Arras 2014 : focus sur le « jeune cinéma français »

Posté par MpM, le 13 novembre 2014

terre battueDans le cadre de sa section "Découvertes européennes", le 15e Arras Film Festival propose un focus sur le jeune cinéma français à travers quatre premiers longs métrages qui offrent un aperçu éclectique de la jeune production hexagonale contemporaine.

S'il s'avère relativement artificiel de chercher à tout prix des points communs entre Bébé tigre de Cyprien Vial, Terre battue de Stéphane Demoustier, Fidelio, l'odyssée d'Alice de Lucie Borleteau ou encore Vincent n'a pas d'écailles de Thomas Salvador, on peut déceler dans chacun des films le désir de s'ancrer dans son époque ainsi qu'une dynamique d'écriture qui force l'intérêt.

Ainsi, Terre battue raconte le combat parallèle d'un homme au chômage qui essaye de monter sa propre entreprise et celui de son fils de onze ans pour accéder à son rêve : devenir joueur de tennis professionnel. Un conte moderne qui questionne l'obsession de la réussite et les mécanismes de transmission familiaux.

Dans un registre tout aussi social,  Bébé tigre suit le parcours d'un adolescent du Penjab qui essaye de travailler pour envoyer de l'argent à sa famille restée au pays tout en poursuivant une scolarité normale. Au-delà d'un destin particulier, c'est un système que décortique Cyprien Vial. Avec beaucoup de mesure, il montre la part d'ombre et de lumière de tous les protagonistes, à commencer par le passeur qui fournit de petits boulots au jeune homme, et amène le spectateur à comprendre la complexité d'une situation aux nombreuses ramifications.

A contrario, Fidelio, l'odyssée d'Alice, s'éloigne nettement des questions sociales pour aller vers un ton plus initiatique. L'héroïne y est second mécanicien sur un cargo. Seule femme dans un monde d'hommes, elle mène sa vie comme une barque, au gré des courants. Un très beau manifeste du désir féminin et du droit des femmes à assumer leur appétit sexuel, presque traité comme un huis clos tantôt oppressant, tantôt joyeux.

Enfin, Vincent n'a pas d'écailles Vincent n'a pas d'écaillesest de loin le film le plus étrange du quatuor. Une œuvre presque organique, avec très peu de dialogues, qui parle de la différence, de l'amour et de la nature sur fond de supers pouvoirs dignes des blockbusters américains. Quasiment un (anti ?) film de supers héros qui joue avec les codes du genre tout en suivant sa propre ligne directrice.

Recherche formelle et cinéma engagé

Si les deux premiers longs métrages sont formellement plus classiques, les autres proposent un cinéma plus sensoriel, assez découpé, qui prend le temps de saisir une ambiance ou une scène. Curieusement, des séquences aquatiques se font écho de l'un à l'autre, véhiculant un même bonheur simple de ne faire qu'un avec les éléments. Ils témoignent d'une véritable recherche formelle de la part de leurs auteurs ainsi que d'une envie de faire un cinéma plus personnel, et de ce fait plus singulier.

A rebours, Terre battue et Bébé tigre se veulent plus engagés, presque militants. Stéphane Demoustier fait le portrait d'une classe moyenne désorientée par la disparition de tout ce en quoi elle croyait et critique les nouvelles valeurs à la mode : la célébrité, l'argent facile, le succès à tout prix. Surtout, ne pas être un loser. Cyprien Vial dépeint lui une France telle qu'on aimerait la voir plus souvent dans l'actualité : celle d'une intégration réussie et d'une communauté humaine où personne ne sert de bouc émissaire pour expliquer les maux contemporains. Une France invincible parce qu'unie, mais dénuée de tout angélisme ou candeur.

Entre les quatre films, on peut avoir des inclinations ou au contraire des réticences.  Certains semblent plus aboutis, d'autres plus originaux. Mais les opposer serait improductif, tant le cinéma français a besoin de tous ses talents, quel que soit le stade de maturation où ils se trouvent actuellement. Dans ce focus, c'est une parcelle de l'avenir du cinéma national qui se joue. Et sans présager de cet avenir, on peut d'ores et déjà se réjouir pour cette parcelle-là.

