Arras 2015 : Atlas d’or du cœur à Virgin mountain de Dagur Kári

Posté par MpM, le 16 novembre 2015, dans Arras, Festivals, Films.

virgin mountain

Preuve de l'évidente homogénéité de la compétition 2015, les trois jurys de cette 16e édition du Arras Film Festival ont tous distingué des films différents, récompensant en tout six films sur les neuf sélectionnés.

Atlas d'or pour Virgin mountain

Au milieu de cette belle répartition des prix, le seul doublé est celui réalisé par Virgin mountain de Dagur Kári (Islande), à qui le jury international, présidé par la réalisatrice Lætitia Masson et composé des comédiens français Salomé Stévenin et Antoine Chappey et du cinéaste slovène Boris Petkovic, a décerné à la fois l'Atlas d'or, plus haute distinction du festival, et une mention spéciale pour l'interprétation habitée de l'acteur Gunnar Jonsson. Un choix peut-être plus dicté par la sympathie que l'on éprouve pour le personnage principal, un homme de quarante ans obèse, timide et solitaire qui va peu à peu s'éveiller à la vie au contact d'une jeune femme rencontrée dans un cours de danse, que par les qualités cinématographiques du film, certes touchant, mais aussi assez poseur dans sa manière d'être décalé et doux-amer.

Atlas d'argent pour Thirst

thirstL'Atlas d'argent de la mise en scène est quant à lui allé à Thirst de Svetla Tsotsorkova, un long métrage bulgare contemplatif sur les relations ambiguës qui se tissent entre deux familles au cours d'une terrible sécheresse.

Privilégiant des scènes courtes et peu dialoguées filmées en plans larges, Thirst est l'archétype du film plébiscité en festival qui entend décortiquer, mais à distance, la prodigieuse complexité des relations humaines, amoureuses et sociales.

The culpable, The red spider et Memories of the wind en embuscade

On a le droit de s'interroger sur la présence presque systématique de ce genre de films en tête des palmarès, surtout pour un prix de mise en scène qui aurait pu (dû ?) récompenser au moins trois autres films de la sélection, à commencer par The culpable de Gerd Schneider, incroyable tragédie sur le dilemme d'un prêtre catholique allemand dont l'un des meilleurs amis est accusé de pédophilie, filmé dans un cinémascope éblouissant qui permet au réalisateur de faire passer les émotions du protagoniste principal uniquement par le travail sur l'image et la construction des plans. Heureusement, cet incroyable premier film allemand au sujet brûlant et aux choix formels audacieux a été récompensé par le jury "jeune".

Autre film qui aurait été un candidat sérieux à un prix de mise en scène, The red spider de Marcin Koszalka, thriller halluciné sur la relation trouble entre un serial killer et un jeune homme qui a découvert par hasard son identité. Pratiquement vidé de toute substance anxiogène (puisque dénue de suspense, d'action ou même d'enquête), le film suit son personnage principal à travers un dédale de couloirs et de sous sols aux teintes grises et froides, dans lesquels il erre apparemment sans raison, entre plans anecdotiques et scènes interrompues. Avec une sécheresse glaciale, The red spider joue la carte d'une perversité déconcertante et d'une intrigue insaisissable pour mieux amener le spectateur à comprendre, sans la moindre démonstration didactique, les enjeux éminemment actuels de son récit. Mais si le jury international a écarté le film, le jury de la critique, mené par Gérard Lenne (vice-président du Syndicat français de la Critique), a lui logiquement choisi de le récompenser.

Memories of the windTroisième candidat sérieux à un prix de mise en scène,et de manière incompréhensible grand absent du palmarès, Memories of the wind de Ozcan Alper brille par une cinématographie élégante et délicate basée sur des clairs obscurs sublimes et une attention minutieuse à chaque plan.

Le film, qui insiste sur la nécessité de faire la paix avec son passé pour briser le cercle vicieux de la violence, aborde par la bande le traumatisme du génocide arménien et ses répercussions jusqu'à aujourd'hui dans la société turque. Une oeuvre exigeante que sa durée (plus de 2h) et sa forme (contemplative et austère) ont probablement handicapée.

Les outsiders Home care et The Fencer

A noter par ailleurs que Home care de Slavek Horak, jolie fable sur une infirmière totalement dévouée aux autres dont les convictions sont peu à peu ébranlées, a été récompensé par une mention spéciale du jury tandis que The fencer de Klaus Härö, récit historique à la gloire d'un héros national estonien, a sans surprise séduit le public par sa construction formatée et ses bons sentiments à foison. L'un des films les plus "produits" de la compétition, et peut-être à cause de cela l'un des moins intéressants d'un point de vue purement artistique.

1944Enfin, deux autres films ont également été écartés du palmarès, non sans une certaine logique : 1944 de Elmo Nüganen, une grande fresque historique sur la dernière année de guerre sur le front est, opposant des bataillons estoniens recrutés de force par l'Allemagne nazie à d'autres Estoniens enrôlés par l'Armée rouge, et What's between us de Claudia Lorenz, un drame familial suisse très aride sur un couple qui se déchire lorsque l'homme avoue son homosexualité à sa compagne.

L'humain au cœur du palmarès

Il est toujours tentant (et facile) de contester les choix des jurés, mais c'est presque toujours plus intéressant d'essayer d'y voir une tendance. Cette année, le jury principal semble avoir voulu distinguer un cinéma émotionnel qui place l'intime au centre du récit.

Ce n'est sans doute pas un hasard si Virgin mountain et Home care sont tous les deux les portraits sensibles de deux personnages singuliers et attachants pris dans leur histoire personnelle, tandis que Thirst s'attache à une petite communauté elle-aussi aux prises avec des questions très personnelles. Comme si les jurés avaient souhaité écarter les sujets plus immédiatement "forts" comme le génocide arménien, la guerre ou la pédophilie.

Ils ont aussi privilégié des œuvres qui mettent directement l'humanité au cœur de leur récit et gardent un certain espoir face aux situations tragiques. Bien sûr, c'est une vision qui se défend, mais elle laisse en fin de compte une certaine frustration à ceux qui affectionnent un cinéma plus complexe et plus organique.

Le palmarès complet

Atlas d'or
Virgin mountain de Dagur Kári (Islande)

Atlas d'argent
Thirst de Svetla Tsotsorkova (Bulgarie)

Mention spéciale du Jury
Home care de Slavek Horak (République Tchèque)

Mention spéciale du Jury à un comédien
Gunnar Jonsson pour Virgin mountain de Dagur Kári

Prix de la Critique
The red spider de Marcin Koszalka

Prix du public
The Fencer de Klaus Härö (Finlande / Estonie)

Prix Regards jeunes
The culpable de Gerd Schneider (Allemagne)

Prix ArrasDays
The disciple de Ivan Ostrochovsky (Slovaquie)
Sister de Svetla Tsotsorkova (Bulgarie)

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