme le libéralisme sauvage. Les systèmes de production et l'absence de respect de l'individu, écrasés, sont au coeur ou en marge de Rester vertical, Moi, Daniel Blake, Toni Erdmann, Loving, Aquarius, La fille inconnue, Baccalauréat, The Last Face et bien entendu de The Neon Demon...

De la résistanceDu cul
On a vu l'origine du monde et des seins, des phallus en érection et des langues. Mention spéciale à Rester vertical: un cunilingus, un missionnaire, une sodomie homosexuelle (en guise d'euthanasie), une bite en érection sous le jogg. Dans Ma Loute c'est juste subversif: un pauvre ch'ti anthropophage qui tombe amoureux d'un garçon qui se préfère en fille (jusqu'au moment où il tâte les couilles). Dans Mademoiselle, le sexe est lesbien et torride. le cuni d'ailleurs déclenche la passion après des préliminaires très sensuels. L'érotisme, ici, est surtout oral, en racontant des contes pornographiques. Dans Toni Erdmann, il y a une scène naturiste cocasse mais il y a surtout une masturbation masculine avec éjaculation dans un petit four, avalé par sa partenaire voyeuse. Dans Ma de pierres, l'étreinte est classique. Dans American Honey, ils sont assez exhibs (fesses, queues, seins) et les deux protagonistes principaux baisent dès qu'ils peuvent, à même l'herbe. Au passage, on nous cache pas grand chose même si on connaissait déjà l'anatomie de Shia LaBoeuf. Sinon la branlette d'un mec se fait plus pudique. Dans Julieta, la baise se pratique dans le train, et avec fougue. Dans Personal Shopper, la Kristen se masturbe en se déguisant avec les fringues de sa boss. Dans Aquarius, il y a une scène de partouze, sans floutage, et un gigolo qui expose son matos face caméra avant de niquer sa cliente un peu plus âgée. Dans The Neon Demon, il ne se passe pas grand chose, sauf si on considère la dévoration comme un acte sexuel. Dans Elle, enfin, on ne voit pas grand chose, mais on devine tout.

Et sinon... on a souvent vu la mer. Côté Bretagne dans Rester vertical, côté Pas de calais dans Ma Loute, côté méditerranée dans Mal de Pierres. Elle a toujours son importance. Elle est aussi mortelle dans Julieta et vitale dans Aquarius. On a vu deux médecins - La fille inconnue et Baccalauréat - se prendre pour des Sherlock Holmes. Beaucoup d'appartements ou de maisons et peu de grands espaces. Le foyer était même un personnage central de certains films (Sierranevada, Mademoiselle, Paterson, Loving, Aquarius, Juste la fin du monde, Le client...).

Les métiers étaient variés: scénariste, médecins, visiteur médical, bibliothécaire, industriel, menuisier au chômage, servante, arnaqueur, lectrice, consultante, professeurs, maçons, VRP, conducteur de bus, pâtissière intermittente, shoppeuse, journaliste à la retraite, commerçante et trafiquante, dramaturge, mannequin, patronne de start-up, comédien...

Et puis il y a du rire. Beaucoup d'humour et de dérision ont allégé de longs films. Décalé ou noir, second de gré ou burlesque, les cinéastes ont réussi, souvent, à nous muscler les zygomatiques. Mention spéciale au film de Jim Jarmusch, qui s'offre le chien psychopathe le plus comique du cinéma et l'intrusion d'un Japonais dans l'épilogue dont une expression toute nippone devient un running-gag. Il y a quelques exceptions: on ne rigole vraiment pas dans Mal de pierres, American Honey, Moi, Daniel Blake, Loving, Personal Shopper, Baccalauréat, Juste la fin du monde, Le client ou The Neon Demon. Ou on rit franchement, involontairement avec The Last Face qui offre une série de répliques cultes malgré lui.

Bien sûr, il n'y a pas que la compétition, et les films des autres sélections ont aussi ces points communs. La femme est à l'honneur de Victoria et de Divines. On se dévore aussi bien dans Ma Loute, The Transfiguration, Grave que dans The Neon Demon (attention aux végétariens: l'homme est une viande comme les autres, parfois un peu plus indigeste). Le foyer est aussi le décor central de L'économie du couple ou de Parc, The Transfiguration et Périclès le noir. Le huis-clos a inspiré de nombreux films, à commencer par Clash et Apprentice. Les familles élargies et recomposées sont des objets très bien identifiés et source de drames et jalousies, de passions et d'incompréhensions (Juste la fin du monde, Baccalauréat, Elle, Sierranevada, Le cancre, Harmonium, Divines, American Honey, Rester vertical, Moi, Daniel Blake, Au delà des montagnes et des collines, Toni Erdmann, La tortue rouge, Loving, Ma vie de courgette etc...)

Mais s'il fallait aussi garder un thème, ce serait celui du temps. Les 8 jours de Paterson. L'après midi de Sierranevada. La journée de Juste la fin du monde. La nuit blanche de Ma'Rosa. La semaine d'Aquarius. Et aussi les manipulations du temps: les décennies de Julieta, les vacances de Ma Loute, la semaine à Bucarest de Toni Erdmann, la virée sans fin de American Honey, le combat sans fin, sur dix ans et quelques de Loving, les jours qui passent dans La fille inconnue, le compte-à-rebours de quelques jours de Baccalauréat, les années qui roulent de Mal de Pierres. Le temps se tord, se distord, mais la durée fut soit courte soit très longue. Soit très bien définie, soit assez floue. C'est un prétexte au récit où le temps sert de cadre strict ou accompagne une vie.

Cannes c'était finalement 12 jours pile-poil et quelques films qui marquent nos esprits.