Décès du cinéaste belge Jean-Jacques Rousseau: une sale affaire

Posté par vincy, le 13 novembre 2014

Le cinéaste belge Jean-Jacques Rousseau est mort à l'âge de 66 ans le 5 novembre dernier. Auteur d'une quarantaine de films aux titres imagés (L'Histoire du Cinéma 16, une auto-critique, La Revanche du Sacristain Cannibale, L’Etrange Histoire du Professeur Igor Yaboutich, L'amputeur Wallon, Le Diabolique Dr Flak, Le Poignard maudit, Wallonie 2084, etc...), notables pour leur style absurde, il avait été révélé au grand public dans le documentaire de Frédéric Sojcher, Cinéastes à tout prix (2004). Le film est projeté à Cannes, hors-compétition, et met ainsi à l'honneur son oeuvre.

Car Rousseau était un auteur marginal, un apôtre du surréalisme, un contestataire secret (il portait une cagoule), un autodidacte qui s'amusait avec le genre fantastique, l'horreur, l'histoire. Farouche combattant des puissants, cet insoumis avait acquis le surnom flatteur d'Ed Wood Wallon. "Le cinéma de l’Absurde, c’est un cinéma incompréhensible, surréaliste, un cinéma totalement hors norme. Nous vivons dans une époque de normalisation absolue. Il est bien évident qu’une fois que vous êtes dans l’absurde, on vous prend pour un dingue" expliquait-il.

Il avait débuté sa carrière comme exploitant de salles avant de passer derrière la caméra pour "fabriquer" des films avec des acteurs amateurs et des budgets ridiculement bas. "Le budget du film peut aller de 250 à 100 000 euros mais ça n’a jamais dépassé 100 000. Mais c’est déjà descendu en dessous de 250… J’ai surtout besoin d’argent pour pouvoir faire des films, pas pour moi. Il faut tout d’abord savoir que je suis bénévole dans mes films et que l’argent qui me vient maintenant provient de la Communauté Française, de mécènes, de gens qui aiment mon cinéma" explique-t-il sur son site.
"L’argent est nécessaire pour faire un film. Mais je dois dire que je suis totalement contre le fait que certains films français coûtent 10, 15, 20 millions d’euros. C’est énorme. On pourrait faire des films qui coûtent moins cher. L’acteur doit gagner moins" insiste l'artiste. Parmi ses mécènes, il y a Benoît Poelvoorde et Bouli Lanners.

Admirateur de Kubrick, fan de La Créature du Lac Noir, ce bricoleur d'images et résistant à l'industrialisation du cinéma n'a jamais pu sortir ses films autre part que dans son cinéma ou dans les festivals. Ironiquement, il est mort dans des circonstances dignes d'un mauvais polar. 40 ans après ses débuts, le clap de fin a sonné dès cet été. Une altercation entre deux hommes un soir de juillet, dans un café de Courcelles, Le Napoléon (ironique là aussi quand on sait que Rousseau a filmé la Bataille Waterloo dans son jardin). L'un des deux protagonistes monte dans sa voiture, énervé, fonce sur l'établissement et heurte trois personnes qui n'ont rien à voir dans l'affaire. Le jeune chauffard s'est livré à la police. Mais il a blessé légèrement une personne et très grièvement deux autres, dont Jean-Jacques Rousseau. Il sombre dans le coma. Ne s'en réveillera jamais, succombant à ses blessures près de 4 mois plus tard, un jour d'automne.

Sur la mort, il disait : "La mort est le résultat de la vie. Quand on naît, quand on voit le fœtus, l’embryon, le spermatozoïde, il est déjà condamné à mourir. Quand un spermatozoïde a été sélectionné parmi des centaines de milliers, celui-là mourra. Il mourra pourquoi ? Parce qu’il sera tout d’abord embryonnaire, il va y avoir une espèce de petit hippocampe qui va se développer dans le corps de la mère. Mais déjà là, le cœur commence à battre ; et déjà il va falloir lutter contre la mort. Et toute la vie est une lutte contre la mort : globules rouges contre globules blancs. Et la mort, ça veut dire que nous serons vaincus."

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site officiel du cinéaste