Jacques Rivette (1928-2016) ne nous appartient plus

Posté par vincy, le 29 janvier 2016, dans In memoriam, Personnalités, célébrités, stars.

A 87 ans, Jacques Rivette ne nous appartient plus: il est parti ailleurs, puisque l'on apprend sa mort ce vendredi 29 janvier. Il est devenu insaisissable, comme son cinéma.

Il avait fondé La Gazette du cinéma en 1950 avant de rejoindre Les Cahiers du cinéma dont il deviendra le rédacteur en chef en 1963. Entre temps, il avait, comme nombreux de ses camarades, débuté sa carrière de cinéaste avec Paris nous appartient en 1958 et cette légendaire scène sur les toits de zinc de la capitale. Le film a mis trois ans à se faire, souffrant de graves problèmes financiers, et il faudra le soutien de Truffaut et Chabrol pour l'aider à le terminer.

Il avait fait ses premiers armes en assistant Jacques Becker et Jean Renoir. Il côtoyait ses amis Rohmer et Jean-Luc Godard. Il écrit avec François Truffaut et Claude Chabrol. Et pourtant, inventif, artisan doué, inspiré, Jacques Rivette aura toujours eu un itinéraire singulier, ne quittant jamais cette envie de réaliser des films comme bon lui semblait. Trois grands films marquent sa carrière. Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot, avec Anna Karina. Le film a été censuré, mais grâce à l'aide de Godard, brave le ministre de la culture André Malraux et sort un an plus tard, en 1967, en trouvant un large public. En 1974, Céline et Julie vont en bateau trouble les cartésiens. Comédie fantaisiste et fantastique, où songe et réel s'entremêlent, il est une version mûrie de ce qu'il a expérimenté avec Bulle Ogier au début des années 1970 avec Out 1, film de douze heures et quarante minutes où le récit se laisse emporter par les divagations de personnages interchangeables. Le film est ressorti en décembre dernier.

Rivette aimait la longueur. L'amour fou en 1969 durait plus de quatre heures... Troisième grande étape de sa filmographie, La Belle Noiseuse avec Emmanuelle Béart et Michel Piccoli, dans un troublant rapport artistique et érotique d'un pygmalion et de sa muse, mise en abime de ses propres collaborations avec les comédiennes. Le film reçoit le Grand prix du jury à Cannes en 1991.

Il y avait toujours de la légèreté dans ses histoires. Une envie de cinéma un peu décalé. Dans Va savoir, en 2001, il est au summum de sa fantaisie, et insère des clins d'oeil à ses précédents films avec une jubilation enfantine.

Il était discret, cultivé, marginal et pourtant influent. Rivette par son seul nom était une marque de référence pour les cinéphiles et la critique. Ses personnages balzaciens, son goût pour l'imperfection, son envie de palper les émotions dans des situations parfois absurdes ou au contraire dictées par le genre qu'il s'imposait déroutaient le public. Il a bien reçu quelques grands prix (le prix FIPRESCI à Berlin pour La Bande des quatre, un léopard d'honneur à Locarno, ...) mais il n'a jamais fait consensus. La Belle noiseuse est presque un accident avec ses nominations aux César (meilleur film, meilleur réalisateur).

Car, avant tout, Jacques Rivette aimait expérimenter, quitte à bousculer la grammaire du cinéma. Il refusait le conformisme d'une industrie qui contraint les castings, la durée, le formalisme d'un film. Ses oeuvres les plus déconcertantes ne laissent pourtant jamais le spectateur indifférent. Il y a une forme d'hypnose qui se créé, si l'on est réceptif. Ses scénarios - qui se résumaient à une quinzaine de pages brouillones - étaient souvent palpitants, à base de complots, de vaudeville, d'errances urbaines. Les acteurs faisaient le reste, coréalisant avec lui des séquences en fonction de l'humeur du moment. Chef d'orchestre d'une trouve improvisant devant sa caméra, il réalise au final une trentaine de films, du court métrage à l'oeuvre d'une demi-journée, en près de 60 ans.

Cependant, aucun de ses films ne se ressemblent, tour à tour psychédélique, épuré, classique, foutraque, tragique, baroque, extravagant, sombre, réaliste... Au milieu de fantômes souvent convoqués dans ses histoires, ses actrices ont trouvé avec lui quelques uns de leurs plus beaux rôles: Jane Birkin, Géraldine Chaplin, Sandrine Bonnaire en Jeanne la Pucelle, Jeanne Balibar... Parce qu'il était novateur, poète, il aimait renverser les trames les plus traditionnelles pour en faire des tableaux en mouvements remplis de grâce.

Rien n'est jamais tranquille dans ses films. Les zones de turbulences sont même nombreuses. Il aime tant jouer avec les intrigues, les chassés-croisés, et les sentiments humains. Mais à chaque fois, il pose une question, un cas de conscience. Démontrant que l'humain est avant tout un être faillible.

Si l'on a beaucoup évoquer sa manière si particulière de travailler, c'est parce que, comme un savant dans son laboratoire, il aimait voir comment l'alchimie prenait. Pour lui, le cinéma était une idée du monde. Et il avait sur cette idée un avis à la fois tranché, indulgent et une obsession éthique de ce qu'il fallait en déduire. Dans un entretien à Ecran Noir, Anna Karina disait de lui: "c’est quelqu’un de tellement pur, pas du tout pervers, si honnête et sensible."

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